Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D..., de nationalité bosnienne, a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 27 décembre 2020 par lequel le préfet du Rhône a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois et d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 2100201 du 3 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 8 juillet et 1er octobre 2021, M. D..., représenté par Me Dinparast, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Rhône en date du 27 décembre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " parent d'un enfant malade ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au même préfet d'examiner sa demande, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de Me Dinparast, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme allouée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;
- l'arrêté méconnaît l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; son fils E... C... D..., né le 3 mai 2015 en Allemagne, atteint de trisomie 21 et souffrant de troubles cardiaques, ne dispose pas en A... du même niveau de soins qu'en France où, avec son épouse et leurs cinq autres enfants, ils ont fixé le centre de leur vie personnelle et familiale ;
- la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français querellée n'est pas justifiée par la situation du requérant ; le préfet n'énumère aucun des quatre critères posés par l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il incombe au préfet, s'il estime que l'étranger représente une menace pour l'ordre public, d'indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon lui, être regardée comme une telle menace ; le préfet ne fait ni état de la date d'entrée sur le territoire français du requérant, ni de la durée significative de sa présence en France ;
- l'arrêté querellé est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 5 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 février 2022 à 12h00.
Par courrier du 16 février 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur le moyen d'ordre public relevé d'office tiré de l'irrecevabilité du moyen tenant au défaut ou à l'insuffisance de motivation de l'arrêté querellé, sa légalité externe n'ayant jamais été contestée dans le délai de recours contentieux.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. B... Taormina, rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., de nationalité bosniaque, sont entrés irrégulièrement en France en juillet 2016, selon leurs déclarations, avec leurs six enfants afin d'y solliciter l'asile. Ils ont fait l'objet par arrêtés préfectoraux du 24 mars 2017 de décisions de remise aux autorités allemandes avec assignation à résidence et ne se sont pas présentés à l'embarquement des vols réservés le 4 mai 2017 pour l'Allemagne. Leurs demandes d'asile ont été enregistrées en novembre 2018, traitées en procédure accélérée et rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) le 28 octobre 2019. Ils n'ont pas saisi la Cour nationale du droit d'asile.
2. Par deux arrêtés du 13 décembre 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté les demandes de titre de séjour de M. et Mme D... et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
3. En décembre 2020, M. et Mme D... ont sollicité à nouveau chacun un titre de séjour et dans l'attente de ces titres, une autorisation provisoire de séjour leur a été délivrée, en leur qualité de parents d'un enfant étranger malade, leur troisième enfant, né en Allemagne en 2015. Par deux arrêtés du 5 mars 2021, le préfet de l'Hérault a rejeté les demandes de titre de séjour de M. et Mme D... et a pris à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de la A... ou de tout pays où ils seraient légalement admissibles. Par jugement n° 2103222, 2103223 du 21 septembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a, au motif que pour refuser à M. et Mme D... la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour sollicitée, le préfet s'est fondé sur l'absence de justificatifs de la nationalité de l'enfant E..., en violation des articles L. 311-12 et R. 311-36 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, annulé ces arrêtés du 5 mars 2021, en tant que le préfet de l'Hérault a rejeté leurs demandes d'autorisations provisoires de séjour présentées en qualité de parents d'enfant malade, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination.
4. Auparavant, en exécution de l'arrêté du 13 décembre 2019 précité pris à l'encontre de M. D..., le préfet du Rhône a, par arrêté du 27 décembre 2020, prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois. M. D... relève appel du jugement en date du 3 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. En premier lieu, si la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs, M. D... n'ayant pas, dans le délai de recours contentieux contre l'arrêté du 27 décembre 2020, invoqué de moyen de légalité externe, n'est, dès lors, pas recevable à contester celle-ci pour la première fois devant la Cour. Par suite, doit être écarté comme irrecevable le moyen tiré du défaut ou de l'insuffisance de motivation de l'arrêté querellé.
6. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur : " III. - ... (6ième alinéa) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / ... La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux... sixième... alinéas du présent III... sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. /... ".
7. Il ressort de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
8. En l'espèce, le préfet du Rhône a prononcé à l'encontre de M. D... une mesure d'interdiction du territoire français, pour s'être maintenu sur le territoire français après l'expiration du délai qui lui avait été imparti par arrêté du 13 décembre 2019 pour le quitter, après avoir estimé, au vu de la situation de l'intéressé, que celle-ci ne constituait pas des circonstances humanitaires pouvant justifier que ne soit pas prononcée cette interdiction de retour, et que l'intéressé ne justifiait ni de la nature, ni de l'ancienneté de ses liens avec la France. Dès lors, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Rhône a prononcé à son encontre la mesure querellée sans vérifier les conditions posées par les dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen formulé à ce titre doit être écarté.
9. En troisième lieu, l'arrêté querellé n'ayant pas été pris pour un motif de trouble à l'ordre public, le préfet n'avait pas l'obligation d'envisager en quoi la présence de M. D... sur le territoire français, malgré l'obligation de le quitter dont il faisait l'objet, causait ce trouble au point de justifier que soit prise à son encontre une mesure d'interdiction de retour. Dès lors, le moyen formulé à ce titre doit être écarté.
10. En quatrième lieu, M. D... qui s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire qui lui était imparti par arrêté du 13 décembre 2019, ne justifie pas plus devant la Cour qu'en première instance de liens avec la France d'une nature et d'une durée suffisante, ni de circonstances humanitaires de nature à justifier que ne soit pas prononcée à son encontre l'interdiction de retour d'une durée de dix-huit mois prononcée à son encontre, ces liens et circonstances ne pouvant résulter du seul fait d'être entré irrégulièrement en France en juillet 2016 avec son épouse et ses six enfants dont l'un est atteint de trisomie 21. Il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le préfet du Rhône aurait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Par suite, le moyen formulé à ce titre doit être écarté.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, 1'intérêt supérieur de 1 'enfant doit être une considération primordiale ".
12. La décision attaquée portant interdiction de retour sur le territoire français, qui ne sera exécutée qu'à compter de son départ volontaire ou forcé du territoire français, n'a pas pour objet, ni pour effet, par elle-même, de séparer le requérant de son épouse et de ses six enfants, alors au surplus et au demeurant qu'il n'existe aucun obstacle à ce que M. D... reparte avec son épouse également dépourvue de titre de séjour et leurs enfants en A.... Dès lors ne sont pas fondés les moyens tirés de la prétendue méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Par suite, les moyens formulés à ce titre doivent être écartés.
13. Enfin, ne sont pas fondés et doivent, par suite, être écartés les moyens tirés du fait que quatre des enfants de M. D... suivraient une scolarité en France et l'un de ses six enfants serait atteint d'affections pour lesquelles il serait soigné en France, l'arrêté querellé n'ayant ni pour objet ni pour effet de faire directement obstacle à la poursuite de cette scolarité ou de ces soins médicaux dont il n'est pas démontré par le requérant qu'ils seraient inexistants en A... ou que leur arrêt serait de nature à entraîner une aggravation de son état.
14. Compte tenu de tout ce qui précède, les conclusions de M. D... tendant à l'annulation du jugement du 3 mars 2021 rendu par le tribunal administratif de Montpellier et de l'arrêté du 27 décembre 2020 pris par le préfet du Rhône, ensemble, par conséquent, ses conclusions à fin d'injonction et celles formulées en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., à Me Dinparast et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- M. B... Taormina, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2022.
N° 21MA02659 2