Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande tendant à la mise en oeuvre de ses pouvoirs de police en matière d'urbanisme et d'aménagement commercial concernant le centre commercial Nice One.
Par un jugement n° 1605166 du 12 décembre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 février et le 1er octobre 2019, l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 décembre 2018 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler la décision implicite du préfet des Alpes-Maritimes rejetant sa demande ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de faire constater les infractions, de faire dresser un rapport, et de mettre en demeure l'exploitant de fermer la surface de vente illégalement exploitée, ou à défaut de réduire la surface de vente à 2 000 mètres carrés ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif était compétent pour statuer sur sa demande en première instance ;
- le refus de constater une infraction est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;
- elle a intérêt à agir contre la décision contestée ;
- l'ouverture d'un magasin Conforama de plus de 5 000 mètres carrés au sein du centre commercial Nice One n'est pas conforme à l'autorisation d'exploitation commerciale délivrée par la Commission nationale d'aménagement commercial ;
- le préfet est tenu de faire constater les infractions à la législation commerciale ;
- il est également tenu de mettre en demeure l'exploitant.
Une mise en demeure a été adressée au ministre de l'économie et des finances le 6 novembre 2019.
La requête a été communiquée à la société civile de construction vente (SCCV) PIA Stade de Nice, qui n'a pas produit d'observations.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à la cour était susceptible, en cas d'injonction, d'assortir celle-ci d'une astreinte en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 ;
- le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., substituant Me C..., avocat de l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 21 mars 2012, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a autorisé la SCCV PIA Stade de Nice à créer un ensemble commercial d'une surface de 22 700 mètres carrés au sein du projet " Nice Stadium ". Ce centre commercial a ouvert le 16 février 2016. Par un courrier du 4 octobre 2016, l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes a demandé au préfet des Alpes-Maritimes, d'une part, de faire constater les infractions au code de l'urbanisme et de transmettre les procès verbaux au ministère public, et d'autre part, de faire constater l'exploitation illicite d'une surface de vente et de mettre en oeuvre les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce.
2. L'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes fait appel du jugement du 12 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite née du silence conservé par le préfet à la suite du courrier du 4 octobre 2016. Les moyens qu'elle soulève en appel ne portent que sur le refus de faire constater l'exploitation illicite d'une surface de vente et de mettre en oeuvre les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce.
Sur le bien-fondé du motif retenu par le tribunal administratif :
3. Les dispositions de l'article L. 752-23 du code de commerce prévoient, dans les versions successivement applicables de cet article, que les agents de l'Etat habilités à cet effet, aujourd'hui mentionnés à l'article L. 752-5-1 du même code, peuvent constater l'exploitation illicite d'une surface de vente et établir un rapport transmis au préfet du département d'implantation du projet.
4. Les agents des directions départementales de la protection des populations habilités par le ministre de l'économie à procéder à des enquêtes sur le fondement du II de l'article L. 450-1 du code de commerce sont placés sous l'autorité du préfet de département en application de l'article 1er du décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles. Le préfet peut dès lors faire appel à ces agents pour l'exercice des pouvoirs de police administrative qu'il tient de l'article L. 752-23 du code de commerce. Au surplus, le premier alinéa de l'article R. 752-44-18 du même code, introduit par l'article 4 du décret n° 2019-563 du 7 juin 2019, prévoit désormais que : " Pour l'application des dispositions de l'article L. 752-5-1 et du II de l'article L. 752-23, le préfet peut mandater des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie pour réaliser des contrôles. ". C'est en conséquence à tort que le tribunal administratif a retenu que le préfet ne disposait pas d'un pouvoir hiérarchique sur ces agents lui permettant de leur ordonner de constater les manquements aux infractions sur la législation commerciale.
Sur l'exploitation illicite d'une surface commerciale :
5. L'article 752-15 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date d'ouverture du centre commercial, prévoit que : " L'autorisation d'exploitation commerciale est délivrée préalablement à la réalisation du projet si le permis de construire n'est pas exigé. / L'autorisation est accordée par mètre carré de surface de vente. / Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles, du fait du pétitionnaire, au regard de l'un des critères énoncés à l'article L. 752-6, ou dans la nature des surfaces de vente. "
6. La décision du 21 mars 2012 de la CNAC a autorisé la SCCV PIA Stade de Nice à créer un ensemble commercial composé de trente-neuf cellules, dont deux moyennes surfaces d'équipement de la maison de 2 000 et 830 mètres carrés. Il est constant que le magasin sous l'enseigne " Conforama " de cet ensemble commercial exploite depuis son ouverture 5 755 mètres carrés de surface de vente, provenant du regroupement des deux moyennes surfaces d'équipement de la maison et de surfaces supplémentaires provenant d'autres cellules du centre commercial. Le projet a ainsi fait l'objet d'une modification substantielle au cours de sa réalisation, sans qu'une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation commerciale ait été déposée en application des dispositions de l'article L. 752-15 du code de commerce citées au point précédent. Il suit de là que le préfet des Alpes-Maritimes, en gardant le silence, a procédé implicitement à une inexacte qualification juridique des faits en considérant que la surface de vente de ce magasin n'était pas exploitée illicitement en tant qu'elle excède 2 000 mètres carrés.
7. En outre, si le préfet des Alpes-Maritimes a fait valoir devant le tribunal administratif qu'il disposait, avant l'entrée en vigueur de l'article 168 de la loi n° 2018-1021, d'un pouvoir discrétionnaire en cas d'exploitation illicite, pour mettre en oeuvre les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce, la décision refusant d'exercer ces prérogatives n'en devait pas moins reposer sur un motif légal. En l'absence d'un tel motif, le refus opposé à l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes est en tout état de cause nécessairement entaché d'illégalité.
8. Il résulte de ce qui précède que l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à l'annulation du refus du préfet des Alpes-Maritimes d'exercer les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce.
Sur l'injonction :
9. Le premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " L'article L. 911-3 du même code ajoute que : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "
10. Le quatrième alinéa de l'article L. 752-23 du code de commerce prévoit désormais que : " Le représentant de l'Etat dans le département met en demeure l'exploitant concerné soit de fermer au public les surfaces de vente exploitées illégalement en cas de création, soit de ramener sa surface commerciale à l'autorisation d'exploitation commerciale accordée par la commission d'aménagement commercial compétente, dans un délai de trois mois à compter de la transmission au pétitionnaire du constat d'infraction. Sans préjudice de l'application de sanctions pénales, il prend, à défaut, un arrêté ordonnant, dans un délai de quinze jours, la fermeture au public des surfaces de vente exploitées illicitement, jusqu'à régularisation effective. Ces mesures sont assorties d'une astreinte journalière dont le montant ne peut excéder 150 € par mètre carré exploité illicitement. "
11. Il est constant que le magasin sous l'enseigne " Conforama " est resté exploité illicitement dans les conditions décrites au point 6. Toutefois, le Premier ministre a fermé les magasins de vente et centres commerciaux d'une surface supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés par le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet des Alpes-Maritimes fasse procéder au constat de l'exploitation illicite de cette surface de vente. Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'y procéder dans un délai de quinze jours à compter de la date de réouverture des magasins de vente et centres commerciaux d'une surface supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. L'exécution du présent arrêt implique également qu'à la vue de ce constat, le préfet exerce les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce pour mettre effectivement fin à l'exploitation illicite de cette surface de vente en tant qu'elle excède 2 000 mètres carrés, sauf pour la SCCV PIA Stade de Nice à régulariser les surfaces commerciales en question. Il y a lieu également lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte qu'il convient de fixer à 5 000 euros par jour d'ouverture des surfaces exploitées illicitement à compter de l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de réouverture mentionnée ci-dessus. Le préfet justifiera enfin auprès de la cour de l'avancement de la procédure mise en oeuvre à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la même date.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 12 décembre 2018 du tribunal administratif de Nice et la décision implicite de refus du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés en tant qu'ils portent sur le refus d'exercer les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de faire procéder au constat de l'exploitation illicite de la surface de vente du magasin exploité sous l'enseigne " Conforama " au sein du centre commercial Nice One dans un délai de quinze jours à compter de la date de réouverture des magasins de vente et centres commerciaux d'une surface supérieure ou égale à vingt mille mètres carrés.
Article 3 : Une astreinte de 1 000 euros par jour de retard est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution de la mesure prévue à l'article 2 dans le délai imparti.
Article 4 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de mettre en oeuvre les pouvoirs prévus à l'article L. 752-23 du code de commerce pour mettre effectivement fin à l'exploitation illicite de cette surface de vente en tant qu'elle excède 2 000 mètres carrés dans un délai de six mois à compter de la date mentionnée à l'article 2.
Article 5 : Une astreinte de 5 000 euros par jour d'ouverture est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de la fermeture au public des surfaces de vente exploitées illicitement ou de leur régularisation effective dans le délai imparti.
Article 6 : Le préfet des Alpes-Maritimes devra communiquer à la cour copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le présent arrêt. Il justifiera de l'avancement de la procédure mise en oeuvre dans un délai de trois mois à compter de la date mentionnée à l'article 2.
Article 7 : L'Etat versera à l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à l'association En toute franchise du département des Alpes-Maritimes, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, au préfet des Alpes-Maritimes et à la société civile de construction vente PIA Stade de Nice.
Délibéré après l'audience du 3 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2021.
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No 19MA00852