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21/02/2022 | FRANCE | N°21MA04371

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 21 février 2022, 21MA04371


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C..., de nationalité malienne, a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 15 mars 2021 par lequel la préfète D... a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination et d'enjoindre à la préfète D... de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou de réexaminer sa demande en lui délivrant, dans l'attente, un récépissé de dem

ande de titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C..., de nationalité malienne, a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 15 mars 2021 par lequel la préfète D... a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination et d'enjoindre à la préfète D... de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou de réexaminer sa demande en lui délivrant, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2101113 en date du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Laurent-Neyrat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 mars 2021 par lequel la préfète D... a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination ;

3°) d'enjoindre à la préfète D... de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande en lui délivrant, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de son avocat, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme allouée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni sur celui de l'article L. 313-14 du même code, mais sur celui des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 de ce code ; la préfète D... a, ainsi, méconnu l'étendue de sa compétence ;

- la décision attaquée méconnait les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet ayant statué sur une demande de titre de séjour mention " salarié " rejetée au motif que le requérant ne justifiait que d'un contrat d'apprentissage renouvelé pour un an faute d'avoir obtenu son CAP, et non d'un contrat de travail ; or, outre le fait que le contrat d'apprentissage est parfaitement recevable au soutien d'une demande de titre fondée sur les dispositions de l'ancien article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (aujourd'hui renumérotée sous L. 435-3), l'inadéquation du contrat d'apprentissage ne peut être relevée que lors de l'examen d'une demande de titre sur les dispositions de l'ancien article L. 313-10 aujourd'hui numéroté L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel prévoir la régularisation par le travail sous réserve de présenter un contrat de travail à durée indéterminée ; toutefois, l'ancien article L. 313-11 2°bis sur le titre de séjour " vie privée et familiale " de l'étranger accédant à la majorité, aujourd'hui codifié sous le numéro L. 423-22, n'exige aucunement la présentation d'un contrat de travail ; son échec à l'examen de CAP ne remet pas en cause le sérieux de sa formation professionnelle, d'autant que son employeur et maître d'apprentissage a annoncé son souhait de le garder dans son entreprise pour doubler sa dernière année de CAP, et met en avant un excellent élément dans son entreprise, un bon apprenti travailleur, bon apprenant, sérieux et attentif ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation, dès lors que les conditions posées par l'article 47 du code civil ne permettaient pas à la préfète d'écarter les documents justifiant de son état-civil ; il est alors demandé auprès de la Cour de céans le prononcé d'une mesure d'instruction telle qu'une expertise judiciaire en écriture ;

- le requérant peut se prévaloir d'une vie privée et familiale ancienne en France, résidant sur le territoire français depuis plus de cinq années et n'entretenant pas de liens familiaux dans son pays d'origine ;

- c'est à tort que l'autorité préfectorale a remis en cause sa minorité lors de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance qui n'a été soulevée ni par le département, ni par le juge des enfants, ni par le parquet ; l'autorité préfectorale n'est pas fondée à remettre en cause l'authenticité des documents d'identité établis par les autorités maliennes ;

- s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français, la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- s'agissant de la décision fixant le pays de destination, la décision attaquée est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

Par mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2021, la préfète D... conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la minorité du requérant lors de son entrée sur le territoire français, pas plus que sa véritable identité, ne sont démontrées par les documents supposés avoir été établis par les autorités maliennes les 10 et 11 octobre 2017 dont la police de l'air et des frontières doute de l'authenticité au motif qu'ils ont été manifestement rédigés par la même personne ; dans ces conditions, sa demande de titre de séjour ne pouvait qu'être rejetée ;

- les dispositions de l'ancien article L. 313-11.2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été méconnues ;

- le requérant n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ayant déclaré lors de sa demande de prise en charge par l'aide sociale à l'enfance avoir encore au Mali ses parents, une sœur et trois frères.

Par ordonnance du 15 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 janvier 2022 à 12 h 00.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... Taormina, rapporteur,

- et les observations de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant malien né le 14 décembre 2001, selon jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 10 octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Bamako (Mali) transcrit sur les registres de l'état civil de ladite ville le 11 octobre 2017, est entré en France, selon ses déclarations, en septembre 2016. Par ordonnance du 31 octobre 2016, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble a ordonné son placement provisoire en tant que mineur isolé, la cellule nationale de la protection judiciaire de la jeunesse décidant de son orientation vers le département D.... Par ordonnance du 21 novembre 2016, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Mende a confié M. C... au service enfance famille D..., l'intéressé ayant été ensuite admis à suivre une formation en vue de l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle de peintre en bâtiment. M. C... devenu majeur ayant, le 24 novembre 2020, sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger placé à l'aide sociale à l'enfance, la préfète D... a, par arrêté du 15 mars 2021, rejeté cette demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.

2. M. C... relève appel du jugement en date du 6 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté et à ce qu'il soit enjoint à la préfète D... de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou, subsidiairement, qu'elle réexamine sa demande et que lui soit délivrée, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, il ne ressort pas du simple examen par la police de l'air et des frontières du jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 10 octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Bamako (Mali), transcrit sur les registres de l'état civil de ladite ville le 11 octobre 2017, que ces documents produits par M. C... sur l'authenticité desquels, au demeurant, les autorités maliennes, qui n'ont pas été interrogées, sont seules à pouvoir se prononcer, seraient des faux. Dès lors, la préfète de Lozère ne pouvait prendre l'arrêté querellé au motif que la minorité de l'intéressé n'était pas établie lors de son entrée sur le territoire français du fait du défaut d'authenticité de ces documents, alors, au demeurant, que cette minorité n'avait pas été mise en doute par les autorités judiciaires lorsqu'elles ont ordonné son placement, dans le cadre de l'assistance éducative, auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du département D.... Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la préfète D... a, dès lors, entaché son arrêté d'une erreur de fait.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit:...2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ; ... ". Ces dispositions ne subordonnent pas l'octroi d'un titre de séjour sollicité sur leur fondement à la possession d'un contrat de travail, mais au sérieux du suivi de la formation en cours.

5. En l'espèce, la préfète D... qui, dans ses écritures, ne conteste pas qu'elle a été saisie d'une demande de titre de séjour sur le fondement de ces dispositions, soutient néanmoins que M. C... n'était pas fondé à obtenir un titre de séjour sur ce fondement. S'étant uniquement prononcée sur la demande de l'intéressé au regard des dispositions des articles L. 313-10 et L. 313-14 du même code, sans se prononcer au titre des dispositions précitées, la préfète D..., qui n'a dès lors pas examiné le caractère réel et sérieux de M. C... dans le suivi de sa formation, a commis une erreur de droit. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la préfète D... a méconnu l'étendue de sa compétence.

6. Compte tenu de ce qui précède, M. C... est fondé, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués, à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin d'annulation. Il y a lieu en conséquence d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 15 mars 2021 par lequel la préfète D... a refusé de délivrer à M. C... un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

8. L'exécution du présent arrêt implique, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la demande de titre de séjour de M. C..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a, en revanche, pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie...perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens... ". Aux termes de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " ...En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie...qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide... ".

10. M. C... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Me Laurent-Neyrat demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamés à sa cliente si celle-ci n'obtenait pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir les conclusions de la requête tendant à la condamnation de l'Etat, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à payer à son avocat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes en date du 6 juillet 2021 et l'arrêté du 15 mars 2021 pris par la préfète D... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète D... de se prononcer à nouveau sur la demande de titre de séjour formulée par M. C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Laurent-Neyrat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète D... et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mende.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. A... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2022.

N° 21MA04371 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04371
Date de la décision : 21/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : LAURENT-NEYRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-02-21;21ma04371 ?
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