Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure A... B..., et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner une expertise avant dire droit afin, notamment, d'évaluer la perte de chance de Mme C... B... d'éviter une évolution fatale de son état de santé à la suite de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée à l'hôpital Nord de Marseille (Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, AP-HM), de condamner l'office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser conjointement la somme de 2 139,13 euros en leurs qualités d'ayants droit de la victime et à verser, d'une part, à M. B..., en son nom propre et en qualité de représentant légal de sa fille mineure A... B..., les sommes respectives de 77 855,51 euros et de 7 125 euros et, d'autre part, à Mme D... B... la somme de 7 125 euros.
Par un jugement n° 1609560 du 11 mars 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'ONIAM à verser à la succession de Mme B... une somme globale de 530 euros, à M. B... les sommes de 38 385,71 euros et de 5 630 euros, respectivement en son nom propre et en sa qualité de représentant légal de sa fille A... et, à Mme D... B... une somme de 3 033 euros.
Procédure devant la cour :
Par un arrêt avant dire droit du 11 juin 2020, la cour, statuant sur l'appel formé par l'ONIAM contre ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 mars 2019, a ordonné une expertise médicale en vue de déterminer le taux de perte de chance pour Mme B..., en l'absence d'infection nosocomiale, d'une part, de survivre à la méningo-encéphalite herpétique qu'elle a présentée au mois de novembre 2011 et, d'autre part, de recouvrer un état de santé lui permettant de reprendre une activité professionnelle, et d'isoler les préjudices de la victime en lien exclusif avec sa pathologie initiale.
Le rapport de l'expert et de ses sapiteurs a été déposé le 23 mars 2021.
Par un mémoire enregistré le 8 novembre 2021, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 mars 2019 et de rejeter toutes conclusions présentées à son encontre par les consorts B... ;
2°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- selon les experts désignés par la cour, le décès de la victime n'est pas imputable à l'infection nosocomiale qu'elle a contractée du fait de la ventilation mécanique dont elle a bénéficié lors de sa prise en charge hospitalière, mais en raison d'une défaillance hémodynamique exclusivement imputable à sa méningo-encéphalite herpétique ;
- cette infection nosocomiale est seulement à l'origine d'un préjudice esthétique temporaire, inférieur au seuil de gravité prévu par l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique.
Par un mémoire enregistré le 15 novembre 2021, M. E... B..., Mme D... B... et Mme A... B..., représentés par Me Lescudier, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'ONIAM ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter le montant des indemnités mises à la charge de l'ONIAM aux sommes globales de :
- 2 139,13 euros à leur verser en leurs qualités d'ayants-droit de Mme C... B... ;
- 77 855,51 euros à verser à M. B... ;
- 7 125 euros à verser à Mme A... B... ;
- 7 125 euros à verser à Mme D... B... ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM, outre les dépens de l'instance, les sommes de 1 500 euros et de 3 500 euros, respectivement au titre des frais exposés en première instance et en appel, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- en estimant que le décès de la victime était exclusivement imputable à sa pathologie initiale, les experts ont outrepassé l'étendue de leur mission ;
- au demeurant, leur avis diffère sur ce point de celui des experts désignés devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ;
- c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la pneumopathie contractée par Mme B... lors de son séjour en service de réanimation présente un caractère nosocomial ;
- il y a lieu de retenir un taux de perte de chance de 25% et de rehausser en conséquence les indemnités allouées par les premiers juges ;
- avant même l'application de ce taux, le déficit fonctionnel de Mme B..., les souffrances qu'elle a endurées et son préjudice esthétique temporaire doivent être réévalués aux sommes respectives de 556,50 euros, de 6 000 euros et de 2 000 euros ;
- de même, avant l'application de ce taux, l'indemnité allouée au titre des frais d'obsèques doit être réévaluée à la somme de 7 432,02 euros, tandis que la perte de revenus de M. B..., le préjudice d'accompagnement et le préjudice d'affection doivent être rehaussés aux sommes respectives de 275 490 euros, 3 500 euros chacun et 25 000 euros.
Vu :
- l'ordonnance de la présidente de la cour du 10 juillet 2020 désignant le docteur F... en qualité d'experte ;
- l'ordonnance de la présidente de la cour du 15 juillet 2020 désignant les docteurs Simha et Dagain en qualité de sapiteurs ;
- l'ordonnance de la présidente de la cour du 12 avril 2021 liquidant et taxant les frais d'expertise à la somme totale de 5 200 euros ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sanson,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'ONIAM relève appel du jugement du 11 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à verser à la succession de Mme B..., décédée le 16 décembre 2011 alors qu'elle était hospitalisée dans le service de réanimation de l'hôpital Nord de Marseille, une somme globale de 530 euros, à M. B... les sommes de 38 385,71 euros et de 5 630 euros, respectivement en son nom propre et en sa qualité de représentant légal de sa fille alors mineure A... B..., et à Mme D... B... une somme de 3 033 euros. Les consorts B... présentent des conclusions incidentes tendant à obtenir le rehaussement des indemnités allouées par le tribunal.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. En premier lieu, dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
3. Il résulte de l'instruction, en particulier des rapports d'expert des 19 novembre 2014 et 22 mars 2021 versés à l'instruction, que Mme B... présentait, dès le 29 novembre 2011 une forme grave de méningoencéphalite herpétique menaçant à court terme son pronostic vital, caractérisée par une nécrose du parenchyme cérébral temporal gauche ainsi qu'une hémorragie intracérébrale avec un hématome temporo pariétal gauche de six centimètres, associée à une souffrance encéphalique très diffuse. Selon le collège d'expert désigné par la cour, composé d'un médecin réanimateur, d'un infectiologue et d'un neurochirurgien, la gravité extrême de cette pathologie, qui ne laissait à la victime aucune perspective probable de survie quels que soient les soins et gestes chirurgicaux prodigués, exposait Mme B... à un risque de décès qu'ils estiment supérieur à 99,9%. Dans ces conditions, compte-tenu des autres éléments médicaux produits, qui ne contredisent pas ces conclusions expertales, il y a lieu de juger que la pneumopathie nosocomiale qu'a contractée Mme B... alors qu'elle était hospitalisée au service de réanimation de l'hôpital Nord de Marseille n'a pu la priver d'aucune chance de survie.
4. En second lieu, s'il résulte de l'instruction que Mme B... a subi un préjudice esthétique temporaire et enduré des souffrances du seul fait de son infection nosocomiale, ces préjudices, qui ne remplissent pas les conditions de gravité fixées au 1° de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, ne sont pas susceptibles d'être indemnisés au titre de la solidarité nationale.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamné à indemniser les préjudices résultant du décès de Mme B... et à demander le rejet de la demande de première instance présentée par les consorts B... dont les conclusions d'appel incident doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
6. En premier lieu, en vertu de l'article R. 761-1 du code de justice administrative les dépens sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties.
7. Il y a lieu, dans les circonstances particulières du présent litige, de mettre à la charge définitive de l'ONIAM les frais de l'expertise ordonnée par la cour, liquidés et taxés aux sommes de 2 100, 1 600 et 1 500 euros par l'ordonnance susvisée de la présidente de la cour du 12 avril 2021.
8. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge des frais, non compris dans les dépens, exposés pour les besoins de la première instance et de l'appel.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1609560 du 11 mars 2019 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille par les consorts B... et leurs conclusions incidentes présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 5 200 euros, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. E... B..., à Mme D... B..., à Mme A... B... et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Copie en sera adressée aux docteurs Sicart-Toulouse, Simha et Dagain.
Délibéré après l'audience du 14 avril 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,
- M. Sanson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 avril 2022.
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N° 19MA02096