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24/09/2021 | FRANCE | N°20MA03468

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 24 septembre 2021, 20MA03468


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société Naval Group à lui verser la somme de 3 201,26 euros brut à titre d'indemnité en contrepartie du temps passé aux opérations d'habillage et de déshabillage pour la période d'août 2014 à juillet 2017.

Par un jugement n° 1800255 du 23 décembre 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Par une ordonnance du 24 août 2020, le président de la se

ction du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Marseill...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société Naval Group à lui verser la somme de 3 201,26 euros brut à titre d'indemnité en contrepartie du temps passé aux opérations d'habillage et de déshabillage pour la période d'août 2014 à juillet 2017.

Par un jugement n° 1800255 du 23 décembre 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Par une ordonnance du 24 août 2020, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Marseille le jugement du recours formé par M. B... contre le jugement du 23 décembre 2019 du tribunal administratif de Toulon enregistré au greffe du Conseil d'Etat le 21 février 2020.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, initialement enregistrés au greffe du Conseil d'Etat le 21 février 2020 et le 22 mai 2020, et un mémoire complémentaire enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 19 novembre 2020, M. B..., représenté par Me Heulin, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 décembre 2019 ;

2°) de condamner la société Naval Group à lui verser la somme de 3 201,26 euros brut à titre d'indemnité en contrepartie du temps passé aux opérations d'habillage et de déshabillage, en plus des temps de douche accordés dans le cadre de l'accord d'entreprise et de l'accord d'établissement ;

3°) de condamner la société Naval Group à lui verser, à compter de la date de réception de la demande préalable, les intérêts sur l'ensemble des sommes dues, ainsi que la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle successive ;

4°) de mettre à la charge de la société la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le litige ressortit à la compétence du juge administratif ;

- le jugement attaqué a été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée ;

- ce jugement ne comporte pas les signatures prescrites à l'article R. 741-8 du code de justice administrative ;

- les temps d'habillage et de déshabillage auxquels il est astreint doivent être regardés comme du temps de travail effectif ;

- le " temps de douche " mentionné dans l'accord d'entreprise du 11 mai 2004 n'inclut pas le temps d'habillage et de déshabillage à la prise de service journalière ;

- les articles 1.1.1 et 1.1.2 de l'instruction du 26 juillet 2002 relative à la durée du travail effectif des ouvriers de l'Etat du ministère de la défense sont contraires aux dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

- l'absence de disposition particulière permettant d'ouvrir droit à rémunération ou compensation de " l'obligation liée au travail " constituée par les opérations d'habillage et de déshabillage sur le lieu de travail pour les ouvriers de l'Etat mis à disposition de la société Naval Group révèle une inégalité de traitement par rapport aux autres agents publics.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2021, la société Naval Group, représentée par Me Leclercq, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à l'incompétence de la juridiction administrative, et demande que soit mise à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code civil ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Prieto, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me Dutard, substituant Me Heulin, représentant M. B..., et de Me Leclercq, représentant la société Naval Group.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... relève appel du jugement du 23 décembre 2019 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Naval Group à lui verser la somme de 3 201,26 euros brut à titre d'indemnité en contrepartie du temps passé aux opérations d'habillage et de déshabillage pour la période d'août 2014 à juillet 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le juge administratif est compétent pour connaître d'un litige opposant la société Naval Group, qui est une société de droit privé, à un de ses agents, dès lors que celui-ci a conservé le bénéfice de son statut d'ouvrier de l'Etat et demeure, de par ce statut, un agent de droit public.

3. Il résulte de l'instruction que le recours introduit devant le tribunal administratif de Toulon par M. B..., ouvrier de l'Etat mis à disposition de la société Naval Group au sein de l'établissement de Toulon, tendait à la condamnation de son employeur à lui verser des sommes prétendument dues. Eu égard à la qualité d'agent public de l'intéressé, ce litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative, alors même que la décision litigieuse a été prise en application des stipulations d'un accord d'entreprise, conclu sur le fondement des dispositions du livre II du code du travail et qui ne régit pas l'organisation du service public.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 222-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller ou ayant une ancienneté minimale de deux ans statue en audience publique et après audition du rapporteur public, sous réserve de l'application de l'article R. 732-1-1 : " (...) / 10° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15. ".

5. La demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans chercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 10° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative. Par suite, une telle demande n'entre pas, quelle que soit l'étendue des obligations qui pèseraient sur l'administration au cas où il y serait fait droit, dans le champ de l'exception, prévue à ce 10°, en vertu de laquelle le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne régulièrement à cette fin statue, seul, sur le litige.

6. Il résulte de l'instruction que M. B... n'invoquait pas d'autre préjudice que celui qui résultait de l'absence de versement par son employeur d'un complément de rémunération au titre du temps passé aux opérations d'habillage et de déshabillage sur le lieu de travail. Par suite, la demande qu'il a présentée au tribunal administratif ne peut être regardée comme une action indemnitaire au sens du 10° de l'article R. 222-13 du code de justice administrative. Il s'ensuit que le litige devait être jugé par le tribunal administratif statuant en formation collégiale. En conséquence, le jugement du 23 décembre 2019 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulon, rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée, est entaché d'irrégularité et, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen tiré de l'irrégularité de ce jugement, celui-ci doit être annulé.

7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon.

8. Aux termes de l'article L. 3121-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable jusqu'au 9 août 2016 inclus : " Le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail. / Ces contreparties sont déterminées par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par le contrat de travail, sans préjudice des clauses des conventions collectives, de branche, d'entreprise ou d'établissement, des usages ou des stipulations du contrat de travail assimilant ces temps d'habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif. ". Aux termes du même article, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 également applicable au litige : " Le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière. ".

9. Il résulte de l'instruction, et particulièrement de l'article 3-3 du règlement intérieur de l'établissement de Toulon selon lequel " chaque personnel doit se trouver à son poste de travail, et en tenue de travail pour les personnels de production, aux heures fixées pour le début et pour la fin de séance de travail et doit badger en début et en fin de travail en tenue de travail (...) " ainsi que de l'article 3-6 de ce même règlement qui interdit aux employés d'emporter tout matériel mis à leur disposition hors de l'établissement, que M. B..., qui est au nombre des personnels de production au sein cet établissement, est astreint au port d'une tenue de travail fournie par l'employeur et que les opérations d'habillage et de déshabillage, en début et en fin de journée de travail, doivent s'accomplir sur le lieu de travail.

10. Il résulte également de l'instruction que, par un accord d'entreprise signé au niveau national le 11 mai 2004 et un accord spécifique concernant l'établissement de Toulon conclu le 16 janvier 2008, les personnels exécutant des travaux salissants au sein de la structure se sont vu accorder le bénéfice d'une cessation anticipée du travail correspondant au temps passé à la douche, dit " temps de douche ", comptabilisé comme un temps de travail effectif à hauteur de six et douze minutes respectivement à la débauchée du midi et à la débauchée du soir s'agissant des personnels relevant du régime dit de chantier, et de deux fois six minutes s'agissant de ceux relevant du régime dit d'atelier. Ces conventions prévoyaient que le bénéfice de ce " temps de douche " était applicable aux ouvriers de l'Etat mis à disposition de la société.

11. Il résulte également de l'instruction que lesdites conventions ne prévoyaient pas, fut-ce de manière implicite, l'habillage de la tenue de travail à l'embauche et aucun élément extrinsèque aux accords ne permet de considérer que ces temps d'habillage à l'embauche étaient inclus dans le minutage des crédits horaires visés dans lesdits accords.

12. Aussi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il a soulevés, M. B... est dès lors fondé à demander, en application des dispositions précitées de l'article L. 3121-3 du code du travail dont il peut en l'espèce valablement se prévaloir et, les conditions cumulatives prévues par cet article étant satisfaites, le bénéfice de contreparties pour le temps qu'il a consacré à l'opération d'habillage en début de journée de travail pour la période courant du mois d'août 2014 à juillet 2017, soit antérieurement à la prise d'effet de l'accord d'entreprise signé le 11 avril 2017 qui règle expressément cette question.

13. A défaut de production, dans l'instance, de références objectives fiables concernant le temps nécessaire pour revêtir la tenue de travail en début de journée de travail, ce temps sera fixé à cinq minutes. La contrepartie financière de ce temps, qui ne saurait être regardé comme du temps de travail effectif et rémunéré comme tel, sera fixée forfaitairement à dix euros de l'heure.

14. M. B... totalisant 596 jours de présence dans l'établissement entre les mois d'août 2014 et juillet 2017, il a droit à une somme de 496,67 euros net à titre de contrepartie financière.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

15. M. B... a droit aux intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2017, date de réception de sa demande préalable indemnitaire par la société Naval Group.

16. Aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. ". Pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit toutefois besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. La demande de capitalisation des intérêts a été présentée avec la réclamation préalable indemnitaire réceptionnée le 22 mai 2020. En conséquence, M. B... a droit à la capitalisation de ces intérêts à compter du 22 mai 2021, date à laquelle une année d'intérêt était due, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais liés au litige :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Naval Group demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Naval Group une somme de 100 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 23 décembre 2019 est annulé.

Article 2 : La société Naval Group est condamnée à verser à M. B... une somme de 496,67 euros net. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2017. Les intérêts seront capitalisés à compter du 22 mai 2020 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : La société Naval Group versera à M. B... une somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société Naval Group.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.

2

N° 20MA03468

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03468
Date de la décision : 24/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Qualité de fonctionnaire ou d'agent public - Qualité d'agent public.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'annulation - Compétence à l'intérieur de la juridiction administrative.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SELARL GOLDMANN ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-09-24;20ma03468 ?
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