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22/11/2019 | FRANCE | N°18MA05021

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 22 novembre 2019, 18MA05021


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les deux titres de perception émis le 28 avril 2016 à son encontre en vue du paiement des sommes de 17 600 euros correspondant à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et de 2 124 euros correspondant à la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la décharger du paiement de ces sommes.

Par un

jugement n° 1605094 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les deux titres de perception émis le 28 avril 2016 à son encontre en vue du paiement des sommes de 17 600 euros correspondant à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et de 2 124 euros correspondant à la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la décharger du paiement de ces sommes.

Par un jugement n° 1605094 du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2018, Mme B..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 25 septembre 2018 ;

2°) d'annuler les titres de perception du 28 avril 2016 ;

3°) de la décharger du paiement des sommes correspondantes ;

4°) subsidiairement, de réduire le montant des contributions mises à sa charge ;

5°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et de l'Etat, la somme de 2 500 euros à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les titres de perception en litige ne comportent aucune indication permettant d'identifier la personne publique qui est l'ordonnateur de la créance ;

- Mme F... n'avait pas compétence pour procéder à l'ordonnancement des créances en litige en l'absence d'habilitation du directeur général de l'OFII ;

- les titres de perception en litige ne sont pas signés et il n'est pas justifié d'un état revêtu de la formule exécutoire ;

- le contradictoire n'a pas été respecté dans la mesure où elle n'a pas été mise à même de solliciter la communication de son dossier et n'a pas été informée du montant des sanctions financières envisagées à son encontre ;

- en l'absence de relations salariales entre elle et son époux la créance de l'OFII est dépourvue de fondement ;

- elle est fondée à demander subsidiairement la réduction du montant des contributions mises à sa charge.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2004-1085 du 14 octobre 2004 relatif à la délégation de gestion dans les services de l'Etat ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l'occasion du contrôle, le 10 juin 2015, d'un commerce ambulant de foulards et de châles exploité par Mme B... sur un marché de Perpignan, les services de police ont constaté la présence d'un ressortissant marocain en action de travail, démuni de titre de séjour et d'autorisation de travail en France, qui s'est révélé être l'époux de la commerçante. Par une décision du 9 novembre 2015 le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de Mme B... la contribution spéciale, prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 17 600 euros ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine, prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à hauteur de 2 124 euros. Sur le fondement de cette décision du directeur général de l'Office, deux titres de perception ont ensuite été émis, le 28 avril 2016, en vue d'assurer le recouvrement de ces contributions. Mme B... a contesté ces titres de perception auprès de la direction départementale des finances publiques de l'Aude, qui a transmis sa réclamation à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par une décision du 22 août 2017, le directeur général de l'Office a ramené le montant de la contribution spéciale à 12 876 euros afin que le total des contributions n'excède pas la somme de 15 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la réclamation. Par un jugement du 25 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir estimé que le litige n'était plus circonscrit qu'à cette somme de 15 000 euros, a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation des deux titres de perception du 28 avril 2016 et à la décharge des sommes restant en litige. Mme B... relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 5223-2 du code du travail, " L'Office français de l'immigration et de l'intégration est un établissement public administratif de l'Etat. ". Selon l'article R. 5223-35 du même code : " Les ressources de l'Office proviennent : (...) 3° De la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 et de la contribution au titre des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 245 de la loi n° 2018-1337 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale (...). / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. / Elle est recouvrée par l'Etat comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. (...). Selon l'article R. 5223-24 du même code, relatif à l'organisation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration : " Le directeur général est ordonnateur secondaire à vocation nationale pour l'émission des titres de perception relatifs à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 et de ceux relatifs à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". L'article R. 8253-4 de ce code dispose que : " (...) le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. / La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine ". L'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyait de manière analogue dans sa rédaction alors en vigueur que : " sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine (...). L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution (...). Sont applicables à la contribution forfaitaire prévue au premier alinéa les dispositions prévues aux articles L. 8253-1 à L. 8253-5 du code du travail en matière de recouvrement et de privilège applicables à la contribution spéciale ". Aux termes du II de l'article R. 626-2 du même code : " (...) le directeur général décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine ". Enfin, aux termes de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. / Ils transmettent au comptable public compétent les ordres de recouvrer (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que si les services de l'Etat assurent, pour le compte de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le recouvrement des créances afférentes à la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui constituent, selon l'article R. 5223-35 du code du travail, des ressources propres de l'établissement public, il n'appartient qu'au directeur général de l'Office, de constater et de liquider ces contributions, puis d'émettre les titres de perception correspondant avant de les transmettre, conformément à l'article 11 du décret du 7 novembre 2012, au comptable public chargé du recouvrement.

5. Enfin, aux termes de l'article 1er du décret précité du 14 octobre 2004 relatif à la délégation de gestion dans les services de l'Etat " La délégation de gestion est l'acte par lequel un ou plusieurs services de l'Etat confient à un autre service de l'Etat, pour une durée limitée éventuellement reconductible, la réalisation, pour leur compte, d'actes juridiques, de prestations ou d'activités déterminées concourant à l'accomplissement de leurs missions ". Selon l'article 2 du même décret : " La délégation de gestion fait l'objet d'un document écrit qui précise la mission confiée au délégataire, les modalités d'exécution financière de la mission ainsi que les obligations respectives des services intéressés ". L'article 4 de ce décret dispose que " Le document mentionné à l'article 2 peut prévoir que le délégataire est chargé de la gestion de crédits. Dans ce cas, il exerce la fonction d'ordonnateur pour le compte du délégant. Ce document peut prévoir que le délégataire exerce la fonction d'ordonnateur de recettes pour le compte du délégant ".

6. Les règles fixées par les articles précités du décret du 14 octobre 2004, notamment celles relatives à la délégation des fonctions d'ordonnateur, n'ont vocation à s'appliquer qu'aux ordonnateurs de l'Etat pour le recouvrement des créances de l'Etat. Elles ne sont pas applicables au recouvrement des créances des établissements publics de l'Etat, personnes morales distinctes, dotées de l'autonomie juridique et financière, au nombre desquels figure l'Office français de l'immigration et de l'intégration. En particulier, ni ces dispositions ni aucune autre n'autorisent le directeur général de l'Office à déléguer par convention à un service du ministère de l'intérieur l'ordonnancement des titres de perception relatifs à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire.

7. Il résulte de l'instruction et des indications données en défense par l'OFII, que les titres de perception en litige ont été rendus exécutoires par Mme F..., qui est un agent du ministère de l'intérieur affecté au centre de prestations financières, service de la direction de l'évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières de ce ministère. Si l'OFII fait valoir que l'intéressée était compétente pour émettre ces titres de perception en vertu des stipulations d'une convention conclue le 11 février 2013, sur le fondement du décret précité du 14 octobre 2004, entre le directeur général de l'établissement public et le directeur de l'évaluation, de la performance et des affaires financières et immobilières du ministère de l'intérieur, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que ces dispositions n'autorisaient pas le directeur général de l'OFII à confier par convention à un service de l'Etat l'ordonnancement des titres de perception relatifs à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire. Cette convention étant ainsi dépourvue de base légale, Mme B... est fondée à soutenir, pour la première fois en appel, que Mme F... n'était pas compétente pour émettre les titres en litige à la place du directeur général de l'établissement public ou d'un agent de cet établissement ayant reçu délégation à cet effet.

8. Au surplus, si, selon les énonciations du procès-verbal dressé le 10 juin 2015 par un officier de police judiciaire, M. D..., de nationalité marocaine, titulaire d'un titre de séjour espagnol, époux de Mme B..., était occupé le même jour à la vente d'un vêtement féminin à une cliente sur le stand commercial de son épouse, il ne ressort ni de ce procès-verbal ni des autres pièces du dossier que l'intéressé fournissait un travail en échange d'une rémunération qui lui aurait été versée, ni que l'aide ainsi apportée à son épouse n'aurait pas présenté un caractère occasionnel. La circonstance qu'il résidait, lorsqu'il n'était pas en Espagne, dans le logement de son épouse ne saurait être regardée comme constituant la rémunération en nature d'un travail. Ainsi, même si M. D... aidait son épouse dans son travail de commerçante ambulante, il ne peut être regardé comme engagé dans un lien salarial au service de cette dernière.

9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux titres de perception émis le 28 avril 2016 ainsi qu'à la décharge du paiement des sommes correspondantes.

10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me E..., avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 000 euros à verser à Me E....

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1605094 du 25 septembre 2018 et les deux titres de perception émis le 28 avril 2016 à l'encontre de Mme B... sont annulés.

Article 2 : Mme B... est déchargée du paiement des sommes de 12 876 euros et de 2 124 euros correspondant au montant de la contribution spéciale restant à sa charge et de la contribution forfaitaire visées dans les titres de perception mentionnés à l'article 1er.

Article 3 : L'OFII versera à Me E..., avocat de Mme B..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Les conclusions de l'OFII tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse D..., à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Me E....

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. C..., président assesseur,

- Mme G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 22 novembre 2019.

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N° 18MA05021

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA05021
Date de la décision : 22/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Régime juridique des ordonnateurs et des comptables - Statut.

Établissements publics et groupements d'intérêt public - Régime juridique des établissements publics - Régime financier et comptable.

Étrangers - Emploi des étrangers - Mesures individuelles - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : OLLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-11-22;18ma05021 ?
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