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10/03/2021 | FRANCE | N°20MA03844

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 10 mars 2021, 20MA03844


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision n° 428386 du 12 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 17MA01772 de la cour administrative d'appel de Marseille du 21 décembre 2018 et renvoyé l'affaire devant cette même cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire récapitulatif et un nouveau mémoire, enregistrés le 15 décembre 2020 et le 7 janvier 2021, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par le cabinet Goutal, B...

et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 février 2017 par lequel ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision n° 428386 du 12 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 17MA01772 de la cour administrative d'appel de Marseille du 21 décembre 2018 et renvoyé l'affaire devant cette même cour.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire récapitulatif et un nouveau mémoire, enregistrés le 15 décembre 2020 et le 7 janvier 2021, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par le cabinet Goutal, B... et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé le titre de recettes émis le 29 septembre 2014 par son directeur général à l'encontre de la SCEA Domaine de Cristia pour le remboursement d'une aide aux investissements vinicoles d'un montant de 99 692,42 euros ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SCEA Domaine de Cristia devant le tribunal administratif de Nîmes ;

3°) de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il ne vise ni n'analyse les moyens des parties, en particulier les siens ;

- la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil est applicable ;

- elle a commencé à courir à compter de la date de versement de l'aide, soit le 14 décembre 2010 ;

- le délai de prescription a en tout état de cause été interrompu le 7 août 2013, date de la notification du rapport de la mission " contrôle des opérations dans le secteur agricole " ;

- les moyens soulevés par la SCEA Domaine de Cristia ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, la demande de restitution peut également être fondée sur l'absence de permis de construire valide lors du dépôt de la demande d'aide.

Par un mémoire en défense récapitulatif, enregistré le 14 décembre 2020, la SCEA Domaine de Cristia, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par FranceAgriMer ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire le montant mis à sa charge par le titre de recettes du 29 septembre 2014 à la somme de 27 900 euros ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par FranceAgriMer ne sont pas fondés ;

- la condition dont la méconnaissance lui est opposée était dépourvue de base légale à la date de dépôt de la demande d'aide ;

- les travaux n'avaient pas commencé à cette date ;

- l'irrégularité commise pouvait seulement justifier une réduction de l'aide accordée à hauteur de 30%.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;

- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;

- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant FranceAgriMer, et de Me A..., représentant la SCEA Domaine de Cristia.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 25 mai 2010, FranceAgriMer a accordé à la SCEA Domaine de Cristia une aide aux investissements vinicoles d'un montant de 99 692,42 euros pour la construction d'une nouvelle unité de vinification et l'acquisition de matériels plus performants. L'aide a été versée à la société le 14 décembre 2010. Après un contrôle sur place organisé par la mission " contrôle des opérations dans le secteur agricole ", FranceAgriMer, estimant que les travaux avaient débuté avant la date autorisée, a émis un titre de recettes le 29 septembre 2014 mettant la somme de 99 692,42 euros à la charge de la SCEA Domaine de Cristia en remboursement de l'aide accordée. La société a formé un recours gracieux qui a été implicitement rejeté.

2. FranceAgriMer fait appel du jugement du 28 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé le titre de perception du 29 septembre 2014 et la décision rejetant le recours gracieux formé par la SCEA Domaine de Cristia.

Sur la prescription :

3. Aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme. / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / (...) / 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 ".

4. En l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect du principe de proportionnalité, un délai de prescription plus long pour le reversement des aides accordées, dans le cadre de l'organisation commune du marché vitivinicole, en vue de la promotion de la vente des vins sur les marchés tiers, seul le délai de prescription de quatre années prévu au premier alinéa du 1 de l'article 3 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 cité cidessus est applicable.

5. Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans l'arrêt du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und-export c. Hauptzollamt Hamburg-Jonas (C-59/14), que la réalisation d'une irrégularité suppose la réunion d'une violation du droit de l'Union et d'un préjudice au budget de l'Union. Si cette violation a été détectée après la réalisation du préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où tant la violation que le préjudice sont survenus. Le point de départ du délai se situe, conformément à l'objectif de protection des intérêts financiers de l'Union, à la date de l'évènement survenant en dernier lieu à savoir la réalisation du préjudice s'il est postérieur à la violation et cette violation si elle est postérieure à l'octroi de l'avantage. Enfin, le préjudice se réalise lorsqu'il est effectivement porté au budget de l'Union c'est-à-dire à la date à laquelle la décision d'octroyer définitivement l'avantage concerné est prise.

6. Au cas présent, le point de départ du délai de prescription prévu au premier paragraphe du 1. de l'article 3 du règlement du 18 décembre 1995 est la date de réalisation du préjudice, à laquelle la décision d'octroyer définitivement l'avantage concerné a été prise, soit le 25 mai 2010. Le délai a ensuite été interrompu pour courir à nouveau, conformément au troisième paragraphe du 1. du même article, par la notification du rapport de la mission " contrôle des opérations dans le secteur agricole " à la SCEA Domaine de Cristia le 7 août 2013. Il suit de là que la prescription n'était pas acquise à la date d'émission du titre de recettes, le 29 septembre 2014. C'est dès lors à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la prescription de la créance de FranceAgriMer pour annuler ce titre.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCEA Domaine de Cristia dans son mémoire récapitulatif.

Sur les autres moyens soulevés par la SCEA Domaine de Cristia :

8. La demande de remboursement de FranceAgriMer n'a pas pour base légale la décision FILIERES/SEM/D 2010-05 du 17 février 2010 du directeur général de l'établissement, mais la circulaire n° 2009-07 du 28 mai 2009 émise par la même autorité, qui prévoit notamment que " la demande doit impérativement être présentée avant tout début des travaux, notion correspondant à la date du premier acte juridique passé pour la réalisation du projet (devis signé, bon de commande ...) ". Le moyen tiré de l'absence de base légale du titre contesté doit donc être écarté.

9. La SCEA Domaine de Cristia fait valoir que son fournisseur, chargé de la fabrication et de la pose d'une structure métallique, a entamé la construction de l'ossature dans ses ateliers sur la base d'un accord verbal, et que la pose de la structure n'a commencé que dans la semaine du 20 juillet 2009, après le dépôt de la demande d'aide, le 21 juillet 2009. Cet accord verbal, intervenu le 10 juin 2009, est le premier acte juridique marquant le début des travaux au sens de la circulaire n° 2009-07 du 28 mai 2009. La SCEA Domaine de Cristia n'est en conséquence pas fondée à soutenir avoir respecté cette condition d'éligibilité à l'aide accordée.

10. En dernier lieu, aux termes du 3 de l'article 2 du règlement n° 2988/95, " Les dispositions du droit communautaire déterminent la nature et la portée des mesures et sanctions administratives nécessaires à l'application correcte de la réglementation considérée en fonction de la nature de l'irrégularité, du bénéfice accordé ou de l'avantage reçu et du degré de responsabilité ". Selon le 1 de l'article 4 : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : - par l'obligation (...) de rembourser les montants indûment perçus (...) 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu (...) " ; que le 1 de l'article 5 prévoit des sanctions administratives dont " la privation totale ou partielle d'un avantage octroyé par la réglementation communautaire ".

11. La Cour de Justice de l'Union européenne a jugé dans l'arrêt du 13 décembre 2012, FranceAgriMer c. Vinifrance SA (C-670/11), que l'exclusion d'une aide résultant de l'inobservation d'une condition d'éligibilité est non pas une sanction mais " la simple conséquence du non-respect " de cette condition, qu'un pouvoir d'appréciation des Etats membres sur l'opportunité d'exiger ou non la restitution d'une aide serait " incompatible " avec la réglementation de l'Union, et que, par suite, les Etats doivent exiger le remboursement de " l'intégralité " de l'aide.

12. Le commencement préalable des travaux est un manquement à une condition relative à l'éligibilité du projet d'investissement au titre duquel l'aide a été accordée. L'irrégularité commise affecte donc celle-ci dans son ensemble, de sorte que FranceAgriMer était tenu d'en demander le remboursement intégral.

13. Il résulte de ce qui précède que FranceAgriMer est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué. La demande présentée par la SCEA Domaine de Cristia devant le tribunal administratif de Nîmes doit en conséquence être rejetée.

14. Il n'est dès lors pas nécessaire de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SCEA Domaine de Cristia le versement de la somme de 2 000 euros à FranceAgriMer au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.

16. En revanche, FranceAgriMer n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les dispositions de cet article font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SCEA Domaine de Cristia.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 28 février 2017 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SCEA Domaine de Cristia devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : La SCEA Domaine de Cristia versera à FranceAgriMer la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la SCEA Domaine de Cristia.

Délibéré après l'audience du 15 février 2021, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2021.

6

No 20MA03844


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03844
Date de la décision : 10/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Exploitations agricoles - Aides de l'Union européenne.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Politique agricole commune.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : CABINET GOUTAL, ALIBERT et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-03-10;20ma03844 ?
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