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15/06/2020 | FRANCE | N°19MA02786

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 15 juin 2020, 19MA02786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eiffage Énergie Méditerranée et la société Ekium ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Grand port maritime de Marseille à leur verser, au titre du solde du marché de rénovation des réseaux électriques basse tension et automatismes du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer conclu le 27 août 2009, une somme de 83 027 euros hors taxes assortie des intérêts moratoires contractuels au taux de 15,25 % à compter du 22 novembre 2011.

Par un jugement n° 1403810

du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, condamné le Gran...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eiffage Énergie Méditerranée et la société Ekium ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Grand port maritime de Marseille à leur verser, au titre du solde du marché de rénovation des réseaux électriques basse tension et automatismes du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer conclu le 27 août 2009, une somme de 83 027 euros hors taxes assortie des intérêts moratoires contractuels au taux de 15,25 % à compter du 22 novembre 2011.

Par un jugement n° 1403810 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, condamné le Grand port maritime de Marseille à verser à la société Eiffage Énergie Méditerranée et à la société Ekium les intérêts contractuels au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne (BCE) à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile 2011, majorés de sept points, dus sur le solde du marché d'un montant de 58 559,75 euros, à compter du 22 novembre 2011 et jusqu'au paiement de ce solde, d'autre part, mis les frais d'expertise à la charge définitive de la société Eiffage Énergie Méditerranée et de la société Ekium, et a rejeté le surplus des conclusions.

Par un arrêt n°17MA02963 du 16 avril 2018, rectifié par un arrêt n° 18MA02838 du 14 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, en premier lieu, condamné le Grand port maritime de Marseille à verser à la société Eiffage Énergie Méditerranée la somme de 36 221,30 euros et à la société Ekium la somme de 12 554 euros toutes taxes comprises, sommes assorties des intérêts moratoires au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la BCE à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile 2011, majorée de sept points, à compter du 22 novembre 2011, en deuxième lieu, condamné le Grand port maritime de Marseille à verser aux mêmes sociétés les intérêts contractuels au même taux sur le solde du marché d'un montant de 58 559,75 euros du 22 novembre 2011 au 8 janvier 2014, en troisième lieu, réformé en ce sens le jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 mai 2017, en quatrième lieu, mis les frais d'expertise à la charge définitive pour moitié du Grand port maritime de Marseille, et pour moitié de la société Eiffage Énergie Méditerranée et de la société Ekium, et, enfin, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une décision n° 421545 du 12 juin 2019, le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi formé par le Grand port maritime de Marseille, a annulé cet arrêt du 16 avril 2018 en tant qu'il a fait droit à l'appel des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés initialement sous le n° 17MA02963

le 12 juillet 2017 et le 6 février 2018 puis, après renvoi par le Conseil d'État, par un mémoire enregistré sous le n° 19MA02786 le 3 février 2020, les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1403810 du

11 mai 2017 en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes ;

2°) de condamner le Grand port maritime de Marseille à leur verser une somme

de 83 027 euros hors taxes assortie des intérêts moratoires contractuels au taux de 15,25 % à compter du 22 novembre 2011 et à leur rembourser les frais d'expertise ;

3°) de mettre à la charge du Grand port maritime de Marseille une somme

de 3 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leur requête, qui n'est pas tardive, est recevable ;

- leur mémoire en réclamation, qui a été adressé au maître d'oeuvre, est détaillé et justifié ;

- le maître de l'ouvrage, qui a commis une faute en leur interdisant d'accéder au chantier en raison de la grève de son personnel puis en limitant cet accès afin de permettre prioritairement la reprise de l'activité économique au détriment de la réalisation des travaux, est responsable du préjudice résultant de la prolongation des délais d'exécution des travaux ;

- cet établissement portuaire a commis une faute en prononçant unilatéralement la réception des travaux alors que ceux-ci n'étaient pas achevés ;

- à titre subsidiaire, le Grand port maritime de Marseille, en prenant, en raison de la grève, un ordre de service de " suspension " des travaux, doit être regardé comme ayant décidé de l'ajournement de ceux-ci ; en tout état de cause, il aurait dû ajourner les travaux en application de l'article 48 du cahier des clauses administratives générales et permettre ainsi aux entreprises de solliciter l'état des lieux prévu par l'article 12 du même cahier ;

- en réparation de son préjudice, la société Eiffage Énergie Méditerranée sollicite, au titre des moyens en personnels d'encadrement, la somme de 10 920 euros hors taxes, au titre du surcoût pour la remobilisation des moyens en personnel d'encadrement de chantier, la somme de 15 216 euros hors taxes, au titre de la mobilisation du personnel de chantier, la somme de 11 136 euros hors taxes, au titre de la perte de bénéfice sur le chiffre d'affaires de la société ou perte d'industrie, la somme de 15 000 euros hors taxes, au titre des frais dus à l'immobilisation du matériel, la somme de 14 561 euros hors taxes et au titre des frais de constitution de dossier, la somme de 4 300 euros hors taxes, soit la somme totale de 71 133 euros hors taxes ;

- en réparation de son préjudice, la société Eiffage Ekium sollicite, au titre de la perte de sur les moyens de production et de la perte due à la coexistence des applicatifs en semaines

5 et 7 sur phase 2, la somme de 12 554 euros hors taxes et au titre des frais de constitution de dossier, la somme de 3 640 euros hors taxes, soit la somme totale de 16 194 euros hors taxes.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2017 sous le n° 17MA02963 et, après renvoi par le Conseil d'État, par des mémoires enregistrés le 18 juillet 2019 et le 13 février 2020 sous le n° 19MA02786, le Grand port maritime de Marseille conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1403810 du 11 mai 2017 en ce qu'il a déclaré la requête des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium recevable, à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er dudit jugement et, en tout état de cause, de mettre à la charge des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium, outre les dépens, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête de première instance des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium, tardive, est irrecevable et, en rejetant cette fin de non-recevoir, les premiers juges ont méconnu les dispositions de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales ;

- la requête indemnitaire est irrecevable faute pour les sociétés requérantes d'avoir adressé au maître d'oeuvre la réclamation prévue par l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales ;

- la requête est irrecevable dans la mesure où la réclamation n'a pas été accompagnée des pièces justificatives ;

- au fond, les demandes indemnitaires sont infondées dès lors que l'indemnisation sollicitée ne concerne pas des travaux supplémentaires exécutés sans ordre de service mais se rattachent à des perturbations ayant affecté l'exécution du marché en allongeant la période d'exécution, ce qui suppose le constat, impossible en l'espèce, d'un bouleversement de l'économie générale du marché ;

- par ailleurs, aucune faute n'a été commise dans la direction du chantier du fait de la période de grève, le mouvement social étant national et les dispositions de l'article 2.6 du cahier des clauses techniques particulières lui permettant de modifier le planning prévisionnel ; en tout état de cause, la durée initiale du marché a été prolongée en conséquence ; en outre, alors que la levée des réserves était initialement les 31 mai et 30 juin 2011 pour les phases 1 et 2, elle a été effectuée, pour les deux phases, le 5 septembre 2011 sans application des pénalités de retard prévues au marché ;

- l'ordre de service de suspension des travaux émis le 4 novembre 2010, qui fait suite à une demande formalisée par un courrier du 14 octobre précédent, est intervenu postérieurement à l'événement le justifiant et ne saurait servir de fondement à une quelconque demande d'indemnisation en l'absence de bouleversement de l'économie du contrat ;

- aucune faute n'a été commise lors de la réception des travaux ;

- l'ordre de service du 4 novembre 2020 ne constitue pas une décision d'ajournement mais se borne à modifier le planning d'exécution des travaux afin d'éviter l'application de pénalités aux entreprises.

Par ordonnance du 3 février 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 18 février 2020.

Un mémoire a été présenté pour les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium le 28 mai 2020, postérieurement à la date de la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... E..., rapporteure,

- les conclusions de M. A... Thiele, rapporteur public,

- et les observations de Me D... représentant les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium, et de Me B... représentant le Grand port maritime de Marseille.

Considérant ce qui suit :

1. Le Grand port maritime de Marseille a confié à un groupement d'entreprises solidaires, constitué de la société Forclum Méditerranée, mandataire, aux droits de laquelle est venue la société Eiffage Énergie Méditerranée, de la société Ekium et de la société Garcia, par un marché en date du 27 août 2009, d'un montant de 3 240 000 euros hors taxes, les travaux de rénovation des réseaux électriques basse tension et automatismes du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer. Le décompte général de ce marché a été notifié le 23 septembre 2011, avec un solde en faveur du groupement de 58 559,75 euros. Le 20 octobre 2011, la société Eiffage Énergie Méditerranée a retourné ce décompte assorti de réserves et a adressé au maître d'oeuvre un mémoire en réclamation. Par une ordonnance du 1er février 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a alloué au groupement une provision de 58 559,75 euros correspondant au solde du décompte général. Par un jugement du 11 mai 2017,

ce tribunal a condamné le Grand port maritime de Marseille à payer à la société Eiffage Énergie Méditerranée et à la société Ekium, les intérêts au taux contractuel sur le solde du marché et a rejeté le surplus de leurs conclusions indemnitaires. Par un arrêt du 16 avril 2018, rectifié

le 14 septembre suivant, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel formé par ces deux sociétés, en premier lieu, condamné le Grand port maritime de Marseille à verser à la société Eiffage Énergie Méditerranée la somme de 36 221,30 euros et à la société Ekium la somme de 12 554 euros toutes taxes comprises, sommes assorties des intérêts moratoires au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la BCE à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile 2011, majoré de sept points, à compter du 22 novembre 2011, en second lieu, condamné le Grand port maritime de Marseille à verser aux mêmes sociétés les intérêts contractuels au même taux sur le solde du marché, soit 58 559,75 euros, cela du 22 novembre 2011 au 8 janvier 2014, et réformé en ce sens le jugement du 11 mai 2017. Sur pourvoi du Grand port maritime de Marseille, le Conseil d'État a, par une décision n° 421545 du 12 juin 2019, annulé cet arrêt en tant qu'il a fait droit à l'appel des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la Cour.

Sur les fins de non-recevoir opposées par le Grand port maritime de Marseille à la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales aux marchés publics de travaux, approuvé par le décret du 21 janvier 1976 alors en vigueur : " L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante-cinq jours, dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 50 de ce même cahier, relatives au règlement des différends et des litiges : " 50.1 - Intervention de la personne responsable du marché : 50.11 - Si un différend survient entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, l'entrepreneur remet au maître d'oeuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations. 50.12 - Après que ce mémoire a été transmis par le maître d'oeuvre, avec son avis, à la personne responsable du marché, celle-ci notifie ou fait notifier à l'entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend, dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par le maître d'oeuvre du mémoire de réclamation. L'absence de proposition dans ce délai équivaut à un rejet de la demande de l'entrepreneur. 50.2 - Intervention du maître de l'ouvrage : 50.21 - Lorsque l'entrepreneur n'accepte pas la proposition de la personne responsable du marché ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter

de la notification de cette proposition ou de l'expiration du délai de deux mois prévu au 12 du présent article, le faire connaître par écrit à la personne responsable du marché en lui faisant parvenir, le cas échéant, aux fins de transmission au maître de l'ouvrage, un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus. 50.22 - Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage. 50.23 - La décision à prendre sur les différends prévus aux 21 et 22 du présent article appartient au maître de l'ouvrage. Si l'entrepreneur ne donne pas son accord à la décision ainsi prise, les modalités fixées par cette décision sont appliquées au titre du règlement provisoire du différend, le règlement définitif relevant des procédures décrites ci-après. 50.3 - Procédure contentieuse : 50-31- Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception, par la personne responsable du marché, de la lettre ou du mémoire de l'entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent. Il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché. ". 50.32 - Si, dans le délai de six mois à partir de la notification à l'entrepreneur de la décision prise conformément au 23 du présent article sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, l'entrepreneur n'a pas porté ses réclamations devant le tribunal administratif compétent, il est considéré comme ayant accepté ladite décision et toute réclamation est irrecevable. Toutefois, le délai de six mois est suspendu en cas de saisine du comité consultatif de règlement amiable dans les conditions du 4 du présent article.".

3. En premier lieu, il résulte des stipulations précitées de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux que l'entrepreneur dispose d'un délai fixé, selon le cas, à trente ou à quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général par le maître de l'ouvrage pour faire valoir, dans un mémoire de réclamation remis au maître d'oeuvre, ses éventuelles réserves, le règlement du différend intervenant alors selon les modalités précisées à l'article 50. Les stipulations précitées des articles 50.11 et 50.12 de ce même cahier concernent le règlement de différends survenus entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur et ne s'appliquent dès lors pas au différend qui survient dans l'établissement d'un décompte général, qui constitue un différend entre l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Le renvoi à l'article 50 auquel procède l'article 13-44 doit ainsi s'entendre comme concernant les stipulations du 22 et du 23 de cet article, applicables lorsque le différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur. Le mémoire de réclamation mentionné à l'article 50-22 est alors nécessairement celui mentionné par l'article 13.44 précité. Les stipulations de l'article 50.21, qui ne visent que des réclamations préalablement transmises au maître d'oeuvre, ne s'appliquent que dans le cas de différends survenus entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur. Elles ne peuvent donc s'appliquer dans le cas d'un différend survenu lors de la procédure d'établissement du décompte général. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient à l'entrepreneur qui a contesté le décompte général dans le délai prévu à l'article 13.44 à compter de la notification qui lui en a été faite et qui n'accepte pas la décision qui a été prise sur sa réclamation par le maître de l'ouvrage dans le délai de trois mois prévu à l'article 50.31 ou le refus implicite né du silence gardé par le maître de l'ouvrage au terme de ce délai, de saisir du litige le tribunal administratif compétent dans le délai de six mois prévu à l'article 50.32 à partir de la notification de cette décision. Ainsi, le délai de forclusion de six mois fixé par l'article 50.32 précité ne court qu'à compter de la notification d'une décision explicite du maître de l'ouvrage à l'entreprise.

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la notification du décompte général, la société Forclum Méditerranée, mandataire du groupement d'entreprises, a adressé par pli recommandé, le 20 octobre 2011, un mémoire en réclamation auquel le Grand port maritime de Marseille n'a apporté aucune réponse explicite, de telle sorte qu'aucun délai n'a pu commencer à courir à l'encontre des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium pour contester ce décompte. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de leur demande présentée au tribunal administratif ne peut qu'être écartée.

5. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société Forclum Méditerranée a adressé à la Direction des opérations et des terminaux pétroliers de Fos (DOTPF) du Grand port maritime de Marseille, qui a assuré la maîtrise d'oeuvre de l'opération, un courrier recommandé, en date du 20 octobre 2011, par lequel elle exprimait, en se référant expressément aux stipulations de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales, ses réserves sur le décompte général et auquel était joint un mémoire de quatorze pages détaillant, motivant et justifiant ses chefs de réclamations tant pour la " partie électricité " que pour les " prestations d'automatismes " en les décomposant et en les identifiant par l'indication précise de leur nature. Il s'ensuit, d'une part, que la fin de non-recevoir opposée par le Grand port maritime de Marseille tirée du défaut de transmission au maître d'oeuvre du mémoire de réclamation prévu par l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales manque en fait et, d'autre part, que celle tirée de l'insuffisance de ce mémoire au regard des exigences du même article, lequel impose la justification des chefs de réclamation mais non la production des pièces censées les étayer, qu'elles soient d'ordre comptable ou administratif, doit être également écartée.

Sur l'indemnisation des préjudices consécutifs au mouvement social :

6. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

7. D'une part, les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium soutiennent avoir supporté, à hauteur d'une somme totale de 83 027 euros hors taxes, diverses charges imprévues dues au mouvement de grève qui a paralysé le chantier durant six semaines, et consistant en un surcoût des moyens en personnel et en matériel, en des frais supplémentaires de gestion et en des frais additionnels de constitution de dossier consécutivement à l'allongement de la durée du chantier. Toutefois, la grève en cause, qui a duré du 27 septembre au 3 novembre 2010, ne saurait avoir eu pour effet, compte-tenu du montant du marché tel que stipulé par l'acte d'engagement, soit 3 240 000 euros hors taxes, d'en bouleverser l'économie. Par suite, la demande d'indemnité présentée à ce titre doit être écartée.

8. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que le Grand port maritime de Marseille ait commis des fautes dans la direction du chantier du fait ou au cours du mouvement social national affectant le terminal de Fos-sur-Mer. À cet égard, les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium ne démontrent pas que ce mouvement social, dirigé contre la mise en oeuvre du projet gouvernemental de réforme portuaire à la suite de l'adoption de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 visant notamment à la privatisation des activités de manutention, aurait trouvé sa cause, fût-ce partiellement, dans une faute commise par l'autorité portuaire en sa qualité de maître d'ouvrage. Les sociétés requérantes ne démontrent pas davantage que le Grand port maritime de Marseille aurait commis une faute contractuelle en ne les autorisant pas à accéder sur le chantier durant cette période afin de poursuivre l'exécution de leurs prestations, alors que le préfet des Bouches-du-Rhône avait, pour des raisons de sécurité, interdit l'accès au terminal de Fos-sur-Mer hormis pour les véhicules de secours. Enfin, ces sociétés n'administrent pas davantage la preuve d'une faute que le maître d'ouvrage aurait commise en limitant leur accès au chantier après la fin du mouvement social et en privilégiant la reprise de l'activité économique au détriment de la réalisation des travaux dès lors que les stipulations de l'article 2.6 du cahier des clauses techniques particulières du marché, relatif aux contraintes d'intervention, prévoient expressément que " L'Entrepreneur est informé que les travaux sur site sont réalisés sur un Terminal Pétrolier en exploitation. Ces travaux sont tributaires de la présence de navires sur les postes à quai. ".

9. En outre, selon l'article 3 de l'acte d'engagement du marché litigieux, " Le délai global d'exécution des travaux est de 18 (dix-huit) mois, y compris une période de préparation de 1 (un) mois. / (...) / Le délai d'exécution des travaux débute à la date de la notification du marché. ". Par suite, et dès lors qu'en raison du mouvement social affectant le terminal de Fos-sur-Mer, les prestations de ce marché ont été suspendues du 27 septembre 2010 au 3 novembre 2010 par un ordre de service enregistré sous le n° 091/2010, les sociétés requérantes ne démontrent pas que le Grand port maritime de Marseille aurait commis une faute en prononçant à la date du 7 avril 2011 la réception des travaux qui, selon l'acte d'engagement devait initialement se tenir le 28 février 2011 mais qui a été reportée au 7 avril suivant afin de tenir compte des cinq semaines et trois jours de suspension des travaux pour faits de grève.

10. Enfin, aux termes de l'article 19.21 du cahier des clauses administratives générales relatif à la prolongation des délais d'exécution : " 19.21. Lorsqu'un changement de la masse des travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages, une substitution à des ouvrages initialement prévus d'ouvrages différents, une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier, un ajournement de travaux décidé par la personne responsable du marché ou encore un retard dans l'exécution d'opérations préliminaires qui sont à la charge du maître de l'ouvrage ou de travaux préalables qui font l'objet d'un autre marché, justifie soit une prolongation du délai d'exécution de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux, soit le report du début des travaux, l'importance de la prolongation ou du report est débattue par le maître d'oeuvre avec l'entrepreneur, puis elle est soumise à l'approbation de la personne responsable du marché, et la décision prise par celle-ci est notifiée à l'entrepreneur par ordre de service ". Aux termes de l'article 48 du même cahier, relatif à l'ajournement et à l'interruption des travaux : " 48.1. L'ajournement des travaux peut être décidé. Il est alors procédé, suivant les modalités indiquées à l'article 12, à la constatation des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés. / L'entrepreneur, qui conserve la garde du chantier, a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et du préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement. / Une indemnité d'attente de reprise des travaux peut être fixée dans les mêmes conditions que les prix nouveaux, suivant les modalités prévues à l'article 14. (...) ".

11. D'une part, l'ordre de service n° 091/2010 du 4 novembre 2010 par lequel le Grand port maritime de Marseille a suspendu les travaux de rénovation des réseaux électriques basse tension et automatismes du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer pour la période du 27 septembre 2010 au 3 novembre 2010, soit durant la grève mentionnée ci-dessus, ne saurait être regardé comme une décision d'ajournement des travaux au sens des stipulations citées au point 10 dès lors que cette décision, qui ne fait pas référence à ces stipulations ni n'emploie le mot " ajournement ", prise postérieurement à la période de suspension des travaux, n'a pas permis de respecter l'obligation de constat préalable des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés prévue par ces mêmes stipulations. Par suite, le Grand port maritime de Marseille ne s'est pas inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 48 précité du cahier des clauses administratives générales. Il s'ensuit que la décision du 4 novembre 2010, dont la finalité était seulement de repousser l'échéance contractuelle et de garantir ainsi aux entreprises qu'elles ne seraient pas exposées à l'infliction de pénalités de retard, ne saurait donner lieu à une quelconque indemnisation.

12. D'autre part, les sociétés requérantes, en se bornant à soutenir que le Grand port maritime de Marseille aurait dû, l'accès du terminal leur étant interdit, faire application des stipulations citées au point 10 et ainsi leur permettre de solliciter l'état des lieux prévu aux articles 12 et 48.1 du cahier des clauses administratives générales, n'établissent pas que cet établissement aurait commis une faute contractuelle et fait preuve de la " grande déloyauté " qu'elles allèguent. En tout état de cause, à supposer même que l'absence de mise en oeuvre de ces stipulations puisse caractériser une carence fautive du maître de l'ouvrage, les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium ne démontrent aucunement que la privation de l'état des lieux qu'elles prévoient aurait contribué au préjudice dont elles demandent réparation.

Sur les dépens :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille de laisser à la charge des sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium le montant des frais de l'expertise ordonnée et taxée par ordonnance du président du tribunal administratif de Marseille en date du 11 juin 2015 à la somme de 9 750,52 euros toutes taxes comprises.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Grand port maritime de Marseille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que les sociétés Eiffage Énergie Méditerranée et Ekium réclament en remboursement des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par le Grand port maritime de Marseille.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eiffage Énergie Méditerranée et de la société Ekium est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Grand port maritime de Marseille sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Énergie Méditerranée, à la société Ekium et au Grand port maritime de Marseille.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2020, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme C... E..., présidente assesseure,

- Mme F..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 juin 2020.

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N° 19MA02786

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02786
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Règlement des marchés. Décompte général et définitif.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : BLUM - ENGELHARD - DE CAZALET

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-15;19ma02786 ?
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