Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les associations La Cimade, Fondation Abbé A..., Fédération des acteurs de la solidarité de Provence-Alpes-Côte d'Azur Corse, Soutien Réseau Hospitalité et Médecins du monde ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision des services de la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Provence-Alpes-Côte d'Azur (DRDJSCS PACA) d'établir de nouveaux critères de vulnérabilité pour la gestion de l'accueil des demandeurs d'asile.
Par une ordonnance n° 1805316 du 21 juin 2021, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 juillet 2021 et le 17 juin 2022, l'association Soutien Réseau Hospitalité, la fondation Abbé A..., l'association Fédération des acteurs de la solidarité de Provence-Alpes-Côte d'Azur Corse et l'association Médecins du monde, représentées par Me Perollier, demandent à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision de la DRDJSCS PACA ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête d'appel qui a été enregistrée dans les délais de recours contentieux par des associations qui justifient d'un intérêt à agir eu égard à leur objet social est recevable ;
- la demande de première instance a également été enregistrée dans les délais de recours contentieux, la décision contestée n'ayant pas été publiée ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer alors que la décision attaquée a reçu exécution et l'ordonnance attaquée est donc irrégulière ;
- l'acte attaqué qui est impératif et prive tous les demandeurs d'asile qui n'entrent pas dans les nouveaux critères d'accéder au dispositif d'hébergement en hôtel fait grief et est susceptible de recours pour excès de pouvoir ;
- l'acte attaqué est entaché d'incompétence alors que ni le directeur départemental délégué de la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS), ni le directeur territorial de l'OFII ne disposent d'un pouvoir réglementaire ;
- il méconnaît les dispositions du chapitre IV du titre IV du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment les articles L. 744-1, L. 744-6, L. 744-7 et L .744-9 de ce code, qui transpose les articles 17,18, 21, 22 et 23 de la directive 2013/33/UE ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- à titre subsidiaire, les dispositions du chapitre IV du titre IV du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont inconventionnelles ;
- l'acte attaqué méconnaît le droit au respect de la dignité humaine qui a valeur constitutionnelle.
Un courrier du 27 juillet 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 612-3 alinéa 3 du code de justice administrative a mis en demeure le préfet des Bouches-du-Rhône de produire ses observations en défense dans le délai d'un mois et a informé les parties de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 20 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Bruggiamosca, représentant l'association Soutien Réseau Hospitalité et autres.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la diffusion par les services de la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) devenue la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale Provence-Alpes-Côte d'Azur (DRDJSCS PACA) d'une liste de nouveaux critères de vulnérabilité pour la gestion de l'accueil des demandeurs d'asile, les associations requérantes, considérant que cette liste réduisait et modifiait les critères prévus par la loi, ont demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation de cette décision, révélée par des courriels des 23 mars 2018, 30 mars 2018 et 30 mai 2018, du chef de service de la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) de Marseille gérée par l'association Forum Réfugiés, bénéficiaire de conventions de subventions conclues avec la DRDJSCS PACA pour les années 2017 et 2018. Ces conventions chargeaient l'association Forum Réfugiés de mettre en place une procédure d'accueil et de suivi des ménages intégrant le dispositif hôtelier-asile pour leur permettre de bénéficier d'un accompagnement social et administratif. L'association Soutien Réseau Hospitalité et autres requérantes relèvent appel de l'ordonnance du 21 juin 2021 par laquelle la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. Par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de l'association Soutien Réseau Hospitalité et autres dès lors que le préfet des Bouches-du-Rhône soutenait, sans être contesté, que la pandémie de covid 19 avait conduit l'Etat à élargir ses capacités d'accueil.
3. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment des attestations du 4 juin 2018 et des rapports d'activité des années 2018 à 2020 de l'association Forum Réfugiés que cette décision a reçu un commencement d'exécution pendant la période où elle était en vigueur. Aussi, et à supposer même que cette décision puisse être regardée comme ayant été abrogée, l'association Soutien Réseau Hospitalité et autres sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer.
Sur la légalité de la décision attaquée :
4. Aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre. / L'office peut déléguer à des personnes morales, par convention, la possibilité d'assurer certaines prestations d'accueil, d'information et d'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile pendant la période d'instruction de leur demande. ". Et selon l'article L. 744-6 du même code : " A la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines. / L'évaluation de la vulnérabilité du demandeur est effectuée par des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ayant reçu une formation spécifique à cette fin... ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été révélée par les courriels des 23 mars 2018, 30 mars 2018 et 30 mai 2018 du chef de service de la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) de Marseille gérée par l'association Forum Réfugiés et émane de la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) devenue la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS). Cette décision fixe les critères de vulnérabilité comme visant " les familles avec enfants âgés de moins de trois ans, les femmes enceintes de plus de huit mois avec certificat médical à l'appui, les femmes victimes de traite des êtres humains et/ou violences conjugales et toute personne ayant une problématique de santé très grave (critère non défini et non détaillé) ".
6. Ce faisant, cette décision recense les critères de vulnérabilité pour l'admission des demandeurs dans le dispositif " Service Plus demandeur d'asile " en excluant notamment, à moins qu'ils n'aient une problématique de santé très grave, les enfants mineurs de plus de trois ans, les mineurs non accompagnés, les personnes âgées, les femmes enceintes de moins de huit mois et celles de plus de huit mois sans certificat médical, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines. Ces critères, tels qu'ainsi définis, restreignent ceux fixés par l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cités au point 4.
7. L'association Soutien Réseau Hospitalité et autres sont, par conséquent, fondées à soutenir que la décision attaquée méconnaît l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En outre, les dispositions de l'acte attaqué dont les associations requérantes demandent l'annulation ne se bornent pas à interpréter le texte de l'article L. 744-6 mais fixent des règles nouvelles en modifiant et en limitant la liste des personnes vulnérables qui y sont mentionnées. Par suite, elles empiètent sur le pouvoir du législateur et sont donc, pour cet autre motif, illégales.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens, les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation de la décision attaquée.
Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser aux associations requérantes sur le fondement de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 1805316 de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille du 21 juin 2021 et la décision informelle des services de la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS) établissant de nouveaux critères de vulnérabilité pour la gestion de l'accueil des demandeurs d'asile sont annulées.
Article 2 : L'Etat versera à l'association Soutien Réseau Hospitalité, à la fondation Abbé A..., à l'association Fédération des acteurs de la solidarité Provence-Alpes-Côte d'Azur Corse, et à l'association Médecins du monde la somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Soutien Réseau Hospitalité, à la fondation Abbé A..., à l'association Fédération des acteurs de la solidarité Provence-Alpes-Côte d'Azur Corse, à l'association Médecins du monde et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2022.
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N° 21MA03235