Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le centre hospitalier universitaire de Nice a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner les compagnies d'assurances Ace Europe, Generali, Albingia et Amlin à l'indemniser, à hauteur respectivement de 54 %, 19 %, 15 % et 12 %, des conséquences dommageables du sinistre survenu le 22 avril 2014, comprenant le coût des travaux de sécurisation du site après l'éboulement, soit 16 296 909,06 euros toutes taxes comprises, et les pertes d'exploitation, soit 3 875 174 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de sa première réclamation.
Par un jugement n° 1502863 en date du 6 juillet 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande, ainsi que les demandes présentées à titre reconventionnel par les compagnies d'assurances et tendant à la condamnation du centre hospitalier à leur payer une indemnité de 50 000 euros pour procédure abusive.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2020, et un mémoire enregistré le 12 janvier 2021, le centre hospitalier universitaire de Nice, représenté par Me de Valkenaere, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement ;
2°) de faire droit à ses demandes présentées en première instance ;
3°) subsidiairement, si la Cour devait retenir une pluralité des causes de l'éboulement survenu le 20 janvier 2014, de faire droit à ses demandes à proportion de la part de 20 % que l'expert impute aux pluies exceptionnelles dans le déclenchement du sinistre ;
4°) de mettre à la charge des compagnies d'assurances les entiers dépens, ainsi que la somme de 20 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Le centre hospitalier soutient que :
- les intempéries sont la cause déterminante du sinistre ;
- il a pris toutes les mesures utiles à la prévention du risque d'effondrement de la falaise ;
- il n'a jamais été informé de la fragilisation progressive de la falaise liée aux infiltrations d'eau ;
- il justifie du préjudice dont il demande l'indemnisation.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 12 novembre 2020 et le 10 mars 2021, la société de droit anglais Chubb European Group SE, venant aux droits et obligations de la société Ace European Group Limited, la société Generali IARD, la société anonyme Albingia et la société MS Amlin Insurance SE, représentées par la SELARL Job Ricouart et Associés, demandent à la Cour :
1°) de rejeter l'appel du centre hospitalier universitaire de Nice ;
2°) subsidiairement, de prononcer la nullité du contrat ;
3°) plus subsidiairement, de rejeter au fond toutes demandes et conclusions en application de l'article L. 125-1 du code des assurances ;
4°) de condamner le centre hospitalier à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les sociétés d'assurances soutiennent que :
- les moyens présentés par le centre hospitalier universitaire sont infondés ;
- le contrat doit être regardé comme nul en application de l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances ;
- la falaise n'est pas un bien matériel garanti par le contrat ;
- la procédure est abusive.
Par ordonnance du 11 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 avril 2021 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- l'arrêt interministériel du 22 avril 2014 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- les observations de Me de Valkenaere pour le centre hospitalier universitaire de Nice,
- et les observations de Me Zemmour pour la société Chubb European Group SE, la société Generali IARD, la société Albingia et la société MS Amlin Insurance SE.
Considérant ce qui suit :
1. Par marché public du 28 novembre 2013, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice a souscrit une police d'assurances à compter du 1er janvier 2014 auprès des compagnies Ace Europe, Generali, Albingia et Amlin. Le 20 janvier 2014, la falaise dominant la blanchisserie du centre a subi un éboulement rocheux, survenu à la suite d'intempéries qualifiées de catastrophe naturelle par arrêté interministériel du 22 avril 2014. Par lettre du 6 mars 2015, la compagnie Ace Europe a refusé sa garantie au motif que cet éboulement ne résultait pas d'une catastrophe naturelle au sens de l'article 125-1 du code des assurances. Par ordonnance du 21 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a, à la demande du centre hospitalier, ordonné une expertise aux fins de déterminer les causes du dommage et d'évaluer le montant du préjudice. Le rapport d'expertise a été déposé le 2 avril 2019. Le centre hospitalier a alors saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de ses assureurs à l'indemniser des conséquences préjudiciables du sinistre. Par le jugement attaqué, dont le centre hospitalier universitaire relève appel, le tribunal administratif a rejeté cette demande, au motif que le sinistre ne trouvait pas sa cause déterminante dans l'intensité anormale des précipitations ayant fait l'objet de l'arrêté interministériel reconnaissant l'état de catastrophe naturelle au sens de l'article L. 125-1 du code des assurances. Par la voie de l'appel incident, les compagnies d'assurances contestent le jugement en tant que celui-ci a rejeté leurs demandes reconventionnelles tendant à la condamnation du centre hospitalier du fait du caractère abusif de la procédure.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Si le centre hospitalier fait valoir qu'il est " regrettable que l'expert n'ait pas cru opportun [d']apporter une réponse " à " plusieurs dires (...) notamment un dire récapitulatif ", ce moyen n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne la garantie :
3. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles, dont ceux des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l'objet de tels contrats. / En outre, si l'assuré est couvert contre les pertes d'exploitation, cette garantie est étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions prévues au contrat correspondant. / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. (...) ".
4. Si, dans son rapport, l'expert admet que les intempéries ayant reçu la qualification de catastrophe naturelle ont contribué, à hauteur de 20 %, dans la survenance du sinistre, il estime que les causes principales de ce sinistre sont, à hauteur de 60 %, la réalisation d'aménagements sans travaux de confortement et, à hauteur de 20 %, la nature des matériaux constituant la falaise. Si le centre hospitalier soutient qu'il n'a jamais été informé d'un risque d'éboulement, il résulte du rapport d'expertise que les facteurs de fragilité de la falaise étaient connus, la notice géologique publiée en 1968 faisant déjà état de la présence de dolomies, qui constituent des facteurs de fragilisation du massif de calcaire. Le risque d'éboulement ne pouvait qu'être aggravé par le décaissement important effectué pour constituer la plateforme d'assiette des bâtiments, laquelle excavation a, selon l'expert, fait passer la pente du versant de 45° à 80° sur une hauteur de 80 mètres au point maximum. Par ailleurs, le centre hospitalier n'a pas pris les mesures habituellement requises en pareil cas, et notamment les travaux confortatifs destinés à prévenir la survenance d'éboulements importants, seuls des travaux d'installation de barrières et grillages destinés à prévenir les éboulements de petits volumes de matériaux ayant été réalisés. Dans ces conditions, les conclusions expertales n'étant pas sérieusement contestées, l'intensité anormale de l'agent naturel, même si elle a été l'élément déclencheur du sinistre, ne peut être considérée comme la cause déterminante des dommages au sens de l'article L. 125-1 du code des assurances.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception d'invalidité du contrat soulevée par les assureurs ni sur le moyen tiré de ce que la falaise ne constituait pas un bien garanti, que le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à la condamnation de ses assureurs. Ses conclusions à fin d'annulation du jugement et de condamnation des assureurs doivent donc être rejetées.
Sur l'appel incident :
6. L'action engagée par le centre hospitalier ne présentait pas un caractère abusif. Les compagnies intimées ne justifient d'ailleurs pas avoir subi un préjudice du fait de l'action en justice engagée par le centre hospitalier universitaire. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les demandes reconventionnelles des assureurs tendant à la condamnation du centre hospitalier à ce titre.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge des compagnies d'assurances, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 2 000 euros à la charge du centre hospitalier universitaire en remboursement des frais exposés par les intimées et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier universitaire de Nice est rejetée.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Nice versera aux sociétés Chubb European Group SE, Ace European Group Limited, Generali IARD, Albingia et MS Amlin Insurance SE une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des sociétés Chubb European Group SE, Ace European Group Limited, Generali IARD, Albingia et MS Amlin Insurance SE est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Nice et aux sociétés Chubb European Group SE, Chubb European Group SE venant aux droits de Ace European Group Limited, Generali IARD, Albingia et MS Amlin Insurance SE.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2022.
N° 20MA03433 2