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25/04/2022 | FRANCE | N°19MA05387

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 25 avril 2022, 19MA05387


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Seateam Aviation a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché Aéro 09003, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 17 158 000 euros à titre d'indemnité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503644 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SAS Seateam Aviation.

Procédure devant la Cour :

Par

une requête et des mémoires, enregistrés les 9 décembre 2019, 9 mai 2021, 10 mai 2021 et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Seateam Aviation a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché Aéro 09003, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 17 158 000 euros à titre d'indemnité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503644 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SAS Seateam Aviation.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 décembre 2019, 9 mai 2021, 10 mai 2021 et 28 octobre 2021, la SAS Seateam Aviation, représentée par Me Ferri, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire ait statué sur sa plainte pour délit de favoritisme ou, à défaut, d'une communication complète du dossier d'instruction pénale ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2019 ;

3°) d'annuler le marché Aéro 09003 ;

4°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 17 158 000 euros à titre d'indemnité ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 40 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Seateam Aviation soutient que :

- le cahier des charges a été modifié de façon substantielle entre le 6 février 2010 et le 4 mars 2020 ; le critère de vitesse de M0,75 est passé à M0,6 ; l'exigence du point 5.5.6 concernant l'équipement en radar a été modifiée ; ces modifications sont constitutives de ruptures d'égalité ; ces modifications constituent un nouveau marché ;

- l'appréciation du critère prix est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; la société Apache Aviation a irrégulièrement proposé la gratuité des transits ;

- le pouvoir adjudicateur a pris en compte dans la note technique les plastrons simultanés, en quantifiant ce critère ; la société Apache Aviation n'a pas de base à Istres et n'a pas pris en compte cet élément dans la détermination de son prix ;

- la société Apache Aviation est dépourvue de base en Bretagne ; l'offre de la société Apache Aviation n'était pas conforme au CCTP concernant la position géographique ;

- les avions de la société Apache Aviation sont dépourvus d'IFF ; son offre n'était dès lors pas conforme au CCTP ; les mises à disposition d'IFF constituent des aides directes ;

- les informations concernant l'étendue physique du marché ont été transmises tardivement ; le lot n° 1 pose des problèmes d'équilibre économique ;

- la procédure d'attribution des lots n° 4 et 5 est entachée d'irrégularité ;

- la société Apache Aviation, attributaire des lots, est en situation d'abus de position dominante ; la Marine met à sa disposition des infrastructures ; l'abus de position dominante est sanctionné par l'Autorité de la concurrence ; les avantages dont bénéficie la société Apache Aviation auraient dû être intégrés dans l'évaluation des prix ;

- aucune autorisation provisoire d'occupation du domaine public n'a été signée ; cette pratique est constitutive d'un " ciseau tarifaire " ; la régularisation juridique de l'AOT n'a pas effacé le cumul des avantages économiques dont a bénéficié la société Apache Aviation ; ces avantages sont constitutifs d'une rupture d'égalité entre candidats ;

- du 1er août 2006 au 30 septembre 2010, la société Apache Aviation a occupé et utilisé un hangar appartenant à Alavia, qui relève de l'armée de l'air ; la société Apache Aviation a bénéficié de cinquante mois de crédit gratuit ; cette situation a faussé la concurrence ;

- le critère prix n'a pas été apprécié sur une base homogène ;

- il y a eu entente collusive entre le gestionnaire d'infrastructure, le pouvoir adjudicateur et le prestataire privé ;

- elle a subi un préjudice résultant des frais engagés en matière de recherche et développement ; la non-obtention du marché l'a privée d'autre opportunités commerciales ;

- il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire se soit prononcé sur sa plainte pour délit de favoritisme ; la Cour a la possibilité de demander la communication d'éléments auprès du juge d'instruction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2021, et deux mémoires complémentaires du 17 septembre 2021 et du 9 décembre 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 400 euros soit mise à la charge de la SAS Seateam Aviation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les marchés ont été entièrement exécutés et il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation ;

- les conclusions aux fins d'annulation sont tardives et par suite irrecevables ; l'avis d'attribution a été publié le 9 octobre 2010 ; la requête introduite devant le tribunal administratif de Toulon le 15 octobre 2015 était tardive ;

- les irrégularités alléguées par la société requérante ne sont pas fondées ;

- les modifications des caractéristiques du lot n'ont pas eu un caractère substantiel ; les modifications relatives à la vitesse des aéronefs et à la présence de radars ont été réalisées avant la remise de l'offre initiale ;

- les irrégularités alléguées concernant les modalités d'application du critère du prix sont infondées ; le moyen tiré de l'erreur commise dans l'attribution du lot n° 3 est inopérant ;

- le besoin de localisation en Bretagne ne figurait pas dans le CCTP ;

- l'offre de la société Apache Aviation n'avait pas un caractère irrégulier ; elle s'est engagée à équiper ses avions d'équipements IFF ;

- les candidats ont été régulièrement informés de la volumétrie du marché ;

- le pouvoir adjudicateur pouvait choisir librement l'allotissement du marché ;

- le défaut de transparence allégué n'est pas établi ;

- le moyen tiré de l'illégalité de l'occupation domaniale est infondé ;

- la demande indemnitaire présentée par la société requérante est sans lien de causalité avec l'irrégularité alléguée de l'attribution du marché public ;

- la perte de chance n'est pas établie ; la société Seateam est arrivée en 5ème position pour l'attribution du lot n° 1 ;

- les postes de préjudice invoqués sont sans lien avec le contrat dont elle a été évincée ;

- les frais de présentation de son offre ne sont pas indemnisables ;

- l'impact négatif sur son développement commercial à l'international et la perte de financement ne sont pas indemnisables ;

- les frais de création d'entreprise et de recherche et développement ne sont pas des préjudices indemnisables ;

- le montant des préjudices allégués n'est pas justifié ; la marge permettant de déterminer le manque à gagner allégué par la société requérante n'est pas justifiée.

Par ordonnance en date du 7 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l'article 4 du code des marchés publics et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... Point, rapporteur,

- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Ferri pour la SAS Seateam Aviation.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence n° 09-255218 publié le 3 décembre 2009 au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le ministre de la défense a lancé la procédure de passation du marché Aéro 09003, ayant pour objet la fourniture d'heures de vol d'aéronef pour assurer des essais de matériel et l'entraînement des forces de la Marine nationale. Ce marché public à bons de commande, passé selon la procédure négociée prévue par le décret n° 2004-16 relatif à certains marchés de la défense, était divisé en cinq lots. La SAS Seateam Aviation a déposé une offre pour les lots n° 1 et 2. Ses offres ont été rejetées par décision en date du 19 août 2010 et le marché a été attribué à la société Apache Aviation. La SAS Seateam Aviation relève appel du jugement du 10 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces contrats et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur l'exception de non-lieu à statuer soulevée en défense :

2. L'exécution intégrale du marché ne fait pas en elle-même obstacle à l'annulation de ce marché, certaines illégalités étant susceptibles d'entraîner nécessairement une telle annulation. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer soulevée en défense par la ministre des armées à l'encontre des conclusions aux fins d'annulation du contrat doit être écartée.

Sur la recevabilité des conclusions contestant la validité du contrat :

3. Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

4. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la publication d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi permet de faire courir le délai de recours contre le contrat. La circonstance que l'avis ne mentionnerait pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai qui court à compter de cette publication. L'avis d'attribution du contrat attaqué, publié par le ministère de la défense au Bulletin officiel des annonces des marchés publics n° 197C, annonce n° 65, le 9 octobre 2010 sous le n° 10-215593, comporte une rubrique intitulée " nom et adresse officiels de l'organisme acheteur ", dûment complétée, et précise le nom d'un " correspondant ". Toutefois, il ne mentionne pas les modalités de consultation du contrat. Ces modalités n'ont pas davantage été portées à la connaissance de la SAS Seateam Aviation par les courriers en date du 10 août et du 14 octobre 2010 qui lui ont été adressés par le ministre de la défense. Dans ces conditions, les délais de recours de deux mois à l'encontre du contrat ne sont pas opposables à la SAS Seateam Aviation.

5. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment un contrat administratif. Dans le cas où l'administration a omis de mettre en œuvre les mesures de publicité appropriées permettant de faire courir le délai de recours de deux mois, un recours contestant la validité du contrat doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter de la publication de l'avis d'attribution du contrat. En règle générale, et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.

6. Il résulte de l'instruction que l'avis d'attribution du contrat a été publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics le 9 octobre 2010. La SAS Seateam Aviation, alors même que cet avis ne mentionnait par les modalités de consultation du contrat, disposait d'un délai d'un an, soit jusqu'au 10 octobre 2011, pour exercer un recours juridictionnel contestant la validité du contrat. Si elle fait valoir qu'elle a introduit un premier recours en contestation devant le tribunal administratif de Toulon le 4 juin 2012, qui a été rejeté par jugement n° 1201487 du 17 octobre 2014 au motif qu'elle n'avait ni produit l'acte d'engagement signé par le ministre de la défense et l'attributaire du marché, ni justifié d'une impossibilité d'obtenir ce document, cette circonstance est en l'espèce sans incidence sur l'application du délai raisonnable d'un an mentionné au point précédent. Par suite, les conclusions contestant la validité du contrat présentées par la SAS Seateam Aviation devant le tribunal administratif de Toulon le 15 octobre 2015, plus d'un an après la publication de l'avis d'attribution du contrat, sont tardives et par suite irrecevables.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

7. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. La présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation.

8. La règle mentionnée précédemment au point 5 ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique. De tels recours, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

En ce qui concerne les fautes :

S'agissant de la modification du cahier des charges :

9. Aux termes du II de l'article 1er du décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 : " (...) Lorsqu'ils sont passés pour les besoins exclusifs de la défense et mettent en cause les intérêts essentiels de sécurité de l'Etat au sens de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne, peuvent être passés et exécutés selon les dispositions des articles 2 à 17 du présent décret les accords-cadres et marchés suivants : (...) 3. Les accords-cadres et marchés de fournitures et de services qui ont pour objet les composants, les outillages, les consommables, les rechanges et les moyens d'évaluation et d'essais, spécifiquement conçus pour la fabrication, l'emploi ou la mise en œuvre, le maintien en condition opérationnelle des armes, munitions et matériels de guerre ou concourant à leur efficacité militaire... ". L'article 2 du même décret dispose que : " I.- a) Sous réserve des exceptions prévues au b du I et au II du présent article, les accords-cadres et marchés entrant dans les prévisions du II de l'article 1er sont passés selon la procédure négociée après publicité préalable et mise en concurrence. Ils sont précédés d'un avis d'appel public à la concurrence inséré au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, selon un modèle défini par arrêté du ministre de la défense... ".

10. Aux termes de l'article 2 du décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 : " (...) L'avis d'appel à la concurrence fixe la date limite de réception des candidatures en fonction du montant estimé et de l'objet du marché. Le délai minimal est de vingt-cinq jours à compter de l'envoi de l'avis à la publication. (...) ".

11. Il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a modifié le point 5.2.1 du cahier des clauses techniques particulières relatif au critère de performance de vitesse des avions, passé de 0,75 mach à 0,6 mach. Le pouvoir adjudicateur a également modifié le point 5.6.6 du cahier des clauses techniques particulières en étendant le périmètre des avions qui pouvaient ne pas être équipés d'un radar, y incluant les avions " à réacteur lent " du lot n° 2. Ainsi que le fait valoir la société requérante sans être utilement contredite sur ce point, l'aéronef " L. 39 " figurant dans l'offre de la société Apache Aviation ne remplissait pas les conditions initiales du cahier des charges sur le critère de vitesse et sur l'équipement radar. Les modifications en cause, qui avaient trait aux caractéristiques des avions et pouvaient avoir une incidence sur la présentation des offres des candidats, avaient dès lors un caractère substantiel. Ces modifications ont eu lieu sans publication d'un nouvel avis de publicité. La société requérante est, par suite, fondée à soutenir que la procédure d'attribution des lots n° 1 et n° 2 est entachée d'une irrégularité fautive.

S'agissant de l'appréciation du critère prix pour les lots n° 1 et n° 2 :

12. Aux termes de l'article 5.1.1.2 du règlement de consultation, le critère prix était évalué sur la base du montant total du lot. L'article 1.1 du même règlement définit la prestation comme la " fourniture d'heures de vol d'aéronef pour assurer des essais de matériel et l'entraînement des formations de la Marine nationale ". Le détail des prestations, indiqué à l'article 1 du cahier des clauses techniques particulières, fait exclusivement référence aux missions de plastron. L'article 2.1 du règlement de consultation, intitulé " quantités ", définit les quantités exprimées en heures de vol annuelles, et renvoie expressément à l'article 1 du cahier des clauses techniques particulières pour le détail des différents types de prestations. Aux termes de l'article 7.3 du cahier des clauses administratives particulières, le contenu des prix est défini comme comprenant " tous les coûts supportés par le titulaire, à l'exception du transit, du carburant et des frais aéroportuaires ". Aux termes de l'article 7.3.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché : " Les frais liés aux transits des aéronefs du titulaire sont supportés par la Marine nationale. Ils correspondent au coût du trajet effectué par les aéronefs entre leur base d'affectation et un terrain de mise en place rendu nécessaire par l'éloignement de la zone de travail (cf. § 1.2 du CCTP). / L'heure de vol de transit est indemnisée sur la base de celle d'une mission de plastron. En revanche, le coût du transit est supporté par le titulaire s'il annule la mission une fois le transit effectué. ".

13. La requérante soutient que les notes attribuées au titre du critère " prix " procèdent d'une application erronée du règlement de consultation, dès lors que le pouvoir adjudicateur a pris en compte des tarifs différenciés entre les missions de plastron et les opérations de transit. Elle fait également valoir que le pouvoir adjudicateur a pris en considération la gratuité des transits proposée par la société attributaire et, à l'instar d'autres lots annulés, tenu compte des éléments liés au transit technique, non compris dans le CCAP. Il résulte des écritures mêmes de la ministre de la défense que les notes attribuées aux candidats pour le critère prix sont justifiées par le fait que la société attributaire ne facturait pas les missions de transit et que le critère prix prenait en compte le prix de l'heure de vol et de transit. Il résulte de l'ensemble des stipulations précitées au point 12 que les opérations de transit des aéronefs ne faisaient pas partie des prestations du marché, et que les frais relatifs à ces opérations de transit étaient à la charge de l'administration et indemnisés. Par suite, le prix du marché ne comprenait pas ces frais. Ainsi, en prenant en compte dans l'évaluation du critère prix la quantité des heures de vol indemnisées au titre des frais de transit, le pouvoir adjudicateur a fait une inexacte application des critères de sélection des offres concernant le critère prix.

14. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens ou de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire ait statué sur la plainte pour délit de favoritisme ou à défaut d'une communication complète du dossier d'instruction pénale, que la SAS Seateam Aviation est fondée à soutenir que le contrat conclu entre l'Etat et la société Apache Aviation est entaché d'irrégularités fautives. Le choix d'une offre irrégulièrement retenue étant susceptible d'avoir lésé la société requérante, celle-ci est fondée à demander réparation de son préjudice.

En ce qui concerne les conséquences des irrégularités fautives commises :

15. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

S'agissant du lot n° 1 :

16. Il résulte de l'instruction que l'offre de la SAS Seateam Aviation pour le lot n° 1 a été classée en cinquième position. Si la société a été classée en première position pour le critère technique, elle n'a été classée que sixième pour le critère prix. Les irrégularités dont la SAS Seateam Aviation se prévaut à l'appui de sa demande sont relatives à l'offre présentée par la société attributaire. Il n'est pas établi ni même soutenu que les vices allégués par la SAS Seateam Aviation à l'encontre de la procédure de sélection des offres auraient eu une incidence sur les appréciations respectives de son offre par rapport à celles des trois autres candidats qui ont finalement été classés devant elle. Par suite, la SAS Seateam Aviation était dépourvue de toute chance de remporter le contrat du lot n° 1. La demande tendant à la réparation de ses préjudices à raison de son éviction de la procédure de passation du lot n° 1 doit par suite être rejetée.

S'agissant du lot n° 2 :

17. Il résulte de l'instruction que l'offre de la SAS Seateam Aviation pour le lot n° 2 a été classée en deuxième position. Il résulte de ce qui a été exposé précédemment au point 11 que l'aéronef " L. 39 " figurant dans l'offre de la société attributaire du lot ne remplissait pas les conditions initiales du cahier des charges sur le critère de vitesse. Cette offre n'aurait dès lors pu être retenue si l'irrégularité résultant de la modification du CCTP concernant l'abaissement de la vitesse minimale à 0,6 Mach n'avait pas été commise. Par voie de conséquence, la SAS Seateam Aviation avait des chances sérieuses de remporter le marché. Elle est, par suite, fondée à demander réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de son éviction du contrat.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

18. La SAS Seateam Aviation soutient en premier lieu qu'elle a subi un préjudice résultant de coûts directs et indirects et de coûts recherche et développement, pour un montant global de 201 400 euros. Le détail de ces coûts correspond à des coûts de création d'entreprise pour un montant de 90 000 euros, des coûts d'élaboration de l'offre Aéro 09009 pour un montant de 159 400 euros et des coûts de recherche et développement pour un montant de 42 000 euros. Toutefois la SAS Seateam Aviation ne justifie pas de la réalité des frais qu'elle allègue. En outre, l'indemnisation du manque à gagner inclut nécessairement les frais de présentation de l'offre, puisqu'ils ont été intégrés dans les charges. Ces frais de présentation de l'offre n'ont donc pas à faire l'objet d'une indemnisation spécifique, sauf stipulation contraire du contrat.

19. La SAS Seateam Aviation soutient en second lieu qu'elle a droit à l'indemnisation des pertes qu'elle aurait subies au titre de l'effet prescripteur et international d'une part, et des pertes de financement d'autre part. Toutefois, elle n'apporte aucune précision sur ces points et n'établit pas la réalité de ces préjudices. Par suite, les demandes sur ces deux points doivent être rejetées.

20. La requérante soutient en troisième lieu qu'elle a subi un manque à gagner, correspondant à une marge opérationnelle de 33 %, appliquée au montant du marché de 22,8 millions d'euros.

21. Lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.

22. Il résulte de l'instruction que le lot n° 2 était un marché reconductible annuellement, fractionné à bons de commande d'une durée maximale de quatre ans. La date prévisionnelle de début des prestations était fixée par l'avis de publication au 23 juillet 2010. Aux termes de l'article 3.4 du cahier des clauses administratives particulières : " le marché est conclu pour une période allant de sa date de notification jusqu'au 31 décembre de l'année de notification. Il sera expressément reconduit d'année en année sans que sa durée totale ne puisse excéder quarante-huit mois ". Aux termes de l'article 3.5 du même cahier : " Reconduction. / Le marché pourra être expressément reconduit ou non, d'année en année, au 1er janvier, par le pouvoir adjudicateur. / La première période de validité du marché court de la date de sa notification jusqu'au 31 décembre de cette même année (...). Le titulaire sera informé de la décision de reconduction ou de non reconduction du marché au plus tard le 1er décembre de l'année en cours. Pour la première reconduction on appliquera les règles suivantes : - si le marché est notifié dans le second semestre de l'année, cette notification vaudra reconduction au 1er janvier suivant pour une période d'un an sans notification de décision expresse. - si le marché est notifié au cours du premier semestre de l'année, la reconduction ou non reconduction fera l'objet d'une décision expresse. (...) Le titulaire du marché ne pourra prétendre à aucune indemnité de la part de l'administration si une décision de reconduction n'est pas prononcée par le pouvoir adjudicateur. De même, il ne pourra prétendre à aucune indemnité si une décision de non reconduction lui est notifiée. ".

23. Il résulte de l'instruction que le marché aurait été attribué à la SAS Seateam Aviation au cours du second semestre de l'année 2010. Il ressort des écritures de la SAS Seatam Aviation qu'elle aurait été en mesure de fournir les prestations à compter du 1er septembre 2010. Par suite, en vertu des stipulations précitées de l'article 3.5 du cahier des clauses administratives particulières, cette notification au cours du second semestre aurait valu reconduction au 1er janvier suivant pour une période d'un an, sans notification de décision expresse. En revanche, le marché était susceptible de faire l'objet d'une reconduction ou non par le pouvoir adjudicateur pour les années suivantes. Par suite, le manque à gagner invoqué par la SAS Seateam Aviation au titre des périodes ultérieures à la première reconduction ont un caractère incertain et la SAS Seateam Aviation n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.

24. Il résulte de l'instruction que le contrat en litige était un marché à bons de commande dont les documents contractuels pour le lot 2 prévoyaient, aux termes de l'article 2.3 du CCAP, des quantités comprises entre un minimum annuel de soixante heures de vol et un maximum annuel de deux-cents heures de vol. Le manque à gagner dont a été privée la SAS Seateam Aviation a un caractère certain pour la quantité minimum prévue par les stipulations du CCAP versé à l'appui du règlement de consultation.

25. La requérante a droit à l'indemnisation de son manque à gagner correspondant au bénéfice net qu'elle aurait tiré de l'exécution du contrat au cours de la période allant du 1er septembre de l'année d'attribution du marché au 31 décembre de l'année suivante, à raison des quantités minimales de vol annuel prévues au projet de CCAP. Toutefois, la SAS Seateam Aviation n'apporte aucun élément de preuve permettant de justifier la marge opérationnelle de 33 % qu'elle invoque, et qui est contestée en défense par la ministre des armées. La Cour ne disposant pas, en l'état de l'instruction, des éléments permettant d'établir le montant du bénéfice net dont aurait pu bénéficier la SAS Seateam Aviation à raison de l'exécution du lot n° 2, il y a lieu d'ordonner sur ce point une expertise avant dire droit.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1503644 du tribunal administratif de Toulon est annulé en tant qu'il rejette la demande indemnitaire de la SAS Seateam Aviation.

Article 2 : Avant de statuer sur le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat, il sera procédé à une expertise économique et comptable.

L'expert, qui sera désigné par la présidente de la Cour, aura pour mission de fournir tous éléments permettant à la Cour d'évaluer le bénéfice net qu'aurait engendré pour la SAS Seateam Aviation l'exécution du lot n° 2 du marché au cours de la période allant du 1er septembre au 31 décembre de l'année d'attribution du marché et de la période allant du 1er janvier au 31 décembre de l'année suivant l'attribution du marché, à raison des quantités minimales de vol prévues par les stipulations du projet de cahier des clauses administratives particulières.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.

Article 4 : Tous droits, moyens et conclusions des parties à l'instance sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Seateam Aviation et à la ministre des armées.

Copie en sera adressée à la société Apache Aviation.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. B... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2022.

2

N° 19MA05387


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05387
Date de la décision : 25/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - RECEVABILITÉ - CONTESTATION DE LA VALIDITÉ D'UN CONTRAT ADMINISTRATIF PAR UN CONCURRENT ÉVINCÉ - RECOURS DE PLEINE JURIDICTION DEVANT ÊTRE EXERCÉ DANS UN DÉLAI DE DEUX MOIS À COMPTER DE L'ACCOMPLISSEMENT DES MESURES DE PUBLICITÉ APPROPRIÉES - APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE CZABAJ EN CAS DE PUBLICITÉ INCOMPLÈTE - EXISTENCE.

39-08-01-03 Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ces clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment un contrat administratif. Dans le cas où l'administration a omis de mettre en œuvre les mesures de publicité appropriées permettant de faire courir le délai de recours de deux mois, un recours contestant la validité du contrat doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter de la publication de l'avis d'attribution du contrat. En règle générale, et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉLAIS - EXPIRATION DES DÉLAIS - CONTESTATION DE LA VALIDITÉ D'UN CONTRAT ADMINISTRATIF PAR UN CONCURRENT ÉVINCÉ - RECOURS DE PLEINE JURIDICTION DEVANT ÊTRE EXERCÉ DANS UN DÉLAI DE DEUX MOIS À COMPTER DE L'ACCOMPLISSEMENT DES MESURES DE PUBLICITÉ APPROPRIÉES - APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE CZABAJ EN CAS DE PUBLICITÉ INCOMPLÈTE - EXISTENCE.

54-01-07-05 Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ces clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment un contrat administratif. Dans le cas où l'administration a omis de mettre en œuvre les mesures de publicité appropriées permettant de faire courir le délai de recours de deux mois, un recours contestant la validité du contrat doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter de la publication de l'avis d'attribution du contrat. En règle générale, et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : AARPI FERRI BRUNET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-04-25;19ma05387 ?
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