Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'ordre donné le 18 mai 2017 par le préfet du Var au commandant du groupement de gendarmerie départementale du Var de procéder sans délai à la perquisition de son habitation, de condamner l'Etat à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis lors de cette perquisition et d'ordonner la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer le montant des réparations à effectuer sur son habitation et de chiffrer son préjudice moral, physique et psychologique.
Par un jugement n°1701700 du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2020, M. A... B..., représenté par Me Meunier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 18 mai 2017 par laquelle le préfet du Var a donné l'ordre de procéder sans délai à la perquisition administrative de son habitation ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis lors de cette perquisition ;
4°) d'ordonner la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer le montant des réparations à effectuer sur son habitation et de chiffrer son préjudice moral, physique et psychologique ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de procéder à la perquisition nocturne de son domicile n'est pas justifiée ; elle n'est ni nécessaire, ni adaptée ni proportionnée ; il ne constitue pas une menace pour l'ordre et la sécurité publics ; le préfet aurait dû tenir compte de son état de santé et ne pouvait s'appuyer sur son casier judiciaire ;
- le caractère nocturne de cette perquisition n'est pas justifié ; aucun des éléments produits par le préfet n'établissent sa radicalisation, sa potentielle dangerosité ni l'urgence de cette perquisition ;
- l'illégalité de cette perquisition et ses conditions fautives de mise en œuvre engagent la responsabilité de l'Etat ;
- le déroulement brutal de cette perquisition nocturne a entraîné d'importantes dégradations matérielles à son domicile ; son portail et sa porte d'entrée ont été fracturés ; il a reçu de multiples coups lors de son interpellation qui ont entraîné une incapacité totale de travail de 30 jours ; il conserve d'importantes séquelles à la suite de ce choc émotionnel et psychologique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Par une décision du 29 mai 2020, M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience au cours de laquelle ont été entendus :
- le rapport de Mme C... ;
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public ;
- les observations de Me Meunier représentant M. B....
Une note en délibéré et des pièces jointes ont été enregistrées les 20 et 21 septembre 2022 pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 18 mai 2017, le préfet du Var a ordonné la perquisition nocturne du domicile de M. B..., situé Villa Andréa, route de Repenti au Luc-en-Provence. Cette perquisition a été réalisée le 19 mai 2017 entre 3 heures 15 mn et 5 heures 20 mn. M. B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler cette décision et de condamner l'Etat à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis lors de cette perquisition et d'ordonner la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer le montant des réparations à effectuer sur son habitation et de chiffrer son préjudice moral, physique et psychologique. M. B... relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 18 mai 2017 :
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction applicable : " I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives (...) le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. La perquisition ne peut avoir lieu entre 21 heures et 6 heures, sauf motivation spéciale de la décision de perquisition fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins ".
3. Ces dispositions permettent aux autorités administratives compétentes d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition afin de s'assurer que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la perquisition, n'aient d'incidence à cet égard.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour ordonner la perquisition litigieuse, le préfet du Var s'est notamment fondé sur la note blanche des services de renseignement versée aux débats contradictoires, qui fait état d'un soit-transmis émanant du parquet de Draguignan le 25 avril 2017 à la suite du courrier adressé le 13 juillet 2016 par M. B... à la commission de surendettement dans lequel il profère diverses menaces graves en déclarant être prêt à défendre sa résidence familiale en allant jusqu'à la mort " par balles " et en se prévalant du Coran pour justifier de telles actions. Dans ce courrier, versé au dossier, M. B... indique en outre qu'il est fragile psychologiquement, qu'il a déjà fait l'objet de procédures criminelles pour tentatives de meutre et qu'il est prêt à passer à l'acte si aucune solution n'est trouvée. Il ressort également du signalement effectué par un agent de la trésorerie du Luc-en-Provence que M. B... a réitéré verbalement ses menaces le 20 avril 2017 au guichet de cette trésorerie, en invoquant les droits que lui donnerait le Coran pour protéger sa famille et ses biens et les punitions infligées par Dieu. La note blanche des services de renseignement mentionne en outre les déclarations de l'huissier de justice chargé de l'évaluation immobilière du domicile de M. B..., dont la saisie était imminente, selon lesquelles il détiendrait une arme ainsi que les antécédents judiciaires de l'intéressé, relatifs notamment à une tentative d'homicide et des violences aggravées. Si M. B... soutient que le préfet du Var ne pouvait se fonder, pour décider de la perquisition administrative litigieuse, sur son casier judiciaire, lequel ne comporte aucune condamnation liée à la pratique d'un islam radical, ses antécédents judiciaires, dont il faisait d'ailleurs lui-même état dans le courrier du 13 juillet 2016, pouvaient bien être pris en compte pour évaluer sa potentielle dangerosité et le risque de son passage à l'acte. Si le requérant soutient également que le préfet du Var n'a pas tenu compte de son état de santé et de sa fragilité psychologique, accentuée par des difficultés économiques et financières, il ressort toutefois des pièces du dossier que cette fragilité psychologique était justement invoquée par l'intéressé, à l'appui de ses menaces. Enfin, la circonstance que la perquisition réalisée le 19 mai 2017 n'ait donné lieu qu'à la découverte d'une arme non déclarée, dont M. B... prétend qu'elle est de collection et ne fonctionne pas, ne saurait, par elle-même, démontrer l'absence, à la date de la décision en litige, de toute raison sérieuse d'estimer que le comportement de l'intéressé pouvait présenter une menace pour l'ordre et la sécurité publics.
5. Dans ces conditions, eu égard aux éléments dont il disposait, le préfet du Var n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il existait des raisons sérieuses de penser que le comportement de M. B... constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Ainsi, la perquisition de son domicile décidée le 18 mai 2017 était adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence.
6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la saisie du domicile de M. B..., élément annoncé comme déclencheur dans ses menaces de passage à l'acte proférées en juillet 2016 puis en avril 2017, était imminente et, d'autre part, que l'accès au domicile de l'intéressé et la visibilité au sein de ce dernier depuis l'extérieur étaient particulièrement malaisés alors qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il était armé et susceptible de passer à l'acte. Dans ces conditions, eu égard à la potentielle dangerosité de M. B..., le caractère nocturne de la perquisition menée à son domicile était justifié et proportionné aux raisons ayant motivé la décision de perquisition.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision du 18 mai 2017 par laquelle le préfet du Var a ordonné la perquisition nocturne de son domicile.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'indemnisation :
Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat :
8. En premier lieu, si toute illégalité affectant la décision qui ordonne une perquisition est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, il résulte de ce qui précéde qu'en l'espèce, M. B... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.
9. En deuxième lieu, les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont également susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions. Les conditions de mise en œuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. En particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou les nécessités de l'opération. De plus, sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe également de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent aussi être strictement proportionnées à la finalité de l'opération et aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition. Toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient alors au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Enfin, les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute.
S'agissant du caractère nocturne de la perquisition :
10. Pour les motifs exposés au point 6, la responsabilité de l'Etat ne saurait non plus être recherchée par M. B... en raison du caractère nocturne de la perquisition.
S'agissant de l'usage de la force pour pénétrer dans les lieux :
11. Il résulte de l'instruction, en particulier du procès verbal de synthèse retraçant le déroulé de l'opération, que pour pénétrer dans le domicile de M. B... à 2h55 le 19 mai 2017, les forces de l'ordre ont d'abord découpé la chaîne condamnant le portail d'entrée avant de fracturer la porte-fenêtre donnant sur le séjour, dont les vitres se sont brisées. S'il est constant qu'aucune tentative préalable d'ouverture volontaire des lieux n'a précédé l'entrée des forces de l'ordre au domicile de M. B..., il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, qu'il existait des raisons sérieuses de penser que ce dernier, qui avait proféré de graves menaces en cas de saisie de son domicile et disposait d'une arme selon les informations fournies aux services de police, était susceptible de réagir à la perquisition par un comportement dangereux. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'usage de la force pour pénétrer dans son domicile serait constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
S'agissant de l'usage de la force pour contenir M. B... :
12. Il résulte de l'instruction, en particulier du procès verbal de synthèse précité, que M. B... s'étant enfui à la vue des gendarmes, ces derniers ont employé un explosif assourdissant pour l'intercepter avant de le maîtriser, en le plaquant au sol. S'il résulte également de l'instruction, en particulier du certificat établi par le médecin généraliste que M. B... est allé consulter le 19 mai 2017 ainsi que des résultats de la radiographie effectuée le 24 mai 2017 sur prescription de ce médecin, que ce placage au sol lui a occasionné des contusions et ecchymoses ainsi que trois côtes cassées sans déplacement, cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit, n'est pas à elle seule de nature à établir que les forces de l'ordre auraient fait un usage disproprortionné de la force pour contenir le requérant qui, ainsi qu'il a été dit, était susceptible d'être armé et a réagi à l'entrée des forces de l'ordre dans son domicile en s'enfuyant dans une autre pièce. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'usage de la force à son encontre lors de la perquisition du 19 mai 2017 serait constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
S'agissant des autres dégradations alléguées
13. Si M. B... fait également état, sans plus de précisions, du " saccage " de son domicile par les forces de l'ordre, il n'apporte aucun élément de nature à établir que l'intervention de ces dernières auraient entraîné d'autres dégâts matériels que ceux mentionnés au point 10. Les photographies annexées au procès-verbal de synthèse attestent au demeurant du grand désordre régnant à son domicile préalablement à cette intervention. L'attestation du 19 mai 2017 d'un consultant juridique faisant état sans plus de précisions de " l'état très dégradé suite à l'attaque de la part des forces de l'ordre " du domicile de M. B... ne peut, dès lors, suffire à établir l'existence des dégradations alléguées.
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas non plus fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté l'intégralité de sa demande indemnitaire, sans prescrire d'expertise.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme quelconque au titre de ces dispositions. Les conclusions présentées en ce sens par M. B... ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Meunier et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- Mme Vincent, présidente-assesseure,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2022.
N°20MA02181 2