Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 28 décembre 2020, par laquelle le préfet du Var a porté à deux ans la prolongation de l'interdiction de retour sur le territoire français dont il faisait l'objet.
Par un jugement n° 2100087 du 19 février 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 mars 2021, M. B..., représenté par Me Fahrat-Vayssiere, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2021 ;
2°) d'annuler la décision du préfet du Var du 28 décembre 2020.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et des dispositions du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dès lors que ses enfants seraient privés des soins, de l'alimentation et de l'éducation pris en charge par l'Etat en France ;
- le jugement est irrégulier en ce que la minute n'est pas signée ;
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;
- il est dépourvu de base légale du fait de l'illégalité de l'arrêté du 8 juillet 2019 portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an pris à son encontre ; cet arrêté a été signé par une autorité incompétente ;
- le jugement est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa situation familiale ;
- l'arrêté méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants garanti par la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que les onzième et douzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ;
- il a un casier judiciaire vierge et sa présence sur le territoire ne constitue pas une menace à l'ordre public ;
- l'arrêté méconnaît son droit de mener une vie familiale normale telle que garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
La requête a été communiquée au préfet du Var qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. B... a produit un mémoire, enregistré le 19 novembre 2021, qui n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juin 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Chazan a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité tunisienne, relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 28 décembre 2020 par lequel le préfet du Var a prolongé de deux ans l'interdiction de retour sur le territoire français dont il faisait l'objet à la suite d'une obligation de quitter le territoire sans délai du 8 juillet 2019, non exécutée par l'intéressé.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. B... fait valoir que le tribunal a omis de statuer sur le moyen soulevé en première instance, tiré d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Le requérant a soutenu dans son mémoire en réplique de première instance, enregistré le 16 février 2021, que l'arrêté du 28 décembre 2020 portait atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants et méconnaissait ainsi les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon n'a pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de régularité, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour ce motif et à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... dirigées contre la décision portant à deux ans l'interdiction de retour sur le territoire français dont il fait l'objet.
Sur la légalité de la décision du 28 novembre 2020 :
4. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. C... E..., sous-préfet et directeur de cabinet du préfet du Var. Par un arrêté n° 2020/67/MCI du 30 septembre 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Var n° 103 spécial du 30 septembre 2020, le préfet du Var avait donné délégation à M. Serge Jacob, secrétaire général de la préfecture, afin de signer : " tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances, documents relevant des attributions de l'Etat dans le département du Var ", à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions d'éloignement. Contrairement à ce que soutient M. B..., cette délégation n'est pas limitée aux seules attributions de la direction de la coordination des politiques publiques et de l'appui territorial, la circonstance que l'arrêté comporte l'en-tête de cette direction étant à cet égard, sans incidence. L'article 2 de cet arrêté dispose que la délégation ainsi conférée à M. A... est exercée, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, par M E.... Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... n'était pas, en l'espèce, absent ou empêché.
5. En deuxième lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. S'agissant d'un acte réglementaire, une telle exception peut être formée à toute époque, même après l'expiration du délai du recours contentieux contre cet acte. S'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est, en revanche, recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte. Une décision administrative devient définitive à l'expiration du délai de recours contentieux ou, si elle a fait l'objet d'un recours contentieux dans ce délai, à la date à laquelle la décision rejetant ce recours devient irrévocable.
6. M. B... fait valoir que l'arrêté contesté, prolongeant l'interdiction de retour sur le territoire français de deux ans, est dépourvu de base légale du fait de l'illégalité de l'arrêté du 8 juillet 2019 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 8 juillet 2019 a été notifié le jour même à l'intéressé. En l'absence de recours contentieux, cette décision, qui mentionnait les voies et délais de recours, est devenue définitive à l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, soit le 10 juillet 2019. Par conséquent, s'agissant d'un acte non réglementaire l'exception d'illégalité invoquée par le requérant est irrecevable. Le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 8 juillet 2019 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. M. B... fait valoir qu'il réside en France depuis 2013, qu'il a épousé une compatriote à Marseille en 2018, que deux enfants sont nés en France de cette union les 10 mai 2019 et 22 septembre 2020 et qu'il a une sœur vivant à Cannes ainsi que des cousines vivant à Marseille. Il fait également valoir que son épouse et lui-même ont quitté la Tunisie au motif que leurs parents respectifs n'acceptaient pas la naissance d'un premier enfant dans ce pays hors mariage, cette enfant ayant été soustraite à leur autorité. Toutefois, il est constant que l'épouse de M. B... se trouve également en situation irrégulière. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la reconstruction de la cellule familiale soit impossible en Tunisie. M. B... ne justifie d'aucune intégration socio-professionnelle en France. Sa mère et la fille du couple résident en Tunisie. Dans ces circonstances, et à supposer même que sa présence en France ne caractérise aucun trouble à l'ordre public comme il le soutient, bien que l'arrêté attaqué ait été pris à la suite de l'interpellation de M. B... pour des faits de violences aggravées commis en France sur son épouse, pour lesquels il a d'ailleurs été condamné pénalement en première instance postérieurement à l'intervention de cet arrêté, en prolongeant de deux ans l'interdiction de retour déjà prononcée par l'arrêté précité du 8 juillet 2019, le préfet du Var n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré d'une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, également être écarté.
9. En quatrième lieu, le principe posé par les dispositions du onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, aux termes desquelles la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs " ne s'impose à l'autorité administrative, en l'absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français. Par suite, M. B... ne saurait utilement, pour contester de la décision prolongeant l'interdiction de retour qui lui est faite, invoquer une méconnaissance de ces dispositions.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
11. Le requérant soutient que la décision impliquerait, pour ses deux enfants nés en France en 2019 et 2020, une altération significative de leurs conditions de vie, en ce qui concerne notamment l'éducation, l'alimentation et l'accès aux soins. Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les enfants de M. B..., qui n'étaient pas scolarisés à la date de la décision attaquée, ne pourraient avoir accès à l'éducation, à l'alimentation et aux soins en Tunisie, ni que leurs parents ne seraient pas en mesure d'y accéder à un logement. Au demeurant, ainsi que l'indique M. B... lui-même, la communauté de vie avec son épouse a cessé par mesure de protection à la suite des violences conjugales qu'il a exercées à son encontre. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour litigieuse méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants, tels que prévus par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet du Var du 28 décembre 2020, prolongeant de deux ans l'interdiction de retour sur le territoire prononcée à son encontre.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. L'Etat n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. B... tendant à mettre à sa charge, les frais qu'il aurait exposés et non compris dans les dépens, ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. D... B..., à Me Fahrat-Vayssière et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Chazan, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Quenette, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 décembre 2021.
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N° 21MA01122
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