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10/02/2020 | FRANCE | N°18MA04315

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 10 février 2020, 18MA04315


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1504339, Me K..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui verser la somme de 1 390 251 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux contractuel, au titre du solde du marché correspondant au lot n° 3 " courants forts et faibles " de l'opération de restructuration et d'extension du lycée Denis Diderot, à Marseille, et de la ré

paration du préjudice subi du fait de la résiliation de ce marché.

Par une dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1504339, Me K..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui verser la somme de 1 390 251 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux contractuel, au titre du solde du marché correspondant au lot n° 3 " courants forts et faibles " de l'opération de restructuration et d'extension du lycée Denis Diderot, à Marseille, et de la réparation du préjudice subi du fait de la résiliation de ce marché.

Par une demande enregistrée sous le n° 1703598, Me K..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de condamner solidairement la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la société Eiffage à lui verser la somme de 1 472 347,44 euros toutes taxes comprises, outre les intérêts moratoires au taux légal, en réparation des préjudices subis au cours de l'exécution du marché correspondant au lot n° 3 " courants forts et faibles " de l'opération de restructuration et d'extension du lycée Denis Diderot ou, à titre subsidiaire, de désigner un expert judiciaire en vue d'examiner les conditions d'exécution du chantier en cause.

Par un jugement nos 1504339, 1703598 du 23 juillet 2018, le tribunal administratif de Marseille a joint ces deux instances, a condamné la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à verser à Me K... une somme de 63 310 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 10 avril 2015, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 septembre 2018 et 4 juillet 2019, Me K..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, représenté par Me J..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de joindre cette requête avec l'instance n° 18MA01686 ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1504339, 1703598 du 23 juillet 2018 ;

3°) à titre principal, de condamner, d'une part, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui verser la somme de 1 390 251 euros au titre de la réparation des conséquences de la résiliation du marché et, d'autre part, cette même collectivité locale et la société Eiffage, in solidum, à lui verser la somme de 1 472 347,44 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché et des préjudices subis au cours de son exécution ;

4°) à titre subsidiaire, de désigner un expert en vue de déterminer la cause des difficultés, manquements ou retards ayant affecté le chantier et notamment les travaux de la société ESIME, ainsi que de donner son appréciation sur ses réclamations financières ;

5°) de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la société ESIME n'a pas été mise à même de suivre l'exécution du marché de substitution, de telle sorte que la résiliation est intervenue dans des conditions irrégulières ;

- la décision de résiliation pour faute prise à l'encontre de la société ESIME est infondée car elle n'a commis aucune faute et les retards qui lui sont reprochés ne lui sont pas imputables ;

- un total de 285 872 euros hors taxes de travaux réalisés n'a pas été réglé à la société, de même que les reliquats du prix des travaux des tranches conditionnelles nos 1 et 2, pour des montants respectifs de 10 295,25 euros hors taxes et 7 067,80 euros hors taxes ;

- les matériels de la société ESIME ne lui ont pas été restitués et doivent être regardés comme ayant été rachetés par le maître de l'ouvrage, pour un montant de 119 940,50 euros dont le montant est ainsi dû ;

- le maître de l'ouvrage ayant commis des fautes et lui ayant imposé des sujétions imprévues, elle est en droit de réclamer l'indemnisation des coûts supplémentaires qui en ont découlé, soit 821 143,70 euros hors taxes ;

- la société Eiffage doit l'indemniser du coût de réparation des ouvrages qu'elle a dégradés ;

- elle a réalisé des travaux supplémentaires indispensables ou demandés par le maître de l'ouvrage pour un montant de 268 508,95 euros hors taxes ;

- le coût du marché de substitution ne peut être mis à sa charge dès lors, d'une part, qu'elle n'a pas été avertie de son droit à en suivre l'exécution et, d'autre part, que les prestations de ce marché recouvrent des travaux qui n'étaient pas inclus dans le marché initial.

Par des mémoires en défense enregistrés les 14 novembre 2018 et 18 juillet 2019, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de Me K... ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il l'a condamnée à verser la somme de 63 310 euros toutes taxes comprises à Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME ;

3°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la société ESIME en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car il statue au-delà des conclusions de Me K..., qui ne sollicitait pas l'établissement et la liquidation du solde du décompte général du marché ;

- en l'absence de toute manifestation de volonté de sa part en ce sens, elle ne peut être regardée comme ayant exercé sa faculté de rachat du matériel de la société ESIME ;

- le jugement octroie à tort les intérêts moratoires avant l'expiration du délai de paiement et méconnaît sur ce point les dispositions du décret du 29 mars 2013 ;

- les moyens invoqués par Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, à l'encontre du jugement sont infondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 4 juillet 2019 et 22 juillet 2019, la société Eiffage Construction Provence, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Me K... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions présentées à son encontre par Me K... sont irrecevables car elles ont été formulées après l'expiration du délai d'appel ;

- les moyens invoqués par Me K... à l'encontre du jugement sont infondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2019, l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a condamné la région Provence-Alpes-Côte d'Azur au paiement de la somme de 63 310 euros toutes taxes comprises ;

3°) de mettre une somme de 4 000 euros à la charge de Me K... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, est irrecevable faute de moyens d'appel ;

- en l'absence de toute manifestation de volonté de sa part en ce sens, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ne peut être regardée comme ayant exercé sa faculté de rachat du matériel de la société ESIME ;

- le surcoût du marché de substitution, qui se bornait à prévoir l'achèvement des travaux non réalisés par la société ESIME, pouvait être mis à la charge de celle-ci et le tribunal ne pouvait l'en décharger dès lors qu'elle ne démontrait pas le caractère surévalué des prestations de ce marché par rapport au marché initial ;

- le jugement octroie à tort les intérêts moratoires avant l'expiration du délai de paiement et méconnaît sur ce point les dispositions du décret du 29 mars 2013 ;

- les moyens invoqués par Me K... à l'encontre du jugement sont infondés.

Par ordonnance du 23 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. H... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thiele, rapporteur public,

- et les observations de Me G..., représentant Me K..., de Me F..., représentant la société Eiffage Construction Provence, de Me E..., représentant l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et de Me A..., représentant la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement en date du 23 avril 2012, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a confié à la société ESIME les travaux du lot n° 3, " courants forts et faibles ", de l'opération de reconstruction et d'extension du lycée Denis Diderot à Marseille, pour un montant de 1 890 431,87 euros hors taxes. Par décision en date du 9 février 2015, le président du conseil régional a prononcé la résiliation du marché aux frais et risques du titulaire et un marché de substitution a été passé, le 10 septembre 2015, avec la société Ineo Provence. Le 20 septembre 2016, l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, maître d'ouvrage délégué, a notifié à la société ESIME le décompte général du marché résilié, dont le solde s'établissait à la somme de 390 177,30 euros à la charge de la société ESIME. Celle-ci a présenté à l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement, le 2 novembre 2016, un mémoire en réclamation contestant ce décompte, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Le tribunal administratif de Marseille, dès lors saisi du différend, a arrêté le solde du marché à la somme de 63 310 euros toutes taxes comprises, cette fois en faveur de l'entreprise, et a condamné la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à verser cette somme à Me K..., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME.

I. Sur la jonction :

2. Si la requête n° 18MA01686 par ailleurs présentée devant la Cour, à l'encontre de la seule société Eiffage Construction Provence, par Me K... a trait à un litige découlant du même chantier que la requête n° 18MA04315 objet du présent arrêt, elles ne présentent pas à juger de questions semblables. Il n'y a donc pas lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

II. Sur la recevabilité des conclusions présentées par Me K... à l'encontre de la société Eiffage Construction Provence :

3. Il résulte de l'instruction que Me K... a reçu notification du jugement attaqué au plus tard le 18 septembre 2018, date d'introduction devant la Cour de sa requête d'appel, au terme de laquelle il ne présentait aucune conclusion à l'encontre de la société Eiffage Construction Provence. La société Eiffage Construction Provence est dès lors fondée à soutenir que les conclusions présentées à son encontre par Me K... dans son mémoire du 5 juillet 2019, soit après l'expiration du délai d'appel, sont tardives et, par suite, irrecevables.

III. Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

III.1. En ce qui concerne la régularité de la décision de résiliation :

4. Aux termes de l'article 48.1 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en cause, résultant de l'arrêté du 8 septembre 2009 : " (...) lorsque le titulaire ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, le représentant du pouvoir adjudicateur le met en demeure d'y satisfaire, dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit. / Ce délai, sauf pour les marchés intéressant la défense ou en cas d'urgence, n'est pas inférieur à quinze jours à compter de la date de notification de la mise en demeure ". L'article 48.2 de ce document stipule : " Si le titulaire n'a pas déféré à la mise en demeure, la poursuite des travaux peut être ordonnée, à ses frais et risques, ou la résiliation du marché peut être décidée ". En vertu de l'article 48.4 du même cahier : " En cas de résiliation aux frais et risques du titulaire, les mesures prises en application de l'article 48.3 sont à la charge de celui-ci. Pour l'achèvement des travaux conformément à la réglementation en vigueur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur. Ce marché de substitution est transmis pour information au titulaire défaillant. (....) ". Enfin, en vertu de l'article 48.5 de ce cahier : " Le titulaire, dont les travaux font l'objet des stipulations des articles 48.2 et 48.3, est autorisé à en suivre l'exécution sans pouvoir entraver les ordres du maître d'oeuvre et de ses représentants. / Il en est de même en cas de nouveau marché passé à ses frais et risques. ".

5. Il résulte de l'instruction que le marché de substitution passé par la région avec la société INEO Provence a été notifié à la société ESIME le 7 juillet 2015 et que l'ordre de service enjoignant à cette entreprise de commencer l'exécution des travaux prévus par ce marché est intervenu le 10 juillet 2015. Aucune autre obligation procédurale, et notamment aucune obligation d'avertir l'entrepreneur dont le marché est résilié de son droit à suivre l'exécution du marché ne pesant sur le maître de l'ouvrage, Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, n'est pas fondé à soutenir que celle-ci n'aurait pas été mise à même de suivre l'exécution du marché de substitution par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le moyen tiré de l'irrégularité de la décision de résiliation doit dès lors, en tout état de cause, être écarté.

III.2. En ce qui concerne le bien-fondé de la décision de résiliation :

6. Le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment des termes concordants de l'ordre de service n° 19-103 du 9 janvier 2015 par lequel le maître d'oeuvre a mis en demeure la société ESIME de mettre en oeuvre des moyens supplémentaires et d'établir un calendrier de rattrapage et de la décision du 9 février 2015 décidant la résiliation, que celle-ci sanctionne exclusivement le retard affectant l'exécution des travaux incombant à cette entreprise dans le bâtiment A à compter du mois de septembre 2014.

8. Me K... soutient que la société ESIME a remis les plans d'exécution des travaux de son lot dans le délai qui lui était imparti, qu'elle s'est acquittée de ses obligations en matière d'insertion sociale, que les travaux qui lui étaient confiés n'ont connu aucun retard entre mai 2012 et l'été 2014 et que le non-respect des délais d'exécution à compter de ce moment est imputable au retard apporté par la société Eiffage Construction Provence, en charge du gros-oeuvre, à la réalisation de ses propres travaux. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment d'un constat dressé le 2 février 2015 par la société R2M, chargée de la mission d'ordonnancement-pilotage-coordination, dont le contenu n'est pas formellement contesté par le requérant, que la société ESIME enregistrait alors des retards de douze à quatre-vingt-sept jours sur trente-et-une tâches lui incombant, d'où était tributaire l'avancement des prestations des autres corps d'état intervenant sur le chantier. Il résulte également de l'instruction, et notamment des échanges intervenus à compter de novembre 2014 entre la société ESIME, le maître d'oeuvre, l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur et la société R2M, que le titulaire du marché litigieux a graduellement réduit le nombre de ses ouvriers sur le chantier, le portant de onze à cinq entre décembre 2014 et janvier 2015 alors que la maîtrise d'oeuvre estimait l'effectif alors nécessaire à vingt-trois personnes et avait enjoint à plusieurs reprises à la société ESIME de renforcer sa présence sur le chantier. Par ailleurs, si Me K... soutient que la société ESIME n'avait d'autre choix que de réduire l'effectif de ses ouvriers, faute d'avoir obtenu le paiement des travaux réalisés et en raison du refus de l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur de lui régler le prix de travaux supplémentaires, ces deux circonstances n'étaient pas de nature à justifier l'inexécution du contrat dès lors, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le maître de l'ouvrage délégué a réglé les travaux réalisés par la société ESIME au fur et à mesure de leur avancement et, d'autre part, que le refus de faire droit à une demande de paiement de travaux supplémentaires entre les parties ne constitue pas un cas de force majeure susceptible de justifier l'interruption des prestations contractuelles.

9. Il résulte de ce qui précède que les fautes reprochées à la société ESIME sont avérées et justifiaient, par leur gravité, la résiliation du marché à ses frais et risques, quand bien même elle avait auparavant convenablement exécuté ses autres obligations contractuelles. Me K..., liquidateur judiciaire de cette entreprise, n'est dès lors pas fondé à soutenir que la sanction de résiliation décidée le 9 février 2015 par l'agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur serait dépourvue de fondement ou disproportionnée.

III.3. En ce qui concerne le préjudice résultant de la résiliation :

10. Ainsi qu'il vient d'être dit, la résiliation prononcée le 9 février 2015 n'est pas entachée des irrégularités que Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, lui impute et constitue une sanction fondée. Son intervention n'étant pas fautive, Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, n'est pas fondé à demander l'indemnisation du préjudice qui aurait éventuellement résulté de cette décision.

III.4. En ce qui concerne les créances relevant du décompte général du marché :

III.4.1. S'agissant du solde du prix des travaux et les reliquats des situations d'août 2014 :

11. En premier lieu, si Me K... fait valoir que les travaux prévus au marché et réalisés par la société ESIME correspondent à un montant de 2 066 241,78 euros hors taxes dont seulement 1 780 369,78 euros hors taxes lui auraient été réglés, le montant de 2 066 241,78 euros hors taxes ainsi invoqué repose en réalité sur la prise en considération d'une masse de travaux de 1 797 781,93 euros hors taxes réalisée au titre du marché, avenants inclus, et de 268 508,95 euros hors taxes au titre de travaux supplémentaires. Or, il résulte de l'instruction, et notamment du dernier état d'acompte validé par le maître de l'ouvrage délégué, que la masse des travaux réalisés à la mi-janvier 2015 s'élevait à 1 771 174,58 euros hors taxes et Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, n'établit nullement la réalisation d'un montant de travaux supérieur aux 1 780 369,78 euros hors taxes versés à l'entreprise au titre des travaux réalisés jusqu'à la date de la résiliation, intervenue le 9 février 2015. Par ailleurs, le maître de l'ouvrage et le maître de l'ouvrage délégué contestant le bien-fondé de la demande de paiement formulée au titre des travaux supplémentaires, cette créance, qui est l'un des objets du litige soumis à la Cour, ne saurait être regardée comme une partie du solde du prix du marché tel qu'arrêté dans son décompte général.

12. En second lieu, si Me K... sollicite le règlement des sommes de 10 295,25 euros hors taxes et 7 067,80 euros hors taxes au titre de " reliquats " afférents aux tranches conditionnelles nos 1 et 2 du marché, il n'apporte aucune précision de fait ou de droit à l'appui de ce poste de réclamation qu'il y a dès lors lieu de rejeter.

III.4.2. S'agissant du préjudice résultant d'une faute du maître de l'ouvrage et des conditions d'exécution du marché :

13. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

14. Me K... argue d'un préjudice, chiffré à 821 143,70 euros hors taxes, découlant, selon lui, de la réalisation de nombreuses heures supplémentaires par les personnels de la société ESIME ainsi que de la nécessité où celle-ci se serait trouvée de renforcer son effectif sur le chantier, notamment entre juillet 2012 et septembre 2014, en raison de fautes du maître de l'ouvrage ou de sujétions techniques imprévues. Toutefois, il se borne sur ce point, d'une part, à faire état des exigences de la commission de sécurité, du retard ayant affecté les autres lots, et notamment celui de la société Eiffage Construction Provence, et de travaux de reprise demandés par le maître de l'ouvrage délégué, et, d'autre part, à alléguer en termes vagues et non assortis de précisions, de fautes prétendument commises par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, en particulier dans l'exercice de son pouvoir de direction du marché, sans cependant en démontrer l'existence, que ne saurait suffire à établir le constat du retard des autres entreprises. Par ailleurs, ces difficultés, qui ne présentent pas un caractère exceptionnel et n'étaient pas davantage imprévisibles lors de la conclusion du contrat, ne sauraient être assimilées à des sujétions imprévues. Il en résulte que cette demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée.

III.4.3. S'agissant des travaux supplémentaires :

15. Si Me K... réclame en premier lieu le règlement des travaux supplémentaires dont la réalisation a été constatée par le procès-verbal d'huissier dressé le 16 février 2015 à la demande de la société ESIME, il ne ressort de cette pièce, qui se borne à décrire les ouvrages réalisés ou en cours de réalisation, ni que les prestations en cause résulteraient de travaux présentant le caractère de travaux supplémentaires, ni, en tout état de cause, qu'elles auraient été soit commandées par le maître de l'ouvrage ou le maître de l'ouvrage délégué, soit rendues indispensables à l'achèvement de l'ouvrage dans les règles de l'art. A cet égard, l'affirmation selon laquelle ces travaux étaient nécessaires à la conformité de l'immeuble aux normes C15000, C13000 et C18000, dépourvue de toute précision, ne saurait permettre, à elle seule, de tenir pour établi leur caractère indispensable.

16. En deuxième lieu, si Me K... fait valoir que la société ESIME a réalisé, entre juillet et septembre 2014, des travaux de levée de réserves portant sur deux cent trente prestations de travaux, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des pièces versées aux débats par le requérant, qui se borne à produire, sur ce point, une liste récapitulative des travaux en cause, que ces prestations excédaient celles dues par l'entreprise au titre de son marché et, dans l'affirmative, qu'elles auraient été commandées par ordre de service ou présentaient un caractère indispensable à la réalisation de l'ouvrage.

17. En troisième lieu, si Me K... demande le règlement des travaux supplémentaires énumérés dans l'annexe n° 1 au mémoire de réclamation présenté par la société ESIME le 2 novembre 2016 et qui, selon lui, revêtiraient un caractère indispensable, il ne démontre pas davantage que ces travaux, dont la plupart étaient inclus dans les prestations du marché, ce qui avait conduit le maître de l'ouvrage délégué à en refuser le paiement dès le 15 décembre 2014 à la suite d'un premier mémoire en réclamation, auraient excédé les prévisions contractuelles et auraient été indispensables à la réalisation de l'ouvrage ou expressément commandés par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ou son maître de l'ouvrage délégué.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les postes de réclamation relatifs aux travaux supplémentaires doivent être écartés.

III.4.4. S'agissant du prix des matériels demeurés sur le chantier :

19. Aux termes de l'article 47.1.3 du cahier des clauses administratives générales : " Le maître de l'ouvrage dispose du droit de racheter, en totalité ou en partie : / (...) - les matériaux, produits de construction, équipements, progiciels, logiciels et outillages approvisionnés, acquis ou réalisés pour les besoins du marché, dans la limite où il en a besoin pour le chantier. / Il dispose, en outre, pour la poursuite des travaux, du droit, soit de racheter, soit de conserver à sa disposition le matériel spécialement construit pour l'exécution du marché. / En cas d'application des deux alinéas précédents, le prix de rachat des ouvrages provisoires et du matériel est égal à la partie non amortie de leur valeur. Si le matériel est maintenu à disposition, son prix de location est déterminé en fonction de la partie non amortie de sa valeur. / Les matériaux, produits de construction, équipements, progiciels, logiciels et outillages approvisionnés, acquis ou réalisés, sont rachetés aux prix du marché ou, à défaut, à ceux qui résultent de l'application de l'article 14. ".

20. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la résiliation décidée par la région, la société ESIME a, le 13 février 2015, adressé un courrier électronique au maître de l'ouvrage délégué afin d'organiser la récupération de matériels demeurés sur le chantier. Si l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur a refusé à l'entreprise l'accès au chantier pour des raisons de sécurité et lui a indiqué que son matériel serait déposé par une entreprise tierce pour lui être restitué ultérieurement, il ne résulte ni de cette circonstance ni d'aucun fait ou document que le maître de l'ouvrage aurait entendu exercer sa faculté de racheter le matériel de l'entreprise, dont Me K... ne démontre ni n'allègue qu'elle aurait effectué des démarches ultérieures pour récupérer ces matériels. Cette demande ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

III.4.5. S'agissant du coût du marché de substitution :

21. En vertu de l'article 48.6 du cahier des clauses administratives générales : " Les excédents de dépenses qui résultent du nouveau marché, passé après la décision de résiliation prévue aux articles 48.2 ou 48.3, sont à la charge du titulaire (...) ".

22. Il résulte en premier lieu de l'instruction que le montant des travaux à réaliser au titre du marché et des avenants signés par les parties s'élevait, à la date de la résiliation, à la somme de 2 102 756,91 euros hors taxes. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 11, la société ESIME avait, à cette date, réalisé des travaux correspondant à un montant de 1 780 369,78 euros hors taxes. Le montant des travaux à réaliser par l'entreprise substituée à la société défaillante s'élevait donc à un montant de 322 387,13 euros hors taxes sur la base des prix du marché initial.

23. En deuxième lieu, Me K... soutient qu'il y a lieu de déduire du montant des travaux à réaliser la somme de 52 051,81 euros hors taxes correspondant, d'une part aux études d'exécution et à l'installation de chantier et, d'autre part, à des travaux déjà réalisés par la société ESIME et qui, en conséquence, n'avaient pas à être prévus dans le marché de substitution. Toutefois, le nouveau titulaire devait nécessairement établir des plans d'exécution pour la partie des ouvrages à achever et prévoir une installation de chantier dont il n'est pas établi qu'elle ait été maintenue en place et, par ailleurs, le coût des travaux d'armoires divisionnaires du poste 4.5 de la décomposition du prix global et forfaitaire de la soumission présentée par la société ESIME dans le cadre de la passation du marché de substitution est nécessairement pris en compte dans le montant de 1 780 369,78 euros hors taxes si ces travaux ont été réalisés. Il n'y a donc pas lieu de déduire ces travaux des prestations à réaliser dans le cadre du marché de substitution.

24. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les " travaux complémentaires " effectués par la société ESIME dans le cadre du marché de base et figurant aux postes 5.6, 5.8 et 5.9 de la décomposition du prix global et forfaitaire de sa propre soumission dans le cadre de la procédure de passation du marché de substitution aient été réalisés par cette entreprise, l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur contestant d'ailleurs formellement leur réalisation. Il n'y a donc pas lieu de déduire à ce titre le montant de 39 821,92 euros hors taxes du prix des prestations à réaliser dans le cadre du marché de substitution.

25. En quatrième lieu, si Me K... soutient que le nombre de sèche-mains électriques prévu au marché de substitution est supérieur à celui prévu au marché initial, il ne l'établit pas, alors que ce point est contesté par l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, laquelle affirme au contraire que le nombre de ces équipements n'a pas varié. Il n'y a donc pas lieu de déduire cette prestation du montant de celles à réaliser dans le cadre du marché de substitution.

26. Si, en cinquième lieu, Me K... soutient qu'il y a lieu de déduire des prévisions du marché de substitution un montant de 222 285,04 euros hors taxes correspondant à des travaux partiellement réalisés ou au matériel non restitué à la société ESIME, il n'établit pas l'utilité de ces travaux, qu'il affirme lui-même n'avoir été réalisés qu'en partie, pour l'achèvement du chantier ni l'utilité pour l'entreprise titulaire du marché de substitution des matériels laissés sur le chantier après la résiliation.

27. Il résulte de ce qui précède que Me K... n'est pas fondé à demander la déduction d'une quelconque somme du montant de 322 387,13 euros hors taxes correspondant au prix des travaux restant à réaliser tel qu'il a été déterminé au point 21 ci-dessus.

28. En vertu des stipulations précitées de l'article 48.6 du cahier des clauses administratives générales, le supplément de prix résultant du marché de substitution doit être supporté par le titulaire défaillant. Ainsi que le font valoir la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement Provence-Alpes-Côte d'Azur, la passation du marché destiné à achever dans un temps limité les ouvrages initialement confiés à la société ESIME à la suite de la résiliation d'un marché initial passé plus de trois ans auparavant entraînait nécessairement un renchérissement des prestations tenant notamment à l'évolution des prix et à la faiblesse des économies d'échelle engendrées par un tel marché, de telle sorte qu'en concluant le marché de substitution au prix de 705 704,89 euros hors taxes, elles n'ont commis aucune faute lourde, qui aurait seule été de nature à permettre à la société ESIME de demander une réduction des sommes mises à sa charge en application des stipulations précitées. Le surcoût du marché de substitution mis à la charge de la société ESIME n'ayant donc pas à être réduit, il y a donc lieu de retenir à ce titre le montant de 325 147,74 euros hors taxes consigné dans le décompte général établi par le maître de l'ouvrage, incluant les frais de publication des avis d'appel public à concurrence qu'il appartenait au maître de l'ouvrage de publier et qu'il lui était loisible de faire figurer dans plusieurs publications afin d'assurer la plus large concurrence.

29. Il en résulte que, compte tenu du montant des travaux réalisés, qui s'élève à 1 780 369,78 euros hors taxes, de la révision des prix s'y attachant, dont le montant non contesté est de 24 228,78 euros hors taxes et de la déduction du surcoût inhérent au marché de substitution, la société ESIME était en droit de se voir régler une somme de 1 479 450,82 euros hors taxes au titre du marché, soit, compte tenu de la répartition des travaux selon qu'ils sont affectés de la taxe à la valeur ajoutée au taux de 19,6 % ou de 20 %, un total de 1 774 368,02 euros toutes taxes comprises. Le montant des situations réglées à l'entreprise s'élevant à une somme de 2 090 081,47 euros toutes taxes comprises, le solde du décompte général du marché s'établit à la somme de 315 713,45 euros toutes taxes comprises en faveur du maître de l'ouvrage.

30. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, de rejeter la requête d'appel de Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, cela sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité et, d'autre part, faisant droit à l'appel incident de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité, en ce qu'il a partiellement fait droit à la demande de condamnation présentée par Me K....

IV. Sur les frais liés au litige :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée sur leur fondement par Me K... soit mise à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu au contraire de mettre à la charge de Me K..., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, une somme de 2 000 euros à verser respectivement à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la société Eiffage Construction Provence sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, est rejetée.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1504339, 1703598 du tribunal administratif de Marseille du 23 juillet 2018 est annulé.

Article 3 : Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, versera une somme de 2 000 euros à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, une somme de 2 000 euros à l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et une somme de 2 000 euros à la société Eiffage Construction Provence en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me K..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la société Eiffage Construction Provence.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2020, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme I... L..., présidente assesseure,

- M. H... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 février 2020.

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N° 18MA04315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA04315
Date de la décision : 10/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant - Indemnités.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité du maître de l'ouvrage et des constructeurs à l'égard des tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SCP GOBERT et ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-02-10;18ma04315 ?
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