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01/02/2021 | FRANCE | N°12MA02902

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 01 février 2021, 12MA02902


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vinci Park CGST a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Toulon à lui verser la somme de 46 462 000 euros hors taxes, soit 55 568 522 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2008, en réparation du préjudice subi du fait de la nullité de la convention du 11 janvier 1988 par laquelle la commune a concédé à la société Setex, aux droits de laquelle elle vient, la construction et la gestion de parcs de stationnement, a

insi que l'aménagement et l'exploitation du stationnement payant sur la voirie,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vinci Park CGST a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Toulon à lui verser la somme de 46 462 000 euros hors taxes, soit 55 568 522 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2008, en réparation du préjudice subi du fait de la nullité de la convention du 11 janvier 1988 par laquelle la commune a concédé à la société Setex, aux droits de laquelle elle vient, la construction et la gestion de parcs de stationnement, ainsi que l'aménagement et l'exploitation du stationnement payant sur la voirie, et la fourrière municipale.

Par un jugement n° 0903214 du 11 mai 2012, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés le 13 juillet 2012 et le 29 juillet 2014, la société Vinci Park CGST, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0903214 du 11 mai 2012 du tribunal administratif de Toulon rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Toulon à lui verser la somme de 46 462 000 euros hors taxes, soit 55 568 522 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2008, correspondant au montant des dépenses utiles qu'elle avait exposées dans le cadre de l'exécution de la convention de concession du 11 janvier 1988, dont la nullité a été constatée le 26 juin 2003 par un arrêt de la Cour confirmé par le Conseil d'Etat le 19 décembre 2007 ;

2°) puis statuant à nouveau, à titre principal, de condamner la commune de Toulon à lui payer la somme de 17 820 779,26 euros au titre de la valeur nette comptable au 31 mars 2010 des investissements réalisés dans le cadre de la concession de 1988, plus 20 530 000 euros hors taxes, soit 24 553 880 euros toutes taxes comprises, au titre du déficit au 14 novembre 2006, soit un montant total de 42 374 659,26 euros ;

3°) ou, subsidiairement, de condamner la commune de Toulon à lui payer la somme de 181 290,26 euros au titre de la valeur nette comptable au 31 mars 2010 des investissements réalisés à compter du 1er janvier 2004 et de 901 000 euros hors taxes, soit 1 077 596 euros toutes taxes comprises, au titre du déficit sur la période du 1er janvier 2004 au 14 novembre 2006, soit un montant total de 1 258 886,26 euros ;

4°) en tout état de cause, de condamner la commune de Toulon à lui payer les intérêts au taux légal sur les sommes dues à compter du 23 décembre 2008 ;

5°) d'ordonner la capitalisation annuelle des intérêts sur les sommes dues à compter du 14 mars 2011 ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Toulon la somme 3 000 euros hors taxes, soit 3 588 euros toutes taxes comprises, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

7°) de condamner la commune de Toulon aux dépens exposés en application de l'article 1635 bis Q du code général des impôts.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 juin 2014, la commune de Toulon, représentée par Me F..., a conclu au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Vinci Park CGST au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Un mémoire présenté par la commune de Toulon le 1er décembre 2014 n'a pas été communiqué.

Une note en délibéré présentée par la commune de Toulon le 18 février 2015 n'a pas été communiquée.

Par un arrêt avant dire droit du 2 mars 2015, la Cour a jugé que, la nullité du contrat de concession ayant été constatée, la société Vinci Park CGST a droit à l'indemnisation des dépenses utiles à la commune de Toulon, celle-ci étant déclarée responsable, en totalité, de l'appauvrissement de la société Vinci Park CGST, à raison, d'une part, des investissements financés par cette dernière et qu'elle n'a pu amortir, et, d'autre part, de la fraction de son déficit d'exploitation, calculé sous déduction des sommes qui étaient effectivement nécessaires à la bonne exécution du service public relatives au préjudice subi par la société en raison d'une condamnation prononcée par la cour d'appel de Paris, au bénéfice du fournisseur des horodateurs, et en raison des divers frais et du manque à gagner subis par la société du fait des dysfonctionnements et des détériorations ayant affecté ces horodateurs. Par ce même arrêt, la Cour a, avant de statuer sur les conclusions de la société Vinci Park CGST, décidé de recourir à une expertise en vue de déterminer le montant des investissements non amortis par le délégataire et le montant du déficit d'exploitation subi par la société, ainsi que de lui fournir tout élément de nature à déterminer quelle fraction de ce déficit était effectivement nécessaire à une gestion normale.

Le premier expert désigné par la Cour, M. A..., a rendu son rapport le 3 avril 2017 en l'état. Ce rapport d'expertise a été communiqué aux parties, qui ont été invitées à produire leurs observations, le 11 avril 2017.

La présidente de la Cour a, le 10 mai 2017, demandé à M. A... de compléter son rapport sur deux des chefs de mission.

Par des mémoires enregistrés le 22 mai 2017 et le 3 juillet 2017, la commune de Toulon demande à la Cour :

1°) d'écarter le rapport remis par M. A... ;

2°) de rejeter la requête de la société Vinci Park CGST ;

3°) de mettre à la charge de la société Vinci Park CGST la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise méconnaît le principe du contradictoire et méconnaît les missions fixées à l'expert par la Cour ;

- la demande de la société Vinci Park CGST est infondée.

Par un mémoire enregistré le 15 juin 2017, la société Indigo Infra CGST, venant aux droits de la société Vinci Park CGST, demande à la Cour :

1°) de condamner la ville de Toulon à lui verser la somme de 17 820 779,26 euros au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis ainsi que la somme de 24 553 880 euros toutes taxes comprises au titre du déficit d'exploitation, majorées des intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2008 et du produit de leur capitalisation à compter du 14 mars 2011 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Toulon la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise et les frais acquittés en vertu de l'article 1635 bis Q du code général des impôts.

Elle soutient que :

- l'expertise a été menée dans des conditions régulières ;

- le rapport d'expertise établit le bien-fondé de ses demandes.

M. A... a, le 29 janvier 2018, demandé à être dessaisi de sa mission.

Par une ordonnance du 20 mars 2018, la présidente de la Cour a désigné M. D... en qualité d'expert en remplacement de M. A....

M. D..., expert, a rendu son rapport le 6 août 2019. Ce rapport d'expertise a été communiqué aux parties, qui ont été invitées à produire leurs observations, le 3 septembre 2019.

Par des mémoires, enregistrés le 11 octobre 2019, le 19 décembre 2019 et le 11 février 2020, la commune de Toulon conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête de la société Indigo Infra CGST ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité versée à la société Indigo Infra CSGT n'excède pas la somme de 8 790 058,56 euros ;

3°) à titre encore plus subsidiaire, à la condamnation de la société Indigo Infra CGST à lui verser la somme de 3 948 555,31 euros au titre de l'enrichissement sans cause ;

4°) à ce qu'une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de la société Indigo Infra CGST en application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Elle soutient que :

- la valeur des amortissements non amortis doit être évaluée en fonction de l'amortissement économique des biens de la concession ;

- l'exploitation ayant procuré un bénéfice à la société Indigo Infra CGST, celui-ci doit être déduit de la valeur des amortissements non amortis pour déterminer l'indemnité due dès lors que la société ne s'est pas appauvrie à la hauteur de la totalité de ce défaut d'amortissement ;

- la société Indigo Infra CGST n'ayant subi aucun déficit d'exploitation, sa demande doit sur ce point être rejetée ;

- les intérêts moratoires ne peuvent courir, en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, qu'à compter du prononcé de l'arrêt d'appel ;

- les moyens et demandes formulées par la société Indigo Infra CGST et relatifs à la déduction de la plus-value de cession des amodiations et du reversement de trésorerie ainsi qu'à la prise en compte des frais financiers sont infondés.

Par des mémoires, enregistrés le 29 novembre 2019 et le 20 janvier 2020, la société Indigo Infra CGST demande à la Cour :

1°) de condamner la ville de Toulon à lui verser la somme de 12 181 692,83 euros au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis ainsi que la somme de 9 546 000 euros toutes taxes comprises au titre du déficit d'exploitation, majorées des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2008 et du produit de leur capitalisation à compter du 14 mars 2011 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Toulon la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise et les frais acquittés en vertu de l'article 1635 bis Q du code général des impôts.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin de condamnation présentées par la commune sont nouvelles et dès lors irrecevables ;

- il n'y a pas lieu de déduire la plus-value de cession des amodiations du montant des investissements non amortis dès lors que la nullité du contrat n'implique pas le remboursement des recettes perçues par le délégataire au cours de l'exploitation ;

- cette plus-value a en tout état de cause été déduite par l'expert lorsqu'il a procédé au calcul de son déficit d'exploitation ;

- il n'y a pas lieu de déduire le reversement de trésorerie qu'elle a perçu de la commune au début de l'exécution du contrat pour le calcul du montant des investissements non amortis dès lors qu'il n'est pas établi que ces sommes ont été affectées au financement de ces investissements ;

- elle est en droit d'être indemnisée des frais liés au financement du contrat et la prise en compte du coût du capital affecté à l'exploitation conduit à un déficit d'exploitation ;

- les moyens soulevés par la commune de Toulon sont infondés.

Après une première audience tenue le 29 juin 2020, une note en délibéré présentée par la société Indigo a été enregistrée le 1er juillet 2020.

Elle soutient que :

- en présence d'un contrat de concession entaché de nullité, il n'appartient pas au juge, sur le terrain quasi-contractuel, d'établir un compte entre les parties reposant sur une restitution réciproque des sommes perçues par chacune en vertu du contrat, et notamment des recettes d'exploitation, et il n'y a donc pas lieu de déduire les recettes ou le bénéfice perçu de la créance du concessionnaire relative au montant des investissements qu'il n'a pu amortir ;

- l'article 1er de l'arrêt de la Cour en date du 2 mars 2015, qui déclarait la commune de Toulon responsable, en totalité, de l'appauvrissement de la société, à raison, d'une part, des investissements financés par cette dernière et qu'elle n'a pu amortir, et, d'autre part, de la fraction de son déficit d'exploitation, est définitif, et implique l'indemnisation intégrale de la valeur des investissements non amortis.

Après cette audience, une note en délibéré présentée par la commune de Toulon a été enregistrée le 6 juillet 2020.

Elle fait valoir que :

- l'expert n'a pas procédé à une double imputation du solde de trésorerie et des recettes d'amodiation ;

- le résultat d'exploitation retenu par l'expert et qui doit être pris en compte est en réalité de 21 625 000 euros ;

- la société Indigo n'a donc subi aucun appauvrissement.

La formation de jugement a, le 29 septembre 2020, interrogé l'expert en présence des représentants des parties afin d'obtenir des explications complémentaires en application des dispositions de l'article R. 621-10 du code de justice administrative. Le procès-verbal de cette audition a été dressé le 30 septembre 2020 puis versé au dossier. Une copie en a été notifiée à chaque partie le 2 octobre 2020.

Par des mémoires enregistrés le 9 novembre 2020 et le 21 décembre 2020, la société Indigo Infra CGST conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a indiqué l'expert lors de l'audition du 29 septembre 2020, le cumul des produits d'exploitation qui lui a permis de déterminer le montant du bénéfice d'exploitation prend partiellement en compte les produits de cession d'amodiation, comptabilisés en produits constatés d'avance à hauteur de 547 000 euros et le résultat de l'exploitation après retraitement de ces produits constatés d'avance s'élève dès lors à 8 157 000 euros ;

- ainsi que l'a souligné l'expert, le solde de trésorerie mis à disposition du délégataire n'a pas été pris en compte lors de la détermination du résultat de l'exploitation et a été pris en compte en minoration de la valeur nette comptable des biens non amortis ;

- les frais financiers doivent être calculés sur le fondement d'un taux de financement de marché, supérieur à celui retenu par l'expert, par le biais d'une marge de 2 % correspondant à la prime de risque et une rémunération des fonds propres doit être assurée par le biais d'une rémunération supérieure au taux des obligations assimilables du trésor majoré de 2 % ;

- la prise en compte du taux de rentabilité interne déterminé par l'expert, inférieure au coût des capitaux employés par le concessionnaire, aboutit à majorer artificiellement le bénéfice d'exploitation et conduirait, en cas de déduction entre la valeur nette comptable des investissements non amortis et ce bénéfice d'exploitation, à un appauvrissement effectif de l'entreprise.

Par un mémoire enregistré le 27 novembre 2020, la commune de Toulon conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que la société requérante n'établit pas la comptabilisation de la somme de 547 000 euros dans les produits constatés d'avance au titre des produits de cession d'amodiation.

Par ordonnance du 23 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 7 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Indigo Infra CGST, et de Me F..., représentant la commune de Toulon.

Considérant ce qui suit :

1. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

2. En premier lieu, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, ce cocontractant peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l'exploitation du service font retour à l'administration, des dépenses d'investissement qu'il a consenties, ainsi que du déficit qu'il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu'il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d'une gestion normale, à la bonne exécution du service. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. A ce titre, il peut demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée.

3. En second lieu, si le principe général du droit prohibant l'enrichissement sans cause implique l'indemnisation des dépenses utiles exposées par la personne appauvrie au bénéfice de la personne enrichie, cette indemnisation ne peut excéder ni le montant des dépenses effectivement déboursées par l'appauvri sous déduction des sommes correspondant aux avantages économiques qu'il a lui-même retirés de ces dépenses, ni excéder l'enrichissement de la personne enrichie. Cette indemnité exclut par ailleurs tout bénéfice ou gain manqué.

Sur l'indemnisation de la valeur des investissements non amortis :

4. Il résulte du rapport de M. D..., expert désigné par la Cour, que le montant des investissements non amortis à la date du 31 mars 2010 s'élève à la somme de 11 435 652,35 euros. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert et de ses déclarations lors de l'audition menée par la formation de jugement le 29 septembre 2020, que ce montant a été déterminé après déduction de la somme de 746 040,47 euros correspondant à la déduction, après amortissement, du solde de trésorerie mis à la disposition du délégataire au début de l'exécution du contrat.

5. En premier lieu, il résulte des règles qui viennent d'être rappelées ci-dessus au 1 que la société Indigo Infra CGST est fondée à réclamer une indemnité au titre du défaut d'amortissement de ces investissements et que celui-ci ne peut être évalué, contrairement à ce que soutient la commune de Toulon, qu'en référence aux amortissements comptables pratiqués par le concessionnaire.

6. En deuxième lieu, si la société Indigo Infra CGST fait valoir qu'il n'est pas établi que le solde de trésorerie de 1 329 190,07 euros mis à sa disposition par la commune de Toulon en 1988 aurait été affecté au financement des investissements ici en cause, l'expert relève toutefois qu'eu égard au caractère de subvention d'investissement que présente cette somme et à la nature des ouvrages et équipements à édifier dans le cadre de la concession, l'affectation de la totalité de cette somme aux ouvrages de stationnement est quasiment certaine. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la requérante n'a tenu aucune comptabilité précise de l'affectation de ces fonds et elle n'a pas davantage produit de pièce comptable pouvant éclairer l'expert ou la Cour sur ce point. Dans ces conditions, et dès lors qu'elle n'établit pas et qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces fonds auraient reçu une autre affectation, il y a lieu pour la Cour de s'approprier les conclusions de l'expert sur ce point.

7. Il résulte de ce qui précède que le montant des investissements non amortis à prendre en compte pour la détermination du montant de l'indemnité à laquelle peut prétendre la société Indigo Infra CGST s'élève à 11 435 652,35 euros.

Sur l'existence d'un déficit d'exploitation :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par la Cour, qui a évalué le résultat d'exploitation de l'opération en vue de déterminer si celle-ci avait engendré un déficit d'exploitation ou un bénéfice, que ce résultat d'exploitation s'est élevé à la somme d'environ 21 625 000 euros entre le 1er janvier 1990 et le 31 mars 2010.

9. En premier lieu, la société requérante est toutefois en droit, ainsi qu'il a été dit au 2 ci-dessus, de voir imputer sur ce résultat d'exploitation les frais effectivement déboursés afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements qu'elle a réalisés. Elle fait valoir sur ce point que le résultat d'exploitation, corrigé du coût de financement des investissements, s'établit à - 7 955 000 euros.

10. Il résulte des travaux de l'expert et des échanges menés entre celui-ci et les parties au cours de l'expertise que l'évaluation des " frais financiers " présentée par la société Indigo Infra CGST, tant au cours de l'expertise qu'au cours de l'instance, reposent sur plusieurs modèles alternatifs de financement des investissements et de calcul de ces frais, qui l'ont conduite à évaluer ceux-ci à 36 462 000 euros dans un premier temps, puis à 23 911 000 euros dans un second temps, avant, dans le dernier état de ses écritures, de mettre fin à leur évaluation précise au profit d'une approche fondée sur le calcul d'un objectif de taux de rentabilité interne indépendant du mode de financement effectif du projet. Il résulte en outre de l'instruction que les sommes dont la société requérante demande la prise en compte en vue de déterminer le résultat de l'exploitation sont le produit, selon le modèle retenu, soit d'une reconstitution de mouvements comptables internes opérés au sein de la comptabilité analytique du groupe Indigo, lequel souscrit les contrats de prêt nécessaires aux opérations de ses différentes filiales avant de les imputer à celles-ci sur la base de taux d'intérêt simulés correspondant au taux d'intérêt des bons du trésor majoré d'une marge, soit d'un calcul de rémunération des fonds propres et des apports du groupe résultant d'un taux de rendement interne cible arrêté par le groupe.

11. Il est vrai que l'expert a, pour les besoins de l'expertise, reconstitué un montant hypothétique de frais financiers sur le fondement d'une structure théorique de financement des investissements mettant en jeu 70 % de dette souscrite par le groupe Indigo et 30 % d'apport en fonds propres de celui-ci et a évalué ces frais, sur cette base, à la somme de 12 723 000 euros, aboutissant à un résultat net, corrigé de l'incidence de ces frais financiers évaluatifs, de 8 704 000 euros. Son rapport souligne néanmoins, d'une part, qu'aucun emprunt n'a été contracté par la société Indigo Infra CGST, le financement ayant selon lui " étant assuré par des apports de trésorerie en provenance du groupe Vinci ", d'autre part, que l'application des conventions comptables internes au groupe n'a donné lieu à aucune facturation effective de frais financiers à la société Indigo Infra CGST et, par suite à aucun décaissement de tels frais par celle-ci, enfin que la reconstitution à laquelle l'expert a procédé repose sur des hypothèses destinées à mesurer le résultat net de l'opération une fois pris en compte les frais financiers que le groupe Indigo et non la société aurait supportés. Par ailleurs, la société, qui a conservé un accès à sa comptabilité pour la période postérieure à 2001, n'a produit ni devant l'expert, ni devant la Cour, de documents établissant la souscription d'emprunts pour financer les investissements ici en cause, ou l'existence de charges financières supportées par elle à ce titre, que ce soit directement ou indirectement, par le biais d'intérêts payés à un établissement bancaire ou de reversements à une autre société du groupe auquel elle appartient. Il en résulte que la société Indigo Infra, à qui il appartient en tout état de cause d'établir les dépenses utiles effectivement déboursées au bénéfice de la collectivité enrichie, n'est pas fondée à demander qu'une somme quelconque soit déduite, au titre des frais financiers, du résultat d'exploitation de 21 625 000 euros mentionné au 8 ci-dessus.

12. Si, en deuxième lieu, la société fait valoir que l'utilisation de ses fonds propres et, plus largement, de l'ensemble de la trésorerie apportée à l'opération suppose une rémunération qui ne saurait être inférieure au coût moyen pondéré du capital, la détermination du montant des dépenses utiles exposées par l'appauvri exclut, ainsi qu'il a été dit au 3 ci-dessus, la prise en compte de sommes qui n'auraient pas donné lieu à des débours ou qui seraient représentatives de gain manqué. Il en résulte que la requérante n'est en tout état de cause pas fondée à demander que le déficit d'exploitation de l'opération soit calculé en tenant compte non de sommes décaissées par elle, mais d'une rémunération théorique issue de projections financières issues des objectifs de rentabilité qu'elle s'est elle-même fixée.

13. En troisième lieu, s'il résulte du rapport de l'expert et de ses déclarations lors de l'audition menée par la formation de jugement le 29 septembre 2020 que les produits pris en compte pour la détermination du résultat d'exploitation n'intégraient ni les plus-values de cession d'amodiation, ni le solde de trésorerie mis à disposition du délégataire au début de l'exécution du contrat, il résulte toutefois de l'instruction qu'ainsi que le fait valoir la société Indigo Infra CGST, les plus-values de cession d'amodiation ont été comptabilisées dans ce résultat pour un montant de 547 000 euros au titre des produits constatés d'avance, somme dont la requérante est fondée à demander la déduction du résultat d'exploitation tel qu'il a été évalué par l'expert.

14. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux 8 à 13 ci-dessus que le résultat d'exploitation de l'opération demeure, même en tenant compte de son caractère évaluatif, positif. La société Indigo Infra CGST n'ayant subi aucun déficit d'exploitation, la demande d'indemnisation qu'elle présente sur ce point, qui contrairement à ce qu'elle soutient n'a pas été satisfaite définitivement par l'arrêt du 2 mars 2015, doit en tout état de cause être rejetée.

Sur les avantages économiques que la société Indigo Infra CGST a tirés des investissements :

15. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, l'indemnité à laquelle la société requérante peut prétendre sur le fondement de la notion d'enrichissement sans cause doit tenir compte des dépenses utiles qu'elle a exposées au profit de la commune de Toulon, telles qu'elles viennent d'être déterminées aux points 4 à 14 ci-dessus. Toutefois, afin que l'indemnité accordée n'excède pas l'appauvrissement effectif subi par la requérante, son calcul doit également tenir compte des avantages économiques de toute sorte qu'elle a pu personnellement retirer des investissements qu'elle a réalisés, lesquels peuvent être déterminés en soustrayant au montant brut auquel ces avantages sont évalués, le montant des coûts et sujétions économiques exposés en vue de leur réalisation.

16. En l'espèce, la société Indigo Infra CGST a bénéficié, en termes d'avantages économiques, de la réalisation d'un résultat d'exploitation positif de l'ordre de 21 millions d'euros pour l'ensemble de l'opération et de la cession d'amodiations, dont le produit a été évalué par l'expert à la somme de 2 645 593,79 euros, soit 2 098 593,79 euros après prise en déduction des 547 000 euros correspondant à des produits constatés d'avance et inclus dans le résultat d'exploitation.

17. La société Indigo fait valoir, en excipant notamment d'un rapport établi à sa demande par la société Sorgem Evaluation, qu'il importerait de prendre en compte, pour évaluer l'avantage net qu'elle a tiré de l'investissement, le taux de rentabilité interne attendu du projet, seul représentatif, selon elle, de la réalité du financement de l'opération dès lors qu'il est le taux minimal assurant que le projet réponde aux exigences des apporteurs de capitaux et couvre le risque pesant sur les flux de trésorerie qui en sont issus. Pour établir l'existence de coûts de financement ayant grevé le résultat tiré de ses équipements, la requérante ne saurait toutefois se borner à critiquer les hypothèses retenues par l'expert et à se référer à un modèle théorique de financement de l'investissement alors qu'elle n'a, ni au cours de l'expertise, ni devant la Cour, apporté de précisions sur le mode de financement effectif du projet.

18. En outre et, d'une part, ainsi qu'il a déjà été dit au point 11 ci-dessus, il ne résulte pas de l'instruction que la société aurait recouru au financement par emprunt ou aurait supporté des coûts à ce titre. Il en résulte que la société Indigo Infra CGST n'est pas fondée à demander qu'une somme quelconque soit déduite à ce titre des avantages économiques qu'elle a tirés de l'opération.

19. Par ailleurs, et d'autre part, il résulte nécessairement de son argumentation que le montant des coûts de financement dont elle déduit la nécessité à travers la définition d'un taux de rendement interne résultant de son objectif propre de rentabilité constitue la rémunération de ses fonds propres, qui représente un gain manqué, et ne saurait en aucun cas être regardée comme constitutive d'un coût économique réduisant le résultat économique positif tiré de l'opération. Il en résulte que la société Indigo Infra CGST n'est pas fondée à demander qu'une somme quelconque soit déduite à ce titre des avantages économiques qu'elle a tirés de l'opération.

20. La détermination du solde net des avantages économiques tirés du contrat implique en revanche nécessairement qu'il soit tenu compte du coût de l'indisponibilité, pour la société, des fonds qu'elle a affectés à l'opération et qu'elle n'a pu affecter à d'autres projets ou placements financiers au cours de la période où ils ont été consacrés à celle-ci. Ce coût peut être évalué sur la base du rendement qui aurait été celui produit entre 1990 et 2010 par un placement sans risque tel que l'obligation assimilable du trésor à échéance de dix ans, appliqué au montant total des fonds initialement investis dans l'opération puis, au fur et à mesure des flux de revenus tirés de l'opération, au montant restant affecté à l'opération pour chaque exercice.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société est en droit d'être indemnisée de la valeur correspondant à la fraction non amortie des investissements à la date du 31 mars 2010, augmentée du coût de l'indisponibilité de la totalité des fonds engagés dans l'opération, évalué sur la base du taux d'un placement sans risque, sous déduction du résultat d'exploitation retiré de l'exécution du contrat, incluant les plus-values de cession des amodiations. Il y a lieu, d'une part, de déterminer le montant exact du résultat d'exploitation, dont l'expert n'a réalisé qu'une évaluation destinée à écarter l'hypothèse d'un bénéfice d'exploitation, d'autre part, de déterminer le produit qui aurait été celui du placement sans risque évoqué au point 20 ci-dessus, enfin d'actualiser les données pertinentes à la date du 31 mars 2010.

22. Il y a lieu, avant de statuer sur la requête, tous droits et moyens étant réservés sur ce point, d'ordonner un complément d'expertise aux fins, pour l'expert, d'éclairer la Cour sur ce point.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Indigo Infra CGST, procédé à un complément d'expertise contradictoire en présence de ladite société et de la commune de Toulon, avec mission pour M. D..., de :

- se faire communiquer toute pièce complémentaire nécessaire à l'exercice de sa mission ;

- déterminer la valeur actualisée au 31 mars 2010 de la somme de 2 098 593,79 euros correspondant au produit des amodiations cédées ;

- déterminer le montant exact du résultat d'exploitation, qu'il a évalué à 21 625 000 euros, et actualiser cette valeur au 31 mars 2010, au besoin par confirmation de ce chiffre s'il estime n'y avoir pas lieu à réévaluation de ce montant ;

- déterminer le produit qu'aurait engendré le placement, dans l'achat d'obligations assimilables du trésor à échéance de dix ans ou tout autre placement sans risque de maturité pertinente que l'expert jugerait utile de lui substituer, des fonds initialement engagés dans l'opération par la société Indigo Infra CGST, puis des fonds demeurant affectés chaque année à l'investissement au fur et à mesure des flux de revenus issus du projet, et actualiser le montant de ce produit au 31 mars 2010 ;

- évaluer, sur le fondement des données qui précèdent, l'appauvrissement effectif, au 31 mars 2010, de la société Indigo Infra CGST tel qu'il est défini au point 21 du présent arrêt.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 3 : L'expert remettra son rapport à la Cour avant le 1er avril 2021.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Indigo Infra CGST, à la commune de Toulon et à M. D..., expert.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme G..., présidente assesseure,

- M. E... Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par voie de mise à disposition au greffe, le 1er février 2021.

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N° 12MA02902

MY


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