Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 avril 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 7 de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Beef House Marseille devenue ultérieurement la société Seven FR à le licencier pour inaptitude professionnelle.
Par un jugement n° 1704610 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 août 2019 et le 21 avril 2020, la société Seven FR, représentée par la SELAS Barthélémy, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juin 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille ;
3°) d'autoriser le licenciement de M. A... ;
4°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la demande d'autorisation de licenciement est dépourvue de tout lien avec le mandat exercé par M. A... ;
- elle a satisfait à ses obligations en matière de reclassement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mars 2020, M. A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Seven FR au titre de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête, qui se borne à reproduire intégralement le dernier mémoire de première instance de la société est irrecevable ;
- les moyens soulevés par la société Beef House Marseille ne sont pas fondés ;
- la société a procédé à une retenue abusive sur salaire s'analysant en une modification de son contrat de travail qui ne pouvait intervenir qu'avec son accord ou à défaut avec l'autorisation de l'inspecteur du travail.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 20 avril 2017, l'inspecteur du travail de la section 7 de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Beef House Marseille, devenue ultérieurement la société Seven FR, à licencier pour inaptitude physique M. D... A..., chef-comptable, représentant de section syndicale et candidat aux élections de délégué du personnel. La société Seven FR relève appel du jugement du 18 juin 2019, par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la société Seven Fr a présenté, dans le délai de recours devant la Cour, un mémoire d'appel qui ne se borne pas à reproduire ses écritures devant les juges de première instance. Sa requête d'appel satisfaisant ainsi aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la fin de non-recevoir soulevée par la M. A... doit être écartée.
Sur la légalité de la décision du 20 avril 2017 de l'inspecteur du travail :
4. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.
5. Si l'autorité administrative doit ainsi vérifier que l'inaptitude du salarié est réelle et justifie son licenciement, il ne lui appartient pas, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. Il en va ainsi, y compris s'il est soutenu que l'inaptitude résulte d'une dégradation de l'état de santé du salarié protégé ayant directement pour origine des agissements de l'employeur dont l'effet est la nullité de la rupture du contrat de travail, tels que, notamment, un harcèlement moral ou un comportement discriminatoire lié à l'exercice du mandat.
6. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Ainsi, alors même qu'il résulterait de l'examen conduit dans les conditions rappelées aux points précédents que le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait légalement obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'employeur de M. A... a manifesté son souhait de rattacher l'intéressé à la société Groupe Beef House, dont le siège est situé à Nice, dès le mois de décembre 2014 au regard de la nature transversale des fonctions qu'il exerçait, soit bien antérieurement à sa désignation le 4 février 2016 en qualité de représentant de la section syndicale FO et candidat aux élections professionnelles organisées les 26 novembre et 10 décembre 2016 au sein de la société Beef House Marseille. Il a ainsi bénéficié au cours de l'année 2015 des stipulations de la convention collective du commerce de gros à prédominances alimentaires applicable à la société la société Beef House Group, plus favorables que celles de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants applicables à la société Beef House Marseille. Si la société a d'abord contesté la candidature de M. A... aux élections professionnelles organisées au sein de la société Beef House Marseille au motif de son rattachement à la société groupe Beef House, elle a ensuite accepté, à la demande de l'intéressé, de le regarder comme salarié de la SAS Beef House Marseille à défaut de pouvoir justifier de ce rattachement par un avenant contractuel ou un accord explicite du salarié. L'intéressé a ainsi pu librement se présenter aux élections professionnelles qui se sont tenues le 26 novembre et le 10 décembre 2016 au sein de cette dernière société. Dans ces circonstances, il n'est nullement établi que le rattachement de l'intéressé à la société Groupe Beef House au cours de l'année 2015 serait intervenu en vue de faire échec à l'organisation d'élections professionnelles au sein de la SAS Beef House Marseille. Si M. A..., dans un contexte de travail tendu avec son employeur au début de l'année 2016, auquel son comportement inadapté n'est d'ailleurs pas étranger, a connu plusieurs périodes d'arrêts de maladie du 30 mars au 27 avril 2016, puis du 3 mai au 31 octobre 2016, il n'est nullement établi que ce contexte trouverait son origine dans des entraves mises par son employeur à l'exercice de ses fonctions de chef-comptable. Notamment, les difficultés qu'il a rencontrées durant quelques heures le 22 février 2016 pour se connecter au serveur de la banque principale du groupe ou la circonstance que le dirigeant de l'entreprise a conservé quelques jours les chéquiers de la société, sont étrangères à une quelconque action discriminatoire à son égard. Si ses fonctions ont été réduites à compter du mois de mars 2016, alors que l'intéressé s'était plaint de l'augmentation de sa charge de travail, il n'est pas établi que cette circonstance serait en lien avec l'exercice de son mandat syndical. Le 22 novembre 2016, le médecin du travail compétent l'a déclaré inapte au poste actuel, mais a estimé qu'il pouvait occuper un poste de type administratif. Faute d'avoir pu trouver un poste approprié aux capacités de l'intéressé respectant les préconisations du médecin du travail au sein de l'entreprise et des sociétés du groupe à laquelle elle appartient, l'employeur a alors demandé l'autorisation de le licencier en raison de cette inaptitude. Au regard de l'ensemble de ces circonstances ainsi que du contenu des courriers échangés entre le salarié et son employeur au cours de l'année 2016, la demande d'autorisation de licenciement en litige ne saurait être regardée comme étant en lien avec l'appartenance syndicale de l'intéressé et sa candidature aux élections professionnelles.
8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'existence d'un tel lien pour annuler la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. A....
9. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille et devant la Cour.
10. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. /L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ". Selon l'article L4624-6 du même code : " L'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite ".
11. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
12. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. A..., la société Beef House Marseille avait procédé en son sein à la recherche des possibilités de reclassement de l'intéressé sur des fonctions administratives compatibles avec les indications et les propositions émis par le médecin du travail. Toutefois, aucun poste de ce type n'existait à cette date, hormis le poste de chef comptable, les autres emplois étant tous liés aux métiers de la restauration. Par ailleurs, la société Beef House Marseille a saisi par lettre circonstanciée du 13 janvier 2017 les huit autres entreprises du groupe Beef House en vue du reclassement de l'intéressé, au besoin après une formation adaptée. Ainsi que le révèlent notamment les réponses de ces entreprises, mettant en évidence le caractère infructueux des recherches effectuées par l'employeur, aucune possibilité de reclassement sur des fonctions administratives n'existait, à la date de cette décision, au sein des autres entreprises du groupe. A cet égard, si la société Beef House Marseille n'a produit que le seul registre des entrées et sorties de son personnel à l'exclusion des registres des entrées et sorties du personnel des autres sociétés du groupe, cette circonstance est sans incidence, dès lors qu'en tout état de cause elle ne disposait pas de ces documents détenus par des sociétés tierces. En outre, M. A... avait fait savoir par courriel du 7 janvier 2017 à la société Beef House Marseille qu'en raison de l'existence de contraintes familiales, il souhaitait exercer ses fonctions à Nice où il avait été embauché et employé. Ainsi, l'employeur doit, à la date de la décision en litige, être regardé comme ayant procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartenait. Par suite, l'inspecteur du travail a pu légalement se fonder sur ce que l'employeur n'avait pas méconnu l'obligation qui lui incombait pour autoriser le licenciement de M. A....
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la société Beef House Marseille aurait sollicité l'autorisation de licencier M. A... au motif que l'intéressé aurait refusé une modification de son contrat de travail ou aurait décidé de le licencier pour un tel motif. Par suite, l'inspecteur du travail, qui n'était nullement saisi d'un tel grief mais seulement d'une demande de licenciement en raison de l'inaptitude du salarié, n'était pas tenu de vérifier, dans le cadre de l'examen auquel il a procédé, si la retenue pratiquée sur le salaire de M. A... était susceptible de s'analyser comme une modification unilatérale de son contrat de travail par son employeur. Par suite, la circonstance que l'inspecteur du travail n'aurait pas procédé à un tel examen est inopérante à l'encontre de la décision en litige.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Seven FR est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 20 avril 2017 de l'inspecteur du travail.
15. La décision du juge d'appel statuant au fond a pour effet, lorsqu'elle annule comme en l'espèce un jugement d'annulation, de rétablir la décision initiale de l'inspecteur du travail dans l'ordonnancement juridique. En revanche, il n'appartient pas au juge administratif, même dans une telle hypothèse, d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé. Par suite, les conclusions de la société Seven FR tendant à ce que la Cour autorise le licenciement de M. A... ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Seven FR, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement d'une somme au titre des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juin 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Seven FR est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de M. A... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Seven FR et à M. D... A....
Copie en sera adressée à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2020, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juillet 2020.
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N° 19MA03864
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