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14/06/2021 | FRANCE | N°20MA00762

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6eme chambre - formation a 3, 14 juin 2021, 20MA00762


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 juin 2018 par lequel la préfète de la Corse-du-Sud a prononcé à son encontre, en urgence et pour une durée de six mois, une interdiction d'exercer contre rémunération les fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport pour l'activité de plongée subaquatique.

Par un jugement n° 1800873 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté préfectoral d

u 13 juin 2018 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'arti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 juin 2018 par lequel la préfète de la Corse-du-Sud a prononcé à son encontre, en urgence et pour une durée de six mois, une interdiction d'exercer contre rémunération les fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport pour l'activité de plongée subaquatique.

Par un jugement n° 1800873 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté préfectoral du 13 juin 2018 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 février 2020, la ministre des sports demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de dire que l'arrêté pris à l'encontre de Mme G... est fondé ;

3°) de ne pas mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le maintien en activité de Mme G... constituait un danger pour la santé et la sécurité des pratiquants ;

- Mme G..., qui n'a pas vérifié les aptitudes de la victime, en surpoids, à plonger en sécurité et qui n'a pas prévu une embarcation appropriée permettant aux encadrants de sortir tout plongeur en cas d'accident, a commis des manquements et méconnu l'article A. 322-72 du code du sport ;

- elle a également, en sa qualité de directrice, méconnu ses obligations relatives au rappel des consignes lors de plongée sous la limite des 6 mètres qui, pour l'accident survenu le 26 mai 2018, n'a pas été effectué afin de ne pas " faire peur aux clients " ;

- ces manquements dans l'organisation et le fonctionnement de la plongée, qui ont contribué à la mise en danger de la santé et de la sécurité physique de la victime, justifient la décision d'interdiction d'exercer pour la durée de six mois que la préfète de la Corse-du-Sud a prononcée le 13 juin 2018.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2021, Mme G..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 4 800 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que :

- la décision de la préfète est insuffisamment motivée, l'article A. 322-72 du code du sport prévoyant seulement que le directeur de plongée est responsable techniquement de l'organisation, des dispositions à prendre pour assurer la sécurité des plongeurs et du déclenchement des secours ;

- la décision a été prise en violation du principe du contradictoire et des stipulations de l'article 6-1 de la CEDH, les conclusions du rapport de l'enquête administrative du 1er juin ne lui ayant pas été communiquées ;

- aucune situation d'urgence ne justifiait le prononcé d'une telle interdiction, intervenue au surplus trois semaines après la date de l'accident, d'autant que l'enquête administrative n'a révélé à son encontre aucun manquement aux règles de sécurité ;

- s'agissant de la légalité interne de la décision litigieuse, les dispositions de l'article A. 322-72 du code du sport n'autorisent pas la directrice d'un centre de plongée à remettre en cause les brevets et diplômes des encadrants ;

- l'expertise d'un praticien spécialisé en médecine subaquatique réalisée dans le cadre de l'information judiciaire ouverte à la suite du décès survenu le 26 mai 2018 a souligné l'absence d'élément " en faveur d'un défaut de surveillance ou d'assistance lors de la plongée ", la cause du décès de la victime résultant d'un accident cardiaque ;

- pour un baptême de plongée, aucun diplôme ou brevet, aucune aptitude ne sont requis et le code du sport ne soumet pas le baptême de plongée à la présentation d'un certificat médical ;

- les gestes de sauvetage ont, en l'espèce, été conformes aux recommandations ;

- la ministre ne précise pas les consignes de sécurité qui n'auraient pas été rappelées et qui auraient dû l'être avant la pratique d'une plongée.

Par ordonnance du 19 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 avril 2021 à 12 heures.

Un mémoire présenté pour la ministre des sports a été enregistré le 13 avril 2021 à 15 heures 22, après la clôture de l'instruction, et n'a donc pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du sport ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christine Massé-Degois, rapporteure,

- et les conclusions de M. D... Thielé, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... G..., titulaire d'un diplôme d'Etat de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport spécialité perfectionnement sportif, mention plongée subaquatique et détentrice d'une carte professionnelle d'éducateur sportif en cours de validité, a été recrutée par la SARL " Corsica Diving Center " le 2 mai 2018 jusqu'au 30 septembre 2018 pour exercer les fonctions de monitrice de plongée. Le 26 mai 2018, alors que Mme G... exerçait la fonction de directrice de plongée pour une plongée d'exploration et un baptême de plongée, l'un des deux participants est décédé. Le contrat de Mme G... a été rompu par la SARL " Corsica Diving Center " le 30 juin 2018 à la suite de l'arrêté du 13 juin précédent par laquelle la préfète de la Corse-du-Sud a interdit, en urgence, à Mme G... d'exercer contre rémunération pour une durée de six mois les fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport. Mme G... a obtenu du tribunal administratif de Bastia l'annulation de cet arrêté par un jugement du 19 décembre 2019 dont la ministre des sports relève appel et sollicite l'annulation.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 212-1 du code du sport : " I- Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d'occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle (...) les titulaires d'un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification : / 1° Garantissant la compétence de son titulaire en matière de sécurité des pratiquants et des tiers dans l'activité considérée : / (...) " et selon l'article L. 212-13 du même code : " L'autorité administrative peut, par arrêté motivé, prononcer à l'encontre de toute personne dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants l'interdiction d'exercer, à titre temporaire ou définitif, tout ou partie des fonctions mentionnées à l'article L. 212-1. / L'autorité administrative peut, dans les mêmes formes, enjoindre à toute personne exerçant en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 212-1 et de l'article L. 212-2 de cesser son activité dans un délai déterminé. / Cet arrêté est pris après avis d'une commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées. Toutefois, en cas d'urgence, l'autorité administrative peut, sans consultation de la commission, prononcer une interdiction temporaire d'exercice limitée à six mois. / (...).".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " et selon l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / (...). ". L'article L. 211-2 dudit code précise que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / (...). " et selon l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

4. En application des dispositions précitées de l'article L. 212-13 du code du sport citées au point 2, le préfet peut, en cas d'urgence et sans consultation de la commission comprenant des représentants de l'Etat, du mouvement sportif et des différentes catégories de personnes intéressées, prononcer une interdiction temporaire d'exercer des fonctions d'éducateur sportif, en se fondant sur des éléments suffisamment précis et vraisemblables, permettant de suspecter que le maintien en activité de l'éducateur constitue un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants et, en vertu des dispositions combinées précitées des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles, les décisions individuelles devant être motivées n'ont pas à être soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable.

5. Enfin, aux termes de l'article A. 322-72 du code du sport : " Sur le site de l'activité subaquatique, la pratique de la plongée est placée sous la responsabilité d'un directeur de plongée présent sur le lieu de mise à l'eau ou d'immersion de la palanquée. / Il est responsable techniquement de l'organisation, des dispositions à prendre pour assurer la sécurité des plongeurs et du déclenchement des secours. / Il s'assure de l'application des règles et procédures en vigueur. / Il fixe les caractéristiques de la plongée et établit une fiche de sécurité comprenant notamment les noms, les prénoms, les aptitudes des plongeurs et leur fonction dans la palanquée ainsi que les différents paramètres prévus et réalisés relatifs à la plongée. Cette fiche est conservée une année par tout moyen par l'établissement. "

6. Pour prendre l'arrêté attaqué n° 2018-D-329 du 13 juin 2018 selon la procédure d'urgence prévue à l'article L. 212-13 du code du sport dont elle cite la teneur, la préfète de la Corse-du-Sud s'est fondée sur les conclusions de l'enquête administrative qu'elle a diligentée dans la semaine qui a suivi l'accident de plongée survenu le 25 mai 2018. Sur la base des résultats de cette enquête, elle a fait grief à Mme G... de ne pas avoir été en capacité d'anticiper " toute difficulté potentielle " ni " de prévoir des moyens de secours à bord en adéquation avec les personnes qui participaient aux activités " le jour de l'accident et d'avoir mal évalué la situation au moment de la prise en charge des deux palanquées. Elle a ainsi estimé que Mme G... avait, d'une part, méconnu les règles de sécurité dont elle devait assurer l'application en tant que directrice de plongée et, d'autre part, mis en danger la sécurité du plongeur décédé. En se fondant sur ces éléments, la préfète de la Corse-du-Sud, après avoir cité les dispositions de l'article A. 322-72 du code du sport, a estimé que le maintien de l'activité de Mme G... présentait des risques pour la sécurité et la santé physique des pratiquants et qu'il y avait, de ce fait, urgence à lui interdire cette activité.

7. Toutefois, il ressort de l'enquête administrative menée par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), sur laquelle s'est fondée la préfète de la Corse-du-Sud pour prononcer, en urgence, la mesure de police administrative spéciale prévue à l'article L. 212-13 du code du sport, que le jour de l'accident qui a coûté la vie à un participant inscrit pour un baptême de plongée, ce dernier était encadré par un moniteur, titulaire d'un diplôme niveau d'enseignant 1 Initiateur validé le 25 mai 2018 lui permettant d'encadrer des activités et des baptêmes à 6 mètres de profondeur, placé sous la responsabilité de Mme G..., alors directrice de plongée, qui avait, par ailleurs, en charge une personne en exploration pouvant descendre à 40 mètres. Si les déclarations du moniteur encadrant consignées dans ce rapport d'enquête font état de ce que l'attention du baptisé n'aurait pas été attirée sur les risques encourus à descendre en dessous de la limité des 6 mètres, elles font également état de ce que " les consignes de sécurité ont été rappelées à terre par M. A... et Mme G... ", M. A... étant un employé au sein de la structure titulaire d'un diplôme d'Etat de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport option plongée, et qu'elle ont été données " avant l'embarquement, la mise en eau et le début du baptême ". Les déclarations de Mme G..., également consignées dans ce rapport d'enquête, font état de ce que, s'agissant du rappel des consignes de sécurité, les risques encourus par les baptisés en cas de descente en-dessous des 6 mètres sont portés à la connaissance des participants à terre avant qu'ils ne se rendent sur le site. De ces déclarations recueillies dans le cadre de la même enquête administrative, il ressort également que la victime, en méconnaissance des consignes données, a lâché le bras du moniteur et a plongé au-delà de la limite des six mètres autorisés pour les baptêmes. De plus, il ressort des déclarations de Mme G..., recueillies dans le même cadre, et qui ne sont pas contestées, que cette dernière a, dès qu'elle a constaté le caractère critique de la situation dans laquelle se trouvait le participant, protégé ce dernier en permettant le maintien de sa tête hors de l'eau, alerté les secours et pratiqué les premiers gestes de secours.

8. Dans ces conditions, eu égard aux griefs reprochés à Mme G..., en l'occurrence de ne pas avoir été en capacité d'anticiper " toute difficulté potentielle " ni " de prévoir des moyens de secours à bord en adéquation avec les personnes qui participaient aux activités " le jour de l'accident, soit de ne pas avoir prévu de dispositif particulier permettant de faire remonter sur le bateau un plongeur de forte corpulence en détresse et d'avoir ainsi mal évalué la situation au moment de la prise en charge des deux palanquées, alors que, par ailleurs, aucun défaut de surveillance ou d'assistance ne lui est reproché et ne ressort des résultats de l'enquête administrative, la préfète a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que l'urgence lui permettait de prononcer à l'encontre de l'intéressée une mesure, à titre conservatoire, d'interdiction temporaire limitée à six mois sans convocation de la commission prévue par les dispositions de l'article L. 212-13 du code du sport et sans mettre en oeuvre préalablement à son prononcé la procédure contradictoire prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

9. Il résulte de ce qui précède que la ministre des sports n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté de la préfète de la Corse-du-Sud du 13 juin 2018.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme G... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la ministre des sports est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme G... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à Mme C... G....

Copie en sera adressée à la préfète de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.

2

N° 20MA00762


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 20MA00762
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

Police - Étendue des pouvoirs de police - Illégalité des mesures excédant celles qui sont nécessaires à la réalisation des buts poursuivis.

Sports et jeux - Sports.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : DUNAC

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-14;20ma00762 ?
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