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14/11/2022 | FRANCE | N°20MA00890

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 14 novembre 2022, 20MA00890


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Entreprise Auglans a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur à lui payer la somme de 79 685,40 euros en réparation de préjudices causés par une crue ayant affectée un chantier de travaux publics où elle intervenait pendant le mois de novembre 2014.

Par un jugement n° 1802167 en date du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procéd

ure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2020, et un mémoire enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Entreprise Auglans a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur à lui payer la somme de 79 685,40 euros en réparation de préjudices causés par une crue ayant affectée un chantier de travaux publics où elle intervenait pendant le mois de novembre 2014.

Par un jugement n° 1802167 en date du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2020, et un mémoire enregistré le 5 février 2021, la société Entreprise Auglans, représentée par Me Poulet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 30 décembre 2019 ;

2°) de condamner la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur à lui payer la somme de 79 685,40 euros ;

3°) de mettre à sa charge la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- elle a subi un préjudice de 25 600 euros hors taxes au titre de la perte de matériels, et une somme de 54 085,54 euros au titre des travaux de reprise des ouvrages sinistrés, ce calcul tenant compte de l'indemnité forfaitaire de 13 333,33 euros versée par la commune ;

- elle n'a pas été négligente ou imprévoyante ;

- les déclarations de l'entreprise Cabanel sont sujettes à caution ;

- sa négligence ne peut, en tout état de cause, être à l'origine des dégâts causés aux ouvrages réalisés ;

- la commune, qui lui a versé une indemnité, a reconnu son droit à indemnisation ;

- alors même que la crue ne constituait pas un cas de force majeure, elle a droit à être indemnisée sur le fondement de l'article 18.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux ;

- elle n'a pas renoncé à obtenir une indemnisation ;

- les intempéries présentaient bien un caractère imprévisible ;

- l'article 18.3 du cahier des clauses administratives générales fait obstacle à ce qu'elle soit responsable des dommages en sa qualité de gardienne ;

- à titre subsidiaire, elle a droit à l'indemnisation des travaux de reprise au titre des sujétions techniques imprévues.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2020, la communauté de communes du Minervois au Caroux, venant aux droits et obligations de la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur, représentée par la SELARL Cabinet d'avocat Valette-Berthelsen, conclut au rejet de la requête de la société Entreprise Auglans et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La communauté de communes soutient que :

- les moyens d'appel sont infondés ;

- la société était responsable en sa qualité de gardienne des ouvrages.

Par lettre du 22 juillet 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er octobre 2022 et le 31 décembre 2022, et que l'instruction était susceptible d'être clôturée avec effet immédiat à compter du 15 septembre 2022 à midi.

Par ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 juin 2014, la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur a attribué au groupement Auglans/Cabanel/Ferrini un marché de travaux ayant pour objet la modification de deux passerelles de franchissement du fleuve l'Orb, situées sur le territoire de la commune de Vieussan. Le 28 novembre 2014, une crue de l'Orb a emporté le matériel de la société Auglans en détruisant une partie des ouvrages déjà réalisés. Par mémoire de réclamation en date du 18 mai 2016, la société a contesté le décompte général du marché en réclamant l'indemnisation du préjudice subi lors de la crue. Par jugement du 30 décembre 2019, dont la société relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société tendant à la condamnation de la communauté de communes à l'indemniser des conséquences de ce sinistre.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Aux termes de l'article 26 du cahier des clauses techniques particulières du marché : " (...) L'entrepreneur devra en particulier, prendre toutes les dispositions visant à préserver les matériaux, ou matériels entreposés sur le chantier, ainsi que les divers engins placés sous sa responsabilité, présents sur le site, tout risque de détérioration qui résulterait notamment de la brusque montée des eaux. Dans ce cas, l'entrepreneur sera tenu pour responsable des pertes ou avaries constatées par le maitre d'œuvre. Les frais supplémentaires occasionnés par ce type d'incidents seront imputables à l'entreprise qui devra remettre en état o remplacer les matériels détériorés ou perdus (...) ". Et aux termes de l'article 18 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) : " 18.1. Il n'est alloué au titulaire aucune indemnité au titre des pertes, avaries ou dommages causés par sa négligence, son imprévoyance, son défaut de moyens ou ses fausses manœuvres. 18.2. Le titulaire doit prendre à ses frais, risques et périls les dispositions nécessaires pour que les approvisionnements et les matériels et installations de chantier ainsi que les ouvrages en construction ne puissent être enlevés ou endommagés par les tempêtes, les crues, la houle et tous autres phénomènes naturels qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent les travaux. 18.3. En cas de pertes, avaries ou dommages provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n'était pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, le titulaire est indemnisé pour le préjudice subi, sous réserve : - qu'il ait pris, en cas de phénomène naturel, toutes les dispositions découlant de l'article 18.2 ; - qu'il ait signalé immédiatement les faits par écrit. Aucune indemnité ne peut néanmoins être accordée au titulaire pour perte totale ou partielle de son matériel flottant, les frais d'assurance de ce matériel étant réputés compris dans les prix du marché ".

3. La crue de l'Orb, intervenue 28 novembre 2014, a été reconnue comme catastrophe naturelle par arrêté du préfet de l'Hérault en date du 10 décembre 2014. Cette crue constitue un phénomène naturel qui, par son intensité, n'était pas normalement prévisible au sens des stipulations précitées du point 18.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux. La société a donc droit à indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de la crue, sous réserve que ce préjudice n'ait pas été causé, comme le précise le point 18.1 du même cahier, par sa négligence, son imprévoyance, son défaut de moyens ou ses fausses manœuvres. La communauté de communes n'est pas fondée à se prévaloir de ce que la société a la qualité de gardienne du chantier et des parties d'ouvrage exécutées, cette qualité n'étant pas de nature à faire obstacle à l'application des stipulations contractuelles qui prévoient l'indemnisation de la totalité du préjudice résultant des crues imprévisibles. Elle n'est pas non plus fondée, comme elle l'a fait en première instance, à opposer à la société les avenants du 4 décembre 2015 et du 12 décembre 2015, qui prolongent la durée d'exécution des travaux, dès lors qu'en mentionnant l'absence d'incidence financière de cette prolongation de la durée du chantier, ces avenants n'ont pas eu pour effet d'interdire à la société de solliciter l'indemnisation des conséquences du préjudice causé par les intempéries.

En ce qui concerne le préjudice :

4. En premier lieu, la société sollicite une indemnité de 8 950 euros au titre d'une perte de matériel lui appartenant qui n'a pas été couverte par l'assurance, ainsi qu'une indemnité de 16 650 euros au titre des frais de dégagement de la grue mobile. Au terme d'un constat contradictoire, le maître d'œuvre a estimé, d'une part, que la première de ces deux réclamations était fondée à hauteur de 6 000 euros, en relevant que " certains matériels auraient dû être retirés de l'emprise du cours d'eau ". Il a estimé, d'autre part, que le second chef de réclamation n'était pas justifié, dès lors que la grue aurait dû être évacuée. Il résulte de l'instruction que, si la société soutient qu'elle a déplacé son matériel au-dessus de la ligne des plus hautes eaux connues, ces allégations sont contredites par M. A..., chargé par le maître d'ouvrage du contrôle de l'exécution des travaux. En outre, les préposés de la société Cabanel et de la société Ferrini, cotraitants de la société Entreprise Auglans, ont attesté du manque de réactivité de la société Entreprise Auglans le matin de la crue. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les pertes de matériel subies par la société, ainsi que les frais exposés pour le dégagement de la grue mobile, ont été subis ou exposés par suite de l'imprévoyance de la société. Il n'y a donc pas lieu d'accorder d'indemnisation à ce titre.

5. En deuxième lieu, la société sollicite huit indemnités, dont les montants respectifs s'établissent à 2 097,58 euros, 1 721,09 euros, 8 403,75 euros, 2 140,90 euros, 1 972,08 euros, 935,24 euros, 6 967,04 euros et 2 801,25 euros, correspondant à sa quote-part dans la réalisation des travaux de génie civil, soit 74,70 %, appliquée aux indemnités de 2 808 euros, 2 304 euros, 11 250 euros, 2 866 euros, 2 640 euros, 1 252 euros, 9 326,70 euros et 3 750 euros réclamées par le groupement et relatives à différents travaux de génie civil réalisés pour la reprise des dommages causés par le sinistre, et relatives, en premier lieu, au nettoyage et au fond de fouille du site de Vieussan, en deuxième lieu, à la réinstallation du dispositif de sécurité de ce site, en troisième lieu, au stockage des profilés métalliques utilisés sur ce site, en quatrième lieu, à la remise en sécurité sur le site du hameau de Drouille, en cinquième lieu, au nettoyage et au fond de fouille sur ce site, en sixième lieu, à la réimplantation sur ce site, en septième lieu, aux travaux à refaire sur ce site et, en huitième lieu, au stockage des profilés métalliques. Il résulte du constat contradictoire dont le procès-verbal a été établi par le maître d'œuvre que ce dernier a considéré l'ensemble de ces chefs de préjudice comme justifiés, à l'exception des frais de stockage des profilés métalliques. La société n'apporte devant la Cour pas plus de justification sur ces deux chefs de réclamation. Il y a donc lieu de n'accorder d'indemnisation qu'à hauteur des six autres postes de préjudice, d'un montant total de 15 833,93 euros hors taxes (2 097,58 euros + 1 721,09 euros + 2 140,90 euros + 1 972,08 euros + 935,24 euros + 6 967,04 euros).

6. En troisième lieu, la société sollicite une indemnité de 46 388,70 euros au titre des surcoûts engendrés par la prolongation de la durée des travaux. Toutefois, elle ne justifie, en tout état de cause, pas de l'existence de coûts généraux distincts des surcoûts pour lesquels une indemnité a été accordée au point précédent.

7. Il résulte de ce qui précède que la société justifie d'un droit à indemnisation de 15 833,93 euros hors taxes, soit 19 000,72 euros toutes taxes comprises. Par ailleurs, le groupement affirme, sans être contredit, avoir perçu de la commune une indemnité correspondant au tiers de l'indemnité totale de 40 000 euros versée au groupement, soit 13 333,33 euros, les deux autres tiers étant attribués aux deux autres membres du groupement. La somme que la commune reste devoir à la société s'établit donc à 5 667,39 euros toutes taxes comprises.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Entreprise Auglans est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande, et à solliciter la condamnation de la communauté de communes à lui payer une somme de 5 667,39 euros toutes taxes comprises sur le fondement de l'article 18 du cahier des clauses administratives générales de son marché.

9. Si la société Entreprise Auglans invoque, par ailleurs, un droit à indemnisation sur le fondement de la théorie des sujétions imprévues, la somme des préjudices qu'elle invoque à ce titre n'est pas telle que ces préjudices se traduiraient par un bouleversement de l'économie générale du marché.

Sur les frais liés au litige :

10. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la société Entreprise Auglans, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1802167 en date du 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La communauté de communes du Minervois au Caroux, venant aux droits et obligations de la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur est condamnée à payer à la société Entreprise Auglans une somme de 5 667,39 euros toutes taxes comprises.

Article 3 : La communauté de communes du Minervois au Caroux, venant aux droits et obligations de la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur versera à la société Entreprise Auglans une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des demandes de première instance et des conclusions d'appel des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entreprise Auglans et à la communauté de communes du Minervois au Caroux, venant aux droits et obligations de la communauté de communes Minervois-Saint Ponais-Orb-Jaur.

Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2022.

N° 20MA00890 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00890
Date de la décision : 14/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-02 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Rémunération du co-contractant. - Indemnités.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP TREINS KENNOUCHE TREINS POULET VIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-11-14;20ma00890 ?
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