La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/04/2021 | FRANCE | N°20MA04311-20MA04312

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 26 avril 2021, 20MA04311-20MA04312


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 décembre 2018 par lequel le préfet de Vaucluse a refusé de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de ses deux filles et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Vaucluse de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de ces dernières ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification d

u jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sur le fo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 décembre 2018 par lequel le préfet de Vaucluse a refusé de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de ses deux filles et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Vaucluse de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de ces dernières ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900465 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du préfet de Vaucluse du 20 décembre 2018 et a enjoint à ce dernier d'accorder à M. A... le bénéfice du regroupement familial en faveur de son épouse et de ses deux filles en mettant à sa charge le paiement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 23 novembre 2020 sous le n° 20MA04312, le préfet de Vaucluse demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900465 du tribunal administratif de Nîmes du 29 septembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. A... ;

3°) de condamner la partie adverse à la répétition des frais versés en exécution du jugement n° 1900465 du tribunal administratif de Nîmes ;

4°) de rejeter toutes conclusions dirigées à son encontre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les dispositions dérogatoires de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas applicables à la situation de M. A... ;

- le logement de M. A... de même que les ressources de ce dernier ne répondent pas aux exigences posées aux articles L. 411-5 et R. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

II. Par une requête enregistrée le 23 novembre 2020 sous le n° 20MA04311, le préfet de Vaucluse demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 1900465 du tribunal administratif de Nîmes du 29 septembre 2020.

Il soutient que :

- les risques de conséquences difficilement réparables sont établis dès lors que, en cas d'annulation du jugement par le juge du fond, il se trouvera en grande difficulté pour revenir sur l'introduction au séjour de l'épouse et des filles de M. A... ;

- il a développé à l'appui de sa requête d'annulation du jugement un unique moyen sérieux tiré de ce que les dispositions dérogatoires de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas applicables à la situation de M. A....

Les requêtes enregistrées sous les n° 20MA04311 et 20MA04312 ont été communiquées le 25 novembre 2020 à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par ordonnances du 25 janvier 2021, les clôtures des instructions ont été fixées au 22 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... Massé-Degois, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant marocain né en 1949, entré en France en 1969 et titulaire d'une carte de résident valable du 9 octobre 2013 au 8 octobre 2023, a sollicité le 28 février 2018 le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de ses filles. Le préfet de Vaucluse relève appel, par une requête enregistrée sous le n° 20MA04312, du jugement du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Nîmes qui a annulé sa décision du 20 décembre 2018 par laquelle il a opposé un refus à la demande de M. A.... Le préfet demande en outre à la Cour, par une requête enregistrée sous le n° 20MA04311, de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. Les requêtes présentées par le préfet de Vaucluse, enregistrées sous le n° 20MA04311 et le n° 20MA04312, tendent respectivement au sursis à exécution et à l'annulation du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par la même décision.

Sur la requête n° 20MA04312 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". L'article L. 411-5 du même code dispose que : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 ou L. 821-2 du code de la sécurité sociale [...] ou lorsqu'une personne âgée de plus de soixante-cinq ans et résidant régulièrement en France depuis au moins vingt-cinq ans demande le regroupement familial pour son conjoint et justifie d'une durée de mariage d'au moins dix ans ; 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique. ".

4. Ainsi que le fait valoir le préfet de Vaucluse, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la situation de M. A... ne répondait pas aux conditions prévues par les dispositions dérogatoires de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point précédent dans la mesure où, bien qu'âgé de plus de soixante-cinq ans, que résidant depuis plus de vingt-cinq années en France et que marié depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée, l'intéressé a sollicité le bénéfice du regroupement familial non pas au seul profit de son épouse, mais également au profit de ses deux filles mineures. Par suite,

le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé sa décision du 20 décembre 2018 au motif qu'il ne pouvait pas opposer à M. A... l'insuffisance de ses ressources.

5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Nîmes que devant la Cour.

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 411-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : / - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes. / - cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes. / - cette moyenne majorée d'un cinquième pour une famille de six personnes ou plus. ". Aux termes de l'article R. 421-4 du même code : " A l'appui de sa demande de regroupement, le ressortissant étranger présente les copies intégrales des pièces suivantes : (...) 3° Les justificatifs des ressources du demandeur et, le cas échéant, de son conjoint, tels que le contrat de travail dont il est titulaire ou, à défaut, une attestation d'activité de son employeur, les bulletins de paie afférents à la période des douze mois précédant le dépôt de sa demande, ainsi que le dernier avis d'imposition sur le revenu en sa possession, dès lors que sa durée de présence en France lui permet de produire un tel document, et sa dernière déclaration de revenus. La preuve des revenus non salariaux est établie par tous moyens. ".

7. Il résulte de la combinaison des dispositions du 1° de l'article L. 411-5, de l'article R. 411-4 et de l'article R. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le niveau des ressources du demandeur doit être apprécié par référence à la moyenne du salaire minimum de croissance sur la période de douze mois précédant le dépôt de sa demande, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis de situation déclarative à l'impôt sur le revenu 2018 valant avis d'impôt sur les revenus de l'année 2017 produit par M. A..., que ce dernier a déclaré une somme totale de 3 939 euros au titre de pensions, retraites et rentes aux services fiscaux perçues en 2017, correspondant à un montant moyen mensuel au cours de l'année 2017 de 328,25 euros. Il ressort, cependant, des autres pièces du dossier que M. A... établit avoir perçu, sur la période considérée de douze mois précédant le dépôt de sa demande de regroupement familial, une somme mensuelle de 61 euros au titre d'une allocation de retraite Arrco Camarac versée par le groupe Agrica ainsi qu'une somme mensuelle de 973,60 euros au titre d'une allocation de retraite versée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Sud-Est auxquelles s'ajoute une somme mensuelle de l'ordre de 98 euros versée par la Mutualité sociale agricole Alpes-Vaucluse. Aucune de ces pensions ne correspondant à l'allocation équivalent retraite à exclure au titre de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elles doivent toutes être prises en compte. Ainsi, M. A... doit être regardé comme ayant perçu mensuellement une somme de 1 132,60 euros au cours de l'année ayant précédé sa demande de regroupement familial enregistrée le 28 février 2018, malgré une déclaration de revenus 2017 limitée à 3 939 euros. Dans ces conditions, les revenus nets mensuels moyens de M. A... durant les douze mois précédant sa demande restaient inférieurs à la moyenne mensuelle nette du SMIC de l'année 2017 majorée d'un dixième pour

une famille de quatre personnes, soit le montant de 1 253,13 euros. Par suite, pour ce seul motif tiré de l'insuffisance de ses ressources, le préfet de Vaucluse pouvait opposer à M. A... un refus à sa demande de regroupement familial.

9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Si l'autorité administrative peut légalement rejeter une demande de regroupement familial sur le fondement des dispositions des articles L. 411-5 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle ne peut le faire qu'après avoir vérifié que, ce faisant, elle ne porte pas une atteinte excessive au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Pour soutenir que la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. A... se prévaut notamment de ses nombreux problèmes de santé. Toutefois, les pièces médicales versées au dossier, dont la majorité concernent des années antérieures à celle de 2015, ne permettent pas d'établir la nécessité de la venue en France de l'épouse de M. A..., dès lors que l'état de santé de ce dernier ne requiert pas une assistance permanente à la date de la décision attaquée. Ainsi, ni le certificat médical du 12 décembre 2018 rédigé par un médecin exerçant en médecine libérale, ni celui établi au Maroc le 5 avril 2016 par un médecin généraliste, ni la prescription médicamenteuse du 10 mai 2017, ni même encore les documents médicaux datés des 10 et 13 février 2020 et du 12 mars 2020 ne démontrent, à eux seuls, que son état de santé nécessiterait la présence de son épouse à ses côtés. Ces pièces ne permettent pas plus d'établir qu'il serait dans l'incapacité de rendre visite à son épouse et à ses filles dans son pays d'origine en raison de son état de santé, ni que celles-ci ne pourraient pas lui rendre visite régulièrement en France. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Vaucluse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé sa décision du 20 décembre 2018, lui a enjoint d'accorder à M. A... le bénéfice du regroupement en faveur de son épouse et de ses deux filles et a mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 000 euros à Me C..., conseil de M. A....

Sur la requête n° 20MA04311 :

12. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions du recours du préfet de Vaucluse tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20MA04311 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu, par suite, d'y statuer.

D É C I D E :

Article 1er : : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 29 septembre 2020 présentées dans la requête n° 20MA04311.

Article 2 : Le jugement n° 1900465 du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 3 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou président,

- Mme B... Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2021.

2

N° 20MA04311, 20MA04312

my


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04311-20MA04312
Date de la décision : 26/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CHABBERT MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-26;20ma04311.20ma04312 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award