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31/01/2022 | FRANCE | N°19MA00571

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 31 janvier 2022, 19MA00571


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement la SARL Rivasi BTP, le cabinet Merlin et la SAS Alfa Laval à lui verser la somme de 1 849 548,04 euros au titre de la garantie décennale liée aux travaux de construction d'une station d'épuration à Saint-Didier, de condamner la SAS Suez eau France, au titre de sa responsabilité contractuelle, dans les proportions fixées par l'expert ; subsidiairement, de condamner, à hauteur de

la somme totale de 1 849 548,04 euros et selon un partage de responsabili...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement la SARL Rivasi BTP, le cabinet Merlin et la SAS Alfa Laval à lui verser la somme de 1 849 548,04 euros au titre de la garantie décennale liée aux travaux de construction d'une station d'épuration à Saint-Didier, de condamner la SAS Suez eau France, au titre de sa responsabilité contractuelle, dans les proportions fixées par l'expert ; subsidiairement, de condamner, à hauteur de la somme totale de 1 849 548,04 euros et selon un partage de responsabilité à définir, la SARL Rivasi BTP au titre de la garantie de parfait achèvement, et le Cabinet Merlin et la SAS Suez eau France au titre de leur responsabilité contractuelle ; d'assortir les condamnations des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ; de mettre à la charge des défenderesses une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1601744 du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a condamné la SAS Suez eau France à verser au syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux la somme de 37 548 euros toutes taxes comprises, portant intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016, avec capitalisation, condamné le Cabinet Merlin à verser audit syndicat la somme de 1 266 945,25 euros toutes taxes comprises, portant intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016, avec capitalisation, mis à la charge définitive du Cabinet Merlin les frais des constats et expertises d'un montant total de 67 290,78 euros toutes taxes comprises, et condamné le Cabinet Merlin à verser audit syndicat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 6 février 2019 et 27 novembre 2020, la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin, représentée par la SCP d'avocats Balon, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) subsidiairement, pour le cas où une part de responsabilité serait retenue à son encontre :

- de limiter les condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle aux sommes validées par l'expert judiciaire dans son rapport, pour un montant total de 198 072 euros toutes taxes comprises ;

- de faire droit à ses appels en garantie dirigés à l'encontre des sociétés Rivasi, SDEI, devenue Lyonnaise des eaux, ainsi que d'Idem et d'Alpha Laval ;

3°) en tout état de cause, de condamner tout succombant à lui payer une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres affectant une activité de process épuratoire, la garantie décennale ne s'applique pas puisque les désordres affectant ce process compromettent l'activité de l'exploitant mais ne privent pas l'ouvrage de sa fonction, le remplacement des éléments litigieux ne supposant pas la démolition et la reconstruction des ouvrages de gros œuvre notamment, conformément à l'article 1792-2 du code civil ;

- elle n'avait qu'une mission de maîtrise d'œuvre classique conforme à l'article 24 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 modifiée relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée (loi MOP) ; elle devait, à ce titre, le suivi d'exécution des ouvrages ; la partie process épuratoire de la station avait été confiée au BET Loïra, dont la mission couvrait à la fois la conception et l'exécution des travaux ; le Cabinet Merlin n'étant donc pas concepteur du process épuratoire, sa responsabilité ne saurait être engagée à raison des désordres relevés dans le cadre du second rapport d'expertise, à savoir ceux affectant les performances de filtration des membranes et leur système de nettoyage ;

- d'après les conclusions de l'expert judiciaire, les désordres affectant le process épuratoire de la station de Saint Didier trouvent leur origine dans les désordres affectant les performances de filtration des membranes composant les modules de filtration membranaires, dont le rôle est de clarifier les eaux traitées selon le procédé de boues activées, ces désordres se caractérisant par l'inefficacité du système de nettoyage des membranes, appelé CIP, pour clean in place ; l'expert judiciaire retient d'ailleurs, à titre principal, la responsabilité du fabricant des membranes, la société Alpha Laval ;

- la mise hors de cause de la Lyonnaise des Eaux (anciennement SDEI) est injustifiée, le tribunal ayant éludé le fait, indiscutable, qu'elle avait eu une mission d'achèvement des travaux de process après la déconfiture de Loïra ; car sont intervenus pour la conception et l'exécution du lot " process épuratoire " la société Rivasi, en qualité d'entreprise générale, le BET Loïra, en charge des études de conception et de réalisation de la partie process épuratoire, co-traitant solidaire de la société Rivasi ; le BET Loïra étant tombé en liquidation en cours d'exécution du marché, la société Rivasi a repris l'exécution des prestations relevant du lot process épuratoire initialement dévolue à la société Loïra, le suivi des prestations qui lui avaient été confiées ayant été assuré par la société SDEI, devenue Lyonnaise des Eaux qui était également exploitant de la station ;

- la responsabilité de la société Rivasi est engagée car elle a repris l'exécution des prestations relevant du lot process épuratoire initialement dévolue à la société Loïra ;

- la responsabilité de la société Alpha Laval est engagée ; elle se présente elle-même comme sous-traitant ; c'est donc à tort que le tribunal administratif lui a conféré un simple rôle de fournisseur ; l'expert judiciaire a relevé qu'elle n'est pas un simple fournisseur mais qu'elle a participé à la conception de ce qui constitue le cœur même du process épuratoire ;

- subsidiairement, pour le cas où sa responsabilité devait être retenue, celle-ci sera limitée aux postes pour lesquels l'expert judiciaire croit pouvoir retenir sa responsabilité et la Cour rejettera toute demande de condamnation solidaire ou in solidum à payer le syndicat au-delà d'une somme de 198 072 euros hors taxes ; et il sera entièrement relevé et garanti de l'ensemble des sommes mises à sa charge par la société Rivasi, entreprise générale, et co-traitante solidaire du BET Loïra dont la disparition est à l'origine de la désorganisation du chantier, la Lyonnaise des Eaux, venant aux droits de la société SDEI, en charge du suivi d'exécution du lot process épuratoire à la disparition du BET Loïra, dans le cadre d'un contrat de sous-traitance conclu avec la société Rivasi, devenue son donneur d'ordre, et la société Alpha Laval, fabricant dont la responsabilité a été retenue par l'expert judiciaire dans le cadre de ses deux rapports.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 mars 2019 et 7 décembre 2020, la SARL IDEM, représentée par Me Allio, conclut au rejet de toutes demandes formulées à son encontre et à la mise à la charge du Cabinet Merlin et de tout succombant d'une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle était sous-traitante du groupement solidaire d'entrepreneurs constitué par les sociétés Loïra et Rivasi pour le montage des équipements ;

- sa condamnation ne saurait être prononcée au titre de l'appel en garantie que fait contre elle le Cabinet Merlin, aucune faute ne lui étant imputable ; les désordres sont imputables à des défauts dans la conception qui sont totalement étrangers à la responsabilité de la concluante qui n'a pas pris part à la conception de l'ouvrage ;

- la Cour ne pourra que confirmer sa mise hors de cause, aucune responsabilité ne lui étant imputable.

Par un mémoire, enregistré le 22 mai 2019, la société Areas Dommages, représentée par Me Tertian, conclut à l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de tout appel en garantie à son encontre, en sa qualité d'assureur de la responsabilité de la société Idem, et de mettre à la charge du Cabinet Merlin une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le contrat d'assurance qui la lie à son assuré est un contrat de droit privé ;

- l'action directe engagée contre l'assureur ne poursuit que l'exécution d'une obligation de droit privé et relève donc par principe de la compétence des juridictions judiciaires.

Par mémoires d'appel incident et d'intimé enregistrés les 10 avril 2019 et 15 décembre 2020, la SAS Alpha Laval, représentée par Me Grenier, conclut au rejet des conclusions d'appel en garantie formulées à son encontre par le Cabinet Merlin, ainsi que de toutes conclusions formulées par quiconque à son encontre, et demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux ou tout succombant soit condamné à lui payer la somme de 48 798,76 euros ;

2°) de condamner le Cabinet Merlin ou toute partie succombante à lui payer la somme de 48 798,76 euros au titre des frais techniques qu'elle a engagés dans le cadre de la remise en service de la station ;

3°) de condamner toutes parties succombantes à la garantir des condamnations éventuellement mises à sa charge et à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions du Cabinet Merlin à son égard sont irrecevables comme constituant des demandes nouvelles en appel ;

- elle n'a commis aucune faute au regard de la fabrication et la mise en service des membranes ;

- elle ne peut être tenue responsable de la non-conformité et/ou du mauvais fonctionnement des équipements qu'elle ne fabrique pas ;

- le fonctionnement technique des membranes et leur mise en service ne sont pas remis en cause par l'expert judiciaire qui retient que c'est l'accumulation de boues entre les plaques des modules, qui les colmate et empêche la filtration membranaire ;

- l'expert considère que le colmatage des membranes a pour origine le type de tamis posé initialement sur la station d'épuration ;

- elle n'est pas co-concepteur de la station ; elle n'est pas le concepteur du circuit CIP ; les préconisations données par Alfa Laval sont des recommandations de base qu'il convient d'adapter au cas par cas en fonction de la perte de charge qui doit être calculée par le concepteur de la station ; elle n'est associée ni à la conception de la station en général, ni à la conception de la partie membranaire de cet ouvrage puisque ses modules sont intégrés dans un système complet (BRM - Bioréacteur à membrane) composé de divers périphériques tels que des vannes, des surpresseurs, des tuyauteries, des câblages électriques qui ne sont pas compris dans la prestation d'Alfa Laval mais dans celle du concepteur de la station, lequel n'est pas Alfa Laval ; il n'existe aucun accord de groupement entre Loïra et Alfa Laval qui pourrait justifier ce partenariat ; le lien juridique qui unit Loïra et Alfa Laval est un contrat de sous-traitance ; le lien juridique qui unit Loïra et Alfa Laval est un contrat de fourniture ;

- aucune responsabilité ne peut lui être imputée du fait du fonctionnement du tamis, le tamis étant hors champ de ses prestations ;

- l'emplacement des aérateurs ne peut être assimilé à un fonctionnement incorrect ;

- son intervention s'est limitée à fournir les sept modules membranaires permettant la séparation de l'eau traitée des boues biologiques qui sont des produits standards et n'ont pas été spécifiquement conçus pour la station en litige, ses concurrents en proposant également au demeurant ; sa prestation ne comprenait notamment pas le montage sur site ; ses modules ont été intégrés au bioréacteur à membrane conçu par la SAS Loïra, sans qu'elle soit associée à cette conception ; elle n'est pas constructeur au sens de l'article 1792-4 du code civil et sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre, l'équipement qu'elle a fourni n'étant pas un EPERS ;

- le Cabinet Merlin ne démontre aucunement la faute commise par elle dans la fabrication et la fourniture des membranes qui serait de nature à engager sa responsabilité ;

- l'expert a fait preuve de partialité pour avoir exercé, entre 2000 et 2017, des fonctions de chef d'agence puis de directeur des achats au sein du groupe Saur dont l'activité porte sur des ouvrages de captage, de traitement et de distribution d'eau ; la société Stereau est la filiale ingénierie du groupe Saur, en charge de la conception et de la construction de stations d'épuration ; pour le traitement des eaux usées dans ces stations, la société Stereau a notamment recours à des membranes plaques immergées, fabriquées et fournies par un concurrent direct d'Alfa Laval, la société Kubota, avec laquelle la société Stereau bénéficie d'un contrat d'exclusivité ;

- elle a exposé des coûts à l'occasion des nombreuses réunions induites par les difficultés rencontrées, ainsi que des coûts liés à la mise en service des produits fournis en mai et juillet 2014.

Par mémoire d'intimé, enregistré le 30 avril 2019, la SAS Suez Eau France, anciennement dénommée SDEI (Lyonnaise des Eaux), représentée par Me Penso, conclut au rejet des conclusions formulées contre elle et à ce que soit mise à la charge de tout succombant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a contracté avec le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux un contrat d'affermage, le 8 mars 2005, en vertu duquel elle est devenue délégataire du service public de l'assainissement de la région Rhône-Ventoux ; sous-traitant de la société Rivasi, elle a assuré la vidange et le nettoyage des bassins et la vidange et l'enlèvement du géotube ; ses missions étaient les suivantes : membranes cleaning in place " Changer les canalisations qui sont inversées " " Douche sécurité à fournir et à poser ", Désodorisation - écrêtage " Remplacement du charbon actif ", Electricité / Automatisme " Détection incendie à mettre en service " " Mise en service alarme anti-intrusion " " Repérage des câbles et étiquettes " ; elle est également l'exploitant de la station d'épuration de Saint Didier ;

- contrairement à ce que prétend le Cabinet Merlin dans son mémoire d'appelant, elle n'a jamais revêtu la qualité de constructeur et ne saurait voir sa responsabilité recherchée sur le fondement de la responsabilité décennale ;

- l'expert a conclu à la responsabilité prépondérante des sociétés Alfa Laval, Loïra et Cabinet Merlin.

Par des mémoires d'appel incident enregistrés les 18 juillet 2019 et 14 décembre 2020, le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, représenté par Me Laridan, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement dont appel :

- en tant qu'il a laissé à la charge du syndicat 40 % des frais engagés pour le second changement des modules ;

- en tant qu'il a rejeté la demande de remboursement de la somme de 103 974 euros hors taxes au titre de la modification du CIP ;

- en tant qu'il a limité la condamnation du Cabinet Merlin à la somme de 1 266 945,25 euros toutes taxes comprises ;

2°) de condamner le Cabinet Merlin à lui verser la somme de 1 521 890,57 euros hors taxes, soit 1 826 268,68 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016 de droit et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du Cabinet Merlin la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a considéré que le second changement des modules - avant changement des tamis - aurait résulté d'un défaut de conseil du fournisseur des membranes et n'est en aucun cas imputable aux constructeurs, alors qu'il est constant qu'il appartenait aussi au Cabinet Merlin d'émettre toute réserve en sa qualité de maître d'œuvre sur un changement des tamis avant tout changement des membranes, de sorte qu'il n'y avait donc pas lieu de laisser à la charge du syndicat 40 % du montant des frais engagés pour le second changement des membranes ;

- c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande de remboursement de la somme de 103 974 euros hors taxes au titre de la modification du CIP au motif que le syndicat n'avait produit qu'un devis de Suez, alors que, si au jour du dépôt du mémoire du syndicat ce dernier n'était qu'en possession d'un devis, il a adressé la facture dès qu'il l'a obtenue ;

- c'est à tort que le Cabinet Merlin soutient que la responsabilité des constructeurs ne serait pas engagée au motif que l'équipement en cause serait dissociable de l'ouvrage, ce qui n'est absolument pas le cas en l'espèce, seuls les équipements qui ne contribuent pas au fonctionnement de l'ouvrage pouvant être exclus du régime de la garantie décennale ; ce n'est évidemment pas le cas des équipements qui contribuent au fonctionnement de l'ouvrage et qui sont affectés de désordres rendant l'ouvrage impropre à sa destination ;

- c'est à tort que le Cabinet Merlin soutient que sa responsabilité de maître d'œuvre n'est pas engagée car il a bien proposé dans son offre la réalisation des études de projet pour limiter la liberté des entreprises en matière de conception.

Par des mémoires d'appel provoqué enregistrés les 10 mars et 15 décembre 2020, la société Rivasi BTP, représentée par Me Gescaud, conclut au rejet des conclusions du Cabinet Merlin, subsidiairement à la condamnation de toutes parties succombantes à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre et, en tout état de cause, à la condamnation du Cabinet Merlin et de toutes parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le Cabinet Merlin doit être regardé comme invoquant en appel des moyens nouveaux irrecevables reposant sur une cause juridique distincte de celle des moyens invoqués en première instance, dès lors qu'il ne développait alors aucun moyen à l'appui de ses conclusions d'appel en garantie ;

- elle n'était chargée que du génie civil ;

- sa responsabilité solidaire ne peut, en tout état de cause, être recherchée, car le marché qui aurait dû faire l'objet d'un allotissement en application de l'article 10 du code des marchés publics est, par conséquent, nul et ses clauses ne lui sont pas opposables ; la solidarité alléguée avec la SAS Loïra ne peut, en tout état de cause, lui être opposée dès lors qu'elle n'a pas signé l'acte d'engagement et que le maître d'ouvrage ne pouvait imposer une forme de groupement dès lors que ce n'était pas nécessaire à la bonne exécution du marché au sens des dispositions de l'article 51 du code des marchés publics, compte tenu du caractère distinct des prestations effectuées par chacune des entreprises ;

- aucune faute ne pouvant lui être reprochée, sa garantie ne peut être sollicitée par le Cabinet Merlin ;

- contrairement à ce que soutient le Cabinet Merlin, ni la concluante ni la SAS Loïra n'ont eu de mission de conception ;

- contrairement à ce que soutient le Cabinet Merlin, la concluante n'a certainement pas pu devenir " mandataire " d'un groupement devenu inexistant du fait de la liquidation judiciaire du cotraitant, pour l'exécution d'un marché résilié par le maître d'ouvrage et par ailleurs réceptionné et dont l'ouvrage est déjà confié à l'exploitant ;

- au contraire, la concluante est fondée à demander à être, le cas échéant, garantie par le Cabinet Merlin qui a failli dans sa mission de maître d'œuvre ; il est bien en effet le concepteur de la station d'épuration, ayant même entériné les propositions d'adaptations de la société Loïra ; le Cabinet Merlin a vérifié et proposé la réception définitive de l'ouvrage par le syndicat (mission AOR), le génie civil exécuté par la concluante n'étant jamais remis en cause.

Par un mémoire d'appel provoqué, enregistré le 24 avril 2020, M. D... A..., exerçant sous l'enseigne Chess'Epur, représenté par Me Vajou, conclut au rejet des conclusions qui pourraient être formulées contre lui et à la condamnation du Cabinet Merlin et de toutes parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il était chargé de la mise en service, des essais, du suivi de l'installation, de la formation du personnel et de l'assistance technique à l'exploitant jusqu'à la réception de l'ouvrage ;

- il n'a commis aucune faute.

Par ordonnance du 16 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 janvier 2021 à 12 h 00.

Par courrier du 5 janvier 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur les moyens d'ordre public relevés d'office suivants :

- l'assureur d'un constructeur dont la responsabilité en matière de travaux est recherchée par le maître de l'ouvrage n'est pas recevable à intervenir en cette qualité devant le juge administratif saisi du litige, dès lors que la décision juridictionnelle à intervenir n'est pas de nature à préjudicier à ses droits. Par suite, la société Areas Dommages est irrecevable en son intervention ;

- le Cabinet Marc Merlin, qui n'est pas maître d'ouvrage, n'a pas qualité pour demander, au titre de la garantie décennale, la condamnation solidaire des sociétés Rivasi, SDEI, devenue Lyonnaise des eaux, ainsi que d'Idem et d'Alpha Laval. Par suite, ses conclusions formulées à ce titre sont irrecevables ;

- la société Alpha Laval, fabricante des modules de filtration membranaire équipant la station d'épuration, n'étant qu'un fournisseur de matériel, elle n'a pas la qualité de constructeur. Dès lors, sa responsabilité ne pouvant être recherchée devant le juge administratif, les conclusions formulées à son encontre par le Cabinet Marc Merlin sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Le 10 janvier 2022, la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin, représentée par la SCP d'avocats Balon, a présenté un mémoire en réponse aux moyens d'ordre public relevés d'office, qui n'a pas été communiqué.

Le 12 janvier 2022, la société Areas Dommages, représentée par Me Tertian, a présenté un mémoire en réponse aux moyens d'ordre public relevés d'office, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... Taormina, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Laridan, représentant le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, de Me Gescaud, représentant la SARL Rivasi BTP, de Me Lilti, substituant Me Grenier, représentant la SAS Alfa Laval, de Me Ponzio, substituant Me Penso, représentant la SAS Suez eau France et de Me Martinez, substituant Me Tertian, représentant la société d'assurance mutuelle Areas Dommages.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a lancé, au cours de l'année 2010, une procédure de mise en concurrence pour la construction d'une nouvelle station d'épuration par filière membranaire, d'une capacité de 4 200 équivalents habitants, sur le territoire de la commune de Saint-Didier (Vaucluse). Le groupement d'entreprises formé par la SAS Loïra et la SARL Rivasi BTP s'est vu attribuer le marché, pour un montant de 2 065 927 euros hors taxes, selon acte d'engagement du 26 août 2010, le Cabinet Merlin ayant pour sa part été retenu en qualité de maître d'œuvre. Le groupement d'entreprises a conclu plusieurs marchés de sous-traitance avec l'entreprise Alfa Laval pour la fourniture et la mise en service de la centrifugeuse et des modules membranaires pour un montant de 222 870 euros hors taxes, avec l'entreprise IDEM pour le montage des équipements pour un montant de 243 200 euros hors taxes, avec l'entreprise " Chess Epur" (M. A...) pour la mise en service, les essais, le suivi de l'installation, la formation du personnel, le suivi et l'assistance technique à l'exploitant jusqu'à la réception pour un montant de 10 158 euros hors taxes, avec l'entreprise " A Vos Clims " pour les prestations électriques pour un montant de 160 000 euros hors taxes, avec l'entreprise SDEI (Lyonnaise des Eaux) dénommée dans la procédure SAS Suez Eau France, exploitante de la station par contrat de délégation de service public, pour la vidange et le nettoyage des bassins et la vidange et l'enlèvement du géotube pour un montant de 3 150 euros hors taxes.

2. L'achèvement de la construction, commencée le 1er septembre 2010, a été constaté le 19 décembre 2011 avec réserves et la mise en service de la nouvelle station est intervenue le 21 décembre 2011. Après les périodes, prévues au cahier des clauses administratives particulières, de mise au point, de mise en régime et d'observation en marche industrielle, la réception des travaux a été prononcée, avec réserves, le 12 septembre 2012, la date du 8 août 2012 étant retenue pour l'achèvement des travaux. De nombreuses difficultés sont toutefois rapidement apparues dans le fonctionnement de la station d'épuration, entraînant particulièrement, à la fin du mois d'août 2012, des débordements de boues et la pollution du cours d'eau récepteur par des eaux usées. Les essais dits " de garantie " effectués au cours du mois de juillet 2013 se sont avérés non-concluants. C'est dans ce contexte que le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a prescrit trois constats et deux expertises, par ordonnances n° 1303033 des 21 janvier 2014, 5 novembre 2014 et 5 juillet 2016. Simultanément à ces mesures, de nombreux travaux ont été entrepris sur l'ouvrage afin de tenter de remédier aux dysfonctionnements constatés. La SAS Loïra a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement du 31 mai 2012.

3. A la suite de ces désordres, le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a recherché devant le tribunal administratif de Nîmes la responsabilité in solidum de la SARL Rivasi BTP, du Cabinet Merlin et de la SAS Alfa Laval, sur le fondement de la garantie décennale, ainsi que la responsabilité contractuelle de la SAS Suez eau France, fermier de l'ouvrage ainsi que, subsidiairement, la responsabilité de la SARL Rivasi BTP au titre de la garantie de parfait achèvement, et celle du Cabinet Merlin au titre de sa responsabilité contractuelle.

4. La SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin relève appel principal du jugement rendu le 6 décembre 2018 par le tribunal administratif de Nîmes. La société Alfa Laval et le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux en relèvent appel incident.

Sur la recevabilité de l'intervention de la société Areas Dommages :

5. L'assureur d'un constructeur dont la responsabilité en matière de travaux est recherchée par le maître de l'ouvrage n'est pas recevable à intervenir en cette qualité devant le juge administratif saisi du litige, dès lors que la décision juridictionnelle à intervenir n'est pas de nature à préjudicier à ses droits. Par suite, la société Areas Dommages étant irrecevable en son intervention, c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes l'a déclarée recevable.

Sur la recevabilité de l'appel en garantie formulé par le Cabinet Marc Merlin à l'encontre de la société Alpha Laval :

6. Il ressort du contrat de fourniture passé par la SAS Loïra avec la SAS Alfa Laval, de l'offre commerciale de cette société et des autres documents commerciaux que la commande de la SAS Loïra portait sur la fourniture de " 7 skids membranes MFM 300 " correspondant à un type de module généralement commercialisé par la SAS Alfa Laval et non spécialement conçu et produit pour la station d'épuration de Saint-Didier, seul le nombre ou le modèle des modules commandés variant d'une station d'épuration à l'autre en fonction des performances attendues. Si l'expert a considéré que les désordres ayant affecté le fonctionnement de la station d'épuration trouvent leur origine dans les performances de filtration des membranes composant les modules de filtration membranaires, dont le rôle est de clarifier les eaux traitées selon le procédé de boues activées, il n'a, en revanche, pas remis en cause le fonctionnement technique des membranes, ni leur mise en service, retenant l'accumulation de boues entre les plaques des modules, qui les colmatait et qui empêchait la filtration membranaire, pour considérer que le colmatage des membranes a pour origine le type de tamis posé initialement sur la station d'épuration puisque le fonctionnement de cet équipement entraine la libération d'une grande quantité de matière calibrée à 3 mm, qui vient s'agglutiner et empêche la circulation de l'air entre les plaques. La société Alpha Laval, fabricante des modules de filtration membranaire équipant la station d'épuration, n'étant qu'un fournisseur de matériel, elle n'a pas la qualité de constructeur. Dès lors, sa responsabilité ne pouvant être recherchée devant le juge administratif, les conclusions formulées à son encontre par le Cabinet Marc Merlin sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes, s'estimant compétent pour en connaître, a statué au fond sur ces conclusions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant de l'appel principal de la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin :

En ce qui concerne la responsabilité décennale :

7. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que, sauf cas de force majeure ou faute du maître de l'ouvrage, les constructeurs sont responsables de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination dans un délai prévisible, et qui sont apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, même si ces dommages ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration de ce délai, dès lors qu'ils n'étaient ni apparents ni prévisibles lors de la réception de cet ouvrage. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement peut en être exonéré lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

8. En premier lieu, il résulte des principes inspirés des dispositions de l'article 1792-2 du code civil que seuls les équipements qui ne contribuent pas au fonctionnement de l'ouvrage peuvent être dissociés de celui-ci. En l'espèce, le bâtiment objet du marché ayant pour destination une activité d'épuration des eaux usées, il forme avec les équipements directement dédiés au filtrage des eaux un ensemble indissociable. Dès lors, lorsque les désordres affectant l'ouvrage proviennent de la défaillance de ces équipements, le maître d'ouvrage est fondé à rechercher la responsabilité in solidum de l'ensemble des constructeurs. En l'espèce, les désordres décrits par l'expert judiciaire procédant d'une capacité de filtrage très défaillante des équipements dédiés à cette fonction, rendant la station d'épuration de Saint Didier dont ils sont indissociables impropre à sa destination, le tribunal a pu à bon droit retenir la responsabilité décennale du Cabinet Merlin qui, en sa qualité non contestée de maître d'œuvre, a, vis-à-vis du syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, maître d'ouvrage, la qualité de constructeur pour l'application des principes qui régissent la garantie décennale. La circonstance qu'il n'aurait pas commis de faute dans l'exécution de sa mission n'est pas de nature à l'exonérer, en tout ou partie, de la responsabilité qu'il encourt à ce titre vis-à-vis du maître d'ouvrage. Par suite, n'est pas fondé et doit être rejeté le moyen tiré du fait qu'il n'y aurait pas lieu à application de cette garantie.

9. En second lieu, eu égard à la mission de maîtrise d'œuvre qui lui était confiée de façon complète pour la construction de la station d'épuration, équipements compris, ces désordres n'apparaissent pas comme ne lui étant en aucune manière imputables. Dès lors, le tribunal administratif de Nîmes a pu à bon droit considérer que sa responsabilité était engagée.

En ce qui concerne le montant des condamnations mises à la charge de la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin :

10. Compte tenu de son obligation in solidum avec les autres constructeurs à la dette de réparation du préjudice subi par le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, maître d'ouvrage, le tribunal administratif de Nîmes était fondé à ne pas limiter la condamnation prononcée à l'encontre du Cabinet Marc Merlin à un montant total de 198 072 euros toutes taxes comprises.

S'agissant de l'appel incident de la société Alpha Laval :

11. Si la SAS Alfa Laval fait valoir que, depuis la mise en service initiale de la station d'épuration, elle a dû effectuer de nombreuses visites sur site, participer aux réunions d'expertise, mettre en service des nouveaux modules et les inspecter, pour un total de frais exposés s'élevant selon elle à 48 798,76 euros toutes taxes comprises, dès lors qu'elle n'est pas bénéficiaire de la garantie décennale et qu'elle n'invoque aucune faute commise à son encontre par le Cabinet Merlin, le tribunal était, par suite, fondé à rejeter ses conclusions indemnitaires formulées contre celui-ci.

S'agissant de l'appel incident du syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux :

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'en raison des différents désordres présentés, le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a dû renouveler les pompes de relevage, l'armoire électrique afférente, les modules membranaires, les flexibles et opercules, les aérateurs, différentes vannes, modifier le local de nettoyage, remettre en état les automatismes, effectuer de nouveaux essais de garantie et nettoyer le milieu récepteur. Dans son rapport établi le 22 février 2018 (page 56), l'expert désigné par le tribunal a évalué les travaux ainsi effectués à la somme de 597 938,55 euros hors taxes, dont il y a lieu de déduire une somme totale de 82 170 euros hors taxes dont 50 250 euros de coût de main d'œuvre pris en charge par la SAS Suez eau France et 31 920 euros mise à la charge de celle-ci comme il a été dit au point 4 du jugement non contesté sur ce point par la SAS Suez eau France.

13. En deuxième lieu, si, après un premier changement des modules membranaires effectué en 2014, il a été nécessaire de procéder à un second changement de ces modules qui s'étaient à nouveau colmatés, il résulte du rapport de l'expertise que cette difficulté résulte en partie de la décision, prise par le maître d'ouvrage, de procéder à ce changement avant même de changer les tamis mis en place, pourtant inadaptés. Alors même que cette erreur aurait résulté d'un défaut de conseil du fournisseur des membranes, la société Alpha Laval, elle n'est en aucun cas imputable aux constructeurs. En revanche, l'expert relève que ce nouveau colmatage résulte également d'un défaut de conception du système de nettoyage initial des membranes et de l'absence de vanne de chasse sur les aérateurs, dont les constructeurs doivent être regardés comme responsables. Dans ces circonstances, le tribunal a pu à bon droit fixer à 60 % la part des frais inhérents au second changement des modules membranaires devant être retenue, soit 163 460,40 euros hors taxes. A ces frais doivent être ajoutés ceux liés au remplacement des tamis (193 280 euros + 12 200 euros), non à l'identique mais sans qu'il en résulte pour autant une plus-value, ceux liés à la modification du système de nettoyage (36 700 euros) et à la mise en place de cols de cygne sur le collecteur perméat (1 800 euros), s'élevant à la somme totale de 243 980 euros hors taxes. Doivent également être retenus, à une proportion que le tribunal était également fondé à fixer à hauteur de 60 %, soit pour un montant de 26 188,43 euros hors taxes, les frais de vérification, d'assistance et d'essais liés à ces différents travaux.

14. En troisième lieu, le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux soutient que les frais liés à la modification du système de nettoyage et à la mise en place de cols de cygne, pris en compte par l'expert à hauteur de 38 500 euros hors taxes, se sont en réalité élevés à la somme de 103 974 euros hors taxes. Il en justifie par la production d'une facture établie par la SAS Suez eau France. Dès lors, c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu cette somme au motif que n'était produit qu'un devis, alors que la facture a été produite par note en délibéré devant le tribunal. Il fournit en outre des factures du bureau Alpes Contrôles, afférentes à des prestations de coordination sécurité et protection de la santé ainsi que de contrôle technique dans le cadre du remplacement des tamis, pour un montant de 3 595 euros hors taxes que le tribunal était fondé à retenir.

15. En quatrième lieu, si le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux demandait la prise en charge d'un surcoût d'exploitation pour un total de 100 916,49 euros hors taxes, il ne fournit à cet égard aucune explication tandis que l'expert a indiqué, dans son rapport, d'une part, que l'existence d'un surcoût d'exploitation lié aux nouveaux équipements n'était pas établi, d'autre part, que les frais dont se prévalait le requérant auprès de lui s'agissant des surcoûts exposés durant les opérations d'expertise avaient déjà été pris en compte dans le montant des travaux mentionné au point 11 ci-dessus, à l'exception de frais d'élimination de plaques, de fourniture de matériels et de dépose et repose de modules dans le cadre des opérations d'expertise, pour un montant de 14 689 euros hors taxes. Le tribunal était dès lors fondé à ne retenir que ce montant.

16. Il résulte de ce qui vient d'être exposé aux points 12 à 15 qu'il y a lieu de retenir, au titre des travaux de reprises nécessaires, une somme totale de 1 370 919,25 euros toutes taxes comprises. Il y a lieu de réformer en ce sens le jugement du tribunal administratif de Nîmes.

S'agissant des appels en garantie :

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie formulées par la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin :

17. En premier lieu, concernant les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Rivasi BTP, et d'une part, en l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui s'engagent conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction s'engagent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais encore à réparer les malfaçons susceptibles de rendre l'immeuble impropre à sa destination, selon les principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu'il n'a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux.

18. En l'espèce, l'acte d'engagement du 26 août 2010 distingue le montant du marché revenant à la SAS Loïra et celui revenant à la SARL Rivasi BTP. Un avenant à cet acte, en date du 10 janvier 2012, fixe de façon précise la répartition entre les travaux de génie civil, incombant à la SARL Rivasi BTP, et les travaux d'équipements, relevant de la SAS Loïra. Cette convention, à laquelle le syndicat est partie, fixe ainsi la part qui revient à chacune des deux entreprises dans l'exécution des travaux. Dès lors, à supposer même qu'il s'agisse d'un groupement solidaire, la SARL Rivasi BTP ne saurait voir sa responsabilité engagée à raison des travaux conduits par la SAS Loïra auxquels elle n'a pas participé.

19. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du dernier rapport d'expertise, que l'ensemble des difficultés rencontrées dans le fonctionnement de la station d'épuration qui se traduit par des débordements divers sur les parcelles environnantes ou dans le milieu récepteur, la rivière La Nesque, résulte de la pose de pompes de relevage inadaptées au niveau du poste de relevage de tête, de la mise en place de tamis et bavettes de protection inadaptés au niveau des prétraitements, sans dispositif d'arrêt, de l'absence d'étanchéité des vannes d'isolement entre les compartiments membranaires et le bassin d'aération, empêchant la vidange et le lavage externe de ces compartiments, d'une insuffisante capacité de filtration due à un colmatage des membranes, lié à divers problèmes notamment sur le circuit de nettoyage de ces membranes, les flexibles, le matériau d'opercule, les aérateurs et les automatismes, et enfin, résulte d'une défaillance globale des automatismes de supervision. Aucun des travaux relatifs à l'équipement de la station d'épuration, seuls en cause, n'a été conduit par la SARL Rivasi BTP. Dès lors, le tribunal a pu à bon droit rejeter les conclusions d'appel en garantie formulées à l'encontre de la société Rivasi BTP.

20. En deuxième lieu, concernant les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société IDEM, chargée du montage des équipements par un contrat de sous-traitance conclu avec la SAS Loïra, ces conclusions ne sont assorties d'aucun moyen alors, au demeurant, qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment du rapport d'expertise, qu'une faute puisse être relevée à l'encontre de cette société. Dès lors, le tribunal a pu à bon droit rejeter les conclusions d'appel en garantie formulées à son encontre.

21. En troisième lieu, concernant les conclusions d'appel en garantie formulées contre la SAS Suez eau France, anciennement dénommée SDEI (Lyonnaise des Eaux), exploitante de la station d'épuration, il ne résulte des pièces du dossier aucune faute qui lui soit imputable à l'origine des dysfonctionnements ayant affecté la station d'épuration, l'expert n'ayant relevé que le démontage du turbidimètre, dont les conséquences financières non contestées au demeurant en appel par Suez eau France ont été mises à sa seule charge. Dès lors, le tribunal a pu à bon droit rejeter les conclusions d'appel en garantie formulées à son encontre.

22. Enfin, en dernier lieu, le Cabinet Marc Merlin, qui n'est pas maître d'ouvrage, n'a pas qualité pour demander, au titre de la garantie décennale, la condamnation solidaire des sociétés Rivasi BTP, SDEI, devenue Lyonnaise des Eaux, ainsi que d'IDEM et d'Alpha Laval. Par suite, ses conclusions formulées à ce titre sont irrecevables et doivent être rejetées.

23. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 11 à 21, le Cabinet Merlin doit être condamné à payer au syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux une somme totale de 1 370 919,25 euros toutes taxes comprises.

En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie formulées par la société Rivasi BTP :

24. Aucune condamnation n'étant mise à sa charge, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions subsidiaires d'appel en garantie.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

25. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des autres parties qui, dans la présente instance, ne sont pas parties perdantes, une somme au titre des frais exposés par le Cabinet Marc Merlin et non compris dans les dépens.

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Cabinet Marc Merlin une somme au titre des frais exposés par la société Areas Dommages contre laquelle il n'a été formulé aucune conclusion au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

28. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Cabinet Marc Merlin ou de toute autre partie, une somme au titre des frais exposés par M. A... contre lequel il n'a été formulé aucune conclusion au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Cabinet Marc Merlin, au profit de chacune des parties qui suivent une somme de 1 500 euros, à savoir la société IDEM, la société Alpha Laval, la société Rivasi BTP, la société Suez eau France et le syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, au titre des frais non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1601744 rendu le 6 décembre 2018 par le tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : L'intervention de la société Areas Dommages n'est pas admise.

Article 3 : Le montant de la condamnation mise à la charge de la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin au profit du syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, figurant à l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nîmes, est porté de 1 266 945,25 euros à 1 370 919,25 euros toutes taxes comprises.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il statue au fond sur l'appel en garantie de la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin contre la société Alfa Laval.

Article 5 : Les conclusions d'appel en garantie formulées par la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin contre la société Alfa Laval sont rejetées comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 6 : Il est mis à la charge de la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin, au profit de la société IDEM, de la société Alpha Laval, de la société Rivasi BTP, de la société Suez eau France et du syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux une somme de 1 500 euros à verser à chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Cabinet d'Etudes Marc Merlin, au syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, à la SARL Rivasi BTP, à la SARL Alfa Laval, à la SAS Suez eau France, à la SARL IDEM, à la société d'assurance mutuelle Areas Dommages et à M. A....

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. B... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 janvier 2022.

N° 19MA00571 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00571
Date de la décision : 31/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SELARL LEXAVOUÉ AIX-EN-PROVENCE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-01-31;19ma00571 ?
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