Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var à lui verser la somme de 21 000 euros en réparation des préjudices qu'il impute à la discrimination syndicale et au harcèlement moral dont il s'estime victime.
Par le jugement n° 1603423 du 18 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a condamné le SDIS du Var à verser à M. B... une somme de 9 600 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 17 décembre 2019 et le 30 décembre 2020, le SDIS du Var, représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif était tardive ;
- M. B..., dont la demande était dénuée de fondement, ne justifiait pas d'un intérêt à agir devant le tribunal ;
- M. B..., qui n'a été mis à l'écart des plannings de gardes volontaires qu'en raison de préoccupations liées au respect de ses convictions syndicales et de la nécessité de garantir la continuité du service en dépit du mouvement de grève auquel il s'est rallié, n'a été victime d'aucun agissement susceptible de constituer un harcèlement moral ou une discrimination, étant précisé que la plainte déposée par l'intéressé a été classée sans suite par le procureur de la République ;
- le préjudice financier invoqué est en tout état de cause inexistant, les sapeurs-pompiers volontaires n'ayant aucun droit acquis à effectuer des gardes volontaires, y compris lorsqu'ils ont par ailleurs le statut de sapeurs-pompiers professionnels ;
- le montant de ce préjudice financier n'est pas justifié ;
- le préjudice moral de l'agent n'est pas davantage établi.
Par des mémoires en défense enregistrés les 16 octobre 2020 et 15 janvier 2021, M. B..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du SDIS du Var la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la cour a désigné Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant le SDIS du Var, et de Me A..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le SDIS du Var relève appel du jugement du 18 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon l'a condamné à verser à M. B..., sapeur-pompier professionnel affecté au centre de secours de Fréjus et exerçant également en qualité de sapeur-pompier volontaire au sein du centre de gestion et d'intervention Est, une somme de 9 600 euros en réparation de ses préjudices résultant de faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale survenus dans le cadre de ses fonctions exercées en qualité de sapeur-pompier volontaire à la suite de sa participation à un mouvement de grève aux mois de février et mars 2014.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, dans sa version alors en vigueur : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. (...) ". L'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction vigueur à la date de la demande, dispose que : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : 1° En matière de plein contentieux (...) ".
3. Le SDIS du Var, qui a accusé réception de la demande indemnitaire préalable de M. B... le 27 juin 2016, n'a pas opposé à l'intéressé de décision expresse de rejet. Dans ces conditions, ainsi que l'a retenu le tribunal, aucun délai de recours contentieux ne peut être opposé aux conclusions indemnitaires de M. B....
4. En second lieu, M. B..., qui invoquait devant le tribunal des préjudices en lien avec les agissements de harcèlement moral et de discrimination syndicale dont il s'estime victime, justifiait de ce seul fait d'un intérêt à en demander réparation. La circonstance que ces préjudices ne seraient pas établis relève du bien-fondé des conclusions indemnitaires qu'il a ainsi présentées devant les premiers juges et non pas de celle de leur recevabilité.
En ce qui concerne la responsabilité du SDIS du Var :
S'agissant de l'existence d'une discrimination syndicale :
5. Aux termes de l'article 6 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions (...) syndicales (...) ".
6. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des copies de courriels qu'il verse au dossier, que M. B... s'est vu subitement refuser par sa hiérarchie d'assurer des gardes et astreintes en qualité de sapeur-pompier volontaire après avoir participé à un mouvement de grève porté par le syndicat dont il relève aux cours des mois de février et mars 2014. L'intéressé fait valoir, sans être contesté, que ces agissements ont persisté jusqu'au mois d'avril de l'année 2016. Alors que de tels éléments de fait, corroborés par de nombreuses pièces, sont susceptibles de faire présumer de faits de discrimination syndicale à l'encontre de l'intéressé, le SDIS du Var se borne à soutenir que ces refus reposaient sur des considérations liées au respect des convictions syndicales de l'agent, qui dénonçait une surcharge de travail, et à la nécessité de garantir la continuité du service public compte tenu du risque que M. B... n'effectue pas les gardes pour lesquelles il aurait été désigné. De tels motifs, qui ne sont établis par aucun commencement de preuve, apparaissent d'autant moins crédibles que les refus opposés à M. B... l'ont été pendant plus de deux ans après la fin du mouvement de grève et que les revendications portées par l'agent concernaient son statut de sapeur-pompier professionnel. Si le SDIS soutient en outre que les absences de l'agent pendant la durée du mouvement de grève l'ont contraint à recruter d'autres sapeur-pompiers volontaires, il n'établit pas avoir publié d'offre d'emploi avant un avis de recrutement du 21 octobre 2014. Par suite, et quand bien même la plainte pénale de M. B... aurait été classée sans suite, le SDIS ne démontre pas que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination.
8. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'une situation de harcèlement moral dès lors que les faits de discrimination syndicale en cause portent en eux l'entier préjudice, l'existence de tels faits commis à l'encontre de M. B... est de nature à engager la responsabilité du SDIS du Var.
S'agissant des préjudices :
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces produites par l'intéressé à la demande du tribunal, que M. B... a perçu les sommes globales de 4 192,50 euros et 5 209,77 euros en contrepartie des gardes qu'il a assurées en qualité de sapeur-pompier volontaire respectivement au cours des années 2012 et 2013, soit 391,76 euros mensuels en moyenne. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste indemnisation du préjudice financier de l'intéressé résultant de la perte de chance d'effectuer des gardes et astreintes en qualité de sapeur-pompier volontaire pour les années 2014 à 2016 en lui allouant à ce titre la somme de 7 600 euros.
10. En second lieu, eu égard à la nature et à la durée des faits de discrimination relevés au point 7, les premiers juges n'ont pas procédé à une évaluation excessive de ce préjudice en en fixant la réparation à la somme de 2 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le SDIS du Var n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamné à verser à M. B... une indemnité de 9 600 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le SDIS du Var sur le fondement de ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à charge du SDIS du Var la somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du SDIS du Var est rejetée.
Article 2 : Le SDIS du Var versera la somme de 2 000 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au service départemental d'incendie et de secours du Var.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, où siégeaient :
- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme G..., première conseillère,
- M. C..., conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2021.
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N° 19MA05515
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