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19/01/2022 | FRANCE | N°21MA01450

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 janvier 2022, 21MA01450


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, par une première requête, d'annuler la décision implicite née le 1er août 2018 du silence de l'administration par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé le renouvellement de son titre de séjour, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de son dossier, d'ordonner le réexamen de son dossier dans un délai de huit jours sous astreinte journalière de 150 e

uros et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, par une première requête, d'annuler la décision implicite née le 1er août 2018 du silence de l'administration par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé le renouvellement de son titre de séjour, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de son dossier, d'ordonner le réexamen de son dossier dans un délai de huit jours sous astreinte journalière de 150 euros et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative, 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Par une seconde requête, il a demandé à ce même tribunal d'annuler la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " citoyen de l'Union européenne " prise le 23 octobre 2019 par le préfet de l'Hérault, d'ordonner la délivrance d'un titre de séjour et ce sous astreinte journalière de 100 euros à compter de la décision à intervenir, subsidiairement d'ordonner le réexamen de sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois sous la même astreinte et de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative, 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Par jugement n° 1803798 - 2000489 du 2 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses requêtes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 avril 2021, M. D... E..., représenté par Me Ruffel, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite de refus de renouvellement de son titre de séjour, ensemble la décision de refus de séjour du 23 octobre 2019 du préfet de l'Hérault ;

3°) d'ordonner la délivrance d'un titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) à titre subsidiaire, d'ordonner le réexamen de sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de son dossier ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros toutes taxes comprises, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative, 37 et 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

1°) s'agissant de la décision implicite de rejet querellée née à partir du 1er août 2018 à laquelle s'est éventuellement substituée la décision explicite de rejet du 29 octobre 2018 :

- il peut prétendre, du seul fait qu'il a des enfants scolarisés, à un droit au séjour sur le fondement de l'article 10 du règlement CE 492-2011 ; il était admis au séjour jusqu'au 27 juin 2018 et, donc, bénéficiait d'un droit au séjour lorsque ses enfants ont été scolarisés, ce titre ne lui ayant pas été retiré par la préfecture de l'Hérault qui le lui avait délivré ;

- ce refus implicite est bien illégal contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Montpellier qui a retenu le fait qu'un refus explicite du 29 octobre 2018 se serait substitué au refus implicite initial ; en tout état de cause, le raisonnement reste le même quant à l'erreur de droit, entachant ladite décision préfectorale d'illégalité ;

2°) s'agissant de la décision explicite de rejet du 23 octobre 2019 :

- la décision attaquée est entachée du vice d'incompétence ;

- il a bénéficié d'un titre de séjour valable cinq ans sur le fondement de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a donc acquis un droit au séjour permanent ; il s'est vu remettre une carte de séjour " citoyen UE/EEE/SUISSE " valable du 28 juin 2013 au 27 juin 2018 et a, de ce fait, bénéficié d'une carte de séjour délivrée conformément aux dispositions de la directive 2004/38/CE ; cette délivrance de la carte est un acte créateur de droit ; le préfet ne pouvait ainsi lui refuser la délivrance d'un titre de séjour ; dès lors, la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 122-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les premiers juges ont commis une erreur de droit ; il a été victime d'un accident du travail en 2014, alors qu'il bénéficiait d'un droit au séjour en tant que travailleur communautaire ; depuis cet accident, il ne peut plus travailler ; par jugement du 28 février 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier, pôle social, a jugé qu'il remplissait les conditions médicales lui permettant de bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés, constatant qu'il présentait un taux d'incapacité entre 50 % et 79 % et une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi (pièce 25) ; par conséquent, il est bien frappé d'une incapacité de travail résultant d'une maladie ou d'un accident, conformément à l'article R. 121-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet de l'Hérault ne pouvait donc rejeter sa demande de titre de séjour sans méconnaître ces dispositions ; l'article R. 122-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit également le bénéfice du droit au séjour permanent pour les ressortissants communautaires qui ont dû cesser leur activité professionnelle en raison d'une incapacité permanente ;

- ses filles, de nationalité espagnole, sont scolarisées en France ; or, aux termes de l'article 10 du règlement UE 492/2011, anciennement article 12 du règlement CEE 1612/68, " les enfants d'un ressortissant d'un Etat membre qui est ou a été employé sur le territoire d'un autre Etat membre sont soumis aux cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat, si ces enfants résident sur son territoire " ; la CJUE a précisé que cette disposition conférait un droit au séjour autonome au mineur, y compris aux enfants des anciens travailleurs migrants ; il a donc un droit au séjour en application de l'article 10 du règlement UE 492/2011, comme l'a jugé à plusieurs reprises la cour administrative d'appel de Marseille ;

- la décision par laquelle le préfet de l'Hérault refuse de lui délivrer un titre de séjour est dès lors entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; en rejetant ce moyen, le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- dès lors que ses enfants sont scolarisés depuis plusieurs années en France et qu'ils sont imprégnés du système éducatif français, il s'ensuit qu'une rupture dans le suivi de leur scolarité va nécessairement leur être préjudiciable et va méconnaître leur intérêt supérieur quand bien même ils ont la nationalité espagnole ; le préfet de l'Hérault et les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation par méconnaissance des stipulations de l'article 3.1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2021, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il s'en tient aux moyens de défense développés en première instance.

M. D... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le règlement UE n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 ;

- la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union européenne et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 décembre 2011, affaires C-424/10 et C-425/10, Ziolkowski et Szeja ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. B... Taormina, rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E..., né le 20 novembre 1981 à Ksar Tighfart (Maroc), de nationalité espagnole, marié depuis le 3 juillet 2007 à Mme C... A..., de nationalité marocaine, titulaire d'une carte de résident délivrée par les autorités espagnoles, valable jusqu'au 13 juin 2023, déclare être entré en France au mois de septembre 2011, sous couvert de son passeport. Le 15 juin 2012, il a sollicité son admission au séjour en qualité de citoyen de l'Union européenne en fournissant, à l'appui de sa demande, un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 16 mars 2012 avec la SARL " Alfa construction sud " basée à Castelnau-le-Lez et s'est vu remettre, le 14 septembre 2012, une carte de séjour portant la mention " citoyen UE ", valable du 28 juin 2013 au 27 juin 2018.

2. Le 7 mai 2018, M. D... E... s'est présenté à la préfecture de l'Hérault pour en solliciter le renouvellement. Un refus au guichet lui a été opposé et son conseil a alors adressé par voie de mail et de télécopie, le 1er juin 2018, une demande de renouvellement de son titre de séjour. Une décision implicite de rejet de sa demande est née à partir du 1er août 2018 du silence gardé par le préfet. Par ordonnance n° 1803799 du 3 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de suspension de l'exécution de cette décision. Puis le préfet de l'Hérault a rejeté cette demande par une décision expresse du 29 octobre 2018. M. D... E... ayant à nouveau, le 2 août 2019, sollicité le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de l'Hérault a, par une décision du 23 octobre 2019, rejeté sa demande.

3. M. D... E... relève appel du jugement n° 1803798 - 2000489 du 2 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses requêtes tendant notamment à l'annulation de ces deux décisions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Lorsqu'une décision explicite intervient postérieurement à une décision implicite, sur une même demande, la seconde se substitue nécessairement à la première. Dans une telle hypothèse, les conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. Dès lors, la décision expresse du 29 octobre 2018 par laquelle le préfet de l'Hérault a statué sur la même demande, tendant au renouvellement d'un titre de séjour portant la mention " citoyen UE ", s'est substituée à la décision implicite initialement intervenue à partir du 1er août 2018. Les conclusions de M. D... E... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande née à partir du 1er août 2018 du silence gardé par le préfet, doivent donc être regardées comme dirigées contre la décision expresse de rejet du 29 octobre 2018.

5. Pour refuser de faire droit à la demande de renouvellement du titre de séjour détenu par M. D... E... en qualité de ressortissant de l'Union européenne, le préfet de l'Hérault a estimé, dans sa décision du 29 octobre 2018 comme dans celle du 23 octobre 2019, que n'étant pas en mesure de justifier de ressources propres ou personnelles suffisantes pour subvenir à ses besoins, il était une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, au sens des dispositions de l'article L. 121-1 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date des décisions querellées : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 122-1 du même code en vigueur à la date des décisions querellées : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant visé à l'article L. 121-1 qui a résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquiert un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. ". Aux termes de l'article R. 121-6 du code précité en vigueur à la date des décisions querellées : " I.- Les ressortissants mentionnés au 1° de l'article L. 121-1 conservent leur droit au séjour en qualité de travailleur salarié ou de non-salarié : 1° S'ils ont été frappés d'une incapacité de travail temporaire résultant d'une maladie ou d'un accident ; (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " -1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale... 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Il résulte de ces dispositions que le citoyen de l'Union européenne qui a obtenu un titre de séjour pour travailler en France et qui y a séjourné de manière ininterrompue durant cinq ans, en y exerçant une activité professionnelle ou en disposant de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie, et dont la présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, acquiert un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. Cette acquisition suppose que l'étranger, ressortissant de l'Union européenne, ne soit pas devenu au cours de ses cinq premières années de séjour une charge pour le système d'assistance sociale. Dans le cas contraire, il n'acquiert pas ce droit, sauf s'il a été frappé d'une incapacité de travail temporaire résultant d'une maladie ou d'un accident, auquel cas il conserve néanmoins ses droits de travailleur migrant à un titre de séjour permanent.

7. Par ailleurs, aux termes de l'article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union, entré en vigueur le 16 juin 2011, dont les dispositions se sont substituées à celles de l'article 12 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968 : " Les enfants d'un ressortissant d'un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d'un autre Etat membre sont admis aux cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat, si ces enfants résident sur son territoire. / Les États membres encouragent les initiatives permettant à ces enfants de suivre les cours précités dans les meilleures conditions. ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne à la lumière de l'exigence du respect de la vie familiale prévu à l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans deux arrêts du 23 février 2010 C-310/08 Ibrahim et C-480/08 Texeira, qu'un ressortissant de l'Union européenne ayant exercé une activité professionnelle sur le territoire d'un Etat membre ainsi que le membre de sa famille qui a la garde de l'enfant de ce travailleur migrant, peut se prévaloir d'un droit au séjour sur le seul fondement de l'article 10 du règlement du 5 avril 2011, à la condition que cet enfant poursuive une scolarité dans cet Etat, sans que ce droit soit conditionné par l'existence de ressources suffisantes. Pour bénéficier de ce droit, il suffit que l'enfant qui poursuit des études dans l'Etat membre d'accueil se soit installé dans ce dernier alors que l'un de ses parents y exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant, le droit d'accès de l'enfant à l'enseignement ne dépendant pas, en outre, du maintien de la qualité de travailleur migrant du parent concerné. En conséquence, et conformément à ce qu'a jugé la Cour de justice dans son arrêt du 17 septembre 2002 (C 413/99, § 73), refuser l'octroi ou le renouvellement d'une autorisation de séjour au parent qui garde effectivement l'enfant exerçant son droit de poursuivre sa scolarité dans l'Etat membre d'accueil est de nature à porter atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. D... E... a obtenu une carte de séjour portant la mention " salarié " le 14 septembre 2012, renouvelée jusqu'au 27 juin 2018, en qualité de ressortissant d'un pays membre de l'Union européenne. Selon les pièces du dossier, notamment les certificats de travail produits, il a travaillé en qualité de maçon auprès de la SARL BMF Construction du 19 septembre 2011 au 29 février 2012 puis auprès de la SARL Alfa Construction Sud basée à Castelnau-le-Lez (34) du 16 mars 2012 au 30 novembre 2013 et enfin auprès de la SARL CBTP Sud Atlas en qualité d'ouvrier du 10 juin 2014 au 9 septembre suivant. Victime, le 13 juin 2014, d'un accident alors qu'il travaillait au soleil, il a été admis au centre hospitalier de Perpignan pour une crise comitiale généralisée, puis il a quitté la SARL CBTP Sud le 9 septembre 2014. Il ressort du jugement rendu le 28 février 2019 par le tribunal de grande instance de Montpellier, pôle social, qui a jugé qu'il remplissait les conditions médicales lui permettant de bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés, constatant qu'il présentait un taux d'incapacité entre 50 % et 79 % et une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, que M. D... E... a subi en 2014 une intervention chirurgicale pour une tumeur cérébrale et qu'il souffre de crises d'épilepsie, de troubles de l'équilibre et d'amnésies. Il résulte des conclusions du requérant et des pièces qu'il produit qu'il est, depuis, dans l'incapacité de travailler. Atteint, dès lors, d'une incapacité de travail, non pas temporaire comme requise par l'article R. 121-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date des décisions querellées, mais définitive, il a perdu dès le 9 septembre 2014, alors qu'il ne pouvait plus justifier de cinq années d'activité professionnelle en France, ses droits de travailleur migrant à un titre de séjour permanent, à l'occasion du renouvellement de son titre initial.

9. Toutefois, alors qu'il n'est pas contesté que M. D... E..., qui n'était pas en droit d'obtenir le renouvellement qu'il a sollicité de son titre de séjour à titre permanent, au titre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées au point 7, mais qui a possédé un tel titre, a trois enfants mineurs, de nationalité espagnole, qui poursuivent en France leur scolarité, le préfet de l'Hérault, qui avait l'obligation de vérifier sa situation familiale dont l'existence éventuelle d'enfants mineurs à charge scolarisés en France, ne pouvait dès lors, sans porter atteinte au droit fondamental de ces enfants à poursuivre en France leur scolarité, refuser au requérant le renouvellement de son titre de séjour, sur le fondement des dispositions de l'article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne à la lumière de l'exigence du respect de la vie familiale prévu à l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Compte tenu de ce qui précède, le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 2 novembre 2020 et les décisions du préfet de l'Hérault en date des 29 octobre 2018 et 23 octobre 2019 doivent être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

12. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet de l'Hérault de renouveler le titre de séjour de ressortissant de l'Union européenne de M. D... E... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie... perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ... ". Aux termes de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " ... En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie... qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide ... ".

14. M. D... E... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Me Ruffel demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamés à son client si celui-ci n'avait pas obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir les conclusions de la requête présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en condamnant l'Etat à verser à son avocat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1803798 - 2000489 rendu le 2 novembre 2020 par le tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Les décisions du préfet de l'Hérault en date des 29 octobre 2018 et 23 octobre 2019 sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de renouveler le titre de séjour de ressortissant de l'Union européenne de M. D... E... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Ruffel une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... E..., à Me Ruffel et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la république près le tribunal judiciaire de Montpellier.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. B... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 janvier 2022.

N° 21MA01450 8


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01450
Date de la décision : 19/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-01-19;21ma01450 ?
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