La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2019 | FRANCE | N°19MA03237

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 16 décembre 2019, 19MA03237


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 décembre 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office à l'expiration de ce délai et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour po

rtant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 18...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 décembre 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office à l'expiration de ce délai et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 1806176 du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 juillet 2019 et le 22 octobre 2019, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 5 décembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de la munir sans délai, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 900 euros à Me E... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit faute d'un examen réel et complet de sa situation ;

- en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont applicables aux ressortissants algériens ;

- le préfet a méconnu les dispositions du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, sur le fondement desquelles sa demande de titre de séjour pouvait être examinée ;

- le préfet a commis une erreur de droit en se croyant tenu de lui opposer l'absence de visa de long séjour sans examiner la demande d'autorisation de travail ;

- le refus de titre de séjour procède d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa situation personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2019, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de Mme A... est irrecevable dès lors qu'elle n'a pas été introduite dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ;

- les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a produit un mémoire, enregistré le 13 novembre 2019, qui, dépourvu d'éléments utiles à la solution du litige, n'a pas été communiqué au préfet de l'Hérault.

Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. G... F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Entrée pour la première fois en France le 29 décembre 2015 en compagnie de son fils majeur, M. C..., Mme A..., née le 5 mai 1970 et de nationalité algérienne, a demandé, le 20 novembre 2018, l'octroi d'un certificat de résidence portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 5 décembre 2018, le préfet de l'Hérault a rejeté cette demande et prescrit l'éloignement de l'intéressée.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée. ". En vertu du deuxième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 : " Les recours contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle peuvent être exercés par l'intéressé lui-même lorsque le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui a été refusé, ne lui a été accordé que partiellement ou lorsque ce bénéfice lui a été retiré. ". L'article 38 du décret du 19 décembre 1991 dispose par ailleurs que : " Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : / (...) c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; / d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à Mme A... au plus tard le 23 mars 2019. L'intéressée a présenté une demande d'aide juridictionnelle ce même jour, donc dans le cours du délai d'appel prévu par l'article R. 776-9 du code de justice administrative. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille, qui lui a été notifiée le 17 juin 2019. Le délai d'appel d'un mois qui lui était imparti pour saisir la Cour ayant couru de nouveau à compter de cette date, le préfet de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que la requête de Mme A..., enregistrée le 10 juillet 2019, serait tardive.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Il ressort des pièces du dossier que le fils de Mme A..., M. C..., âgé de vingt-et-un ans à la date de l'arrêté attaqué, souffre d'une " déficience mentale sévère sur fond autistique " ainsi que d'une surdité bilatérale qui ont engendré un mutisme total, l'intéressé n'étant compris, à son arrivée en France, que de sa mère, au moyen d'un langage gestuel que celle-ci a élaboré pour communiquer avec lui. M. C... pâtit également de troubles moteurs consistant en une hémiparésie gauche accompagnée de " mouvements choréo-athétosiques et dystoniques " et de troubles épileptiques. La requérante soutient, sans être contredite, que son fils n'a jamais bénéficié d'aucune prise en charge adaptée à sa situation de polyhandicap en Algérie et n'a, notamment, jamais été scolarisé. Il ressort enfin des pièces du dossier, d'une part, que M. C... bénéficie, depuis son arrivée en France, d'une prise en charge pluridisciplinaire intégrant un traitement médicamenteux, des examens otologiques, un suivi orthophonique, kinésithérapique et psychiatrique combinés avec un accueil de jour psychopédagogique et, d'autre part, que ces différents soins et soutiens ont permis de stabiliser sa situation physiologique, de l'ouvrir au langage et de développer une activité sensorielle et sociale dont Mme A... soutient sans être efficacement contredite qu'elle serait remise en cause en cas de retour en Algérie, faute de structure adaptée. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'état de santé de M. C..., son absence d'autonomie, ainsi que le lien particulièrement fort développé entre celui-ci et sa mère, qui a été désignée mandataire spéciale dans le cadre d'une procédure de sauvegarde par un jugement du tribunal d'instance de Béziers du 26 octobre 2018, rendent indispensable la présence de Mme A... aux côtés de son fils. Aussi, Mme A... est-elle fondée à soutenir que, dans les conditions très particulières de l'espèce, le préfet de l'Hérault a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur sa situation personnelle en rejetant sa demande de titre de séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit tenu compte des éléments de fait et de droit contenus dans son mémoire du 13 novembre 2019, Mme A... est fondée à soutenir, d'une part, que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 5 décembre 2018 et, d'autre part, que ce jugement et cet arrêté doivent être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".

7. Il y a lieu, eu égard au motif d'annulation énoncé ci-dessus et en l'absence de tout changement intervenu dans la situation de Mme A..., d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à sa mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat la somme de 900 euros demandée par Mme A... à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1806176 du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2019 et l'arrêté du préfet de l'Hérault du 5 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me E... la somme de 900 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme Christine Massé-Degois, président assesseur,

- M. G... F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 décembre 2019.

4

N° 19MA03237


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03237
Date de la décision : 16/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : BAUDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-12-16;19ma03237 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award