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21/02/2022 | FRANCE | N°19MA05600

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 21 février 2022, 19MA05600


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Cristofol a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement la commune de Gardanne et son assureur, la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), à lui verser la somme globale de 748 013,69 euros et la somme de 1 600 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 ou, à défaut, 95 % de ces mêmes sommes, d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal capitalisés et de mettre à la charge solidaire de la commune de Ga

rdanne et de la SMACL le versement d'une somme de 40 000 euros au titre de l'ar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Cristofol a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement la commune de Gardanne et son assureur, la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), à lui verser la somme globale de 748 013,69 euros et la somme de 1 600 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 ou, à défaut, 95 % de ces mêmes sommes, d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal capitalisés et de mettre à la charge solidaire de la commune de Gardanne et de la SMACL le versement d'une somme de 40 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1607691 du 14 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a solidairement condamné la commune de Gardanne et son assureur, la SMACL, à payer à la SCI Cristofol la somme de 469 350,98 euros (quatre cent soixante-neuf mille trois cent cinquante euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) en réparation des préjudices subis, dont il a déduit la provision versée d'un montant de 115 601,90 euros (cent quinze mille six cent un euros et quatre-vingt-dix centimes) en vertu de l'ordonnance du juge des référés du 31 août 2017. Selon le jugement, la somme de 469 350,98 euros (quatre cent soixante-neuf mille trois cent cinquante euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) porte intérêts au taux légal à compter du

26 septembre 2016. Les intérêts sont calculés en tenant compte de la date de versement de la provision de 115 601,90 euros (cent quinze mille six cent un euros et quatre-vingt-dix centimes). Les intérêts ont été capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 26 septembre 2017 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure. Le tribunal, après avoir statué sur les frais non compris dans les dépens, a rejeté les surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2019 et 10 février 2021, la commune de Gardanne et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), représentées par Me Alain Xoual, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) à titre principal d'annuler ce jugement du 14 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille, et de rejeter les conclusions de la SCI Cristofol formulées en première instance et en appel ;

2°) subsidiairement de fixer la part de responsabilité de la commune de Gardanne et de son assureur à 20 % et de fixer les travaux de reprise aux seules préconisations du rapport d'expertise tendant à la réparation de l'immeuble et non à sa démolition-reconstruction et fixer le préjudice de la SCI Cristofol à la seule perte de revenus locatifs pour la période du mois de juillet 2014 au mois de novembre 2015 augmentée de la période correspondant au délai de réalisation des travaux de rénovation du bâtiment existant préconisés par le rapport d'expertise ou encore plus subsidiairement de fixer la part de responsabilité de la commune de Gardanne et de son assureur à 20 %, retenir les fautes commises par la SCI Cristofol de nature à exonérer la commune et son assureur de leur responsabilité à hauteur de 60 %, ramener le montant du préjudice de la SCI Cristofol à de plus justes proportions, telles que déterminées ci-après avec application d'un coefficient de vétusté de 40 % et d'un abattement de 20 % compte tenu de la plus-value apportée par le nouvel ouvrage plus pérenne, 8 777,09 euros au titre des mesures conservatoires, 50 296,68 euros au titre des travaux de démolition, 98 462,80 euros au titre des travaux de reconstruction, 13 651,88 euros au titre des honoraires de maîtrise d'œuvre et du bureau d'étude technique ainsi que des frais d'assurance, fixer le préjudice de la SCI Cristofol à la seule perte des revenus locatifs pour la période du mois de juillet 2014 au mois de novembre 2015 augmentée de la période correspondant au délai de réalisation des travaux de rénovation du bâtiment existant préconisé par le rapport d'expertise, encore plus subsidiairement, retenir les fautes commises par la SCI Cristofol de nature à exonérer la commune de Gardanne et de son assureur de leur responsabilité à hauteur de 80 %, ramener le montant du préjudice de la SCI Cristofol à de plus justes proportions, telles que déterminées ci-après avec application d'un coefficient de vétusté de 40 % et d'un abattement de 20 % compte tenu de la plus-value apportée par le nouvel ouvrage plus pérenne, 8 777,09 euros au titre des mesures conservatoires, 50 296,68 euros au titre des travaux de démolition, 98 462,80 euros au titre des travaux de reconstruction, 13 651,88 euros au titre des Honoraires de maîtrise d'œuvre et du bureau d'étude technique ainsi que des frais d'assurance, fixer le préjudice de la SCI Cristofol à la seule perte des revenus locatifs pour la période du mois de juillet 2014 au mois de novembre 2015 augmentée de la période correspondant au délai de réalisation des travaux de démolition-reconstruction ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Cristofol la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le rapport d'expertise est insuffisant ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- il n'existe pas de lien de causalité entre les ouvrages de la commune et les dommages subis par la SCI Cristofol ;

- en toute hypothèse, la part de responsabilité de la commune ne saurait excéder 20% compte tenu de la multiplicité des causes du sinistre ;

- il n'existe pas de lien de causalité directe et certain entre les ouvrages de la commune et le préjudice de démolition-reconstruction ;

- le maître d'ouvrage a commis des fautes de nature à exonérer la commune à hauteur de 80 % ;

- la date d'évaluation des préjudices doit être le 5 novembre 2015 ;

- le coefficient de vétusté doit être fixé à 40 % ;

- le dommage relatif aux travaux conservatoires a déjà été indemnisé par la compagnie d'assurance du demandeur et en tout état de cause son estimation est surévaluée ;

- le préjudice relatif à la démolition doit être limité à la somme de 83 824,80 euros TTC ;

- en plus du coefficient de vétusté un coefficient de plus-value devra être fixé à 20 % ;

- la valeur vénale du bien n'a pas été sous-estimée et n'est pas supérieure à 140 000 euros ;

- la valeur de reconstruction a été surévaluée, ainsi que les pertes de loyers ;

- la SCI n'a subi aucun préjudice moral.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 mai 2020 et 5 mars 2021, la SCI Cristofol, représentée par la SCP Bernard Hugues Jeannin Petit Puchol, conclut au rejet de la requête, à la condamnation solidaire de la commune de Gardanne et de la compagnie d'assurances S.M.A.C.L. à concurrence de 95%, à payer à la S.C.I. CRISTOFOL les sommes suivantes : 586 079,29 €, subsidiairement à ce qu'il soit appliqué le taux de vétusté réduit aux seuls travaux de reconstruction du gros œuvre à l'exclusion des travaux de second œuvre et de toiture tels que détaillé dans le corps du mémoire, assortir toutes les sommes ci-dessus des intérêts au taux légal à compter du jour du dépôt de la requête le 26 septembre 2016, lesdits intérêts portant eux-mêmes intérêts lorsque dus pour plus d'une année entière, et à ce qu'il soit mis à la charge solidaire de la commune de Gardanne et de son assureur une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- le jugement est bien fondé ;

- le maître d'ouvrage n'a commis aucune faute ;

- le montant des préjudices est justifié.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marcovici,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me Molland, substituant Me Xoual, représentant la commune de Gardanne, et de Me Puchol, représentant la SCI Cristofol.

Une note en délibéré a été enregistrée pour la SCI Cristofol le 27 janvier 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI Cristofol a acquis le 9 février 2007 un immeuble d'habitation, assuré auprès de la compagnie d'assurances Filia-Maif, et situé au n° 2 de la rue Pasteur à Gardanne. Après avoir fait effectuer en 2007 par l'entreprise Barkaoui une rénovation complète de la toiture de l'immeuble, des infiltrations d'eau sont apparues en octobre 2008. La SCI a souhaité, dans le courant de l'année 2014, faire procéder à la rénovation des façades. Le

16 juin 2014, alors que l'entreprise Umut, en charge de cette rénovation, procédait à un grattage pour purger les parties non adhérentes, un pan de la façade de l'immeuble s'est effondré rue Franklin et côté rue Krüger. Le maire de Gardanne a alors, par un arrêté du 16 juin 2014, ordonné l'évacuation de l'immeuble et saisi le tribunal administratif d'une demande de désignation d'expert au titre de la procédure de péril imminent. Sur la base du rapport établi le 17 juin 2014 par M. A..., expert désigné, le maire de Gardanne a pris un premier arrêté de péril imminent le 18 juin 2014 et mis en demeure la SCI Cristofol de réaliser la mise en sécurité ainsi que les travaux tels que prévus par l'expert et repris dans l'arrêté de péril. La SCI a alors confié la réalisation des travaux de mise en sécurité de l'immeuble et de réparation à l'entreprise Umut, la maîtrise d'œuvre des travaux étant confiée à Mme B..., architecte, et au bureau d'études techniques AIGS PACA. Le 17 juillet 2014, à l'occasion de fouilles réalisées préalablement au confortement du pied de l'immeuble, un nouvel éboulement est survenu depuis la voûte cintrée de l'immeuble. Les constats opérés à cette occasion par le maître d'œuvre ont alors mis en évidence l'existence d'un réseau pluvial communal dégradé et l'existence de cavités sous les trottoirs. Une nouvelle expertise ayant été réalisée par M. A... le 29 juillet 2014, le maire de Gardanne a pris un deuxième arrêté de péril imminent le 30 juillet 2014, mettant en demeure la SCI Cristofol de réaliser de nouveaux travaux de mise en sécurité de l'immeuble, sans procéder à sa démolition, et interdisant toute habitation de l'immeuble jusqu'à sa remise en sécurité totale. Par une ordonnance du 5 août 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance (TGI) d'Aix-en-Provence, saisi par la SCI Cristofol, a prescrit la réalisation d'une nouvelle expertise, confiée à M. A..., aux fins de déterminer l'origine du sinistre et d'évaluer les préjudices subis par la SCI Cristofol. M. A... a déposé son rapport le 5 novembre 2015. La SCI a alors assigné, d'une part, son assureur, la société MAIF, et d'autre part la MAAF, assureur de la société Barkaoui, devant le TGI d'Aix-en-Provence qui, par un jugement du 26 avril 2016, a rejeté la demande de la SCI à l'encontre de la société MAIF et a condamné la MAAF à l'indemniser à hauteur de 7 % des préjudices liés au sinistre en raison des fautes commises par son assurée, la société Barkaoui. Par un arrêt du 16 mars 2017, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a ramené à 5 % la part des préjudices devant être indemnisés par la MAAF. Enfin, la demande de la commune de Gardanne tendant à ce qu'il soit enjoint à la SCI Cristofol de réaliser les travaux de rénovation préconisés par l'expert dans son rapport du 5 novembre 2015, afin notamment qu'elle puisse accéder au réseau d'eau, a été rejetée par une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, du 15 novembre 2016. Par un troisième arrêté du 28 novembre 2016, le maire de Gardanne a placé l'immeuble en état de péril ordinaire, en ordonnant à la SCI d'effectuer des travaux de consolidation, sous astreinte. Enfin, la SCI Cristofol a obtenu du juge des référés du Tribunal, la condamnation de la commune de Gardanne et de son assureur la SMACL à lui verser à titre provisionnel une somme globale de 115 601,90 euros au titre des préjudices résultant pour elle de ce sinistre. La SCI Cristofol a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement la commune de Gardanne et son assureur la SMACL à lui verser la somme globale de 748 013,69 euros et la somme de 1 600 euros par mois à compter du 1er septembre 2016 ou, à défaut, 95 % de ces mêmes sommes. Par un jugement du 14 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement la commune de Gardanne et son assureur, la SMACL, à payer à la SCI Cristofol la somme de 469 350,98 euros (quatre cent soixante-neuf mille trois cent cinquante euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) en réparation des préjudices subis, dont il a déduit la provision versée d'un montant de 115 601,90 euros (cent quinze mille six cent un euros et quatre-vingt-dix centimes) en vertu de l'ordonnance du juge des référés du 31 août 2017 ; le tribunal a également jugé que la somme de 469 350,98 euros (quatre cent soixante-neuf mille trois cent cinquante euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) devait porter intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2016, les intérêts étant calculés en tenant compte de la date de versement de la provision de 115 601,90 euros (cent quinze mille six cent un euros et quatre-vingt-dix centimes), capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 26 septembre 2017 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure. La commune de Gardanne relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Contrairement à ce qui est affirmé, le jugement est suffisamment motivé. Par ailleurs, le tribunal ne s'est pas fondé exclusivement sur les conclusions de l'expertise judiciaire mais s'est borné à la regarder comme une des pièces du dossier.

Sur la responsabilité de la commune de Gardanne :

3. D'une part, le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis et l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices, qui doivent, en outre, présenter un caractère anormal et spécial. D'autre part, dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable (CE 10 févr. 2014, no 361280).

4. Il résulte de l'instruction, comme l'a jugé le tribunal, et notamment du rapport de l'expertise du 5 novembre 2015 ordonnée par le juge judiciaire et confiée à M. A..., ainsi que de l'étude des sols réalisée par la société Sol Essais, qu'il existe une zone décomprimée au pied du mur de fondation de l'immeuble comprise entre les galeries et canalisations enterrées et le long de la façade côté rue Kruger. Cette décompression du terrain située au pied de la façade résulte de manière prépondérante du défaut d'entretien du réseau des eaux pluviales situé au droit de l'immeuble, dont la vétusté n'est au demeurant pas contestée par la commune de Gardanne. Il a été constaté, en particulier lors des investigations par caméra, la présence d'affaissements, l'obstruction de la galerie d'eau pluviale le long de la façade de l'immeuble et l'absence d'étanchéité du regard situé au pied de l'immeuble. L'expert précise qu'en cas de fortes précipitations, le débordement des canalisations obstruées imbibe les sols d'assise et le pied de la maçonnerie, entraînant la désagrégation du mur. Les infiltrations d'eau souterraine ont ainsi raviné le mur de l'immeuble au fil du temps. Dès lors, l'ouvrage public que constitue le réseau d'évacuation des eaux de pluie dans les rues adjacentes à l'immeuble doit être regardé comme ayant contribué au dommage subi par le bien appartenant à la requérante en raison de son mauvais entretien. Par ailleurs, le goudronnage de la voirie en limite de l'immeuble empêche l'évaporation de l'eau s'infiltrant dans le sol. Il résulte également de l'instruction que les vibrations de la circulation routière, compte tenu de la configuration des lieux, ont aggravé le phénomène de flux des particules fines constituant le liant. L'imperméabilité du trottoir et les vibrations sont imputables à l'existence et au fonctionnement même de l'ouvrage public que constitue la voirie au droit de l'immeuble de la SCI Cristofol, dont la commune de Gardanne est le maitre d'ouvrage. Par ailleurs, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la réalisation de tranchées par la commune pour la pose de canalisations diverses présente également un lien direct avec les dommages en litige. Dans ces conditions, la SCI Cristofol est fondée à demander la condamnation solidaire de la commune de Gardanne et de son assureur la SMACL à l'indemniser des préjudices subis.

5. L'expert estime cependant que l'effondrement du mur de l'immeuble a également pour cause le mode constructif du bâtiment suivant la méthode dite du " mur poids " avec notamment une rupture d'équilibre des masses, ainsi que les matériaux employés lors de la construction - avec un liant qui se délite avec le temps et s'imbibe de l'humidité résultant des remontées capillaires d'eau - , et enfin les modifications apportées à la structure de l'immeuble, ayant pu avoir une influence sur sa résistance initiale (création des balcons, ravalements de façade antérieurs et couche d'enduit en mortier de ciment trop épaisse et inadaptée), ainsi que les infiltrations d'eau au travers de la toiture à la suite des travaux effectués en 2007. Il n'est toutefois pas établi que le mode constructif de l'immeuble et la pose de balcons constituent des fautes imputables à la requérante, seules susceptibles d'atténuer la responsabilité de la commune, contrairement aux affirmations de cette dernière en appel. Par ailleurs, le défaut d'entretien de l'immeuble révélé par la présence ancienne d'un enduit trop épais, avec un défaut d'adhérence qui en se désolidarisant de la façade a déstabilisé la maçonnerie, n'apparait pas davantage être imputable à une faute commise par la SCI Cristofol, laquelle a acquis le bien le 9 février 2007 et n'a procédé qu'à un seul ravalement de façade au cours duquel le pan de mur s'est effondré. La commune n'établit pas non plus, par son argumentaire non étayé, que la SCI aurait commis une faute en s'abstenant de signaler le mauvais état du réseau communal. Par suite, contrairement à ce que font valoir la commune et la SMACL en défense, aucune faute de nature à atténuer la responsabilité de la commune de Gardanne ne saurait être reprochée à la SCI Cristofol.

6. En conséquence, la responsabilité solidaire de la commune de Gardanne et de son assureur se trouve engagée à l'égard de la SCI Cristofol, tiers par rapport aux ouvrages publics à l'origine des dommages causés à son bien, lesquels présentent un caractère anormal et spécial.

Sur les préjudices :

7. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier (CE, 28 novembre 1975, n° 88933, Ville de Douai) et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité. C'est seulement si le propriétaire établit s'être alors trouvé dans l'impossibilité financière, technique ou juridique de faire exécuter les travaux que le juge peut retenir une date postérieure.

8. En l'espèce, l'expert, dans son rapport du 5 novembre 2015, a estimé que l'immeuble de la SCI Cristofol pouvait faire l'objet d'une réparation, en évaluant le coût des travaux de remise en état de la propriété à 39 666,70 euros, Toutefois, il résulte de l'instruction que les dommages n'étaient pas stabilisés à la date du rapport d'expertise, l'expert ayant lui-même souligné le caractère délicat d'une réparation de cet immeuble, qui a plus de deux siècles, et ayant constaté que de nouvelles fissures étaient apparues au rez-de-chaussée de l'immeuble. En outre, il résulte de ce rapport et des photographies produites par la SCI Cristofol que la façade s'ouvre en deux de part et d'autre de la zone éboulée et présente une fissure en forme de voute, apparue à la suite du second éboulement qui se développe ainsi sur près de 40 % de la longueur des façades. La société requérante établit par ailleurs que plusieurs architectes et entreprises ont refusé de prendre en charge la réparation de l'immeuble, jugée trop risquée. Si la commune de Gardanne conteste la nécessité de reconstruire l'immeuble, elle n'établit pas la faisabilité technique des travaux de remise en état de cet immeuble, en se bornant à produire un devis de l'entreprise COREBAT en date du 3 juin 2015, établi sans visite des lieux, un courrier du groupe d'expertise CECA du 1er juin 2015, trop imprécis, et un rapport du cabinet d'études Quantum du 21 décembre 2016, assorti d'un devis de l'entreprise Alliance BTP portant uniquement sur la mise en sécurité de la façade sans visite de l'intérieur du bâtiment. Enfin, et surtout, la réparation préconisée en premier lieu par l'expert ne pouvait, ainsi qu'il l'a indiqué, intervenir qu'après la réalisation des travaux nécessaires par la commune de Gardanne sur le réseau des eaux pluviales afin de procéder au nettoyage et à l'étanchéité des ouvrages. Par suite, la commune de Gardanne ne saurait reprocher à la société requérante de ne pas avoir mis immédiatement en œuvre les préconisations de l'expert et avoir abandonné son bien depuis le 5 novembre 2015. En outre, si la réparation des dommages subis ne peut être envisagée que sous la forme d'une démolition puis d'une reconstruction de l'immeuble, il résulte de l'instruction que la commune de Gardanne a engagé plusieurs procédures judiciaires et administratives à l'encontre de la SCI Cristofol, afin qu'elle réalise les seuls travaux de remise en état préconisés par l'expert, et qu'elle n'entreprenne pas la démolition du bien. Enfin, si le rapport d'expertise a été déposé le 5 novembre 2015, la SCI Cristofol était fondée à retarder les travaux jusqu'à la réalisation des travaux conduisant à la disparation de la cause des dommages, à savoir, comme il a été dit plus haut, le défaut d'entretien des réseaux d'eaux pluviales et le fonctionnement de la voirie publique. Ainsi, la SCI Cristofol soutient à bon droit que la date d'évaluation des préjudices qu'elle a subis doit être fixée au mois d'avril 2018, date non sérieusement contestée par la commune. Il en résulte que la SCI Cristofol établit ne pas avoir été en mesure de faire procéder aux travaux de démolition avant le 16 mars 2017.

S'agissant des mesures conservatoires :

9. La SCI Cristofol n'établit pas, en première instance comme en appel, avoir supporté une somme supérieure à la somme acceptée par la commune de 14 628,48 euros TTC au titre des mesures conservatoires qu'elle a dû réaliser conformément aux arrêts de péril imminent, comprenant le coût des interventions de confortement des façades à la suite des deux éboulements. Par suite, il y lieu de réduire la somme allouée par le tribunal de 21 993,91 euros à 14 628,48 euros.

S'agissant des travaux de démolition :

10. La société requérante sollicite le versement d'une somme de 116 403,28 euros au titre des travaux de démolition. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que ce poste de préjudice peut être évalué à la somme de 103 147,60 euros comprenant notamment la somme de 80 697 euros correspondant au devis de la société LTD pour la seule démolition et évacuation des gravats. En appel, la commune, pas davantage que la SCI Cristofol n'émet aucune critique pertinente à l'égard de l'évaluation réalisée par l'expert. Par suite, et sans qu'il n'y ait lieu d'appliquer un coefficient de vétusté, la somme de 103 147,60 euros sera mise à la charge de la commune de Gardanne.

S'agissant des travaux de reconstruction :

11. La société requérante sollicite le versement d'une somme de 364 824,68 euros au titre des travaux de reconstruction de l'immeuble, ainsi que 10 000 euros pour les sujétions imprévues et 71 369,85 euros au titre des honoraires d'études et d'assurances. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le coût de la reconstruction, au regard des devis produits provenant de cinq sociétés, a été fixé par le tribunal à la somme de 362 424,68 euros, comprenant 10 000 euros au titre des sujétions imprévues mais excluant les honoraires d'études de sol, de bureau d'études techniques, de maîtrise d'œuvre, de frais de raccordement aux réseaux et la consommation énergétique pendant les travaux. La commune ne critique pas utilement les sommes évaluées par l'expert en ce qui concerne la consommation énergétique du chantier. Contrairement à ses affirmations, la réalisation d'une dalle en béton ou d'un vide sanitaire n'apporte pas une plus-value à l'immeuble, pas davantage que la réalisation de trois balcons, la commune n'établissant pas qu'il n'en existait à l'origine que deux. La demande de la commune en ce qui concerne les travaux d'électricité n'est pas davantage étayée. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la toiture faisait à l'origine l'objet d'une isolation. La commune est fondée sur ce point à demander la réfaction d'une somme de 2 992 euros. En ce qui concerne les travaux de menuiserie, la, commune fait valoir sans être sérieusement contestée que le bâtiment ne comportait que 6 volets battants sur les 9 réalisés dans la nouvelle construction ; elle est dès lors fondée à demander à ce titre une déduction de 960 euros. De même le bâtiment ne comportait qu'une rambarde sur les 3 installées ; la commune conteste donc utilement une somme de 3 140 euros à ce titre. L'isolation phonique a également été améliorée, générant une plus-value de 6 120 euros. En revanche la demande de la commune concernant le nombre de fenêtres ne peut qu'être écartée, la porte fenêtre contestée existant bien dans l'ancien bâtiment. La commune n'établit pas non plus que la réalisation de doubles plafonds et cloisons ou la fourniture d'une fenêtre sur le toit auraient la nature d'amélioration de l'existant. Par contre, la SCI Cristofol n'établit pas la pertinence d'un " poste imprévu " qui doit donc être déduit à hauteur de 10 000 euros. Au total, la commune est donc fondée à demander la déduction des sommes de 2 992 + 960 + 3 140 + 6 120+ 10 000 soit 23 212 euros.

12. Ainsi qu'il a été dit au point 7, l'indemnisation du coût des travaux de reconstruction ne peut excéder la valeur vénale de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité, ladite valeur vénale devant être évaluée à la date du 16 mars 2017. Il résulte de l'instruction et notamment des évaluations réalisées par des cabinets de gestion immobilière, que la valeur vénale de l'immeuble peut être évaluée à 350 000 euros. Par ailleurs, compte tenu de l'état de l'immeuble en raison de son ancienneté évaluée à près de deux siècles par l'expert et de son mode de construction qui a participé au dommage, il convient d'appliquer un coefficient de vétusté de 40 %. Par suite, le coût de la remise en état de l'immeuble litigieux, compte tenu d'un coefficient de vétusté de 40 % appliqué aux seuls travaux de reconstruction ramené en appel à 339 212, 68 euros, soit la somme de 203 527, 61 euros, est inférieure à la valeur vénale de l'immeuble. La somme à laquelle commune de Gardanne et son assureur sont condamnés à verser à la SCI Cristofol est donc ramenée à 203 527, 61 euros.

S'agissant des honoraires d'études, de maitrise d'œuvre, d'assurance et de raccordements préalables :

13. La SCI Cristofol est fondée à être indemnisée des frais de maitrise d'œuvre à hauteur de 10 % ainsi que le préconise l'expert au regard du taux habituellement appliqué, s'agissant des travaux de démolition et reconstruction, soit les sommes respectives de

10 314,70 euros et 36 242,46 euros, qui ne sont pas sérieusement contestées par la commune en appel. Elle peut également prétendre au remboursement des frais d'étude des sols préalable dont l'utilité n'est pas davantage sérieusement contestée par la commune, résultant de la facture de la société EgSol, soit la somme de 3 800 euros retenue par l'expert, des frais du bureau d'étude technique d'un montant de 3 360 euros, des frais de raccordement aux réseaux durant les travaux de 9 000 euros et des frais de souscription à une police d'assurance évalués à 2,5 % du coût de reconstruction, soit la somme de 9 060,62 euros, toutes sommes qui ne sont pas davantage sérieusement contestées par la commune. Par suite, il y a lieu de condamner la commune de Gardanne et son assureur à verser à la requérante la somme de 71 777,78 euros à ce titre.

S'agissant des pertes de loyer :

14. Par le jugement attaqué, le tribunal a indemnisé les pertes de loyer de la période du 1er juillet 2014 au 16 septembre 2018 à hauteur de 77 669 euros. C'est à bon droit que le tribunal a retenu la date du 16 septembre 2018, rendant au demeurant la demande de la SCI de prendre en compte la date du 1er avril 2018 sans objet, qui prend en compte, à juste titre, la période de réalisation des travaux de démolition et de reconstruction. Contrairement aux affirmations de la commune, aucun abattement supplémentaire ne peut être imputé, dès lors que la SCI Cristofol n'a commis aucune faute. Les demandes de la commune et de la SCI Cristofol à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

S'agissant du préjudice moral :

15. En ce qui concerne le préjudice moral invoqué, il y a lieu d'adopter les motifs du tribunal figurant au paragraphe 15 du jugement, qui ne sont pas sérieusement contestés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 469 350,98 euros à laquelle la commune de Gardanne et son assureur, la SMACL ont été condamnés à verser à la SCI Cristofol au titre des préjudices résultant du sinistre survenu le 16 juin 2014 doit être fixée à la somme de 470 750,47 euros, somme à laquelle il convient de soustraire les sommes allouées à la SCI Cristofol par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 16 mars 2017. Sera également déduite la provision versée d'un montant de 115 601,90 euros.

17. Enfin, il y a lieu d'adopter les motifs du jugement en ce qui concerne les conclusions relatives aux intérêts moratoires et à la capitalisation de ces intérêts.

Sur les frais du litige :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit à aucune demande fondée sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 469 350,98 euros au titre des préjudices résultant du sinistre survenu le 16 juin 2014 que la commune de Gardanne et son assureur, la SMACL ont été solidairement condamnés à payer par le jugement du 14 octobre 2019 à la SCI Cristofol est fixée à la somme de de 470 750,47euros, somme, dont il y a lieu de déduire la provision versée d'un montant de 115 601,90 euros, et à laquelle il convient de soustraire les sommes allouées à la SCI Cristofol par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 16 mars 2017.

Article 2 : le jugement du 14 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière (SCI) Cristofol, à la commune de Gardanne et à la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL).

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2022.

2

N° 19MA05600


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05600
Date de la décision : 21/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02-03 Travaux publics. - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. - Régime de la responsabilité. - Qualité de tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Laurent MARCOVICI
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SCP BERNARD - HUGUES - JEANNIN - PETIT-SCHMITTER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-02-21;19ma05600 ?
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