Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 176 869,15 euros en réparation des préjudices qu'il a subis en raison des fautes commises par l'Etat français par l'abandon des harkis lors de l'indépendance alors même qu'ils étaient victimes de massacres et autres exactions en Algérie et dans les conditions d'accueil des harkis et de leurs familles rescapées dans des camps en France.
Par un jugement n° 1709140 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2020, sous le n° 20MA02335, M. B..., représenté par Me Magrini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mars 2020 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 176 869,15 euros en réparation des préjudices qu'il a subis en raison des fautes commises par l'Etat français par l'abandon des harkis lors de l'indépendance alors même qu'ils étaient victimes de massacres et autres exactions en Algérie et dans les conditions d'accueil des harkis et de leurs familles rescapées dans des camps en France ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée en raison, d'une part, de l'absence de disposition prise afin d'éviter, ou du moins de minorer, les violences perpétrées à l'encontre des harkis d'Algérie et, d'autre part, des manquements aux droits fondamentaux et libertés fondamentales dans le traitement réservé aux harkis et à leurs familles lorsqu'ils sont arrivés sur le territoire français ;
- les dispositifs textuels conçus et mis en œuvre par l'Etat français depuis 1961 ne sauraient faire obstacle à l'indemnisation demandée ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation et une erreur de droit en estimant qu'il ne pouvait demander une indemnisation des préjudices subis sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour faute ;
- il maintient ses demandes telles qu'elles étaient présentées devant les premiers juges, à savoir une indemnité compensatrice du préjudice moral à hauteur de 30 076,22 euros, une indemnité compensatrice de son préjudice matériel à hauteur de 46 792,93 euros et une indemnité globale de compensation des préjudices matériel et moral à hauteur de 100 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices en lien avec l'abandon des harkis par la France lors de l'indépendance d'Algérie dès lors que celles-ci portent sur des actes non détachables des relations internationales ;
- l'action de M. B... est prescrite ;
- les autres moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Le mémoire enregistré le 5 octobre 2022, présenté pour M. B..., par Me Magrini, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le décret n° 98-81 du 11 février 1998 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 14 mars 1942 en Algérie, a été engagé dans l'armée française en qualité de supplétif durant la guerre d'Algérie. Il est arrivé en France, avec sa famille, en 1964. Le 7 juillet 2017, il a adressé au Premier ministre une demande tendant à la réparation des préjudices subis en Algérie, puis en France, à laquelle ce dernier n'a pas répondu. Il relève appel du jugement du 17 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 176 869,15 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes commises par l'Etat français par l'abandon des harkis lors de l'indépendance et dans les conditions d'accueil des harkis et de leurs familles rescapées dans des camps en France.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué et plus particulièrement de son point 5 que le tribunal a suffisamment répondu au moyen tiré de l'existence de préjudices pour conditions de vie indignes pendant de nombreuses années.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les préjudices liés au défaut d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française et au défaut de rapatriement en France :
3. A l'appui de sa demande de réparation, M. B... a mis en cause la responsabilité pour faute de l'Etat en soutenant qu'étaient fautifs, d'une part, le fait de n'avoir pas fait obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, en méconnaissance des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites " accords d'Evian " et, d'autre part, le fait de n'avoir pas organisé leur rapatriement en France. Cependant, les préjudices ainsi invoqués ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute.
4. Il résulte de ce qui précède, comme l'a jugé le tribunal administratif, que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices liés tant à l'absence d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française qu'à l'absence de rapatriement en France des anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et de leurs familles.
En ce qui concerne les préjudices résultant d'un séjour dans un camp d'hébergement et de transit :
5. M. B... met également en cause la responsabilité de l'Etat à raison de la faute qu'auraient commise les autorités françaises du fait du traitement contraire aux droits et libertés fondamentaux qu'elles lui auraient fait subir ainsi qu'à sa famille, caractérisé par les conditions d'accueil et de vie réservées aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles dans les camps au sein desquels certains d'entre eux ont été regroupés après leur rapatriement en France.
6. M. B... soutient que lui et sa famille ont vécu, après leur arrivée en France en 1964, " dans les conditions indignes des camps pendant de nombreuses années ". Il produit, pour la première fois en appel, la photocopie d'un document qui établirait selon ses dires qu'il a été hébergé au hameau de forestage de Boulouris. Toutefois, ce document qui se présente comme une enveloppe sur laquelle figure son nom et l'adresse postale du hameau forestier de Boulouris avec un cachet postal mentionnant l'année 1973, ne permet pas d'établir, d'une part, que lui et sa famille ont vécu dans le hameau concerné et sur quelle période, et d'autre part, les conditions de vie qu'ils y ont subies. S'il entend faire état par ailleurs de préjudices résultant d'une part, de dommages occasionnés à sa santé physique, et, d'autre part, de conséquence socio-professionnelles liés à son séjour dans ledit hameau de forestage, les seuls éléments versés au dossier constitués d'une carte de combattant, d'une carte de victime de la captivité en Algérie et d'une carte d'invalidité mentionnant un taux de 75 %, ne suffisent à établir ni la réalité et l'étendue de ces préjudices, ni leur lien de causalité avec le séjour prolongé, à le supposer établi, au hameau de forestage de Boulouris.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre des armées en défense, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 176 869,15 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes commises par l'Etat français par l'abandon des harkis lors de l'indépendance et dans les conditions d'accueil des harkis et de leurs familles rescapées dans des camps en France.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2022, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Ciréfice, présidente assesseure,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 novembre 2022.
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N° 20MA02335
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