La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2022 | FRANCE | N°20MA04804

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 09 février 2022, 20MA04804


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Advanced Accelerator Applications (AAA) et la société XL Insurance Company SE ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner, à titre principal, la société Inéo Provence et Côte d'Azur (Inéo), à titre subsidiaire, les sociétés Inéo, Bouygues Bâtiment Sud-Est, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte solidairement, et à titre très subsidiaire, la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (SOLEAM), à leur v

erser les sommes respectives de 1 737 871,68 et 430 215 euros en réparation des préjud...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Advanced Accelerator Applications (AAA) et la société XL Insurance Company SE ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner, à titre principal, la société Inéo Provence et Côte d'Azur (Inéo), à titre subsidiaire, les sociétés Inéo, Bouygues Bâtiment Sud-Est, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte solidairement, et à titre très subsidiaire, la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (SOLEAM), à leur verser les sommes respectives de 1 737 871,68 et 430 215 euros en réparation des préjudices subis suite à l'incendie du 27 octobre 2012 ayant touché le chantier de construction du Centre européen de recherche en imagerie médicale (Cerimed) à Marseille.

Par un jugement n° 1605717 du 30 octobre 2020, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Inéo à verser la somme de 20 992 euros à la société AAA et celle de 430 215 euros à la société XL Insurance Company SE. Il a en outre condamné les sociétés TPF Ingénierie, Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects à garantir chacune la société Inéo à hauteur de 10 % de ces condamnations.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2020 sous le numéro 20MA04804, et deux mémoires, enregistrés les 9 et 20 septembre 2021, la société AAA, représentée par Me Aze, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 30 octobre 2020 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a limité à 20 992 euros le montant de la condamnation de la société Inéo prononcée à son profit ;

2°) de porter cette indemnité à la somme de 1 737 871,68 euros, assortie des intérêts à compter du 28 février 2013 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de rejeter l'appel incident de la société Inéo ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement avec les sociétés Inéo, Bouygues Bâtiment Sud-Est, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte à lui verser la même somme ;

5°) de mettre les dépens à la charge de la société Inéo, ou de toute partie perdante ;

6°) de condamner la société Inéo à lui verser la somme de 36 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, assortie des intérêts à compter du 28 février 2013 et de la capitalisation des intérêts.

Elle soutient que :

- elle a subi des préjudices immatériels s'élevant à 1 716 879,68 euros ;

- ceux-ci sont imputables à l'incendie du 27 octobre 2012 ;

- elle peut se prévaloir du contrat de sous-traitance conclu entre la société GFC Bâtiment et la société Inéo ;

- elle a exposé des honoraires d'avocat à hauteur de 26 000 euros en référé et de 10 000 euros au titre de la procédure au fond ;

- l'appel incident de la société Inéo est irrecevable, car il porte sur des chefs de préjudice distincts ;

- les moyens soulevés par la société Inéo sont infondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 avril et le 13 juillet 2021, la société Bureau Véritas Construction représentée par la SELARL GVB, demande à la cour :

1°) de prononcer sa mise hors de cause ;

2°) de rejeter les conclusions de la société Inéo dirigées à son encontre ;

3°) de mettre les dépens à la charge de la société AAA, ainsi que la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;

- les conclusions de la société Inéo dirigées contre la condamnation au profit de la société XL Insurance Company SE sont irrecevables pour les raisons exposées par la mesure d'information effectuée sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2021, la société TPF Ingénierie, représentée par Me Manfredi, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Inéo ;

2°) de condamner la société Bouygues Bâtiment Sud-Est à la garantir de sa condamnation ;

3°) de mettre les dépens à la charge de toute partie perdante, ainsi que la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de distraire ces sommes au profit de Me Manfredi.

Elle soutient que :

- elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la société Bouygues Bâtiment Sud-Est aurait dû être condamnée à garantir la société Inéo de sa condamnation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mai, 16 et 22 septembre 2021, la société Inéo, représentée par Me Michel, demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions dirigées à son encontre ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les conclusions des sociétés AAA et XL Insurance Company SE dirigées à son encontre ;

3°) de réformer le jugement attaqué et de condamner les sociétés Bureau Véritas Construction, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects, Didier Rogeon architecte, Etudes et Conseil Bâtiment Industrie (ECBI) et la SOLEAM à la garantir de la totalité des condamnations dirigées à son encontre ;

4°) de condamner solidairement les sociétés AAA, XL Insurance Company, SE Bureau Véritas Construction, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects, Didier Rogeon architecte, ECBI et la SOLEAM à lui verser la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'absence de communication du mémoire présenté par les sociétés Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects méconnaît le principe du contradictoire ;

- l'incendie ne lui est pas imputable ;

- la matérialité des dommages immatériels n'est pas établie ;

- le préjudice lié au remplacement des armoires électriques n'est pas établi, car il était possible de procéder à leur décontamination ;

- l'incendie est imputable aux fautes commises par les membres du groupement de conception-réalisation, le contrôleur technique et le maître d'ouvrage délégué ;

- l'absence de couverture du puits d'accès au local électrique revêt le caractère d'un cas de force majeure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2021, les sociétés Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects, représentées par CLL avocats, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société AAA ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par la société AAA sont infondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 22 octobre 2021 par une ordonnance du 24 septembre 2021.

Des mémoires ont été enregistrés pour la société TPF Ingénierie le 29 octobre 2021, pour la société AAA le 2 novembre 2021 et pour la SOLEAM le 15 décembre 2021.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tiré de l'irrecevabilité pour tardiveté de l'ensemble des conclusions d'appel portant sur l'article 2 du jugement attaqué et des appels en garantie subséquents à l'article 3, et des conclusions de la société TPF Ingénierie contre la société Bouygues Bâtiment Sud-Est comme nouvelles en appel.

Un mémoire a été enregistré le 23 juillet 2021 en réponse à cette mesure d'information pour la société Inéo.

Les parties ont été informées de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un nouveau moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il a été omis de se prononcer d'office sur la charge des frais d'expertise.

Deux mémoires ont été enregistrés le 7 janvier 2022 en réponse à cette mesure d'information pour la société Inéo et la société TPF Ingénierie.

II.- Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2020 sous le numéro 20MA04806, et deux mémoires, enregistrés les 12 août et 21 octobre 2021, les sociétés Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects, représentées par CLL avocats, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il les a condamnées à garantir la société Inéo des condamnations prononcées à son encontre ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le tribunal a commis une irrégularité en s'abstenant de communiquer leur mémoire enregistré le 9 octobre 2020, et de statuer sur les conclusions de ce dernier ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé concernant le partage de responsabilité entre les sociétés appelées en garantie ;

- l'incendie n'est pas imputable à un défaut de conception ;

- la société Bouygues Bâtiment Sud-Est aurait dû être condamnée à garantir la société Inéo de sa condamnation.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 avril et le 13 juillet 2021, la société Bureau Véritas Construction représentée par la SELARL GVB, demande à la cour :

1°) de prononcer sa mise hors de cause ;

2°) de rejeter les conclusions de la société Inéo dirigées à son encontre ;

3°) de mettre les dépens à la charge des sociétés Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects, ainsi que la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle reprend les moyens soulevés dans l'instance n° 20MA04804.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 avril et 17 septembre 2021, la société TPF Ingénierie, représentée par Me Manfredi, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Inéo ;

2°) de condamner la société Bouygues Bâtiment Sud-Est à la garantir de sa condamnation ;

3°) de mettre les dépens à la charge de toute partie perdante, ainsi que la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de distraire ces sommes au profit de Me Manfredi.

Elle reprend les moyens soulevés dans l'instance n° 20MA04804.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mai, 16 et 22 septembre 2021, la société Inéo, représentée par Me Michel, demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions dirigées à son encontre ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les conclusions des sociétés AAA et XL Insurance Company SE dirigées à son encontre ;

3°) de réformer le jugement attaqué et de condamner les sociétés Bureau Véritas Construction, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects, Didier Rogeon architecte, ECBI et la SOLEAM à la garantir de la totalité des condamnations dirigées à son encontre ;

4°) de condamner solidairement les sociétés AAA, XL Insurance Company, SE Bureau Véritas Construction, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects, Didier Rogeon architecte, ECBI et la SOLEAM à lui verser la somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle reprend les moyens soulevés dans l'instance n° 20MA04804.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2021, la SOLEAM, représentée par Me Guillet, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué ;

2°) de mettre à la charge de toute partie perdante la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Mérenne,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- les observations de Me Aze, représentant la société AAA et la société XL Insurance Company SE, de Me Roussarie, représentant la société Didier Rogeon architecte et la société Scott Tallon Walker architects, de Me Marchant, représentant la société Inéo Provence et Côte d'Azur, de Me Manfredi, représentant la société TPF Ingéniérie, et de Me Vallet, représentant la société Bureau Véritas Construction.

Des notes en délibéré ont été enregistrées le 12 janvier 2022 pour la société Didier Rogeon architecte et la société Scott Tallon Walker architects, le 13 janvier 2022 pour la société Inéo Provence et Côte d'Azur, le 14 janvier 2022 pour les sociétés AAA et XL Insurance Company SE et le 19 janvier 2022 pour la société TPF Ingénierie.

Considérant ce qui suit :

1. L'université Aix-Marseille a décidé en 2010 la construction d'un centre européen de recherche en imagerie médicale (Cerimed) sur le site universitaire de la Timone, à Marseille. Elle a délégué la maîtrise d'ouvrage à un groupement constitué par la société Études et Conseil Bâtiment Industrie (ECBI) et par la société Marseille aménagement, devenue la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (SOLEAM). Par un acte d'engagement du 8 octobre 2010, celles-ci ont confié la conception et la réalisation du projet à un groupement formé par la société GFC Construction, devenue la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la société Beterem Ingénierie, devenue la société TPF Ingéniérie, la société Didier Rogeon architecte et la société Scott Tallon Walker architects (les sociétés d'architecture). Le contrôle technique de l'opération a par ailleurs été confié à la société Bureau Véritas Construction. La société GFC Construction a sous-traité les lots nos 12, 13 et 14 de ce marché, relatifs aux travaux d'électricité, à la société Inéo Provence et Côte d'Azur (Inéo).

2. Parallèlement, l'université a conclu le 25 juin 2009 avec la société Advanced Accelerator Applications (AAA), dont l'assureur est la société XL Insurance Company SE, une convention autorisant cette société à occuper des locaux au sein du bâtiment, moyennant le paiement d'une redevance, afin de lui permettre de développer une unité de production d'isotopes à des fins commerciales et de participer aux recherches en partenariat avec le Cerimed. Cette convention autorisait la société à occuper les locaux par anticipation avant la fin des travaux pour installer certains équipements.

3. Un incendie s'est déclaré le 27 octobre 2012 en cours de chantier dans l'armoire générale basse tension, alors que la société Inéo intervenait pour la raccorder à la distribution électrique définitive. Par une ordonnance du 13 février 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a diligenté une expertise. L'expert a remis son rapport le 23 juillet 2014.

4. Par un jugement du 30 octobre 2020, le tribunal administratif de Marseille, à l'article 1er, a condamné la société Inéo à verser la somme de 20 992 euros à la société AAA, à l'article 2, a condamné la même société à verser la somme de 430 215 euros à la société XL Insurance Company SE, et, à l'article 3, a condamné les sociétés TPF Ingénierie, Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects à garantir chacune la société Inéo à hauteur de 10 % de ces deux condamnations.

5. Les requêtes de la société AAA et des sociétés d'architecture sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

6. D'une part, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

7. Par une ordonnance du 9 novembre 2018, le magistrat chargé de l'instruction de l'affaire a fixé la date de clôture de l'instruction devant le tribunal administratif au 31 décembre 2018. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le tribunal pouvait régulièrement ne pas communiquer, et viser sans analyser, le mémoire en défense des sociétés d'architecture enregistré le 9 octobre 2020, qui n'exposait aucune circonstance dont elles n'auraient pu être faire état avant la clôture de l'instruction.

8. D'autre part, le tribunal administratif, en l'absence de mémoire produit avant la clôture d'instruction par les parties concernées, a suffisamment motivé la condamnation en garantie des sociétés d'architecture au point 9 du jugement attaqué. Il n'avait pas à se référer spécifiquement à une convention de groupement qui n'était ni invoquée, ni produite devant lui.

Sur la responsabilité de la société Inéo :

9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que l'incendie du 27 octobre 2012 trouve son origine dans la pénétration d'une quantité importante d'eau consécutive aux évènements pluvieux intervenus à cette période dans le poste haute tension/basse tension du bâtiment en construction. En dépit d'un local électrique inondé, les techniciens de la société Inéo ont poursuivi leurs travaux afin de respecter le planning du chantier. Les câbles humides ont été placés sur les chemins de câbles surplombant les armoires électriques, entraînant des écoulements sur les équipements électriques mis en place par la société AAA. Le déplacement des câbles et la mise sous tension de l'installation électrique dans un environnement saturé d'humidité constituent des fautes de la part de la société Inéo, entreprise spécialisée dans la réalisation d'installations électriques, qui ne pouvait ignorer les risques et les précautions à prendre dans une telle situation.

10. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la société AAA n'était pas l'usager d'un ouvrage public dont elle aurait pu invoquer le défaut d'entretien normal, mais un occupant du domaine public victime d'un dommage imputable à l'exécution de travaux publics. Si ces travaux ont été réalisés dans l'intérêt du domaine occupé et ont constitué une opération d'aménagement conforme à sa destination, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'ils n'ont pas été effectués dans des conditions normales. Dès lors, ils ouvraient droit à réparation des dommages subis par la société AAA en cette qualité.

11. Il résulte de l'instruction que les dommages subis par la société AAA sont directement imputables aux agissements des préposés de la société Inéo, qui ont déclenché l'incendie dans les conditions décrites au point 9, et non à une cause extérieure. Sa responsabilité est donc engagée.

12. Enfin, l'absence de couverture du puits d'accès au local électrique ne faisait pas obstacle à ce que la société Inéo s'abstienne de commettre les fautes mentionnées au point 9. Elle ne constitue pas un cas de force majeure de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Sur les préjudices matériels :

13. Si la société Inéo fait valoir que la société AAA aurait pu conserver les armoires électriques après désenfumage, cette solution n'aurait pas replacé la société AAA dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, dès lors que son fournisseur l'aurait exclue de sa garantie et de son contrat de service standard. Le tribunal administratif a en conséquence retenu à bon droit la somme de 15 000 euros au titre des frais de remplacement des armoires électriques directement supportés par la société AAA.

14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'appel incident de la société Inéo dans l'instance n° 20MA04804 doit être rejeté.

Sur les préjudices résultant du retard de livraison du bâtiment :

15. La convention d'occupation conclue entre le maître d'ouvrage et la société AAA prévoyait que la mise à la disposition des locaux interviendrait à la date de réception définitive du bâtiment. L'incendie a entraîné un retard de chantier, reportant la date de réception définitive, et, par suite, la date de mise à disposition des locaux. Les préjudices qui en résultent pour la société AAA sont en lien direct avec le dommage mentionné aux points 9 et 10, dont la société Inéo est responsable ainsi qu'il a été dit au point 11. Ils sont donc indemnisables indépendamment des obligations contractuelles de la société Inéo envers son entreprise principale. C'est par suite à tort que le tribunal administratif a écarté l'indemnisation de ces préjudices, au motif que celle-ci n'était pas liée par un contrat avec la société AAA.

16. L'expert et son sapiteur ont considéré que l'incendie avait retardé l'ouverture de l'exploitation du site de la société AAA dans les locaux du Cerimed du 1er mars 2013 au 30 avril 2014, soit quatorze mois. La société Inéo n'établit pas que ce retard serait imputable à d'autres causes que l'incendie. En outre, les préjudices qui résultent de ce retard se sont définitivement constitués au cours de cette période, indépendamment de la durée de la convention d'occupation conclue avec l'université Aix-Marseille et du report corrélatif de sa date d'expiration.

17. Le sapiteur a retenu que l'impossibilité pour la société AAA de produire sur son nouveau site de Marseille avait provoqué des coûts additionnels de transport et de production, s'élevant respectivement à 900 978,20 euros et 383 639,48 euros, en raison des contraintes spécifiques liées aux produits de cette société. Il a également retenu un surcoût de 236 242 euros, résultant de l'embauche de personnel avant le sinistre pour assurer l'aménagement des locaux et la mise en service. Ce personnel n'a pu être affecté à la production. Les défendeurs ne sont fondés ni à soutenir que de tels préjudices ne pourraient être établis que par des factures, ni qu'il conviendrait de réitérer l'ensemble des opérations d'expertise relatives à l'évaluation des préjudices dans le cadre de la présente instance. Ces préjudices sont établis dans leur principe et leur montant par le rapport du sapiteur, dont les conclusions ne sont pas utilement remises en cause.

18. Le sapiteur a retenu des frais de déplacement du personnel et de stockage des matériels s'élevant respectivement à 19 252 euros et 3 000 euros, qui ne sont pas contestés.

19. L'absence d'exploitation du site de la société AAA dans les locaux du Cerimed a entraîné un manque à gagner. Le sapiteur a retenu une perte de chance sérieuse de réaliser un bénéfice à partir d'une activité nouvelle développée sur le site du Cerimed, qu'il a évaluée à la somme de 128 160 euros. Cette évaluation n'est une nouvelle fois pas utilement remise en cause. Il y a lieu de retenir cette somme.

20. Le sapiteur a retenu des frais financiers à hauteur de 39 616 euros, correspondant aux intérêts des prêts souscrits par la société AAA pour l'acquisition de matériels qui n'ont pu être mis en exploitation à la date initialement prévue. Ces frais auraient été exposés en tout état cause. Ils ne l'ont pas été en pure perte, dès lors qu'ils ont permis l'acquisition des matériels en question. A supposer qu'ils représentent le coût d'immobilisation du matériel, ils entraîneraient l'indemnisation du même préjudice que celui examiné au point précédent. L'indemnisation de ces frais doit donc être écartée.

21. Il suit de là que la société AAA est seulement fondée à demander à ce que la somme mise à la charge de la société Inéo soit portée à 1 686 271,68 euros.

Sur les appels en garantie de la société Inéo dirigés contre les membres du groupement de conception-réalisation :

22. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les dommages, provoqués par l'intrusion des eaux dans le local électrique, sont également dus à l'absence de couverture du puits d'accès de ce local. L'auvent de l'abri vélos surplombant ce puits d'accès, initialement prévu, n'avait pas été réalisé à la date du sinistre. Quoi qu'il en soit, il ne pouvait assurer l'étanchéité du local en cas de fortes précipitations accompagnées de vent. Cette circonstance constitue une faute dans la conception, la direction et la coordination des travaux.

23. Les dommages résultent également de la planification de l'intervention d'une entreprise sous-traitante dans des conditions inappropriées, présentées au point 9, et de l'absence de raccordement des pompes de relevage du local. Ces circonstances constituent des fautes dans la direction et la coordination des travaux.

24. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les dommages subis par la société Inéo soient imputables à l'insuffisance du dispositif de désenfumage.

25. Le groupement de conception-réalisation a le caractère d'un groupement conjoint, avec mandataire solidaire. Toutefois, l'acte d'engagement conclu le 8 octobre 2010 avec le maître d'ouvrage ne comporte pas la répartition détaillée des prestations à exécuter par chacun des membres du groupement, mais indique le montant total du marché, pour un prix global et forfaitaire, ainsi que les prestations qu'ils s'engageaient en commun à réaliser. Ainsi, chaque membre du groupement était tenu envers le maître d'ouvrage de l'exécution de l'ensemble des prestations contractuelles. Les fautes mentionnées aux points 22 et 23 sont donc imputables à l'ensemble des membres du groupement.

26. Les appelées en garantie invoquent la répartition des missions résultant de la convention conclue entre les membres du groupement de conception-réalisation. Toutefois, cette convention n'est pas opposable à la société Inéo, qui est tierce à ce contrat.

27. Les manquements de la société Inéo aux obligations contractuelles résultant du contrat de sous-traitance qu'elle a conclu avec la société GFC construction n'ont, en l'espèce, pas d'autre portée que celle des fautes extracontractuelles qualifiées au point 9. En dehors de cette question, les appelées en garantie ne peuvent utilement invoquer les stipulations de ce contrat, auquel elles ne sont pas parties. Par ailleurs, la responsabilité de la société Inéo du fait des fautes qu'elle a commises ne les exonère pas de la responsabilité qui leur incombe à raison de leurs propres fautes. Elle n'a d'incidence que sur le partage de responsabilité.

28. Par suite, il convient, en premier lieu, de rejeter l'appel principal des sociétés d'architecture dans l'instance n° 20MA04806, en deuxième lieu, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a condamné les sociétés d'architecture et la société TPF Ingénierie à garantir chacune la société Inéo à hauteur de 10 % de sa condamnation, et, en troisième lieu, statuant par la voie de l'effet dévolutif sur les appels en garantie initialement présentés par la société Inéo devant le tribunal administratif, de condamner in solidum les membres du groupement de conception-réalisation visés par les conclusions de la société Inéo à la garantir, compte tenu de la gravité des fautes respectivement commises, à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée au profit de la société AAA, sans préjudice d'éventuelles actions en garantie devant le juge judiciaire.

29. Enfin, les sociétés d'architecture et la société TPF Ingénierie ne sont pas fondées à soutenir que le tribunal administratif aurait dû condamner la société Bouygues Bâtiment Sud-Est à garantir la société Inéo d'une partie de sa condamnation, dès lors qu'il n'était saisi d'aucune conclusion de la société Inéo en ce sens. Le litige entre une entreprise et son sous-traitant, liés par un contrat de droit privé, relève d'ailleurs du juge judiciaire.

Sur les autres appels en garantie de la société Inéo :

30. D'une part, le dommage n'est ni imputable au calendrier des études de projet, ni à l'organisation de réunions de chantier hebdomadaires. Le tribunal administratif a rejeté à bon droit les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société ECBI et la SOLEAM, membres du groupement de maîtrise d'ouvrage délégué.

31. D'autre part, la mission du contrôleur technique ne portait pas sur la sécurité incendie au cours des opérations de chantier. Le tribunal administratif a également rejeté à bon droit les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Bureau Véritas Construction.

Sur les autres conclusions :

32. Les conclusions subsidiaires de la société AAA tendant à la condamnation solidaire des sociétés Bouygues Bâtiment Sud-Est, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte, présentées après l'expiration du délai d'appel, présentent le caractère d'un appel provoqué par l'appel incident de la société Inéo. Cet appel incident étant rejeté, ces conclusions ne sont pas recevables.

33. Les conclusions des sociétés Inéo et TPF Ingénierie tendant à remettre en cause la condamnation prononcée au profit de la société XL Insurance Company SE par l'article 2 du jugement attaqué, et des condamnations en garantie subséquentes à l'article 3, soulèvent un litige distinct de celui initié par la société AAA dans l'instance n° 20MA04804, qui concerne le montant de la condamnation prononcée au profit de cette société à l'article 1er du jugement attaqué. Présentées après l'expiration du délai d'appel, elles sont tardives et donc irrecevables. Les mêmes conclusions, présentées par la voie de l'appel provoqué dans l'instance n° 20MA04806, sont également irrecevables, dès lors que l'appel principal des sociétés d'architecture est rejeté.

34. L'appel en garantie présenté par la société TPF Ingénierie contre la société Bouygues Bâtiment Sud-Est est irrecevable comme nouveau en appel.

Sur la charge des frais d'expertise :

35. Le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais de l'expertise diligentée par l'ordonnance n° 1208452 du 13 février 2013 du juge des référés du même tribunal, qui sont compris dans les dépens de l'instance principale. Quelles qu'aient été les conclusions relatives aux dépens présentées devant lui, il a, ce faisant, méconnu la règle applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel. Par suite, il y a lieu d'annuler également dans cette mesure le jugement attaqué et d'évoquer sur ce point pour statuer sur la charge des frais d'expertise.

36. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de la société Inéo à hauteur de 65 % et à la charge solidaire des sociétés d'architecture et de la société TPF Ingénierie à hauteur de 35 %.

Sur les frais non compris dans les dépens :

37. Les frais d'avocat relatifs aux opérations d'expertise et à la procédure devant le tribunal administratif n'ont pas été exposés dans le cadre de la présente instance. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Inéo, tenue aux dépens, le versement de la somme de 3 000 euros à la société AAA au titre des frais qu'elle a exposés en appel. Cette créance, née du présent arrêt, ne peut ouvrir droit au paiement d'intérêts moratoires à compter d'une date antérieure.

38. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les autres parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 20 992 euros que la société Inéo Provence et Côte d'Azur a été condamnée à verser à la société Advanced Accelerator Applications à l'article 1er du jugement du 30 octobre 2020 du tribunal administratif de Marseille est portée à 1 686 271,68 euros, et le jugement est réformé sur ce point.

Article 2 : L'article 3 du jugement du 30 octobre 2020 est annulé en tant qu'il porte sur la condamnation prononcée à l'article 1er du même jugement.

Article 3 : les sociétés TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte sont solidairement condamnées à garantir la société Inéo Provence et Côte d'Azur à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à l'article 1er du jugement du 30 octobre 2020, tel que modifié par l'article 1er du présent arrêt.

Article 4 : Le jugement du 30 octobre 2020 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les frais d'expertise.

Article 5 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de la société Inéo Provence et Côte d'Azur à hauteur de 65 % et à la charge solidaire des sociétés TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte à hauteur de 35 %.

Article 6 : La société Inéo Provence et Côte d'Azur versera à la société Advanced Accelerator Applications la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Advanced Accelerator Applications, XL Insurance Company SE, Inéo Provence et Côte d'Azur, TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects, Didier Rogeon architecte, Bureau Véritas construction, Etudes et Conseil Bâtiment Industrie, et à la Société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2022.

2

Nos 20MA04804 - 20MA04806


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04804
Date de la décision : 09/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : ATORI AVOCATS;ATORI AVOCATS;CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-02-09;20ma04804 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award