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05/10/2020 | FRANCE | N°19MA05665

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 05 octobre 2020, 19MA05665


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 août 2019 par lequel le préfet du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à l'expiration de ce délai et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salari

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 août 2019 par lequel le préfet du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à l'expiration de ce délai et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 250 euros par jour de retard ou, à défaut de réexaminer sa demande, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902929 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 décembre 2019 et le 4 août 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 novembre 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 août 2019 du préfet du Gard ;

3°) d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre de séjour dans les mêmes conditions ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Me C... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ;

- l'irrégularité de ses documents d'identité et d'état-civil ne lui ayant jamais été reprochée avant l'intervention de l'arrêté attaqué, le préfet a méconnu les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en se dispensant de l'entendre avant l'édiction de la décision de refus de titre de séjour ;

- il n'est pas établi que ses documents d'identité et d'état-civil seraient des faux et la décision de refus de titre de séjour est dès lors entachée d'erreur de fait ;

- cette décision est également entachée d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet du Gard n'a pas procédé aux vérifications prévues par l'article 47 du code civil afin de s'assurer de l'authenticité de ses documents d'identité et d'état-civil ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2020, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 août 2020.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme E... F..., présidente assesseure, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de

M. Guy Fédou, président de la 6ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur ;

- et les observations de Me B..., substituant Me C..., représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Entré pour la première fois en France le 8 septembre 2017, M. A..., qui se dit né le 1er février 2001, est de nationalité guinéenne. Il a demandé, le 9 janvier 2019 à se voir délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 août 2019, le préfet du Gard a rejeté cette demande et prescrit l'éloignement de l'intéressé.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ", lequel dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. L'article 47 du code civil cité au point 2 pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il ne résulte en revanche pas de ces dispositions que l'administration française doit nécessairement et systématiquement solliciter les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état-civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.

4. Il en découle que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. En l'espèce, en premier lieu, l'arrêté attaqué se borne à indiquer que l'authenticité des documents d'état civil produits par M. A... " n'est pas démontrée " au motif que " l'extrait du registre de l'état civil comporte un numéro de transcription surchargé et illisible ". La seule circonstance que l'extrait du registre d'état civil produit par le requérant comporte un numéro de transcription surchargé, mais toutefois lisible et conforme au numéro sous lequel cette transcription a été mentionnée en marge du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n'est pas de nature, à elle seule, à établir l'absence d'authenticité de cette pièce.

7. En deuxième lieu, si l'arrêté attaqué se fonde sur la circonstance que " la carte d'identité consulaire et les documents d'identité produits par le demandeur présentent " un caractère apocryphe ", cette assertion n'est appuyée d'aucun début de preuve. Par ailleurs, la circonstance, également mentionnée par l'arrêté, que le service de sécurité intérieure de l'ambassade de France à Conakry a fait état d'une fraude généralisée à l'état civil n'est pas davantage de nature, à elle seule, à démontrer que les documents produits par l'intéressé seraient des faux.

8. En troisième lieu, le préfet du Gard fait valoir dans son mémoire en défense que l'acte de naissance et le jugement supplétif ne sont pas conformes aux règles de forme édictées par l'article 196 du code civil guinéen ainsi qu'aux règles de transcription définies par le droit guinéen en matière d'état-civil dès lors que la transcription du jugement a été effectuée dans le délai d'appel de dix jours défini par l'article 601 du code de procédure civile guinéen, que les documents sont entachés d'une incohérence quant à la date de transcription du jugement sur le registre de l'état civil, que le jugement ne comporte pas la mention " justice " sur la devise de la Guinée et que les déclarations de l'intéressé sur son parcours étaient contradictoires.

9. Toutefois, ces motifs ne pas invoqués dans l'arrêté attaqué et le préfet du Gard n'a pas sollicité qu'ils soient substitués à ceux qui y figurent. En tout état de cause, il ne résulte pas des dispositions de l'article 196 du code civil guinéen que la mention de l'heure et du lieu de naissance, du sexe de l'enfant, des prénoms qui lui seront donnés ainsi que, des prénoms, âges, professions et domiciles des père et mère, imposée sur les actes de naissance, soient obligatoires pour les jugements suppléant à un tel acte, qui relèvent des dispositions de l'article 193 du même code, dont aucune disposition invoquée par le préfet n'impose par ailleurs qu'il soit accompagné d'une photographie d'identité. En outre, l'article 899 du code de procédure civile, économique et administrative guinéen dispose que " (...) le dispositif de la décision est transmis au dépositaire des registres de l'état civil. Les transcription et mention du dispositif sont aussitôt opérées ", de telle sorte que l'inobservation du délai d'appel ne démontre pas l'absence de caractère authentique du jugement supplétif et de l'extrait du registre d'état civil. Il en va de même de la différence entre la date de transcription portée sur l'acte d'état civil, soit le 21 septembre 2017 et la mention qui en est faite par le jugement, le 22 septembre 2017, eu égard au caractère mineur de cette erreur. Par ailleurs, le requérant soutient sans être utilement contredit que l'absence du terme " justice " résulte de la reprographie du document. Enfin, le caractère contradictoire des déclarations de l'intéressé sur son parcours n'est pas de nature à remettre en cause le caractère authentique de l'acte d'état civil qu'il produit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, le caractère apocryphe des documents d'état civil produits par M. A... ne ressortant pas des pièces du dossier, le requérant est fondé à soutenir que le préfet du Gard a entaché sa décision d'erreur de fait en se fondant sur ce caractère pour remettre en cause, notamment, l'âge auquel l'intéressé dit être en France, aucun autre moyen n'étant mieux à même de régler le litige.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté lui refusant le séjour et l'obligeant à quitter le territoire français et qu'il y a lieu, par conséquence, d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 5 août 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9112 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".

13. Eu égard au motif pour lequel elle est prononcée, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique seulement que le préfet du Gard réexamine la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Il y a lieu de le lui enjoindre. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et

37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement à cet avocat de la somme de 1 500 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1902929 du tribunal administratif de Nîmes du 21 novembre 2019 et l'arrêté du préfet du Gard du 5 août 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise au préfet du Gard et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes.

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2020, où siégeaient :

- Mme E... F..., présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. D... Grimaud, premier conseiller,

- M. François Point, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 octobre 2020.

2

N° 19MA05665


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05665
Date de la décision : 05/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme MASSE-DEGOIS
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET FORTUNET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-05;19ma05665 ?
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