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15/06/2020 | FRANCE | N°19MA05254

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 15 juin 2020, 19MA05254


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté, en date du 17 juin 2016, par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel, passé ce délai, elle pourrait être renvoyée d'office.

Par un jugement n° 1604367 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Par

une ordonnance n° 17MA03029 du 5 mars 2018, la présidente de la Cour a, sur le fondement des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté, en date du 17 juin 2016, par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel, passé ce délai, elle pourrait être renvoyée d'office.

Par un jugement n° 1604367 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 17MA03029 du 5 mars 2018, la présidente de la Cour a, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 et de l'article R. 776-9 du code de justice administrative, rejeté comme tardif et, par suite, irrecevable, l'appel formé contre ce jugement par Mme A... B....

Par une ordonnance n° 18MA01165 du 28 mars 2018, le premier vice-président de la Cour a, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté comme irrecevable la requête en rectification d'erreur matérielle formée par Mme A... B... à l'encontre de l'ordonnance du 5 mars 2018.

Par une décision n° 425632 du 27 novembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'ordonnance n° 18MA01165 du 28 mars 2018 et renvoyé à la Cour le jugement de la requête en rectification d'erreur matérielle présentée par Mme A... B....

Reprise de la procédure devant la Cour :

Par la requête initialement enregistrée sous le n° 18MA01165 et un mémoire complémentaire enregistré le 3 janvier 2020, après renvoi par le Conseil d'État, sous le n° 19MA05254, Mme A... B..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de constater l'erreur matérielle affectant l'ordonnance de la présidente de la Cour n° 17MA03029 du 5 mars 2018, mentionnant à tort que sa demande d'aide juridictionnelle avait été rejetée ;

2°) de rejuger en conséquence son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Nice n° 1604367 du 15 décembre 2016 et, ce faisant, d'annuler ce jugement, d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 17 juin 2016 et de faire injonction au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans les huit jours suivant la notification de l'ordonnance à venir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois en la munissant, durant ce délai, d'une autorisation provisoire de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de

2 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'énonce l'ordonnance du 5 mars 2018, elle avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle et l'erreur ainsi commise a exercé une influence sur le traitement de sa requête d'appel ;

- le jugement attaqué, insuffisamment motivé, ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- ce jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal ne pouvait estimer insuffisants les éléments relatifs à sa vie privée et familiale sans préalablement prescrire une mesure d'instruction sur ce point ;

- le refus de titre de séjour contesté est entaché d'un vice de procédure, le préfet s'étant abstenu, alors que sa demande de titre de séjour était accompagnée d'une demande d'autorisation de travail, de transmettre celle-ci à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;

- ce refus de titre de séjour procède d'une inexacte application de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a été pris en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du même code.

La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit d'observations.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le dossier n° 17MA03029.

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. C... Zupan, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante tunisienne née en 1988, entrée en France en juillet 2013 et à qui le préfet des Alpes-Maritimes a opposé par arrêté du 17 juin 2016 un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement, demande à la Cour de constater l'erreur matérielle affectant l'ordonnance n° 17MA03029 du 5 mars 2018 rejetant comme tardive et, par suite, irrecevable son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Nice du 15 décembre 2016 qui l'a déboutée de son recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet arrêté préfectoral.

Sur le recours en rectification d'erreur matérielle :

2. Aux termes de l'article R. 833-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision d'une cour administrative d'appel (...) est entachée d'une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification. ".

3. Il est constant que, contrairement à ce que relève l'ordonnance du 5 mars 2018 au point 2 de ses motifs, Mme A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue de relever appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 15 décembre 2016. Dans sa décision visée ci-dessus n° 425632 du 27 novembre 2019, le Conseil d'Etat a dit pour droit que " l'affirmation erronée selon laquelle la demande d'aide juridictionnelle de Mme A... B... avait été rejetée le 24 avril 2017 a eu une influence sur la décision de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille de rejeter sa requête d'appel pour tardiveté, la cour s'étant, du fait de cette erreur, abstenue de mettre en demeure l'avocat d'accomplir ses diligences et de porter sa carence à la connaissance du requérant .".

4. Compte tenu de la portée ainsi donnée par le Conseil d'Etat à l'erreur matérielle mentionnée au point précédent, laquelle n'est pas imputable à Mme A... B..., le recours en rectification présenté par Mme A... B... doit être admis et l'ordonnance n° 17MA03029 du 5 mars 2018 doit, par suite, être déclarée nulle et non avenue.

5. Il y a lieu en conséquence, pour la Cour, de statuer de nouveau sur l'appel formé par Mme A... B... à l'encontre du jugement du 15 décembre 2016.

Sur la requête enregistrée sous le n° 17MA03029 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

6. En premier lieu, si Mme A... B... se réfère à l'article L. 9 du code de justice administrative, en vertu duquel " les jugements sont motivés ", les critiques qu'elle développe sur ce fondement à l'encontre du jugement attaqué, auquel il est reproché de se fonder " sur des conjectures et non sur les faits " ne mettent en réalité en cause que le bien-fondé de ses énonciations. Le moyen tiré d'une irrégularité commise à ce titre ne peut dès lors qu'être écarté.

7. En second lieu, il appartient à l'étranger qui, pour contester le refus de titre de séjour qui lui a été opposé, entend arguer de l'atteinte excessive portée à ses intérêts privés et familiaux, de fournir au juge l'ensemble des éléments utiles à sa démonstration. Dès lors, en s'abstenant, en l'espèce, d'ordonner une mesure d'instruction visant à faire produire des pièces complémentaires concernant la situation du père de Mme A... B..., le tribunal n'a pas méconnu son office juridictionnel et, quel que soit le bien-fondé des énonciations, sur ce point, de son jugement, ne l'a pas entaché d'irrégularité.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté contesté :

8. En premier lieu, l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 prévoit que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention "salarié" (...) ". L'article 11 du même accord renvoyant, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, sont applicables aux ressortissants tunisiens désireux d'exercer en France une activité salariée, les dispositions du code du travail régissant les conditions et modalités de délivrance des autorisations de travail, en particulier ses articles R. 5221-11 à R. 5221-20. Toutefois, s'il résulte de ces dispositions que le préfet, saisi par un ressortissant tunisien déjà présent sur le territoire national d'une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " à laquelle sont annexés un contrat de travail et une demande d'autorisation de travail établie par l'employeur, ne peut en principe refuser la délivrance du titre de séjour pour le motif qu'il n'a pas été justifié d'un " contrat de travail visé par les autorités compétentes " au sens des stipulations précitées sans avoir instruit cette demande d'autorisation de travail, elles ne lui font en revanche pas obligation, pas plus qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire, de la transmettre pour avis ou visa à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Le moyen tiré d'un vice de procédure tenant au défaut de transmission à ce service de la demande d'autorisation de travail et de la promesse d'embauche annexées à la demande de titre de séjour présentée par Mme A... B... doit donc être écarté.

9. Aux termes, en deuxième lieu, de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité,

de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. (...) ". Selon l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.".

10. Mme A... B... se prévaut de la présence en France de son père, titulaire d'une carte de résident et qui travaille de longue date pour une entreprise monégasque, ainsi que de sa mère et de ses cinq frères et soeurs, qui ont été ensemble admis au séjour, en 2008, au titre du regroupement familial, procédure dont elle n'a pu à l'époque bénéficier, étant déjà majeure. Toutefois, elle est elle-même célibataire, sans charge de famille, et ne démontre pas être dépourvue d'attache en Tunisie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Elle ne justifie pas, en outre, par la seule production de factures, de relevés de compte bancaire, de documents médicaux, d'une carte d'adhésion à la bibliothèque municipale de Menton et d'un courrier attestant d'un contact pris auprès d'un organisme de formation, d'une insertion significative dans la société française. La nouvelle promesse d'embauche versée aux débats est quant à elle postérieure à l'arrêté en litige. Enfin, si plusieurs certificats médicaux et attestations témoignent de l'état de santé défaillant de la mère de la requérante et soulignent l'aide que cette dernière lui apporte pour les actes ou déplacements de la vie quotidienne, ils ne permettent pas d'établir, alors que ses frères et soeurs vivent également à ses côtés, qu'elle est seule à même de lui prêter une telle assistance. Dans ces conditions, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme portant une atteinte excessive aux intérêts privés et familiaux de Mme A... B.... Les moyens tirés de l'inexacte application de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent dès lors être accueillis.

11. En troisième lieu, ni la présence en France des plus proches parents de Mme A... B... ni l'aide qu'elle est à même d'apporter à sa mère malade ne peuvent suffire, compte tenu de ce qui a été énoncé au point précédent, à caractériser l'existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels de régularisation susceptibles de justifier la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de cette disposition, en ce qu'elle est applicable aux ressortissants tunisiens, doit donc être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Alpes-Maritimes, que Mme A... B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 17 juin 2016. La requête n° 17MA03029 doit, dès lors, être rejetée en toutes ses conclusions.

Sur les frais liés au litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées pour le compte de Me D..., conseil de Mme A... B..., sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D É C I D E :

Article 1er : Le recours en rectification d'erreur matérielle présenté par Mme A... B... est admis.

Article 2 : L'ordonnance de la présidente de la Cour n° 17MA03029 du 5 mars 2018 est déclarée nulle et non avenue.

Article 3 : La requête de Mme A... B... n° 17MA03029 ainsi que le surplus des conclusions de son recours en rectification d'erreur matérielle sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... A... B..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2020, où siégeaient :

- M. C... Zupan, président,

- Mme E... F..., présidente assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique le 15 juin 2020.

N° 19MA05254 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05254
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Procédure - Voies de recours - Recours en rectification d'erreur matérielle.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. David ZUPAN
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : JAIDANE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-15;19ma05254 ?
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