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23/03/2020 | FRANCE | N°18MA00973-18MA01872

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 23 mars 2020, 18MA00973-18MA01872


Vu la procédure suivante :

I- Par une requête, enregistrée le 1er mars 2018 sous le n° 18MA00973, la SARL La Cotentine, représentée par la SELARL Letang Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler la décision implicite de la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) du 6 janvier 2018 rejetant le recours administratif préalable obligatoire qu'elle a exercé contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique autorisant la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes à créer un établissement de spectacles de 8 salles

à Antibes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en a...

Vu la procédure suivante :

I- Par une requête, enregistrée le 1er mars 2018 sous le n° 18MA00973, la SARL La Cotentine, représentée par la SELARL Letang Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler la décision implicite de la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) du 6 janvier 2018 rejetant le recours administratif préalable obligatoire qu'elle a exercé contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique autorisant la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes à créer un établissement de spectacles de 8 salles à Antibes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- exploitant un établissement cinématographique dans la zone d'influence du projet, elle dispose d'un intérêt pour demander l'annulation de la décision contestée ;

- il n'est pas établi que le ministre de la culture et le commissaire du gouvernement ont rendu un avis, conformément aux prescriptions de l'article R. 212-7-29 du code du cinéma et de l'image animée ;

- il n'est pas établi que l'avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF) a été recueilli ;

- le projet méconnaît l'objectif de diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence ;

- le projet méconnaît l'objectif de qualité environnementale, dès lors qu'il n'est pas accessible aux cyclistes dans des conditions de sécurité satisfaisantes ;

- le projet méconnaît l'objectif d'insertion dans son environnement, ne tenant pas compte du voisinage de nombreux monuments historiques ;

- le projet est incompatible avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Sophia-Antipolis, lequel d'une part ne prévoit pas l'implantation d'un établissement cinématographique de type multiplexe sur le territoire de la communauté d'agglomération et d'autre part prescrit de protéger " les vieilles villes et vieux villages ".

Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2019, la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi), représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de la SARL La Cotentine une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite sont irrecevables, la décision expresse du 12 janvier 2018 ayant retiré la décision implicite du 6 janvier 2018 ;

- les avis facultatifs du ministre de la culture et du commissaire du gouvernement ont été recueillis ;

- la société pétitionnaire n'est pas tenue de faire état des avis, notamment celui de l'ABF, qu'il convient de solliciter au cours de l'instruction de la demande de permis de construire ;

- le projet querellé répond aux objectifs énoncés aux articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2019, la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de la SARL La Cotentine une somme de 2 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- un non-lieu à statuer doit être prononcé, la décision expresse de la commission nationale s'étant substituée à sa décision implicite ;

- l'avis du ministre de la culture a été recueilli et la société La Cotentine ne démontre pas en quoi l'absence d'avis pourrait avoir un impact sur la décision de la commission nationale ;

- elle n'est pas tenue de faire état à ce stade de la procédure de l'avis de l'ABF, qui a rendu au demeurant un avis favorable ;

- le projet querellé répond aux objectifs énoncés aux articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

II- Par une requête, enregistrée le 20 avril 2018 sous le n° 18MA01872, la SARL La Cotentine, représentée par la SELARL Letang Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler la décision du 12 janvier 2018 de la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) rejetant son recours et autorisant la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes à créer un établissement de spectacles de 8 salles à Antibes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- exploitant un établissement cinématographique dans la zone d'influence du projet, elle dispose d'un intérêt pour demander l'annulation de la décision contestée ;

- rien ne permet de garantir que les membres de la CNACi ont disposé des documents listés à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée préalablement à la réunion du 12 janvier 2018 ;

- le dossier de demande soumis à la commission départementale et nationale ne comprenait pas l'information sur les engagements de programmation, prescrits par l'article L. 212-9 ;

- le dossier est lacunaire, ne présentant pas l'impact du projet sur les conditions de circulation routière modifiées par l'opération de renouvellement urbain, ne comprenant pas une étude de flux prenant en compte ces modifications, n'estimant pas les flux de véhicules générés par les séances du samedi après-midi et ne comprenant aucune information concernant le taux de remplissage actuel des parkings payants et l'impact du projet sur le remplissage et les conditions d'accès à ces parkings ;

- le chiffre concernant les flux de véhicules a été manifestement sous-évalué ;

- le dossier de demande ne comprend pas les informations nécessaires à l'appréciation de la commission s'agissant de l'insertion architecturale du projet, ne mentionnant ni la protection dont fait l'objet l'environnement immédiat du projet au titre des monuments historiques, ni la nécessité de l'avis de l'ABF, dont la commission n'a pas eu connaissance ;

- le pétitionnaire ayant modifié son projet lors de la réunion de la commission en termes d'engagements de programmation, ce qui modifie l'impact du projet sur l'aménagement culturel du territoire, une nouvelle autorisation était nécessaire ;

- la décision de la commission, fondée en partie sur la démographie de la zone, qui est en baisse et vieillissante, est entachée d'erreur d'appréciation ;

- le projet méconnaît l'objectif de diversité cinématographique, l'offre généraliste présentée initialement par le pétitionnaire ayant pour effet une fragilisation voire la fermeture de son établissement et celle présentée en réunion ne permet pas plus d'assurer la diversité de l'offre ;

- le projet a un impact négatif sur l'aménagement culturel de la zone, étant implanté à seulement 328 mètres de son établissement et conduisant à une concentration de l'offre dans le centre-ville d'Antibes ;

- le projet, qui entraînera la fermeture de son établissement, a un impact négatif sur l'animation culturelle et le respect des équilibres du territoire ;

- le projet méconnaît l'objectif de qualité environnementale, dès lors que l'impact du projet sur les conditions de desserte routière n'a pas pu être apprécié et qu'aucun espace de stationnement n'est créé ;

- les conditions d'accès au projet par les modes de transport doux et les transports en commun ne sont pas satisfaisantes ;

- le projet méconnaît l'objectif d'insertion dans son environnement, ne tenant pas compte du voisinage de nombreux monuments historiques, tandis que le dossier est taisant quant à la nature des matériaux qui seront utilisés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2019, la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi), représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de la SARL La Cotentine une somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société appelante n'apporte pas le moindre commencement de preuve au soutien de son moyen tiré de l'irrégularité de la convocation des membres de la commission ;

- les éventuels engagements de programmation susceptibles d'être adoptés par les sociétés exploitantes ne constituent pas un document devant être obligatoirement joint au dossier de demande ;

- ses membres ont pu apprécier l'effet du projet sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs ;

- aucune disposition n'imposait à la société pétitionnaire de réaliser une étude de trafic, d'évaluer les réserves de capacité des voies ou d'estimer le flux de véhicules générés par le projet ;

- le dossier comprend l'ensemble des informations permettant d'apprécier les effets du projet sur les voies d'accès et plus globalement sur l'aménagement du territoire ;

- il n'est pas imposé de lister l'ensemble des contraintes réglementaires issues du code de l'urbanisme ou du code du patrimoine susceptibles de s'appliquer dans l'environnement du projet, ni de faire état des organismes consultés au cours de l'instruction de la demande de permis de construire ;

- le dossier comprend des informations précises sur les caractéristiques architecturales du projet, le parti d'urbanisme retenu et des documents d'insertion ;

- en tout état de cause, l'avis de l'ABF a été transmis au cours de l'instruction du dossier par la CNACi ;

- une nouvelle demande d'autorisation n'est imposée que dans des cas limitatifs énumérés par l'article L. 212-10-2 du code du cinéma et de l'image animée, cas qui ne concernent pas les précisions qu'elle a apportées ;

- en outre, les engagements de programmation sont facultatifs et n'ont été modifiés que de façon mineure ;

- le projet répond à l'ensemble des critères énoncés aux articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée et satisfait notamment aux objectifs de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement, de qualité de l'urbanisme et d'insertion architecturale dans l'environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2019, la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de la SARL La Cotentine une somme de 2 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les éventuels engagements de programmation susceptibles d'être adoptés par les sociétés exploitantes ne constituent pas un document devant obligatoirement être joint au dossier de demande ;

- le dossier de demande comporte son projet de programmation, conformément à l'article L. 212-9 du code du cinéma, et elle a communiqué en cours d'instruction devant la CNACi les engagements de programmation ;

- le dossier est complet quant aux conditions de circulation, de flux, de stationnement et d'insertion paysagère ;

- elle n'a pas modifié son projet de manière substantielle et la CNACi a pu discuter des précisions qu'elle a apportées sur ses engagements de programmation ;

- le projet répond à l'ensemble des critères énoncés aux articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée et satisfait notamment aux objectifs de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement, de qualité de l'urbanisme et d'insertion architecturale dans l'environnement.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 7 mai 2019, la SARL La Cotentine maintient les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et ajoute en outre que :

- la CNACi n'a pas communiqué à la Cour la convocation de ses membres et les documents joints à la convocation ;

- rien ne permet d'établir que la CNACi s'est réunie sur convocation de son président ;

- le commissaire du gouvernement n'a pas donné son avis au regard de son audition et de celle du médiateur du cinéma, en méconnaissance de l'article R. 212-7-29.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 mai 2019 et le 12 juin 2019, la commission nationale d'aménagement cinématographique persiste dans ses précédentes écritures et ajoute que :

- elle produit la convocation adressée à ses membres, laquelle fait mention de l'envoi de l'ensemble des pièces requises ;

- l'avis du ministre de la culture a été recueilli et présenté.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la SARL La Cotentine.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 avril 2017, la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes a déposé une demande d'autorisation d'exploitation cinématographique pour la création d'un établissement de 8 salles comportant 1 069 places à Antibes, sous l'enseigne " Cinéplanet ". La commission départementale d'aménagement cinématographique des Alpes-Maritimes a autorisé ce projet par décision du 28 juillet 2017. Par courrier du 4 septembre 2017, reçu le 6, la SARL La Cotentine, qui exploite un cinéma à moins de 400 mètres du projet, a exercé un recours administratif préalable obligatoire devant la commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi). Une décision implicite de rejet de son recours est née le 6 janvier 2018. Par décision du 12 janvier 2018, la CNACi a expressément autorisé le projet. LA SARL La Cotentine demande à la Cour d'annuler la décision implicite de rejet de son recours et la décision du 12 janvier 2018 de la CNACi.

Sur la jonction :

2. Les deux requêtes n° 18MA00973 et n° 18MA01872 concernent le même projet et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes :

3. La CNACi ayant expressément accepté le 12 janvier 2018 la demande d'autorisation d'exploitation cinématographique déposée par la société Compagnie Cinématographique d'Antibes et rejeté le recours de la SARL La Cotentine, cette dernière décision s'est implicitement mais nécessairement substituée à la décision implicite de rejet du 6 janvier 2018. Dès lors, les conclusions en annulation dirigées contre cette décision implicite doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 12 janvier 2018.

Sur la légalité de la décision de la commission nationale d'aménagement cinématographique du 12 janvier 2018 :

4. Aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des oeuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts ".

5. Selon l'article L. 212-9 du même code : " Dans le cadre des principes définis à l'article L. 212-6, la commission départementale d'aménagement cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; c) La situation de l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles et des salles aux oeuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; d) L'insertion du projet dans son environnement ; e) La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme. Lorsqu'une autorisation s'appuie notamment sur le projet de programmation cinématographique, ce projet fait l'objet d'un engagement de programmation cinématographique souscrit en application du 3° de l'article L. 212-23 (...) ".

En ce qui concerne la procédure suivie devant la commission nationale d'aménagement cinématographique :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée : " La Commission nationale d'aménagement cinématographique se réunit sur convocation de son président. Les membres de la commission reçoivent l'ordre du jour, accompagné des procès-verbaux des réunions des commissions départementales d'aménagement cinématographique, des décisions de ces commissions, des recours et des rapports des services instructeurs (...) ".

7. Il ressort des pièces versées au dossier, notamment de la lettre de convocation des membres de la CNACi, que l'ordre du jour et les dossiers d'instruction nécessaires à l'examen du dossier ont été joints à la convocation. Par ailleurs, si la convocation a été signée par le secrétaire de la Commission et non par son président, il ne ressort d'aucune pièce, et il n'est d'ailleurs même pas soutenu, que cette irrégularité aurait eu une influence sur l'avis émis par la commission, la régularité de la convocation n'ayant, par ailleurs, pas la nature d'une garantie. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article R. 212-7-26 précité doivent être écartés.

8. En second lieu, selon l'article R. 212-7-29 : " Le commissaire du Gouvernement recueille l'avis du ministre chargé de la culture, qu'il présente à la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Il donne son avis sur les demandes examinées par la commission au regard des auditions effectuées ". Il ressort des pièces du dossier que l'avis du ministre de la culture a été recueilli et de la décision de la CNACi du 12 janvier 2018 que l'avis rendu par le commissaire du gouvernement a été entendu lors de la séance, tandis que l'Architecte des Bâtiments de France n'avait pas à être consulté dans le cadre de l'instruction de la demande d'aménagement cinématographique. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 212-7-29 doit par suite être écarté.

En ce qui concerne la composition du dossier de demande :

9. En premier lieu, le dossier de demande d'autorisation comprend, conformément aux prescriptions de l'article L. 212-9 et contrairement à ce que soutient la société requérante, le projet de programmation du " Cinéplanet ", constitué par l'entente de programmation MC4, elle-même soumise aux engagements de programmation homologués par le centre national du cinéma.

10. En deuxième lieu, il ressort du dossier de demande d'autorisation que le pétitionnaire a décrit les conditions de desserte du projet, notamment au regard des modifications apportées par le réaménagement du quartier de la ZAC Marenda Lacan. Est également décrit l'impact du projet sur les flux de véhicules particuliers, estimés de 180 à 200 voitures maximum, et sur le stationnement, aucune place de stationnement n'étant prévue en raison du nombre suffisant de parkings publics à proximité. Par ces informations suffisantes, et alors qu'aucune disposition n'imposait au pétitionnaire de réaliser une étude de trafic et que la SARL La Cotentine ne démontre pas comme elle l'allègue que les flux de véhicules ont été sous-évalués, la CNACi a pu apprécier la qualité environnementale du projet compte-tenu notamment de la qualité de la desserte routière et des parcs de stationnement.

11. En troisième et dernier lieu, il ressort du dossier de demande d'autorisation, qui comporte des photographies d'insertion, que les caractéristiques du bâtiment ont fait l'objet de développements fournis. Il ressort également du rapport d'instruction de la CNACi, reprenant l'avis de la DRAC, que " le projet doit faire l'objet d'une validation définitive par l'Architecte des Bâtiments de France, et que dès lors le projet architectural du bâtiment est en cours d'ajustement, (...) un travail de concertation [étant] actuellement mené avec 1'Architecte des bâtiments de France dans un contexte de forte réglementation urbaine en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ". La commission avait donc connaissance des enjeux d'insertion du projet dans l'environnement, quand bien même le dossier ne mentionnerait pas la nature des matériaux utilisés.

En ce qui concerne la nécessité d'une nouvelle autorisation :

12. Selon l'article L. 212-10-2 du code du cinéma et de l'image animée : " Une nouvelle demande d'autorisation est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou de réalisation, subit des modifications substantielles concernant le nombre de salles et de places de spectateur. Il en est de même en cas de modification de la ou des enseignes désignées par le pétitionnaire ". Il ressort des pièces du dossier que les modifications apportées à son projet par la société pétitionnaire n'entrent pas dans les hypothèses prévues par l'article L. 212-10-2 nécessitant une nouvelle autorisation, mais concernent de façon non substantielle les engagements de programmation souscrits. Par suite, le moyen tiré de ce qu'une nouvelle autorisation était nécessaire doit être écarté.

En ce qui concerne le respect des objectifs fixés par le législateur :

13. L'autorisation d'exploitation cinématographique ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement cinématographique, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

14. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la SARL La Cotentine, la décision de la CNACi n'est pas fondée sur la seule démographie de la zone d'influence cinématographique, qui serait en diminution et vieillissante, mais aussi sur les équipements cinématographiques de la zone et sur le taux de fréquentation.

15. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le cinéma existant " Le Casino ", comprenant 3 salles et 456 places, constitue le seul équipement permanent de la zone d'influence cinématographique qui s'élève à 125 817 habitants, la salle du pôle culturel Auguste Escoffier de Villeneuve Loubet n'ayant qu'une activité saisonnière, et que la commune d'Antibes, qui compte un fauteuil pour 165 habitants, se place au 10ème niveau d'équipement le plus faible parmi les communes de plus de 50 000 habitants équipées d'un établissement cinématographique. Le projet vise ainsi à renforcer le niveau de fréquentation cinématographique. Il ressort également des pièces du dossier que les offres présentées par " Le Casino " et " Cinéplanet " sont complémentaires, le second proposant une offre à tendance généraliste, tandis que le premier pourra orienter son offre sur les films Art et Essai, notamment en version originale. La société pétitionnaire s'est en outre engagée, lors de l'instruction en commission nationale, à ne pas diffuser, durant une période limitée, de films recommandés Art et Essai au " Cinéplanet ", à l'exception de la version française des films Art et Essai (étrangers ou français) ayant un plan de sortie au-dessus de 400 points de diffusion en première semaine d'exploitation, et à ne pas participer aux dispositifs nationaux d'éducation à l'image ainsi qu'à ne pas démarcher les établissements scolaires susceptibles d'y participer, sans toutefois exclure la possibilité de répondre aux demandes spécifiques d'enseignants désireux de se rendre au " Cinéplanet ". Le représentant du médiateur du cinéma, qui a retiré son recours devant la CNACi en cours d'instruction au vu de ces engagements, considère les engagements de programmation satisfaisants en termes d'accès aux films Art et Essai porteurs pour " Le Casino ", quand bien même certains d'entre eux seraient limités dans le temps. Il a également précisé que les films Art et Essai sortant sur plus de 400 copies sont très peu nombreux et qu'il serait possible de les sortir en tandem, en version originale dans un établissement et en version française dans l'autre, s'il s'agit d'un film étranger. Il a enfin estimé que cet engagement était susceptible de protéger " Le Casino " si ce dernier travaillait de manière rigoureuse. Il résulte de ce qui précède que le projet ne méconnaît pas l'objectif de diversité de l'offre cinématographique. Il n'est pas non plus démontré, compte-tenu notamment des engagements pris par la société pétitionnaire, non pris en compte dans l'étude produite par la société requérante visant à évaluer les effets sur son activité de l'ouverture du " Cinéplanet ", que le projet autorisé entraînera la fermeture du " Casino ".

16. En troisième lieu, si le projet doit s'implanter à moins de 400 mètres du " Casino ", il n'existe pour autant pas d'impact négatif sur l'aménagement culturel de la zone, dès lors qu'Antibes ne compte qu'un seul cinéma existant, qu'il s'agit de la 2ème ville la plus peuplée du département des Alpes-Maritimes avec 75 000 habitants et que le projet, qui s'inscrit en outre dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain dans le cadre de la ZAC Marenda Lacan qui prévoit la création de 200 logements, 4 600 m² de commerces et un équipement public à vocation scolaire, renforcera l'attractivité, notamment culturelle, du centre-ville. Par ailleurs, il ne ressort pas de la lecture du SCoT de Sophia-Antipolis, quand bien même ce document ne prévoirait pas spécifiquement l'implantation d'un établissement cinématographique de type multiplexe sur le territoire de la communauté d'agglomération, que le projet litigieux serait incompatible avec les orientations fixées par ce document, selon lesquelles l'urbanisation du secteur situé au centre-ville d'Antibes, qui présente une fonction centrale, doit se densifier, en renforçant notamment les équipements, les loisirs, les services et les fonctions d'animation.

17. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été exposé au point 10, l'impact du projet sur les conditions de desserte routière a pu être apprécié, les parkings publics situés à proximité sont suffisants pour absorber les flux supplémentaires de véhicules, tandis que le projet est accessible à vélo, quand bien même aucune bande cyclable aménagée ne permet un accès direct à l'établissement autorisé, et que la desserte en transports en commun est satisfaisante. Dès lors, le projet respecte l'objectif de qualité environnementale.

18. En cinquième et dernier lieu, la circonstance que le projet comporte un parti pris architectural contemporain n'est pas de nature à démontrer sa mauvaise insertion dans l'environnement existant, composé de monuments historiques, et alors que l'architecte des bâtiments de France a été associé au projet et l'a qualifié dans son avis positif du 21 novembre 2017 d'" innovant et qualitatif ". Pour les mêmes motifs, le projet litigieux n'est pas incompatible avec le schéma de cohérence territoriale de Sophia-Antipolis qui prévoit de protéger les " vieilles villes et vieux villages ".

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL La Cotentine n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de la CNACi du 12 janvier 2018. Ses conclusions à fin d'annulation doivent par suite être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes que demande la SARL La Contentine sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient mises à la charge de la CNACi, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL La Cotentine, sur le même fondement, les sommes demandées par la CNACi et par la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes.

D É C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la SARL La Cotentine sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la CNACi et de la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL La Cotentine, au centre national du cinéma et de l'image animée et à la SAS Compagnie Cinématographique d'Antibes.

Copie en sera adressée au ministre de la culture.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2020, où siégeaient :

- M. Marcovici, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme D..., première conseillère,

- M. Merenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2020.

2

N° 18MA00973 - 18MA01872


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA00973-18MA01872
Date de la décision : 23/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

09-05-02 Arts et lettres. Cinéma.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SELARL LETANG et ASSOCIES ; SELARL LETANG et ASSOCIES ; SELARL LETANG et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-03-23;18ma00973.18ma01872 ?
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