Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Saprimex a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui payer la somme de 53 885 886 euros au titre du préjudice financier qu'elle estime avoir subi en raison de la diminution de la capacité de production de la centrale photovoltaïque édifiée à Saint-Martin-de-Crau qu'elle estime imputable à l'application du décret du 9 décembre 2010.
Par un jugement n° 1708960 du 20 janvier 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 mars 2020 et 16 septembre 2021, la société Saprimex, représentée par Me Ferrari, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 53 885 886 euros au titre de la perte de marge consécutive à la réduction de la centrale photovoltaïque autorisée ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il se fonde sur l'absence de retour du devis de raccordement avant le 2 décembre 2010 alors que ce point n'a pas été soumis au débat contradictoire en violation des stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la demande de première instance était bien recevable dès lors qu'elle a présenté une demande indemnitaire le 13 juillet 2017 qui a donné naissance à une décision implicite de rejet ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a bien retourné à ERDF le devis de raccordement (proposition technique et financière) avant le 2 décembre 2010 comme le démontre le contrat d'achat d'électricité nécessairement consécutif à cette proposition technique et financière ; le tribunal s'est contredit en constatant l'existence du contrat d'achat et en rejetant sa demande indemnitaire au motif, non débattu contradictoirement, de l'absence de preuve de retour de la proposition technique et financière avant le 2 décembre 2010 ; elle produit l'accusé de réception par ERDF ;
- s'il est constant qu'en application du 14ème alinéa de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 le pouvoir réglementaire peut suspendre la conclusion de contrats d'achat, il ne pouvait fixer un délai maximal d'achèvement des travaux ; en prévoyant un délai d'achèvement de dix-huit mois après le retour accepté de la proposition technique, le pouvoir réglementaire a commis une illégalité fautive qui engage la responsabilité de l'Etat ; l'application de ce délai est l'origine d'une limitation du projet initialement développé ;
- le préjudice financier en lien avec la faute de l'Etat est fondé sur la perte de marge entre le projet réalisé et le projet initial ; le lien de causalité entre la faute de l'Etat et le préjudice est établi ; la cause prépondérante de la limitation de la puissance de la centrale à 3,793 MW au lieu des 12 MW initialement prévue est que la construction devait être achevée dans le délai de dix-huit mois en raison de la réglementation illégale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2021, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Saprimex ne sont pas fondés.
Un mémoire enregistré le 30 septembre 2021 présenté par le ministre de la transition écologique n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 16 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... Guillaumont, rapporteur,
- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me Ferrari pour la société Saprimex.
Considérant ce qui suit :
1. La société Saprimex, spécialisée dans la production d'électricité issue de sources d'origine renouvelable, a développé, à compter de 2009, un projet de construction d'une installation dite " photovoltaïque " d'une puissance initialement prévue de 12 mégawatts (MW) à Saint-Martin-de-Crau. Alors que ce projet était en cours, est intervenu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010. L'article 1er de ce décret a suspendu pour une durée de trois mois l'obligation de conclure un contrat d'achat pour l'électricité produite par ce type d'installations, à l'exception de certains projets, compte tenu de la puissance installée (article 2) et de l'état d'avancement de la procédure engagée (articles 3 et 4). Ce décret a également prévu l'obligation pour les installations entrant dans le champ de la suspension de déposer une nouvelle demande complète de raccordement pour bénéficier d'un contrat d'achat (article 5) appliquant non pas les tarifs en vigueur à la date initiale de la demande mais ceux qui seront en vigueur à la date du dépôt de la nouvelle demande. Dans ce contexte, la société requérante a sollicité et obtenu, par décision du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 21 décembre 2011, un certificat ouvrant droit à l'obligation d'achat d'électricité pour une installation d'une puissance de 3,793 MW. Ce certificat est venu modifier le certificat initial qui avait été délivré le 18 décembre 2009 pour une puissance de 12 MW. Par courrier du 13 juillet 2017 adressé au Premier ministre, la société Saprimex a demandé l'indemnisation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi en raison de la perte de marge entre la puissance prévue initialement et celle finalement mise en œuvre. A la suite du rejet implicite de sa demande indemnitaire préalable, la société Saprimex a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 53 885 886 euros au titre de son préjudice financier. La société Saprimex relève appel du jugement du 20 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Au point 4 du jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Saprimex comme infondées en estimant qu'en tout état de cause, si la société Saprimex soutenait qu'elle avait notifié au gestionnaire du réseau son acceptation à la proposition technique et financière de raccordement avant le 2 décembre 2010, elle ne l'établissait pas et que par conséquent, dès lors qu'elle ne remplissait pas au moins l'une des conditions cumulatives pour bénéficier des dispositions relatives aux contrats en cours au moment de la suspension de l'obligation de rachat de l'électricité dite " voltaïque ", elle ne saurait utilement soutenir qu'elle aurait subi un préjudice en raison de l'illégalité alléguée des dispositions contestées. En relevant d'office ce moyen qui n'avait pas été soulevé en défense, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, les premiers juges ont entaché d'irrégularité leur jugement. Il y a lieu pour la Cour de se prononcer immédiatement, par voie d'évocation, sur les conclusions de la société Saprimex tendant à obtenir la condamnation de l'Etat.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
3. Aux termes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 314-1 du code de l'énergie : " Sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : / (...) 2° Les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables (...) ". Aux termes du quatorzième alinéa du même article, aujourd'hui repris à l'article L. 314-6 du code de l'énergie : " Sous réserve du maintien des contrats en cours et des dispositions de l'article 50, l'obligation de conclure un contrat d'achat prévu au présent article peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ". Aux termes de l'article 1er du décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil, pris en application des dispositions précitées de la loi du 10 février 2000 : " L'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l'article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l'entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ". Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Les dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Le bénéfice de l'obligation d'achat au titre de l'article 3 est subordonné à la mise en service de l'installation dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de l'acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ou, lorsque cette notification est antérieure de plus de neuf mois à la date d'entrée en vigueur du présent décret, à la mise en service de l'installation dans les neuf mois suivant cette date. / Les délais mentionnés au premier alinéa sont prolongés lorsque la mise en service de l'installation est retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement et à condition que l'installation ait été achevée dans les délais prévus au premier alinéa. La mise en service de l'installation doit, dans tous les cas, intervenir au plus tard deux mois après la fin des travaux de raccordement. / La date de mise en service de l'installation correspond à la date de mise en service de son raccordement au réseau ". Enfin, aux termes de son article 5 : " A l'issue de la période de suspension mentionnée à l'article 1er, les demandes suspendues devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat ".
4. Il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que seuls les producteurs ayant notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, leur acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau peuvent bénéficier d'un contrat d'achat d'électricité dans les conditions antérieures à la suspension mise en œuvre par le décret du 9 décembre 2010, sous réserve de la mise en service de leur installation dans le délai de dix-huit mois à compter de la notification de cette acceptation.
5. Les dispositions de l'article 4 du décret du 9 décembre 2010, citées au point 3 de la présente décision, subordonnent le bénéfice de l'obligation d'achat, pour les installations dont le producteur a notifié son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010, à la mise en service de l'installation dans un délai de dix-huit mois à compter de cette notification, lorsque celle-ci n'a pas été antérieure de plus de neuf mois à la date d'entrée en vigueur de ce décret, le délai de dix-huit mois étant prolongé lorsque la mise en service de l'installation a été retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement, l'installation devant, en tout état de cause, être achevée dans ce délai et sa mise en service intervenir au plus tard deux mois après la fin de ces travaux. En l'espèce, il est constant que la société requérante n'a pas été en mesure d'achever les installations initialement envisagées dans le délai de dix-huit mois prévu par les dispositions précitées du décret du 9 décembre 2010. Si la société requérante fait valoir que le pouvoir réglementaire a irrégulièrement fixé un délai maximal d'achèvement des travaux, il résulte au contraire des dispositions précitées du quatorzième alinéa de l'article 10 de la loi du 10 février 2000, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans la décision n° 344972 (...) du 16 novembre 2011, que le pouvoir réglementaire a légalement pu, d'une part, définir les catégories d'installations écartées de la suspension prononcée, y compris en précisant les délais de mise en service permettant de conserver le bénéfice de l'obligation de conclure un contrat d'achat, et, d'autre part, prévoir que les installations pour lesquelles cette obligation était suspendue devraient faire l'objet d'une nouvelle demande de raccordement au réseau et perdraient ainsi le bénéfice des conditions d'achat antérieurement applicables. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le décret du 9 décembre 2010 aurait illégalement soumis l'obligation d'achat à une condition non prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 doit être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence de faute de l'Etat, les conclusions indemnitaires présentées par la société Saprimex doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
8. Ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la société requérante soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante à l'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1708960 du 20 janvier 2020 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Saprimex devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Saprimex, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Saprimex et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Guy Fédou président,
- M. Gilles Taormina, président assesseur,
- M. B... Guillaumont, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2021.
N° 20MA01236 2