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06/07/2020 | FRANCE | N°18MA05415

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 06 juillet 2020, 18MA05415


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée sous le n° 1601475, M. F... E..., M. A... E..., M. G... E..., Mme H... M..., Mme K... E... et Mme I... E... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 20 000 euros pour M. F... E... et la somme de 15 000 euros pour chacun des autres demandeurs en réparation du préjudice moral subi en raison du suicide de C... E... survenu dans la nuit du 7 au 8 juillet 2013 au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille.
>Par une deuxième requête, enregistrée sous le n° 1601786, Mmes J... et B... E...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée sous le n° 1601475, M. F... E..., M. A... E..., M. G... E..., Mme H... M..., Mme K... E... et Mme I... E... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 20 000 euros pour M. F... E... et la somme de 15 000 euros pour chacun des autres demandeurs en réparation du préjudice moral subi en raison du suicide de C... E... survenu dans la nuit du 7 au 8 juillet 2013 au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille.

Par une deuxième requête, enregistrée sous le n° 1601786, Mmes J... et B... E... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi en raison du suicide de C... E... survenu dans la nuit du 7 au 8 juillet 2013 au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille.

Par un jugement n° 1601475-1601786 du 26 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à payer à M. F... E... une somme de 15 000 euros, à M. A... E... et à Mme H... M... une somme de 7 000 euros chacun, et à MM G... E... et D... E... et à Mmes K... E..., I... E..., J... E... et B... E... une somme de 2 000 euros chacun en réparation des préjudices subis.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 21 décembre 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F... E... et autres devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- aucune faute de surveillance ne peut être imputée à l'administration ;

- il n'y a pas de lien de causalité entre le défaut de ronde à 23 heures et le décès ;

- C... E... avait partagé sa cellule avec dix personnes en une année, mais plusieurs éléments rendaient la cohabitation difficile ;

- aucune faute tirée de la mise à disposition dans la cellule d'une rallonge électrique ne saurait être imputée à ses services, dès lors que cette rallonge servait à assurer l'alimentation électrique du poste de télévision ;

- il n'est pas établi que la présence de cette rallonge ait pu augmenter le risque du passage à l'acte, le mode opératoire étant multi-causal ;

- l'intensité des liens affectifs entre la victime et ses parents et frères et soeurs n'est pas établie.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 février 2019, M. F... E..., M. A... E..., M. G... E..., Mme H... M..., Mme K... E..., Mme I... E..., Mme J... E..., Mme B... E... et M. D... E..., représentés par Me Vouland, concluent au rejet du recours et demandent de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé ;

- leur préjudice d'affection est certain.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duran-Gottschalk,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Dans la nuit du 7 au 8 juillet 2013, M. C... E..., placé en détention provisoire au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille depuis le 27 juin 2012, s'est donné la mort par pendaison dans sa cellule. La garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 26 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à réparer le préjudice moral subi par le fils, les parents et les six frères et soeurs de la victime.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. La responsabilité de l'Etat en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.

3. Il résulte de l'instruction que C... E..., souffrant du virus de l'immunodéficience humaine, était suivi pour des troubles psychologiques. Il a tenté de mettre fin à ses jours le 28 décembre 2012 par pendaison à l'aide d'une rallonge électrique et après avoir ingéré des médicaments. Les mesures prescrites par la commission santé de l'établissement ont alors consisté en une " mise en surveillance spécifique, ne pas mettre en cellule individuelle, suivi médical dépressif ". Il a fait part à l'administration le 19 mars 2013 de sa crainte de réitérer une tentative de suicide. En cellule individuelle depuis le 3 mai 2013, il a tenu le 7 juillet 2013 les propos suivants : " je vais prendre des cachets, m'ouvrir les veines et attendre. ". Suite à cette alerte, une surveillance renforcée a été mise en place, le jour même, sous forme de consignes spécifiant une ronde toutes les deux heures à compter de 19 heures. Deux rondes ont été faites respectivement à 19 heures et 21 heures, la troisième à 00 h 05, heure à laquelle le surveillant a découvert le décès de l'intéressé.

4. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, la mise à disposition dans la cellule de C... E... d'une rallonge électrique, alors qu'il n'est pas démontré que l'alimentation électrique du poste de télévision n'aurait pas pu être assurée sans cette rallonge ou avec une rallonge moins longue, constitue une faute des services pénitentiaires, dès lors que la tentative de suicide du 28 décembre 2012 avait été réalisée avec ce même matériel. De même, compte-tenu des consignes fixées le jour même du 7 juillet par l'administration elle-même, prescrivant une surveillance renforcée, la ronde intervenue à 00 h 05 après celle de 21 heures doit être regardée comme tardive. Enfin, alors qu'il convenait de placer l'intéressé dans la mesure du possible en cellule double, ce qui avait déjà été le cas, C... E... était seul depuis le 3 mai 2013. L'impossibilité d'un tel placement en raison du comportement et des troubles de l'intéressé et du traitement médical qu'il suivait n'est pas établie par les pièces du dossier. Il résulte de tout ce qui précède que le décès de C... E... doit être regardé comme la conséquence directe d'un défaut de vigilance et de surveillance, qui constitue une faute imputable au service pénitentiaire, engageant la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne les préjudices :

5. La somme de 15 000 euros allouée par le tribunal administratif à l'unique fils O... C... E..., dont ce dernier était en outre son seul parent, n'est pas contestée par le ministre et n'apparaît pas comme étant excessive. Si le ministre soutient que l'intensité des liens affectifs entre la victime et ses parents et sa fratrie n'est pas établie, les intimés soutiennent que l'âge des parents de C... E..., nés en 1922 et 1930, rendait difficile une visite au centre pénitentiaire. Dans ces conditions, et alors que les parents de la victime étaient titulaires d'un permis de visite lors d'une précédente incarcération, la somme de 7 000 euros allouée à chacun d'eux n'apparaît pas excessive, tout comme celle de 2 000 euros accordée à chacun des six frères et soeurs de C... E....

6. Il résulte de tout ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à réparer le préjudice moral subi par la famille O... C... E... par les sommes citées au point précédent.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser à M. F... E... et autres en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le recours de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. F... E... et autres une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la garde des sceaux, ministre de la justice et à M. F... E..., à M. A... E..., à M. G... E..., à Mme H... M..., à Mme K... E..., à Mme I... E..., à Mme J... E..., à Mme B... E... et à M. D... E....

Délibéré après l'audience du 22 juin 2020, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.

Lu en audience publique, le 6 juillet 2020.

2

N° 18MA05415


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA05415
Date de la décision : 06/07/2020
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SCP VOULAND-GRAZZINI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-06;18ma05415 ?
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