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29/12/2020 | FRANCE | N°18MA04543

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 29 décembre 2020, 18MA04543


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014.

Par l'article 1er du jugement n° 1605473 du 24 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social aux

quels M. et Mme D... ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, et par l'ar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014.

Par l'article 1er du jugement n° 1605473 du 24 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social auxquels M. et Mme D... ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, et par l'article 2 a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 octobre 2018, le 15 janvier 2019 et le 22 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 septembre 2018 ;

2°) de remettre à la charge de M. et Mme D... la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement social et la contribution additionnelle au prélèvement social, pour un montant total de 2 107 euros.

Il soutient que :

- l'accord de sécurité sociale du 30 décembre 1970 ne peut être interprété comme dispensant les personnels de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire de toute imposition participant au financement de prestations de sécurité sociale à caractère contributif ;

- l'article 10 du protocole sur les privilèges et immunités de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire limite l'exonération fiscale dont bénéficient ses agents aux seuls revenus tirés de leur activité ;

- il résulte de l'avis n° 422 205 rendu par le Conseil d'Etat le 12 novembre 2018 qu'un fonctionnaire international soumis à un régime spécifique de protection sociale demeure néanmoins soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du capital imposables en France, sauf si l'accord conclu entre la France et l'organisation internationale dont relève le contribuable a explicitement exclu l'application des prélèvements sociaux en cause ;

- le principe de liberté de circulation des travailleurs posé par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne saurait fonder une exemption des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, dès lors que le domaine de la sécurité sociale nécessite l'adoption d'actes de droit dérivé ;

- la liberté de circulation des travailleurs ne peut être invoquée s'agissant d'impositions versées sans contrepartie, portant sur des revenus du patrimoine.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 décembre 2018, le 16 avril 2020 et le 9 décembre 2020, M. et Mme D..., représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête.

Ils font valoir que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- l'obligation faite à un membre de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire affilié au régime de sécurité sociale propre à l'organisation d'acquitter les prélèvements sociaux, qui le conduit à contribuer sans contrepartie au financement de la sécurité sociale française, constitue une entrave à la liberté de circulation des travailleurs garantie par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 ;

- l'accord de sécurité sociale du 30 décembre 1970 entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

l'ordonnance n° 9650 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui réside avec son épouse en France, a exercé son activité professionnelle auprès de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), dont le siège est à Meyrin dans le canton de Genève (Suisse) et dont les installations chevauchent la frontière franco-suisse. A ce titre, M. et Mme D... sont affiliés au régime de sécurité sociale propre à cette organisation. Ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014 à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social, à la contribution additionnelle à ce prélèvement et au prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine de M. D..., correspondant à des revenus de capitaux mobiliers et à des revenus fonciers, pour des montants totaux respectifs de 1 180 euros et 1 079 euros. Le ministre de l'action et des comptes publics fait appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 septembre 2018 en tant qu'il a déchargé M. et Mme D... de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014.

2. Selon l'article 1600-0-C du code général des impôts, la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dont le I dispose : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) : / a) Des revenus fonciers ; / (...) c) Des revenus de capitaux mobiliers (...) ". Ces personnes sont également soumises à une contribution pour le remboursement de la dette sociale en application de l'article 1600-0 G du même code renvoyant à l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, dont le I, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose : " Il est institué une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts (...) ". En application du I de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts, alors en vigueur, ces personnes étaient également assujetties à un prélèvement social sur les revenus du patrimoine dans les conditions prévues à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, aux termes duquel : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes mentionnées aux I et II de l'article L. 136-6 (...) ". L'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoyait une contribution additionnelle à ce prélèvement dont le taux était fixé à 0,3 %.

3. L'obligation faite par la loi d'acquitter ces contributions est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale. Ces prélèvements ont ainsi le caractère d'impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales.

4. L'article 1er de l'accord de sécurité sociale du 30 décembre 1970 conclu entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, dont les stipulations sont entrées en vigueur le 13 avril 1971, stipule que : " 1. Les membres du personnel du CERN tels qu'ils sont définis par le statut du personnel de l'Organisation, exerçant tout ou partie de leur activité en territoire français, ne sont pas soumis aux législations françaises relatives à la sécurité sociale et aux prestations familiales. / 2. Le CERN assure à ces membres du personnel le service des prestations familiales et la garantie contre les risques maladie maternité, accidents du travail et maladies professionnelles, invalidité et vieillesse dans les conditions du régime de prévoyance qu'il a institué ".

5. Il résulte des stipulations précitées de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, qui ont institué un principe de non double cotisation sociale sur les traitements versés par l'organisation, que les agents du CERN affiliés au régime autonome de sécurité sociale de cette organisation et les anciens agents qui continuent à en bénéficier ne sont pas assujettis aux cotisations sociales finançant les risques couverts par le régime français de sécurité sociale. En revanche, ces mêmes stipulations n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que les revenus du patrimoine perçus en France par un fonctionnaire ou ancien fonctionnaire du CERN affilié au régime de sécurité sociale de cette organisation soient soumis aux prélèvements fiscaux litigieux qui constituent des impositions de toute nature, alors même que leur produit est affecté au financement de la protection sociale.

6. Il résulte de ce qui précède qu'à défaut de dispositions spécifiques y faisant explicitement obstacle dans l'accord international conclu entre la France et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, c'est à tort que le tribunal a jugé que les stipulations de cet accord faisaient obstacle à ce que M. et Mme D... soient soumis, au titre des années 2013 et 2014, à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et à la contribution additionnelle à ce prélèvement.

7. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif et devant la Cour.

8. Aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (...) ". Aux termes de la deuxième phrase du préambule de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes fait à Luxembourg le 21 juin 1999 (ALCP), les parties contractantes sont " décidé[e]s à réaliser la libre circulation des personnes entre [elles] en s'appuyant sur les dispositions en application dans la Communauté européenne ". Aux termes de son article 1er : " L'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est : / a) d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (...) ". L'article 4 de cet accord stipule que : " Le droit de séjour et d'accès à une activité économique est garanti sous réserve des dispositions de l'article 10 et conformément aux dispositions de l'annexe I ". Aux termes de son article 7 : " Les parties contractantes règlent, conformément à l'annexe I, notamment les droits mentionnés ci-dessous liés à la libre circulation des personnes : le droit à l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l'accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d'emploi et de travail (...) ". Selon les articles 6 et 9 de l'annexe I à cet accord : " le travailleur salarié ressortissant d'une partie contractante qui occupe un emploi d'une durée égale ou supérieure à un an au service d'un employeur de l'Etat d'accueil reçoit un titre de séjour d'une durée de cinq ans au moins ", y bénéficie " des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille " et " ne peut, sur le territoire de l'autre partie contractante, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé au chômage ". Enfin, l'article 16 de l'accord, intitulé " référence au droit communautaire ", stipule que : " 1. Pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations. / 2. Dans la mesure où l'application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d'assurer le bon fonctionnement de l'accord, à la demande d'une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence ".

9. L'adoption d'actes de droit dérivé dans le domaine de la sécurité sociale ne saurait faire obstacle à ce que les contribuables puissent invoquer, même en substance, les stipulations relatives à la libre circulation d'un traité régissant leur situation, notamment lorsqu'ils n'entrent pas dans le champ des actes de droit dérivé en cause. Si la coordination des systèmes de sécurité sociale ne découle pas directement de la liberté de circulation posée par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'elle a seulement vocation à favoriser, cela ne saurait faire obstacle à ce que ses stipulations soient susceptibles de s'opposer à une entrave prenant la forme de prélèvements obligatoires. L'existence d'une réglementation de l'Union de mise en oeuvre de cette liberté oblige à examiner la compatibilité du régime national litigieux, tant avec celle-ci, en l'occurrence, le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale n° 883/2004, lorsqu'elle trouve à s'appliquer, qu'avec le droit primaire. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne le 23 janvier 2019, dans l'affaire C-272/17 K. M. A... contre Staatssecretaris van Financiën : " (...) si les États membres conservent en principe leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit de l'Union et, notamment, les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des travailleurs ".

10. Au cas d'espèce, M. D..., qui a occupé un emploi au CERN, organisation internationale dont les installations chevauchent la frontière franco-suisse, relève du champ d'application de l'article 45 du traité, qui protège les droits qu'il a acquis à l'occasion de son engagement passé dans une relation de travail avec le CERN, notamment en ce qui concerne le régime de sécurité sociale. Faute d'être affilié au régime de sécurité sociale de l'un ou l'autre de ces Etats, il ne relève pas du champ d'application du règlement n° 883/2004. Ayant ainsi fait usage de son droit à la libre circulation pour exercer une activité salariée en Suisse ou au service d'une organisation internationale au moins partiellement installée en Suisse, il relève du champ d'application de l'accord sur la libre circulation des personnes et, partant, peut invoquer, même en substance, cet accord à l'égard de leur Etat d'origine.

11. Le principe d'égalité de traitement constituant une notion du droit de l'Union (arrêts du 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a., 117/76 et 16/77, point 7, ainsi que du 6 octobre 2011, Graf et Engel, C-506/10, point 26) qui existait à la date de la signature de l'ALCP, il y a lieu de tenir compte des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour relative à l'égalité de traitement afin de déterminer l'existence d'une éventuelle inégalité de traitement prohibée par l'ALCP (6 octobre 2011, Graf et Engel, C-506/10, point 26, 21 septembre 2016, Radgen, C-478/15, EU:C:2016:705, point 47). Par son arrêt rendu le 6 octobre 2016 dans l'affaire C-466/15, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que l'article 45 du traité s'oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, des libertés fondamentales garanties par ce traité. Le droit primaire de l'Union ne saurait garantir à un assuré qu'un déplacement dans un autre Etat membre soit neutre en matière de sécurité sociale, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des Etats membres, un tel déplacement pouvant, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale. Toutefois, dans le cas où son application est moins favorable, une réglementation nationale n'est conforme au droit de l'Union que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'Etat membre où elle s'applique et qu'elle ne le conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

12. Il résulte ainsi de la combinaison des stipulations précitées de l'accord du 21 juin 1999, de son annexe I et de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice que n'est donc pas conforme au droit de l'Union ni à l'accord sur la libre circulation des personnes et constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, une réglementation nationale qui a pour effet que le travailleur migrant contribue non seulement au financement du régime de sécurité sociale auquel il est affilié, mais aussi au financement d'un régime de sécurité sociale auquel il n'est pas affilié et qui ne peut donc lui procurer aucun bénéfice, et verse ainsi des contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale dont il ne relève pas.

13. La circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt et non de cotisation sociale par une législation nationale ne signifie pas que, au regard de la prohibition exposée ci-dessus, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme prohibé, le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique du prélèvement en cause au financement du régime de sécurité sociale de l'Etat concerné. S'agissant d'un ressortissant de l'Union ayant travaillé en Suisse et qui, ayant accepté un emploi dans une organisation internationale, contribue au régime de sécurité sociale propre à cette organisation, dont il relève, l'obligation faite par la loi d'acquitter une contribution affectée directement et spécifiquement au financement d'un régime national de sécurité sociale dont il ne relève pas le conduit à contribuer à fonds perdus au financement de ces prestations dès lors que cette obligation est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par ledit régime national.

14. Il s'ensuit qu'une législation fiscale nationale qui impose à un ressortissant de l'Union ayant travaillé en Suisse et qui, ayant accepté un emploi dans une organisation internationale, contribue au régime de protection sociale propre à l'organisation dont il relève, de contribuer également au financement d'un régime de sécurité sociale nationale, sans que cette contribution lui ouvre un droit à protection sociale dans cet Etat en complément de celle dont il bénéficie du chef de l'organisation dont il relève, constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs. Une telle restriction peut néanmoins être admise si elle poursuit un objectif légitime compatible avec les traités, est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général s'appliquant à tous, propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint. Les raisons justificatives susceptibles d'être invoquées par un Etat membre doivent donc être accompagnées de preuves appropriées ou d'une analyse de l'aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet Etat, ainsi que des éléments précis permettant d'étayer son argumentation.

15. Au cas d'espèce, M. et Mme D... étant affiliés au régime autonome de sécurité sociale du CERN, ils ne sont pas assujettis aux cotisations sociales finançant les risques couverts par le régime français de sécurité sociale, dont ils ne relèvent pas. L'obligation dans laquelle ils se trouvent d'acquitter, sur les revenus du patrimoine de M. D..., les contributions mentionnées au point 1 est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale français. Pour celles de ces contributions qui sont affectées au financement du régime de sécurité sociale français, dont ils ne relèvent pas, cette obligation, qui ne leur ouvre aucun droit au bénéfice de prestations, les conduit à contribuer à fonds perdus au financement d'un régime dont ils ne bénéficient pas tout en contribuant parallèlement au régime dont ils bénéficient et les désavantage par rapport aux travailleurs qui exercent la totalité de leurs activités en France, seulement astreints à financer le régime de sécurité sociale français, dont ils bénéficient. Une telle obligation constitue une entrave à l'exercice, par M. D..., de la liberté garantie par l'accord sur la libre circulation. Aucune justification n'est avancée par l'administration pour justifier la restriction en cause, son caractère adapté et proportionné à l'objectif poursuivi. Ces justifications ne résultent pas par ailleurs de l'instruction.

16. Pour les années en cause, l'affectation de la contribution sociale généralisé résulte de l'article L. 136-8 du code de la sécurité sociale, celle de la contribution au remboursement de la dette sociale résulte de l'article 6 de l'ordonnance du 24 janvier 1996, celle du prélèvement social de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale et celle de la contribution additionnelle à ce prélèvement dite " solidarité autonomie " résulte de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles. Il résulte de ces différentes dispositions que les contributions en cause avaient vocation à abonder le financement de la Caisse nationale des allocations familiales, du Fonds de solidarité vieillesse, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, des régimes obligatoires d'assurance maladie, de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés. Ces organismes, y compris le Fonds de solidarité vieillesse et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ont vocation à financer des prestations qui, eu égard au risque qu'elles ont vocation à couvrir et aux modalités de leur attribution, correspondent à des prestations de sécurité sociale et non à des prestations d'assistance. Eu égard à l'objet de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, consistant à apurer une dette du régime de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations servies dans le passé, cet organisme participe au financement du régime français de sécurité sociale. Il en résulte que l'obligation faite à M. et Mme D... d'acquitter, au titre des années en litige, la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement social et la contribution additionnelle à ce prélèvement dite " solidarité autonomie " les conduit à contribuer sans contrepartie au financement du régime de sécurité sociale français, alors qu'ils sont affiliés au régime de sécurité sociale propre au CERN, et méconnaît les obligations évoquées ci-dessus.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a déchargé M. et Mme D... de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, et à demander la remise à la charge des intéressés de ces impositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M.et Mme C... D....

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Antonetti, président,

- M. Barthez, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.

9

N° 18MA04543


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA04543
Date de la décision : 29/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Accords internationaux.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Libertés de circulation - Libre circulation des personnes.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : M. ANTONETTI
Rapporteur ?: Mme Florence MASTRANTUONO
Rapporteur public ?: Mme BOYER
Avocat(s) : KPMG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-29;18ma04543 ?
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