Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Icade Promotion a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Borgo à lui verser la somme de 200 950 euros hors taxes au titre de la rémunération supplémentaire qu'elle estime lui être due en exécution de la convention de délégation de maîtrise d'ouvrage conclue le 3 janvier 2006 en vue de la réalisation d'un complexe sportif.
Par un jugement n° 1600300 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 4 janvier 2018, la société Icade Promotion, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 9 novembre 2017 ;
2°) de condamner la commune de Borgo à lui verser la somme de 200 950 euros hors taxes, soit 240 336,20 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 15 juillet 2013 ainsi que de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Borgo une somme de 5 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, le tribunal n'ayant pas mis en oeuvre ses pouvoirs d'instruction ni communiqué son dernier mémoire et les pièces annexes, sur lesquelles il s'est pourtant fondé pour rejeter ses demandes ;
- le jugement est irrégulier également en ce que le tribunal a omis de viser et de répondre au moyen tiré de l'existence d'un droit à indemnisation fondé sur l'avenant du 15 juillet 2013 ;
- la commune de Borgo n'a pas respecté ses engagements contractuels, y compris ceux résultant de cet avenant ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa rémunération est déterminée par la durée d'exécution et le montant des travaux ;
- au vu des clauses du contrat de mandat et de l'avenant du 15 juillet 2013, la matérialité des prestations supplémentaires effectuées et la réalité des surcoûts de l'opération étant établies, les premiers juges ne pouvaient pas refuser l'indemnisation de son préjudice ;
- le tribunal n'a pu écarter la loi des parties sans méconnaître le principe de loyauté des relations contractuelles ;
- en tout état de cause, la commune ayant commis une faute dans le lancement de sept consultations au lieu de la seule consultation allotie prévue au contrat de mandat, elle doit être indemnisée du montant des surcoûts engendrés par les prestations supplémentaires réalisées et par l'allongement des délais d'exécution.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2018, la commune de Borgo, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Icade Promotion au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de la société Icade Promotion est irrecevable dès lors qu'elle n'a pas préalablement mis en oeuvre les procédures stipulées par le cahier des clauses administratives générales et le cahier des clauses administratives particulières ;
- le jugement n'est entaché d'aucune irrégularité ;
- le préfet de la Haute-Corse ayant exigé le retrait de l'avenant du 15 juillet 2013, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer le principe de loyauté des relations contractuelles ;
- les modifications du chantier résultent des manquements de la société requérante à ses obligations contractuelles, notamment celles résultant des articles 2.5, 5.1 et 5.2 du contrat de mandat ; en outre, les ouvrages sont affectés de nombreux désordres ;
- les demandes de la société requérante ne sont pas fondées, en l'absence de modification de l'opération, seuls la dénomination des tranches et leur ordre ayant changé ;
- la preuve de l'existence d'un préjudice indemnisable résultant des modifications en cause n'est pas rapportée ;
- le préjudice invoqué n'est établi ni dans sa réalité ni dans son quantum.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... E..., présidente assesseure,
- les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour la commune de Borgo.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la construction d'un complexe sportif sur le site de Cavanja, la commune de Borgo a conclu avec la société Icade G3A, devenue ensuite Icade Promotion, le 3 janvier 2006, une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. Le 16 novembre 2015, la société Icade Promotion a adressé à la commune de Borgo une réclamation tendant au paiement de la somme de 200 950 euros hors taxes au titre des prestations supplémentaires réalisées dans le cadre de l'exécution de ce contrat et en réparation du préjudice subi du fait de l'allongement de la durée de l'opération. Elle relève désormais appel du jugement du 9 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande de condamnation de la commune de Borgo à lui payer cette somme.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Borgo :
2. Si la commune de Borgo soutient que la demande de la société Icade Promotion est irrecevable dès lors qu'elle n'a pas mis en oeuvre, préalablement à la saisine du juge du contrat, les procédures stipulées par le cahier des clauses administratives générales et le cahier des clauses administratives particulières, cette fin de non-recevoir, qui ne désigne pas clairement les documents contractuels en cause, alors, au demeurant, que la convention de délégation de maîtrise d'ouvrage en litige ne se réfère à aucun cahier de clauses, n'est pas assortie de précisions suffisantes pour permettre à la Cour d'en apprécier la pertinence et doit, par suite, être écartée.
Sur le droit de la société Icade Promotion à un complément de rémunération :
3. Afin de traduire financièrement les conséquences de la modification des délais d'exécution, du phasage de l'opération ainsi que du mode de dévolution des marchés de travaux, d'où avait résulté une multiplication des procédures d'appels d'offres, la commune de Borgo et la société Icade Promotion ont conclu, le 15 juillet 2013, un avenant n° 1 à la convention de délégation de maîtrise d'ouvrage qui les liait. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Haute-Corse, dans le cadre du contrôle de légalité, a demandé au maire de Borgo, par courrier du 19 septembre 2013, de procéder au retrait de cet avenant, selon lui entaché d'illégalité dès lors qu'il augmentait de 36,26 % la rémunération de la société Icade Promotion et bouleversait ainsi l'économie du contrat. Toutefois, en dépit de la mesure d'instruction ordonnée à cet effet par la Cour, la commune de Borgo n'a jamais justifié de l'existence d'un acte de retrait de l'avenant en cause, qui n'a pas davantage été déféré par le préfet à la censure du tribunal administratif de Bastia. Cet avenant a ainsi été maintenu en vigueur. Si la commune de Borgo entend exciper de son illicéité, elle n'apporte aucun élément de nature à l'établir, se bornant à se référer au courrier du préfet de la Haute-Corse mentionné ci-dessus sans expliciter les raisons pour lesquelles l'augmentation de la rémunération de la société Icade Promotion permettrait de caractériser un bouleversement de l'économie du contrat initial, ni d'ailleurs tirer les conséquences juridiques d'une telle qualification. La commune ne démontre pas davantage, en tout état de cause, les manquements qu'elle entend imputer à la société requérante, à l'origine, selon elle, des désordres ultérieurement constatés sur les ouvrages réalisés et dont cette société devrait supporter les conséquences dommageables. Ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société Icade Promotion est fondée à demander la condamnation de la commune de Borgo à lui payer, en exécution de l'avenant du 15 juillet 2013, la somme de 150 600 euros hors taxes, soit 180 117,60 euros toutes taxes comprises, montant du complément de rémunération qui y est stipulé.
4. Si la société Icade Promotion demande, en outre, le paiement de la somme de 50 350 euros hors taxes, soit 60 218,60 euros toutes taxes comprises au titre de frais de consultations et de frais de déplacement supplémentaires exposés en raison de l'allongement des délais d'exécution, les pièces versées aux débats, notamment les tableaux de phasages et les factures de voyages, ne permettent pas de démontrer la réalité de ces dépenses, à supposer d'ailleurs qu'elles n'aient pas été déjà prises en compte par l'avenant du 15 juillet 2013, au surplus assorti d'une clause de non-recours. Les prétentions exposées à ce titre ne peuvent, dès lors, qu'être écartées.
5. La société Icade Promotion a droit aux intérêts au taux contractuel de la somme de 180 117,60 euros toutes taxes comprises à compter du 18 novembre 2015, date non contestée de réception, par la commune de Borgo, de sa réclamation datée du 16 du même mois. Elle a droit également à la capitalisation de ces intérêts au 18 novembre 2016, date à laquelle il en était dû une année entière, ainsi qu'à chaque échéance anniversaire ultérieure.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que la société Icade Promotion est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande et à demander, outre l'annulation de ce jugement, la condamnation de la commune de Borgo à lui verser une somme de 180 117,60 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts au taux contractuel à compter du 18 novembre 2015 et de leur capitalisation à la date du 18 novembre 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Icade Promotion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Borgo réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu au contraire de mettre à la charge de la commune de Borgo le versement à la société Icade Promotion, sur ce fondement, d'une somme de 2 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia n° 1600300 du 9 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : La commune de Borgo est condamnée à verser à la société Icade Promotion la somme de 180 117,60 euros toutes taxes comprises augmentée des intérêts au taux contractuel à compter du 18 novembre 2015. Les intérêts échus le 18 novembre 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au même taux.
Article 3 : La commune de Borgo versera une somme de 2 000 euros à la société Icade Promotion en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la commune de Borgo sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Icade Promotion et à la commune de Borgo.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2019, où siégeaient :
- M. David Zupan, président,
- Mme D... E..., présidente assesseure,
- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 janvier 2020.
N° 18MA00026 5