Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. K... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales en date du 30 août 2019 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de sa destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour pour une durée de six mois.
Par un jugement n° 1904639 du 3 octobre 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2020, M. B..., représenté par Me I..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 août 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de statuer sur son droit au séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de fait et méconnaît l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme ;
- un retour en Russie l'expose à une atteinte aux articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, la Cour nationale du droit d'asile n'ayant pas examiné ses craintes de persécution à l'égard de ce pays ;
- il devait a minima bénéficier d'un délai de départ volontaire, compte tenu de sa situation familiale et de la durée de sa présence en France ;
- l'interdiction de retour prononcée à son encontre ne prend pas en compte sa situation familiale, ni les liens qu'il a noués sur le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2020, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... H..., présidente de la Cour,
- les conclusions de M. D... Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant le préfet des Pyrénées-Orientales.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... demande l'annulation du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête dirigée contre l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales en date du 30 août 2019 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de sa destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour pour une durée de six mois.
Sur les conclusions relatives à l'obligation de quitter le territoire français sans délai :
2. En premier lieu, si le requérant soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de fait, il ne précise pas la teneur de cette erreur. Contrairement à ce qu'il soutient, l'arrêté attaqué rappelle bien qu'il se dit marié et père de deux enfants.
3. En deuxième lieu, si le requérant fait valoir qu'il est présent sur le territoire français avec son épouse, depuis 2012, sous réserve d'un bref séjour en Allemagne, et que leurs deux enfants sont nés en France les 18 juin 2014 et 30 août 2017, il est constant que sa femme est également en situation irrégulière. Il ne précise, ni ne justifie la réalité, l'ancienneté et la stabilité des liens personnels et familiaux qui l'attacheraient au territoire français. Eu égard à leur âge, ses enfants ne peuvent être regardés comme ayant noué sur le territoire français des liens tels qu'ils ne pourraient accompagner leurs parents dans leur pays d'origine. En conséquence, l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels il a été pris, au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme.
4. En troisième lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2. / (...) h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français. ".
5. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet a refusé d'accorder à M. B... un délai pour quitter volontairement le territoire français, en raison des risques avérés de fuite que son comportement présente, au regard des critères posés par les dispositions précitées des a), d), f) et h) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le requérant ne conteste pas utilement le bien-fondé de ces motifs en se bornant à se prévaloir de sa situation familiale et de la durée de sa présence en France.
Sur les conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination :
6. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; /3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
7. Lorsqu'une mesure d'éloignement intervient après le rejet de la demande d'asile formée par l'intéressé, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile sont supposés avoir apprécié les craintes exprimées par celui-ci sur les menaces auxquels il est exposé dans le pays dont il a la nationalité, au sens des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que ce soit sur le fondement de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou sur le fondement de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de la protection subsidiaire. Le préfet ne peut, toutefois, pour fixer le pays de destination de l'intéressé, en application de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et apprécier les risques qu'il y encourt, tirer les conséquences du rejet de la demande d'asile que pour autant que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile se sont prononcés à l'égard de ce pays.
8. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que M. B... sera reconduit à destination du pays dont il a la nationalité ou, en application d'un accord ou d'un arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou, avec son accord, d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. En réponse à la mesure d'instruction diligentée par le greffe de la Cour, le préfet a fait connaître que M. B... et son épouse, Mme G..., n'apportant pas la preuve de leurs nationalités russe et arménienne respectivement déclarées, des demandes de reconnaissance ont été adressées aux autorités consulaires de ces deux pays et que seule la demande adressée aux autorités russes demeure pendante, les autorités arméniennes n'ayant reconnu ni M. B..., ni Mme G..., ni leurs deux enfants comme leurs ressortissants.
9. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile formée par M. B... a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 11 octobre 2013, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 octobre 2014. Aux termes de cette décision, la Cour a estimé que ses craintes devaient être examinées exclusivement au regard de l'Arménie, dès lors qu'il devait être regardé comme ayant " les droits et les obligations attachées à la possession de la nationalité de ce pays et comme s'étant volontairement privé, en l'espèce, de la protection des autorités arméniennes ". Constatant qu'il n'exprimait aucune crainte vis-à-vis de ce pays, la Cour nationale du droit d'asile a, en conséquence, rejeté sa demande d'asile.
10. Dans ces conditions, et alors que les craintes dont se prévalait M. B... à l'égard de la Fédération de Russie, pays dont il soutenait avoir la nationalité, n'ont pas été examinées par la Cour nationale du droit d'asile, le préfet ne saurait envisager de le reconduire à destination de ce pays.
Sur les conclusions dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français :
11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./ (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
12. En application de ces dispositions, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, il lui appartient d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle.
13. D'une part, le requérant ne se prévaut pas de telles circonstances. D'autre part, en fixant à six mois la durée de cette interdiction, le préfet ne peut être regardé comme ayant commis une erreur d'appréciation, alors que M. B... n'a, en principe, pas vocation à revenir en France.
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales en date du 30 août 2019 l'obligeant à quitter le territoire français et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de six mois qu'en tant qu'il n'a pas exclu la Fédération de Russie comme pays de destination de cette obligation de quitter le territoire français.
Sur les frais de l'instance :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'une des parties la somme que l'autre demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales en date du 30 août 2019 est annulé en tant qu'il n'a pas exclu la Fédération de Russie comme pays de destination de l'obligation de quitter le territoire français imposée à M. B....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... B..., au ministre de l'intérieur et à Me I....
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2020, où siégeaient :
- Mme E... H..., présidente de la cour
- Mme F... J..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juin 2020.
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N° 20MA00421