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28/06/2021 | FRANCE | N°18MA02742

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 28 juin 2021, 18MA02742


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Valeor a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le syndicat mixte du développement durable de l'Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) à lui verser la somme de 4 894 683 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2013 et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement avant dire droit n° 1303270 du 31 mai 2016, le tribunal a annulé le marché conclu entre le SMIDDEV et la société Ehol, a rejeté

les conclusions de la société Valeor tendant au paiement d'une indemnité au titre de f...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Valeor a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le syndicat mixte du développement durable de l'Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) à lui verser la somme de 4 894 683 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2013 et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement avant dire droit n° 1303270 du 31 mai 2016, le tribunal a annulé le marché conclu entre le SMIDDEV et la société Ehol, a rejeté les conclusions de la société Valeor tendant au paiement d'une indemnité au titre de frais sociaux et a ordonné une expertise comptable afin d'établir la marge bénéficiaire qu'aurait réalisée la société SMA si elle avait été attributaire de ce marché. Par un arrêt n° 19MA04525 du 21 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'article 1er du jugement avant dire droit n° 1303270 du tribunal administratif de Toulon prononçant l'annulation du contrat et a rejeté les surplus des conclusions du SMIDDEV. La Cour a jugé que la procédure de passation du marché en litige était irrégulière et que la société Valeor, qui présentait des chances sérieuses de remporter le marché, avait subi un préjudice du fait de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution.

Par un jugement n° 1303270 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné le SMIDDEV à verser à la société Valeor la somme de 3 671 012 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 13 juin 2018, le 14 janvier 2019 et le 22 février 2019, le SMIDDEV, représenté par Me A... de la SELARL Itinéraires, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1303270 du 6 avril 2018 ;

2°) à titre principal, de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par la société Valeor ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter les condamnations prononcées à son encontre à la somme de 292 207 euros ;

4°) de mettre à la charge de la société Valeor la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la cristallisation du débat contentieux ;

- le montant du préjudice subi par la société Valeor a été surévalué ; le montant du préjudice résultant du manque à gagner doit être limité à 292 207 euros ;

- les conclusions d'appel incident formées par la société Valeor sont infondées ;

- le point de départ des intérêts de retard fixé par le tribunal administratif de Toulon est erroné ;

- les demandes indemnitaires de la société Valeor ne sont pas fondées.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 8 octobre 2018 et le 29 janvier 2019, la société Valeor, représentée par la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de réformer le jugement en ce qu'il a refusé de mettre à la charge du SMIDDEV la somme de 1 223 671 euros au titre de l'année de reconduction de marché ;

3°) de condamner le SMIDDEV, par la voie de l'appel incident, à lui verser la somme de 1 223 671 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2013 et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner le SMIDDEV à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses conclusions indemnitaires étaient recevables ; elle avait la possibilité de faire évoluer le chiffrage de son préjudice ;

- ses demandes indemnitaires sont justifiées ;

- la méthode retenue par l'expert pour calculer son préjudice est fondée ;

- elle a droit au paiement d'une somme complémentaire de 1 223 671 euros au titre de l'année supplémentaire d'exécution du marché.

Par ordonnance en date du 25 février 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Point, rapporteur ;

- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public ;

- et les observations de Me A... pour le SMIDDEV et de Me D... pour la société Valeor ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis publié le 9 avril 2013 au journal officiel de l'Union européenne, le SMIDDEV a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert relatif à la passation d'un marché public de " tri-conditionnement de matériaux de collectes sélectives ". Par un courrier en date du 14 juin 2013, le SMIDDEV a notifié à la société SMA le rejet de son offre. Le SMIDDEV a conclu le marché, le 25 juillet 2013, avec la société Ehol. Par un courrier du 23 octobre 2013, la société SMA a formé auprès du SMIDDEV une demande indemnitaire préalable tendant à ce que ce dernier l'indemnise du préjudice subi en raison de son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché. Par un jugement avant dire droit n° 1303270 du 31 mai 2016, confirmé sur ces points par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 19MA04525 en date du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a jugé que la procédure de passation du marché en litige était irrégulière, que la société SMA présentait des chances sérieuses de remporter le marché et a ordonné une expertise en vue de déterminer le montant du préjudice subi par la société Valeor, venue aux droits de la société SMA. Par un jugement n° 1303270 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné le SMIDDEV à verser à la société Valeor la somme de 3 671 012 euros en réparation de ses préjudices. Le SMIDDEV fait appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la société Valeor demande le paiement d'un complément d'indemnité de 1 223 671 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte de l'instruction que la société Valeor a modifié l'étendue de ses conclusions présentées en première instance en réévaluant son préjudice après la remise de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Toulon. L'expertise ayant permis une connaissance réelle de l'étendue de ses préjudices, résultant du même fait dommageable, la société Valeor était recevable à augmenter le montant de ses prétentions après la remise de l'expertise, sans être liée par le chiffrage qu'elle avait initialement avancé. Le fait que l'expert ait construit son évaluation sur une méthode distincte de celle établie initialement par la société requérante ne faisait pas obstacle à ce que cette dernière modifie ses prétentions au vu des résultats de l'expertise. Le fait que l'expertise n'ait été sollicitée par la société SMA que dans un mémoire complémentaire présenté après l'expiration du délai contentieux ne faisait pas obstacle à cette réévaluation, la décision de recourir à une expertise constituant au demeurant un pouvoir propre du juge saisi du fond du litige. Les premiers juges ont fait valoir à cet égard que les éléments du dossier ne permettaient pas d'évaluer le manque à gagner de la société requérante. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée en défense par le SMIDDEV tirée de ce que la société Valeor ne pouvait augmenter le montant initial de ses prétentions indemnitaires.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le manque à gagner :

3. Il résulte de l'instruction que dans son rapport remis au greffe du tribunal administratif de Toulon le 31 mai 2016, l'expert a procédé au calcul du manque à gagner en calculant, d'une part, le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé par la société Valeor sur la période 2013-2016, d'autre part, le taux de marge nette moyen constaté sur la période 2011-2013. Par suite, le SMIDDEV n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que la méthode suivie par l'expert ne serait pas conforme à celle préconisée par le tribunal.

4. Le SMIDDEV conteste en outre le périmètre d'évaluation retenu par l'expert en faisant valoir que ce dernier a distingué l'activité de négoce et l'activité de tri, et retenu l'activité de négoce pour le calcul du manque à gagner. Il résulte toutefois de l'instruction que l'activité de négoce faisait partie intégrante des prestations du marché et que l'expert était par suite fondé à les prendre en compte. Le moyen doit dès lors être écarté.

5. En ce qui concerne l'évaluation du chiffre d'affaires prévisionnel, l'expert a pris en compte les données issues du marché exécuté par la société Ehol et a établi un tonnage total qui aurait été traité pour la période considérée. L'expert a ensuite valorisé ces prestations aux conditions tarifaires proposées dans l'offre de la société Valeor. L'expert a ainsi établi le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé par la société Valeor à la somme de 6 844 857 euros. L'expert a également pris en compte le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé dans le cadre de l'activité négoce, qu'il a évalué la somme de 1 315 532 euros pour l'ensemble de la période. Les données de ce calcul ne sont pas utilement contestées par les parties et il y a lieu de retenir l'évaluation de l'expertise concernant l'évaluation du chiffre d'affaires.

6. En ce qui concerne le calcul du taux de marge nette, il résulte de l'instruction que l'expert a considéré que seules devaient être prises en compte les charges variables, au motif que la variation d'activité induite par l'exécution du marché n'aurait pas eu d'impact sur les charges fixes de la société Valeor. L'expert a notamment fait valoir que les charges fixes de la société Valeor n'avaient pas été réduites au cours de la période 2013-2016 du fait de l'absence d'attribution du marché en litige et que l'exécution du marché en cause n'aurait engendré pour elle aucun investissement supplémentaire. Le SMIDDEV n'apporte aucun élément de nature à contredire utilement la pertinence de ce choix de méthode et n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'expert a pris en compte les coûts variables à l'exclusion des coûts fixes.

7. Le SMIDDEV conteste les résultats de l'expertise en faisant valoir, d'une part, que le taux de marge nette fixé par l'expert est disproportionné, d'autre part que le taux retenu ne devrait pas excéder 3,73 %. Il résulte de ce qui précède que les paramètres et les données de calcul pris en compte par l'expert pour fonder son évaluation ne sont pas utilement contestés. Si le SMIDDEV fait valoir que le taux de marge nette devrait être établi à 3,73 %, ce chiffre est construit sur la base des données comptables de la société correspondant à l'ensemble de ses activités et n'est pas spécifique à l'exécution des prestations du marché de tri conditionnement de matériaux de collecte sélective. Si le SMIDDEV fait valoir par ailleurs que la marge brute habituelle du secteur est de 10,3 %, ce chiffre n'est pas de nature à remettre en cause les données plus spécifiques sur lesquelles s'est fondé l'expert ni le résultat qu'il a obtenu à partir de ces données. Le SMIDDEV soutient par ailleurs que le taux de marge devrait être limité au regard des efforts consentis par la société Valeor dans son offre. Il résulte toutefois de l'instruction que l'expert a pris en compte les tarifs de cette offre pour établir son estimation du chiffre d'affaires. Dans ces conditions, le SMIDDEV n'est pas fondé à soutenir que le taux de marge établi par l'expert serait erroné ou manifestement disproportionné.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de retenir, pour évaluer le préjudice subi par la société Valeor, le taux de marge nette de 44,31 % fixé par l'expert.

9. La société Valeor, par la voie de l'appel incident, soutient qu'elle a droit à un complément d'indemnité correspondant au bénéfice net qu'elle aurait réalisé au cours de l'année de reconduction du marché, prévue par les stipulations du contrat. Toutefois, l'article 9 du CCAP prévoyait seulement que le marché pouvait être reconduit pour un an et la société Valeor ne peut dès lors se prévaloir d'un droit à reconduction. En l'absence de tout élément ou circonstance particulière permettant d'établir qu'elle aurait eu une chance sérieuse d'obtenir cette reconduction d'un an, son préjudice ne peut être regardé comme certain. En outre, il résulte de l'instruction que la société Valeor a été attributaire du nouveau marché passé par le SMIDDEV en 2016. L'existence d'un préjudice lié à la reconduction du contrat pour une quatrième année n'est donc pas établie. Les conclusions de la société Valeor doivent dès lors sur ce point être rejetées.

10. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulon, par le jugement attaqué, a évalué le préjudice subi par la société Valeor en l'établissant à la somme de 3 671 012 euros TTC.

Sur les intérêts moratoires :

11. Les intérêts moratoires sont dus à compter de la date de la demande de paiement de l'indemnité. Par suite, le SMIDDEV n'est pas fondé à soutenir que les intérêts moratoires ne seraient dus qu'à la date d'achèvement du marché. La société Valeor avait ainsi droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 3 671 012 euros à compter du 23 octobre 2013, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par le SMIDDEV. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le 18 novembre 2013. A cette date, il n'était pas encore dû au moins une année d'intérêts. Toutefois la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Par suite, c'est à juste titre que le tribunal administratif de Toulon, par le jugement attaqué, a fait droit à la demande de la société Valeor à compter du 23 octobre 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par le SMIDDEV soit mise à la charge de la société Valeor, qui n'est pas principalement partie perdante à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de condamner le SMIDDEV à verser à la société Valeor la somme de 2 000 euros qu'elle réclame sur ce même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du SMIDDEV et les conclusions de la société Valeor tendant au versement d'un complément d'indemnité sont rejetées.

Article 2 : Le SMIDDEV versera à la société Valeor la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte du développement durable de l'Est Var pour le traitement et la valorisation des déchets ménagers (SMIDDEV) et à la société Valeor.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Christine Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. C... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2021.

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N° 18MA02742

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02742
Date de la décision : 28/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET CORNET-VINCENT-SEGUREL CVS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-28;18ma02742 ?
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