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10/02/2020 | FRANCE | N°18MA01686

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 10 février 2020, 18MA01686


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Me K... E..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société Eiffage Construction Provence à lui verser la somme de 942 886,46 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux légal, en réparation du préjudice découlant des fautes commises par cette société dans le cadre de l'opération de restructuration et d'extension du lycée Denis Diderot à Marseille.

Par un jugement n° 1501592 du 14 mars 2018

, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Eiffage Construction Prov...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Me K... E..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société Eiffage Construction Provence à lui verser la somme de 942 886,46 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux légal, en réparation du préjudice découlant des fautes commises par cette société dans le cadre de l'opération de restructuration et d'extension du lycée Denis Diderot à Marseille.

Par un jugement n° 1501592 du 14 mars 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société Eiffage Construction Provence à verser à Me K... E... une indemnité de 16 888,03 euros hors taxes, augmentée des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 27 février 2015, et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 avril 2018 et 5 juillet 2019, Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, représenté par Me J..., demande à la Cour :

1°) de joindre cette requête avec l'instance n° 18MA04315 ;

2°) à titre principal, de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1501592 du 14 mars 2018 afin de porter à la somme de 942 886,48 euros hors taxes, majorée des intérêts moratoires au taux légal, le montant de la condamnation qu'il a prononcée à l'encontre de la société Eiffage Construction Provence ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert en vue de déterminer la cause des difficultés, manquements ou retards ayant affecté le chantier et notamment les travaux de la société ESIME, ainsi que de donner son appréciation sur ses réclamations financières ;

4°) de mettre à la charge de la société Eiffage Construction Provence la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la société Eiffage Construction Provence n'a pas réalisé les travaux qui lui incombaient dans le délai prescrit et ce retard a engendré un préjudice, dès lors qu'il lui a fallu mobiliser des équipes supplémentaires pour rattraper ce retard ;

- cette société a endommagé ses ouvrages, de telle sorte que le coût de leur réparation lui incombe ;

- elle est fondée à réclamer le remboursement de la réparation de ses ouvrages sur le fondement des stipulations de l'article 3.3 du cahier des clauses administratives particulières du marché.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 juillet 2018, 25 septembre 2018 et 22 juillet 2019, la société Eiffage Construction Provence, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de Me K... E... ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a fait droit partiellement à la demande de Me K... E... et de rejeter cette demande ;

3°) de mettre une somme de 6 000 euros à la charge de Me K... E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens invoqués par Me K... E... à l'encontre du jugement, en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires, sont infondés ;

- elle n'est aucunement responsable des détériorations des ouvrages réalisés par la société ESIME, de sorte que le tribunal l'a condamnée à tort.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 août 2018 et 18 juillet 2019, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par Me K... E... à l'encontre du jugement sont infondés.

Par ordonnance du 23 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 septembre 2019.

Un mémoire présenté par la société Eiffage Construction Provence et enregistré le 12 septembre 2019 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. H... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thiele, rapporteur public,

- les observations de Me G..., représentant Me K... E..., de Me F..., représentant la société Eiffage Construction Provence et de Me A..., représentant la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement en date du 23 avril 2012, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a confié à la société ESIME les travaux du lot n° 3, " courants forts et faibles ", de l'opération de reconstruction et d'extension du lycée Denis Diderot à Marseille, pour un montant de 1 890 431,87 euros hors taxes. Me K... E..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, a sollicité du tribunal administratif de Marseille la condamnation de la société Eiffage Construction Provence, quant à elle titulaire du lot n° 1 de l'opération, " bâtiment, gros-oeuvre, clos et couvert, bâtiments provisoires, voiries et réseaux divers ", à réparer les préjudices résultant des fautes qu'elle aurait commises dans l'exécution de son marché. Le tribunal a fait droit à cette demande à hauteur de 16 888,03 euros hors taxes.

I. Sur la jonction :

2. Si la requête n° 18MA04315 par ailleurs présentée devant la Cour par Me K... E... à l'encontre de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et de la société Eiffage Construction Provence a trait à un litige découlant du même chantier que la requête n° 18MA01686 objet du présent arrêt, elles ne présentent pas à juger de questions semblables. Il n'y a donc pas lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

II. Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

II. 1. En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle de la société Eiffage Construction Provence à raison des retards du chantier :

3. Me K... E... argue d'un préjudice, chiffré à 821 143,70 euros hors taxes, découlant, selon lui, de la réalisation de nombreuses heures supplémentaires par les personnels de la société ESIME ainsi que de la nécessité où celle-ci se serait trouvée de renforcer son effectif sur le chantier, notamment entre juillet 2012 et septembre 2014, en raison du retard fautif ayant affecté les travaux du lot confié à la société Eiffage Construction Provence. Toutefois, s'il résulte de l'instruction, et notamment des comptes rendus et constats établis par le maître d'oeuvre et la société chargée de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination, que la société Eiffage Construction Provence et la société ESIME ont toutes deux accumulé des retards lors de plusieurs des phases du chantier, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est pas davantage établi par Me K... E... que le retard de la société Eiffage Construction Provence ait été la cause de celui qui a affecté les travaux de la société ESIME, à l'exception d'un retard ponctuel relatif aux travaux du niveau R + 4 du bâtiment A pendant la période ayant couru de décembre 2013 à mars 2014, au cours de laquelle trois semaines ont été perdues pour la pose du chemin de câble de la société ESIME en raison du non-respect, par la société Eiffage Construction Provence, des délais d'exécution qui lui étaient impartis. Toutefois, il ne résulte nullement de l'instruction et le requérant n'établit pas davantage que ce seul retard aurait causé un quelconque préjudice à la société ESIME, ni même que les fautes de la société Eiffage Construction Provence, à les supposer établies, soient la cause réelle de la mobilisation supplémentaire de main d'oeuvre à laquelle la société ESIME a procédé entre juillet 2012 et septembre 2014. La demande présentée sur ce point par Me K... E... doit, dès lors, être rejetée.

II. 2. En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle de la société Eiffage Construction Provence à raison des dommages causés aux ouvrages de la société ESIME :

II. 2. 1. S'agissant des ouvrages référencés sous les libellés 13YN15, 13YN16 et 13YN19 :

4. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la société ESIME s'est plainte le 20 septembre 2012, auprès du maître d'oeuvre, de la dégradation d'ouvrages qu'elle avait réalisés, et notamment du sectionnement de câbles posés par ses soins et, d'autre part, que le maître de l'ouvrage délégué a, après analyse du maître d'oeuvre, estimé la société Eiffage Construction Provence effectivement responsable de ces dégradations. Si la société Eiffage Construction Provence fait valoir qu'il appartenait à la société ESIME d'assurer la protection ou le dévoiement de ces réseaux, elle n'établit pas que les dégradations en cause résulteraient de l'omission de telles précautions. Par ailleurs, la circonstance que le maître de l'ouvrage n'a pas procédé à une retenue à ce titre sur le décompte général du marché de la société Eiffage Construction Provence est sans incidence sur la possibilité ouverte à la société ESIME et à son liquidateur de rechercher sa responsabilité quasi-délictuelle.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Eiffage Construction Provence n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge les travaux de dépannage sous le tableau général basse tension pour un montant de 2 548,74 euros hors taxes, l'intervention sur le câble de la hotte de la demi-pension pour un montant de 1 028,61 euros hors taxes et la reprise des câbles dans l'atelier de gros oeuvre pour un montant de 13 310,68 euros hors taxes.

II. 2. 2. S'agissant des ouvrages référencés sous les libellés 13YN23 et MB 0714005 :

6. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de travaux portant sur la loge et l'atelier du lycée en décembre 2013, les câbles du système de sécurité incendie ont été sectionnés par la société Eiffage Construction Provence, ce qui a nécessité des travaux de réparation comprenant la reprise de la fibre optique et de la rocade téléphonique pour un montant de 5 591,95 euros hors taxes et la reprise du système de sécurité incendie pour un montant de 5 712 euros hors taxes. La société Eiffage Construction Provence a reconnu sa responsabilité dans cet incident dans un courrier électronique du 29 juillet 2014 et le maître de l'ouvrage a, le même jour, validé la commande des travaux de réparation. Faute pour la société ESIME d'avoir obtenu le règlement de ces travaux de la part du maître de l'ouvrage, son liquidateur peut valablement rechercher la responsabilité de la société Eiffage Construction Provence à ce titre et à lui réclamer le paiement de ces travaux, la circonstance que ces ouvrages aient préexisté à l'intervention de la société ESIME étant à cet égard sans incidence. Me K... E... est, par suite, fondé à demander qu'une somme supplémentaire de 11 303,95 euros hors taxes soit mise à la charge de la société Eiffage Construction Provence à ce titre.

II. 2. 3. S'agissant des ouvrages référencés sous les libellés 12YN05, 12YN11, 13YN08, 13YN09, 13YN17, Didero-131, 13YN22, 13YN24, 13YN25, 13YN27, 14YN10, 14YN12, 14YN13, 14YN14, 14YN15, 14YN17, 14YN18, 14YN19 et Diderot-BTS :

7. Me K... E... n'invoquant aucune faute précise à l'encontre de la société Eiffage Construction Provence, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation par cette société, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, du coût de réparation de ces ouvrages.

II. 3. En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la société Eiffage Construction Provence sur le fondement de l'article 3.3 du cahier des clauses administratives particulières :

8. Aux termes de l'article 3.3 du cahier des clauses administratives particulières du marché : " Les dépenses indiquées ci-après font l'objet d'une répartition forfaitaire, dans tous les cas où elles n'ont pas été individualisées et mises à la charge d'un titulaire ou d'un groupe de titulaires déterminé : / (...) frais de nettoyage, de réparation et de remplacement des fournitures et matériels mis en oeuvre et détériorés ou détournés dans les cas suivants : / - l'auteur des dégradations et des détournements ne peut être découvert ; / les dégradations et les détournements ne peuvent être imputés au titulaire d'un lot déterminé ; / la responsabilité de l'auteur, insolvable, n'est pas couverte par un tiers. ".

9. En premier lieu, Me K... E... n'est en tout état de cause pas fondé à demander la réparation des retards ayant affecté les travaux de la société ESIME sur le fondement de ces stipulations, dès lors que de tels préjudices n'entrent pas dans leur champ d'application.

10. En second lieu, si Me K... E... sollicite sur le même fondement la réparation des dommages subis, en cours de chantier, par les ouvrages de la société ESIME, il résulte de l'instruction et de ses propres écritures qu'il impute ces dommages à la société Eiffage Construction Provence. Ceux-ci ne peuvent donc être regardés comme émanant d'un auteur inconnu ou ne pouvant être découvert. Dès lors qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que cette société serait insolvable, Me K... E... n'est en tout état de cause pas davantage fondé à demander l'application de ces stipulations contractuelles.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, est seulement fondé à demander que la condamnation prononcée par l'article 1er du jugement attaqué soit portée à la somme de 28 191,98 euros hors taxes et que le jugement soit annulé dans cette mesure. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions d'appel incident de la société Eiffage Construction Provence.

III. Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Eiffage Construction Provence sur leur fondement soit mise à la charge de Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, au contraire, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de la société Eiffage Construction Provence, à verser à Me K... E... sur le fondement de ces mêmes dispositions.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

D É C I D E :

Article 1er : Le montant de la condamnation prononcée au profit de Me E..., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ESIME, par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1501592 du 14 mars 2018 est porté à 28 191,98 euros hors taxes.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1501592 du 14 mars 2018 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La société Eiffage Construction Provence versera une somme de 2 000 euros à Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me K... E..., liquidateur judiciaire de la société ESIME, à la société Eiffage Construction Provence, à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et à l'Agence régionale d'équipement et d'aménagement de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2020, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme I... L..., présidente assesseure,

- M. H... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 février 2020.

7

N° 18MA01686


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA01686
Date de la décision : 10/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant - Indemnités.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité du maître de l'ouvrage et des constructeurs à l'égard des tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SCP GOBERT et ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-02-10;18ma01686 ?
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