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25/11/2021 | FRANCE | N°20MA02189

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 25 novembre 2021, 20MA02189


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D..., M. C... D... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner le centre hospitalier de la Dracénie à verser à M. E... D... la somme globale de 1 967 945 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge médicale dans cet établissement, et à M. C... D... et à Mme A... B... la somme de 20 000 euros chacun, et, d'autre part, de désigner un nouvel expert et de leur allouer une indemnité provisionnelle d'un montant de 1 000 000 euro

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La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes de Haute-Prove...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D..., M. C... D... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner le centre hospitalier de la Dracénie à verser à M. E... D... la somme globale de 1 967 945 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge médicale dans cet établissement, et à M. C... D... et à Mme A... B... la somme de 20 000 euros chacun, et, d'autre part, de désigner un nouvel expert et de leur allouer une indemnité provisionnelle d'un montant de 1 000 000 euros.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes de Haute-Provence a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier de la Dracénie à lui verser la somme de 529 935,42 euros au titre des débours exposés pour son assuré, M. E... D..., assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, outre la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1802738 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a condamné le centre hospitalier de la Dracénie à verser à M. E... D... une somme de 112 000 euros, à M. C... D... et à Mme A... B... une somme de 1 500 euros chacun, à la CPAM des Alpes de Haute-Provence une somme de 64 186,25 euros assortie des intérêts au taux légal, outre le remboursement des frais de soins et d'appareillage exposés à compter de la notification de ce jugement et dans la limite de 10 519,15 euros par an, ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juillet 2020, M. E... D..., M. C... D... et Mme A... B..., représentés par Me Chiche, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 11 juin 2020 pour porter aux sommes de 1 967 945 euros et 20 000 euros le montant des indemnités allouées, respectivement, à M. E... D... d'une part et à M. C... D... et Mme A... B... chacun d'autre part ;

2°) de réserver son droit à être indemnisé de l'achat d'un fauteuil roulant ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un nouvel expert et allouer à M. E... D..., dans l'attente, une indemnité provisionnelle d'un montant de 1 000 000 d'euros ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Dracénie la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les manquements du centre hospitalier de la Dracénie n'ont pas simplement fait perdre à la victime une chance d'échapper à ses séquelles mais engagent l'entière responsabilité de l'établissement ;

- M. E... D... a exposé des frais pour avoir recours aux services d'un médecin conseil, à hauteur de 400 euros ;

- il est fondé à demander le remboursement des frais d'expertise comptable et d'ergothérapie, pour un montant respectif de 1 200 euros et 800 euros ;

- il y a lieu de porter à la somme de 3 560 euros le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire ;

- il nécessite l'usage d'un genou prothétique à micro-compresseur, qui n'est pas pris en charge par la sécurité sociale, et dont le coût s'élève à 102 969,15 euros ;

- ses pertes de gains professionnelles futures, déterminées sur la base d'un reconstitution de carrière établie par un expert-comptable, s'élèvent à la somme de 896 236 euros ;

- il est fondé à demander la somme de 120 000 euros en réparation de son incidence professionnelle ;

- l'indemnité due au titre de l'assistance par une tierce personne définitive, une fois capitalisée, ne devra pas être inférieure à 401 073,76 euros ;

- il est fondé à demander la somme de 9 749 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

- les souffrances qu'il a endurées, évaluées par l'expert à 5 sur une échelle de 1 à 7, lui ouvrent droit au versement d'une indemnité de 40 000 euros ;

- il a subi un préjudice esthétique temporaire qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 25 000 euros ;

- il est en droit de prétendre au versement d'une somme de 232 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 50% ;

- il y a lieu de lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice esthétique permanent, évalué à 5 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert ;

- son préjudice d'agrément, résultant de l'impossibilité de pratiquer toute activité physique nécessitant l'usage des jambes, pourra être évalué à la somme de 30 000 euros ;

- il sera fait une juste réparation de son préjudice scolaire, résultant de l'impossibilité d'achever sa formation de cuisinier, en lui allouant la somme de 65 000 euros ;

- il est fondé à demander la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice sexuel ;

- les frais d'adaptation de son véhicule s'élèvent à la somme de 9 910,81 euros, qui devront intégralement lui être remboursés ;

- de même, il est en droit de prétendre au versement d'une somme de 36 635,30 euros au titre des frais d'adaptation du logement ;

- il sera fait une juste réparation du préjudice moral de M. C... D... et Mme A... B... en leur allouant, chacun, la somme de 20 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 septembre 2020, 4 février 2021 et 22 mars 2021, le centre hospitalier de la Dracénie, représenté par Me Vital-Durand, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête des consorts D... ou, à titre subsidiaire, à ce que les indemnités allouées à M. E... D... au titre des assistances par une tierce personne temporaire et permanente et du préjudice sexuel soient limitées, respectivement, à un maximum de 1 068 euros, 112 766,71 euros et 1 500 euros ;

2°) au rejet des conclusions d'appel de la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence ;

3°) à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il indemnise la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence des frais de santé futurs pour limiter la somme allouée au titre des frais de santé futurs à un maximum de 39 267,59 euros, ou, à titre infiniment subsidiaire, de limiter le remboursement de ces dépenses à une rente d'un montant annuel maximum de 5 170,89 euros, outre la somme de 177,36 euros, sur présentation des justificatifs ;

4°) à ce que soit mise à la charge des consorts D... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le retard pris pour opérer M. D... n'était qu'à l'origine d'une perte de chance d'éviter son amputation, dès lors qu'il n'existe aucune certitude sur une reprise circulatoire des territoires de la jambe et du pied droit si cette opération avait été réalisée dès les résultats de l'angioscanner ;

- le jugement sera également confirmé s'agissant de l'évaluation que les premiers juges ont faite des préjudices des victimes ;

- à titre subsidiaire, les indemnités allouées à M. E... D... au titre des assistances par une tierce personne temporaire et permanente et du préjudice sexuel ne pourront excéder, respectivement, un montant maximum de 1 068 euros, 112 766,71 euros et 1 500 euros ;

- la CPAM ne justifie des dépenses futures qu'elle sera amenée à supporter, une fois appliqué le taux de perte de chance qu'ont omis les premiers juges, qu'à hauteur de 1 011,74 euros par an, soit 39 267,59 euros une fois capitalisées, ou à titre subsidiaire 1 170,89 euros par an, outre une somme de 177,36 euros qui ne sera exposée qu'une fois et qui ne doit, dès lors, pas être inclue dans la rente annuelle ;

Par des mémoires enregistrés le 16 septembre 2020 et le 1er avril 2021, la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence, représentée par Me Vergeloni, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulon du 11 juin 2020 pour porter à la somme globale de 529 935,42 euros le montant de l'indemnité allouée au titre des débours exposés pour M. E... D... ;

2°) de réformer ce jugement pour porter à la somme de 1 098 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Dracénie le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses dépenses de santé actuelles s'élèvent à la somme de 128 372,50 euros, suivant l'état de débours du 1er octobre 2019 ;

- le montant de la rente annuelle allouée par les premiers juges pourra être ramené à la somme de 10 341,79 euros après la première année, ainsi que le demande le centre hospitalier de la Dracénie, mais devra lui être versée sous la forme d'un capital, soit 401 562,92 euros ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sanson,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Amar, représentant MM. D... et Mme B... et de Me Caudesaigues, représentant le centre hospitalier de la Dracénie.

Considérant ce qui suit :

1. Les consorts D... relèvent appel du jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de Toulon en ce qu'il limite aux sommes de 112 000 euros et 1 500 euros chacun les indemnités au versement desquelles il a condamné le centre hospitalier de la Dracénie en réparation des préjudices subis, respectivement, par M. E... D... d'une part, et M. C... D... et Mme A... B... d'autre part, du fait des séquelles que M. E... D... conserve de sa prise en charge médicale au centre hospitalier de la Dracénie entre les 5 et 9 septembre 2014, où il a été accueilli après avoir été victime d'un accident de scooter. En outre, la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence demande à la cour de porter l'indemnité allouée par le tribunal au titre des débours à la somme de 529 935,42 euros et l'indemnité forfaitaire de gestion à celle de 1 098 euros. Enfin, par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de la Dracénie demande à la cour de ramener le montant de l'indemnité allouée à la caisse au titre des frais de santé futurs à un capital d'un montant maximum de 39 267,59 euros, ou, à titre infiniment subsidiaire, à une rente d'un montant annuel maximum de 5 170,89 euros, outre la somme de 177,36 euros, sur présentation des justificatifs.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les fautes médicales et la perte de chance :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, que le seul hématome que présentait M. D... autour du foyer de la fracture fémorale consécutive à son accident de la circulation, lors de son admission au service des urgences du centre hospitalier de la Dracénie, n'évoquait qu'un épanchement post-traumatique et que les premiers signes cliniques d'une souffrance vasculaire ne sont apparus que le 8 septembre 2014, lorsque la victime a présenté une diminution de ses pouls périphériques ainsi qu'une paresthésie, qui a conduit les médecins à demander la réalisation d'un angioscanner le jour même. Dans ces conditions, M. D... n'a pas été victime d'un retard de diagnostic fautif.

4. En revanche, il résulte encore de l'instruction qu'alors que ce scanner aurait dû être réalisé de toute urgence, M. D... n'a pu en bénéficier que le lendemain en fin de matinée sans que le centre hospitalier de la Dracénie ne puisse justifier valablement de ce retard de plus de 24 heures. N'est pas davantage justifié le refus du chirurgien vasculaire de l'établissement de réaliser un pontage artériel une fois établi le diagnostic de dissection intimale de l'artère fémorale, qui a contraint à transférer le patient vers le CHU de Nice. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces retards constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'établissement vis-à-vis des requérants.

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte encore de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert, que les manquements du centre hospitalier de la Dracénie n'ont fait perdre à M. D... qu'une chance d'éviter les lésions ischémiques à l'origine des nécroses l'ayant conduit à l'amputation de la jambe droite. Si l'expert a évalué à 50% le taux de cette perte de chance, ce n'est qu'après avoir mentionné que l'angioscanner et le transfert de M. D... vers le CHU de Nice avaient été réalisés le 8 septembre au lieu du 9 septembre. Cette erreur l'ayant nécessairement conduit à sous-estimer le retard résultant de ces manquements, il y a lieu, eu égard aux autres éléments médicaux versés à l'instruction, de fixer l'ampleur de cette perte de chance au taux de 80%.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux de M. D... :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment de la notification définitive des débours et de l'attestation d'imputabilité produites par la CPAM devant le tribunal, que les dépenses de santé actuelles exposées pour M. D... s'élèvent à la somme totale de 128 372,50 euros. Ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, la caisse a droit au versement d'une indemnité déterminée sur la base de ce montant auquel est appliqué le taux de perte de chance, soit 102 698 euros.

8. Si la CPAM des Alpes de Haute-Provence justifie, sur la base d'un état de débours établi le 1er octobre 2019 et d'une attestation d'imputabilité de son médecin conseil, devoir prendre en charge des frais de surveillance médicale à hauteur de 1 236,14 euros par an, elle n'apporte aucune preuve de la réalité des frais de " des fournitures, accessoires, déplacement, d'expédition et administratifs " qu'elle invoque au titre des dépenses liées à l'appareillage de son assuré et s'élevant, selon ses allégations, à la somme annuelle de 3 035,22 euros. Elle justifie, en revanche, du coût strictement lié à cet appareillage à hauteur de 6 070,43 euros, après application du taux de perte de chance, dont il résulte toutefois de l'instruction que le renouvellement doit être effectué tous les six ans, et non tous les ans comme elle le soutient. Dans ces conditions, le montant total des frais annuels au remboursement desquels la caisse peut prétendre s'élève à 2 247,87 euros, soit 1 798,30 euros après application du taux de perte de chance. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier, dans la limite de ce montant, le remboursement sur justificatifs de ces frais à mesure de leur engagement, outre une somme ponctuelle de 141,89 euros correspondant, après application du taux de perte de chance, à des frais pharmaceutiques ponctuels postérieurs à la date de consolidation de l'état de santé de la victime.

9. Alors qu'il ne résulte ni du rapport d'expertise, ni d'aucun autre avis médical que les séquelles de M. D... nécessiteraient une autre prothèse de jambe que celle prise en charge par la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence, l'intéressé ne saurait, sur la seule base d'une étude réalisée de manière unilatérale par un ergothérapeute, au demeurant dépourvue de toute précision sur ce point, demander le versement d'une indemnité afin d'acquérir, entretenir et renouveler une prothèse plus onéreuse.

10. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

11. Il résulte de l'instruction que M. D... a eu besoin d'une assistance temporaire pour les actes de la vie courante à raison de deux heures par jour du 29 janvier 2015 au 7 avril 2015, veille de la date de consolidation de son état de santé. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une assistance adaptée à son état de santé s'élèverait à un coût supérieur à celui résultant de l'application d'un taux horaire de 13 euros, calculé en fonction du taux horaire moyen du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de ces périodes, augmenté des charges sociales, et sur la base d'une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail. Les frais liés à l'assistance par une tierce personne non spécialisée doivent ainsi être évalués à la somme de 1 620 euros une fois appliqué le taux de perte de chance fixé au point 5.

12. L'expert a estimé à une heure par semaine le quantum de l'assistance par une tierce personne à compter de la consolidation de son état de santé. En retenant un taux horaire de 13 euros jusqu'au 31 décembre 2017, puis de 14 euros jusqu'au 31 décembre 2020, puis de 15 euros à compter de cette date, l'indemnisation de ce chef de préjudice jusqu'à la date du présent arrêt doit être évaluée, compte tenu du taux de perte de chance, à la somme de 30 026,11 euros.

13. En réponse à la demande qui lui a été adressée par la cour afin de déterminer le montant de la prestation de compensation du handicap perçue au cours de ces périodes, M. D... n'a produit qu'un relevé de droits de la caisse d'allocations familiales du Var établi au titre des mois de juillet à décembre 2020 et des relevés bancaires ne faisant pas apparaitre la nature des aides auxquelles correspondent les versements de prestations sociales apparaissant sur ce document. Il y a lieu, dès lors, de juger que ces indemnités seront versées sous déduction de la prestation de compensation du handicap perçue au cours des périodes en cause, dont il appartiendra à l'intéressé de justifier au préalable.

14. A compter de la date du présent arrêt, le montant annuel des frais d'assistance par une tierce personne s'élèvera à la somme de 4 944 euros, tenant compte du taux de perte de chance. Il y a lieu de juger que cette indemnité prendra la forme d'une rente versée annuellement, revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale et versée sous déduction, le cas échéant, de la prestation de compensation du handicap ou de toute autre prestation sociale ayant pour objet d'indemniser les besoins en assistance par une tierce personne, dont il appartiendra au requérant de justifier.

15. Il résulte de l'instruction que M. D... reste apte à l'exercice d'une activité professionnelle, sous réserve d'un aménagement du poste de travail lui permettant, notamment, d'éviter la station debout, susceptible de lui procurer des revenus comparables à ceux qu'il allègue pouvoir tirer d'une activité de cuisinier, qu'il n'a en tout état de cause jamais exercée. Il n'est donc fondé à demander aucune somme au titre des pertes de gains professionnels.

16. Les premiers juges ont fait une juste réparation du préjudice d'incidence professionnelle de M. D..., résultant du renoncement à la carrière de cuisinier en vue de laquelle il avait débuté un CAP et de la pénibilité accrue au travail, en l'évaluant à la somme de 20 000 euros. Il y a donc lieu, eu égard au taux de perte de chance fixé au point 5, de porter le montant de l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 16 000 euros.

17. C'est à bon droit que les premiers juges n'ont retenu, parmi les aménagements du logement de M. D... que les séquelles qu'il conserve de sa prise en charge rend nécessaires, qu'un siège de douche, des barres d'appui horizontales et un sur-élévateur de WC avec barres d'appui, pour un montant total de 570 euros. Il y a lieu de retenir une base de renouvellement décennale de ces équipements, et de capitaliser le coût annuel en résultant sur la base d'un coefficient de 55,369, par référence aux tables de mortalité 2020 publiées dans la gazette du palais, soit 2 524,83 euros après application du taux de perte de chance.

18. En revanche, M. D..., qui ne présente aucun justificatif au soutien de sa demande tendant au remboursement des frais d'adaptation de son véhicule, n'est fondé à demander aucune indemnité à ce titre.

19. Dès lors que l'expertise comptable et l'étude d'ergothérapeute qu'ils ont fait réaliser pour des coûts respectifs de 1 200 euros et 800 euros, n'ont pas été utiles à la détermination du préjudice indemnisable, les requérants ne sont pas fondés à demander le remboursement des frais correspondants.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux de M. D... :

20. Il sera fait une juste réparation du préjudice scolaire de la victime, qui a perdu une chance d'obtenir son CAP et de poursuivre ses études dans le domaine de la restauration, en lui allouant une indemnité de 1 280 euros après application du taux de perte de chance.

21. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. D... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 5 mai 2014 au 7 janvier 2015, puis évalué à 50% du 8 janvier au 7 avril 2015. Il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité due à ce titre à la somme de 4 000 euros, après application du taux de perte de chance.

22. Il résulte encore de l'instruction, et particulièrement de l'expertise, que M. D... subit un déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 50 %, depuis le 7 avril 2015, alors qu'il était âgé de dix-sept ans. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en le fixant à la somme de 120 000 euros, après application du taux de perte de chance.

23. Les souffrances temporairement endurées par M. D... ont été évaluées par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 à 7. Il y a lieu d'allouer au requérant à ce titre une somme de 10 400 euros, après application du taux de perte de chance.

24. Il ne résulte pas de l'instruction que M. D... aurait subi un préjudice esthétique distinct de celui résultant de son amputation et des répercussions de toute nature sur sa physionomie. Il sera fait une juste réparation de ce préjudice esthétique, évalué par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 à 7, en allouant à l'intéressé, après application du taux de perte de chance, la somme de 10 400 euros.

25. Il résulte également de l'instruction que le préjudice d'agrément subi par M. D... du fait de l'impossibilité ou de la gêne à pratiquer certaines activités sportives auxquelles il s'adonnait avant son accident, en particulier la moto, doit être évalué à la somme de 8 000 euros, soit 6 400 euros après application du taux de perte de chance.

26. Il ne résulte ni du rapport d'expert, ni des autres pièces versées à l'instruction que M. D... subirait une perte de libido du fait de son amputation. La simple gêne positionnelle qu'il invoque, de même que les répercussions de son image sur sa vie sentimentale, lesquelles ont été indemnisées au titre du préjudice esthétique, ne sauraient caractériser un préjudice sexuel.

27. Enfin, il n'appartient pas au juge administratif de donner acte des réserves des droits à être indemnisés de frais ultérieurs éventuels tels que l'achat d'un fauteuil roulant.

S'agissant du préjudice moral de M. C... D... et Mme A... B... :

28. Il sera fait une juste réparation du préjudice moral subi par les parents de M. E... D... du fait des souffrances qu'ils ont éprouvées liées à l'incertitude sur l'évolution de son état de santé et des troubles de toute nature liés à l'accompagnement de la victime, eu égard à l'âge de celle-ci, en allouant aux intéressés, après application du taux de perte de chance, une somme de 2 400 euros chacun.

29. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... D... est fondé à demander que l'indemnité accordée par les premiers juges soit rehaussée à la somme de 197 194,94 euros, tenant compte des frais d'assistance par un médecin-conseil à hauteur de 400 euros non discutés en appel, dont 31 646,11 euros qui ne lui seront versés que sous réserve de se conformer à ce qui a été exposé au point 12 du présent arrêt, outre le versement d'une rente annuelle de 4 944 euros, qui sera versée dans les conditions précisées au point 13. En outre, M. C... D... et Mme A... B... sont fondés à demander le rehaussement de l'indemnité allouée par le tribunal à la somme de 2 400 euros chacun. Par ailleurs, la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence est fondée à demander que l'indemnité allouée par le tribunal au titre des débours exposés pour M. D... soit portée à la somme de 102 698 euros. En revanche, le centre hospitalier de la Dracénie est fondé à demander que la limite fixée par les premiers juges au montant annuel de la rente allouée à la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence au titre des frais de soins et d'appareillage soit ramenée à un montant de 1 798,30 euros, outre le versement d'une somme de 141,89 euros au titre des frais pharmaceutiques.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

30. Il y a lieu de porter à la somme de 1 098 euros le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion, prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, allouée par les premiers juges à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence, conformément à l'arrêté susvisé du 4 décembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

31. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier de la Dracenie la somme de 2 000 euros à verser aux consorts D... et à la CPAM des Alpes de Haute-Provence au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de ces derniers le versement de tout ou partie de la somme que demande le centre hospitalier de la Dracénie sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : L'indemnité de 112 000 euros mise à la charge du centre hospitalier de la Dracénie au profit de M. E... D... par le tribunal administratif de Toulon est portée à la somme de 197 194,94 euros, dont 31 646,11 euros qui ne seront versés que sous réserve pour M. D... de se conformer au point 12 du présent arrêt.

Article 2 : Une rente annuelle d'assistance par tierce personne d'un montant de 4 944 euros, qui sera versée à M. D... dans les conditions précisées au point 13 du présent arrêt, revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, est mise à la charge du centre hospitalier de la Dracénie.

Article 3 : Les indemnités de 1 500 euros mise à la charge du centre hospitalier de la Dracénie au profit de M. C... D... et Mme A... B... par le tribunal administratif de Toulon sont portées à la somme de 2 400 euros.

Article 4 : L'indemnité de 64 186,25 euros mise à la charge du centre hospitalier de la Dracénie au profit de la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence par le tribunal administratif de Toulon est portée à la somme de 102 698 euros

Article 5 : Le centre hospitalier de la Dracénie est condamné à verser à la CPAM des Alpes de Haute-Provence une somme de 141,89 euros au titre des frais pharmaceutiques.

Article 6 : La limite fixée par le tribunal administratif de Toulon au montant annuel de la rente allouée à la CPAM des Alpes de Haute-Provence au titre des frais de soins et d'appareillage soit ramenée à un montant de 1 798,30 euros.

Article 7 : L'indemnité forfaitaire de gestion allouée par le tribunal administratif de Toulon à la CPAM des Alpes de Haute-Provence est portée à la somme de 1 098 euros.

Article 8 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1802738 du 11 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 9 : Le centre hospitalier de la Dracénie versera aux consorts D... et à la CPAM des Alpes de Haute-Provence des sommes de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 10 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 11 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à M. C... D..., à Mme A... B..., au directeur du centre hospitalier de la Dracénie, à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, où siégeaient :

- M. Alfonsi, président,

- Mme Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. Sanson, conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 novembre 2021.

5

N° 20MA02189


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Pierre SANSON
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : CHICHE R., COHEN S., CHICHE P.

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 25/11/2021
Date de l'import : 07/12/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20MA02189
Numéro NOR : CETATEXT000044377520 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-11-25;20ma02189 ?
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