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05/07/2021 | FRANCE | N°19MA03762

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 05 juillet 2021, 19MA03762


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 139 500 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident dont il a été victime à l'occasion de l'intervention des forces de police le 21 septembre 2012.

Par un jugement avant-dire droit n°1704250 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a jugé que l'Etat devait indemniser M. D... des préjudices subis et a ordonné un supplément d'instruction.

Par un

jugement n°1704250 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 139 500 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident dont il a été victime à l'occasion de l'intervention des forces de police le 21 septembre 2012.

Par un jugement avant-dire droit n°1704250 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a jugé que l'Etat devait indemniser M. D... des préjudices subis et a ordonné un supplément d'instruction.

Par un jugement n°1704250 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. D... la somme de 47 700 euros et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans ses droits, la somme de 15 000 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 août 2019 et 4 mars 2021, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il fixe à 47 700 euros le montant de son indemnisation ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 124 500 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que, au bénéfice de son conseil, une somme de 2 000 euros au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a subi un préjudice scolaire ; la gravité de l'accident et son état physique et psychologique en résultant l'ont empêché de poursuivre sa formation au cours de l'année scolaire 2012-2013, et son dossier n'a pas été admis l'année suivante ;

- il subit un préjudice professionnel du fait d'une dévalorisation sur le marché du travail ;

- le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice esthétique subis ont été sous-évalués ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2019, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault qui n'a pas produit d'observations.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier faute de mise en cause de la caisse de sécurité sociale d'affiliation de M. D..., en méconnaissance de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale.

Un mémoire, en réponse au moyen d'ordre public, a été enregistré pour M. D... le 19 avril 2021.

Il soutient que la mise en cause de la caisse de sécurité sociale peut intervenir à tout stade de la procédure.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 21 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 septembre 2012, peu de temps avant un match de football, des affrontements ont opposé les forces de l'ordre et un groupe d'individus aux abords du stade de la Mosson à Montpellier. M. D..., présent sur les lieux, âgé de 21 ans, a reçu dans l'œil droit un tir de " flashball " lui occasionnant une grave blessure. Par un jugement avant dire droit du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que la responsabilité sans faute de l'Etat était engagée à son égard, sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et a, avant de statuer plus amplement, prescrit un supplément d'instruction portant sur les indemnisations déjà perçues par l'intéressé à ce titre. A la suite de ce complément d'instruction et par un second jugement du 19 mars 2019, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à l'intéressé la somme de 47 700 euros et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions subrogé dans ses droits la somme de 15 000 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. (...) ". Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'assurer, en tout état de la procédure, le respect de ces dispositions. Ainsi, le tribunal administratif, saisi par la victime ou par la caisse d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident, doit appeler en la cause, selon le cas, la caisse ou la victime. La méconnaissance des obligations de mise en cause entache le jugement d'une irrégularité que le juge d'appel ou le juge de cassation doit, au besoin, relever d'office.

3. Il ressort des pièces du dossier produites devant le tribunal administratif que M. D... avait la qualité d'assuré social. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il appartenait au tribunal, saisi par M. D... d'une demande tendant à la réparation de son préjudice corporel, de communiquer celle-ci à la caisse de sécurité sociale à laquelle il était affilié. En s'abstenant de procéder à cette communication, le tribunal a entaché son jugement du 19 mars 2019 d'irrégularité. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, ce jugement doit être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. D....

4. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault ayant été mise en cause dans la présente instance, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. D....

Sur les préjudices subis par M. D... :

5. A la suite de l'accident du 21 septembre 2012, M. D... a été hospitalisé jusqu'au 26 septembre 2012, puis du 19 au 22 novembre 2012, pour une éviscération chirurgicale de l'œil droit. Après maintien d'un pansement occlusif, puis mise en place d'une prothèse oculaire provisoire, une prothèse définitive lui a été posée à la fin du mois de février 2013.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

6. D'une part, comme l'a retenu le médecin légiste, expert près la cour d'appel de Montpellier, ayant établi un rapport médico-légal le 8 avril 2013, la blessure subie par M. D..., lui occasionnant des douleurs physiques, des gênes fonctionnelles, une astreinte aux soins et une réaction d'anxiété, justifiait une incapacité de l'intéressé à reprendre le " travail " entre le 21 septembre 2012, jour de l'accident, et le 5 avril 2013, jour de consolidation des lésions ophtalmologiques. Ainsi, M. D..., titulaire d'un bac professionnel en électrotechnique qui effectuait jusqu'alors du travail par intérim, est fondé à soutenir, qu'à raison de l'accident dont il a été victime, il n'a pu suivre la formation de reconversion à laquelle il avait été admis, destinée à l'obtention d'un diplôme de niveau baccalauréat spécialisé dans l'accueil hôtelier, qui devait commencer le 15 octobre 2012. S'il ne justifie pas que le refus d'inscription qui lui a été opposé l'année suivante concernait le même cursus, le préjudice résultant de la perte de cette période de formation et de la chance d'obtenir le diplôme correspondant sera justement apprécié en le fixant à la somme de 5 000 euros.

7. D'autre part, s'il n'est pas établi que M. D... n'a pu mener à terme le service civique entrepris au mois de décembre 2013 et passer les épreuves du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur d'accueil collectif de mineurs en raison des conséquences de l'accident du 21 septembre 2012, il résulte en revanche de l'instruction, au vu notamment du rapport médico-légal mentionné ci-dessus, que M. D... subit du fait du handicap dont il demeure atteint, et alors que son projet professionnel n'était pas finalisé à la date de l'accident, une dévalorisation sur le marché du travail liée à une fragilisation de son état psychologique et surtout à une fatigabilité plus importante, particulièrement pour certaines tâches, de travail sur écran ou de conduite. La somme de 5 000 euros sera justement retenue à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices personnels :

8. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. D... s'est trouvé, du fait de l'accident dont il a été victime, hospitalisé du 21 au 26 septembre, puis du 19 au 22 novembre 2012. Il a subi une période de déficit fonctionnel partiel, jusqu'à la consolidation de son état le 5 avril 2013, évaluée à 30 % par l'expert judiciaire. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une somme globale de 1 700 euros.

9. Les souffrances, tant physiques que psychiques, subies par M. D... jusqu'à sa consolidation ont été évaluées par l'expert judiciaire à 3,5 sur une échelle de 7, compte-tenu notamment de l'éviscération à laquelle il a dû se soumettre. Ce préjudice sera justement évalué à la somme de 8 000 euros.

10. Le déficit fonctionnel permanent dont l'intéressé se trouve atteint du fait de la perte de la vision de l'œil droit et des difficultés psychologiques qu'il rencontre en lien avec ce handicap, évalué à 25% par l'expert judiciaire, sera justement indemnisé, eu égard à son âge à la date de consolidation, en lui allouant une somme de 50 000 euros.

11. Enfin, M. D..., contraint de porter une prothèse oculaire, sera justement indemnisé de son préjudice esthétique, évalué à 2,5 sur une échelle de 7, à hauteur de la somme de 3 000 euros.

Sur l'indemnisation :

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préjudice de M. D... en lien avec l'accident litigieux s'élève à la somme totale de 72 700 euros, dont doit être déduite la somme de 15 000 euros qui lui a été versée à ce titre par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Il y a dès lors lieu de condamner l'Etat à verser la somme de 57 700 euros à M. D....

Sur les frais liés au litige :

13. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat, Me A..., peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 2 000 euros à ce titre. Il y a également lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... devant le tribunal administratif.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 mars 2019 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. D....

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D... la somme de 57 700 euros.

Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à M. D... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande de première instance est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au ministre de l'intérieur, au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2021, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme C..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2021.

N°19MA03762 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03762
Date de la décision : 05/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : COUPARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-07-05;19ma03762 ?
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