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04/11/2019 | FRANCE | N°15MA02728-15MA02729

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 04 novembre 2019, 15MA02728-15MA02729


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1102657, la société Réalisation Entretien Rénovation (RER) a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de prononcer la résiliation aux torts exclusifs du centre hospitalier d'Allauch du marché correspondant au lot n° 7 " cloisons doublages faux plafonds " de l'opération de construction d'une unité de soins et d'une maison d'accueil spécialisée pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer et de réhabilitation du service de long séjour

et de l'espace mortuaire à l'établissement et, d'autre part, de condamner le c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1102657, la société Réalisation Entretien Rénovation (RER) a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de prononcer la résiliation aux torts exclusifs du centre hospitalier d'Allauch du marché correspondant au lot n° 7 " cloisons doublages faux plafonds " de l'opération de construction d'une unité de soins et d'une maison d'accueil spécialisée pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer et de réhabilitation du service de long séjour et de l'espace mortuaire à l'établissement et, d'autre part, de condamner le centre hospitalier d'Allauch à lui verser une indemnité de 52 693,04 euros en compensation du manque à gagner occasionné par cette mesure ou, à titre subsidiaire, de désigner un expert afin d'évaluer ce chef de préjudice.

Par une demande enregistrée sous le n° 1107250, la société RER a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier d'Allauch à lui verser la somme de 178 825,56 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du même marché ou, à titre subsidiaire, de désigner un expert afin de déterminer les sommes dues à ce titre.

Par deux jugements n° 1102657 et n° 1107250 du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces deux demandes.

Procédure devant la Cour :

I. - Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 15MA02728 les 6 juillet 2015 et 14 mai 2019, la société RER, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102657 en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Allauch à lui verser une indemnité de 52 693,04 euros en réparation de la perte de bénéfice résultant de la résiliation du marché ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Allauch la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les mises en demeure des 15 avril 2010, 23 avril 2010 et 21 mai 2010 ont été signées par une autorité incompétente ;

- la résiliation n'a pas été précédée d'une mise en demeure régulière, celles des 15 avril 2010, 23 avril 2010 et 21 mai 2010 s'étant bornées à lui enjoindre de réaliser des travaux ;

- la décision de résiliation n'est pas motivée ;

- les travaux objets des mises en demeure ont en tout état de cause été réalisés ;

- la sanction de résiliation, qui est intervenue après l'achèvement des travaux, est injustifiée et à tout le moins disproportionnée ;

- cette décision équivaut à lui appliquer deux sanctions pour les mêmes fautes.

Par des mémoires en défense enregistrés le 4 mai 2016 et le 3 juin 2019, le centre hospitalier d'Allauch, représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société RER en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de condamnation présentée par la société RER devant le tribunal était irrecevable, faute de réclamation préalable ;

- les moyens et demandes de la société RER sont infondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 mars 2019 et 27 mai 2019, M. F... J..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier d'Allauch au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucune faute ne lui est imputable.

Par ordonnance du 6 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 juillet 2019.

II. - Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés sous le n° 15MA02729 les 6 juillet 2015 et 14 mai 2019, la société RER, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1107250 ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Allauch à lui verser la somme de 178 825,56 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du marché relatif au lot n° 7 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Allauch la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance était recevable dès lors qu'elle avait contesté la régularité et le bien-fondé de la résiliation ;

- les mises en demeure des 15 avril 2010, 23 avril 2010 et 21 mai 2010 ont été signées par une autorité incompétente ;

- ces mises en demeure irrégulières se sont bornées à lui enjoindre de réaliser des travaux ;

- la décision de résiliation n'est pas motivée ;

- les travaux objets des mises en demeure ont en tout état de cause été réalisés ;

- la sanction de la résiliation, qui est intervenue après l'achèvement des travaux, est injustifiée et à tout le moins disproportionnée ;

- le coût des travaux réalisés par la société SETI ne peut être mis à sa charge car son intervention ne lui a pas été notifiée, aucun constat des travaux et de l'inventaire n'a été réalisé et elle n'a pas été mise à même de suivre l'exécution des travaux qui lui ont été confiés ;

- le coût des travaux réalisés par la société SETI et mis à sa charge par le décompte excède les missions incluses dans le marché relatif au lot n° 7 ;

- le décompte qui lui a été notifié ne prend pas en compte les travaux supplémentaires qu'elle a réalisés ainsi que les situations nos 9 et 10 ;

- les pénalités mises à sa charge sont infondées ;

- les pénalités ont été majorées à tort de la taxe sur la valeur ajoutée.

Par des mémoires en défense enregistrés le 4 mai 2016 et le 3 juin 2019, le centre hospitalier d'Allauch, représenté par Me K..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société RER en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de condamnation présentée par la société RER devant le tribunal était irrecevable ainsi que l'a jugé le tribunal ;

- les moyens et demandes de la société RER sont infondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 28 mars 2019 et 27 mai 2019, M. F... J..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier d'Allauch au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucune faute ne lui est imputable.

Par ordonnance du 6 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 juillet 2019.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public,

- les observations de Me E..., représentant la société RER, et celles de Me H..., représentant le centre hospitalier d'Allauch.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 5 juillet 2007, le centre hospitalier d'Allauch a confié à la société RER les travaux du lot n° 7 " cloisons, doublages, faux plafonds " d'une opération portant sur la réalisation d'une unité de soins destinée aux patients atteints de la maladie d'Alzheimer et d'une maison d'accueil spécialisée ainsi que sur la réhabilitation du service de long séjour et de l'espace mortuaire de l'établissement, opération dont la maîtrise d'oeuvre était assurée par M. J..., architecte. Les travaux relatifs aux deux premiers volets de l'opération ont donné lieu à réception prononcée le 15 mars 2010 avec réserves et effet au 18 décembre 2009. Par lettres des 15 et 23 avril 2010 l'établissement a mis en demeure la société RER de terminer les travaux nécessaires à la levée des réserves, avant de décider, le 21 mai 2010, de mettre ces travaux en régie et de les confier à la société SETI. Finalement, le 10 février 2011, le centre hospitalier d'Allauch a prononcé la résiliation pour faute du marché. Il en a ensuite, le 1er août 2011, adressé le décompte général à la société RER. Par une première demande, celle-ci a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de prononcer la résiliation aux torts exclusifs du centre hospitalier et, d'autre part, de condamner cet établissement à lui verser une indemnité de 52 693,04 euros en compensation du manque à gagner occasionné par la décision de résiliation. Le tribunal a prononcé un non-lieu sur le premier de ces chefs de conclusions et rejeté pour irrecevabilité le second. Par une seconde demande, la société RER a demandé au tribunal de condamner l'établissement à lui verser la somme de 178 825,56 euros toutes taxes comprises en règlement du solde du même marché, demande que le tribunal a également rejetée.

I. Sur la jonction :

2. Les requêtes présentées par la société RER, enregistrées respectivement sous les n° 15MA02728 et 15MA02729, se rapportent à l'exécution du même marché et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

II. Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

II.1. En ce qui concerne la régularité et le bien-fondé de la résiliation :

3. En premier lieu, si le centre hospitalier d'Allauch a adressé des mises en demeure à la société RER les 15 avril et 23 avril 2010, ces courriers enjoignaient à cette entreprise d'achever les travaux de levée des réserves de l'unité " Alzheimer " et de la maison d'accueil spécialisée, après la réception intervenue le 15 mars 2010. Cet établissement reprochant ensuite à l'entreprise de ne pas s'être acquittée des travaux ainsi ordonnés, il a, le 21 mai 2010, procédé à leur mise en régie et les a confiés à la société SETI. Dès lors, les mises en demeure des 15 avril 2010 et 23 avril 2010, qui ne mentionnaient d'ailleurs qu'une possibilité de mise en régie et qui ont effectivement donné lieu à cette sanction, ne sauraient être regardées comme susceptibles de fonder la décision de résiliation intervenue plus de neuf mois plus tard.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'établissement hospitalier a entendu prononcer la résiliation aux frais et risques de l'entreprise RER, mesure qui, revêtant ainsi le caractère d'une sanction, devait être motivée en vertu des dispositions alors en vigueur de la loi susvisée du 11 juillet 1979 . Or, la décision du 10 février 2011 se borne à faire état de " nombreuses difficultés rencontrées lors de la première phase de travaux ", de telle sorte qu'elle ne permet ni à la société RER ni au juge de déterminer les motifs exacts ayant fondé cette sanction.

5. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 41.3 du cahier des clauses administratives générales : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'oeuvre, la personne responsable du marché décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. Si elle prononce la réception, elle fixe la date qu'elle retient pour l'achèvement des travaux. / (...) La réception, si elle est prononcée ou réputée comme telle, prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux ". En vertu de l'article 41.6 du même cahier : " Lorsque la réception est assortie de réserves, l'entrepreneur doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par la personne responsable du marché ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini au 1 de l'article 44. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, la personne responsable du marché peut les faire exécuter aux frais et risques de l'entrepreneur ". Il résulte de ces stipulations qu'à compter de la réception des travaux, les ouvrages étant achevés, seule la sanction de la mise en régie peut être prononcée à l'encontre de l'entrepreneur afin qu'il achève les travaux de levée des réserves.

6. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la résiliation, les travaux de la seconde phase du chantier n'avaient pas débuté. Dès lors, la résiliation décidée le 10 février 2011 se fondait nécessairement sur les retards et difficultés rencontrées au cours de la première phase des travaux, et notamment au cours de la levée des réserves relatives aux ouvrages de cette première phase. Il n'était pas toutefois pas possible au maître de l'ouvrage de prononcer cette sanction à raison du retard de la société à effectuer les travaux de levée des réserves dès lors, d'une part, que les stipulations précitées ne le lui permettaient pas et, d'autre part, qu'une mise en régie avait déjà été décidée à l'encontre de la société RER le 21 mai 2010 en vue de faire achever ces travaux, de telle sorte que, comme le fait valoir la requérante, l'infliction de la résiliation à ce titre impliquait une double sanction pour les mêmes faits. Par ailleurs, outre que le maître de l'ouvrage n'a fait état dans la décision de résiliation d'aucune faute précise de la société RER antérieure à la réception et susceptible de justifier une telle mesure par la mise en lumière d'une incapacité de l'entreprise à poursuivre le chantier dans sa seconde phase, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait pris la même décision en se fondant sur les fautes qu'il invoque en défense, constituées de divers manquements constatés entre septembre 2008 à décembre 2009, à supposer même qu'il ait entendu les prendre en compte lorsqu'il a adopté la décision de résiliation.

7. Il résulte de ce qui précède que la société RER est fondée à remettre en cause tant le bien-fondé que la régularité de la décision de résiliation prise à son encontre.

II. 2. En ce qui concerne le préjudice résultant de la résiliation :

8. Selon l'article 50.22 du cahier des clauses administratives générales applicables au marché en cause : " 50.22. Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage ".

9. Ainsi que le soutient le centre hospitalier d'Allauch, il résulte de ces stipulations, à l'application desquelles il n'est pas dérogé en cas de résiliation du marché, qu'il appartenait à la société RER de présenter, avant de saisir le tribunal administratif, un mémoire en réclamation relatif à l'indemnité qu'elle sollicite en réparation du préjudice découlant, selon elle, de l'illégalité de la résiliation du marché et correspondant au manque à gagner sur la poursuite de l'exécution de ce marché. Si la société RER a présenté un mémoire le 13 septembre 2011, celui-ci, du reste postérieur à la saisine du tribunal, ne comporte aucune réclamation relative à un tel chef de préjudice. Le centre hospitalier d'Allauch est par suite fondé à soutenir que la demande présentée par la société requérante devant le tribunal était en tout état de cause irrecevable et que celle-ci n'est dès lors pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire sur ce point.

II.3. En ce qui concerne le décompte du marché :

II.3.1. S'agissant de la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal :

10. Aux termes de l'article 49 du cahier des clauses administratives générales : " 49.1. A l'exception des cas prévus au 22 de l'article 15 et au 16 de l'article 46, lorsque l'entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, la personne responsable du marché le met en demeure d'y satisfaire dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit (...) / 49.2. Si l'entrepreneur n'a pas déféré à la mise en demeure, une mise en régie à ses frais et risques peut être ordonnée, ou la résiliation du marché peut être décidée (...) / 49.3. Pour établir la régie, laquelle peut n'être que partielle, il est procédé, l'entrepreneur étant présent ou ayant été dûment appelé, à la constatation des travaux exécutés et des approvisionnements existants, ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel de l'entrepreneur et à la remise à celui-ci de la partie de ce matériel qui n'est pas utile à l'achèvement des travaux poursuivis en régie. / 49.4. La résiliation du marché décidée en application du 2 ou du 3 du présent article peut être, soit simple, soit aux frais et risques de l'entrepreneur. / Dans les deux cas, les mesures prises en application du 3 de l'article 46 sont à sa charge. / En cas de résiliation aux frais et risques de l'entrepreneur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur pour l'achèvement des travaux. Ce marché est conclu après appel d'offres avec publicité préalable (...). Par exception aux dispositions du 42 de l'article 13, le décompte général du marché résilié ne sera notifié à l'entrepreneur qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. / 49.5. L'entrepreneur dont les travaux sont mis en régie est autorisé à en suivre l'exécution sans pouvoir entraver les ordres du maître d'oeuvre et de ses représentants. / Il en est de même en cas de nouveau marché passé à ses frais et risques. / 49.6. Les excédents de dépenses qui résultent de la régie ou du nouveau marché sont à la charge de l'entrepreneur. Ils sont prélevés sur les sommes qui peuvent lui être dues ou, à défaut, sur ses sûretés éventuelles, sans préjudice des droits à exercer contre lui en cas d'insuffisance. / Dans le cas d'une diminution des dépenses, l'entrepreneur ne peut en bénéficier même partiellement. " ;

11. Il résulte de ces stipulations que le cocontractant de l'administration dont le marché a été résilié à ses frais et risques ne peut obtenir le décompte général de ce marché, en vue du règlement des sommes dues au titre des travaux exécutés, qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Les conclusions présentées au juge du contrat en vue d'obtenir le règlement des sommes contractuellement dues avant le règlement définitif du nouveau marché sont ainsi irrecevables. Ces dispositions, applicables lorsque le marché a été régulièrement résilié, ne font cependant pas obstacle à ce que, sous réserve que le contentieux soit lié, le cocontractant dont le marché a été résilié à ses frais et risques saisisse le juge du contrat afin de faire constater l'irrégularité ou le caractère infondé de cette résiliation et demander, de ce fait, le règlement des sommes qui lui sont dues, sans attendre le règlement définitif du nouveau marché après, le cas échéant, que le juge du contrat a obtenu des parties les éléments permettant d'établir le décompte général du marché résilié.

12. Il résulte de ce qui précède que, la société RER ayant contesté la régularité et le bien-fondé de la mesure de résiliation édictée à son encontre, c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a jugé que le décompte général du marché résilié ne pouvait être notifié à l'entrepreneur qu'après règlement définitif du marché de substitution et a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société RER tendant au règlement par le centre hospitalier d'Allauch du solde du marché résilié. Il appartient dès lors à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les demandes formulées à ce titre par la requérante devant le tribunal.

II.3.2. S'agissant des travaux dus au titre du marché de base et de la révision des prix :

13. En premier lieu, si la société RER soutient qu'elle a effectivement réalisé les travaux portés sur ses situations nos 9 et 10 et que ceux-ci ne lui ont pas été réglés, il résulte de ses propres écritures que le montant total de ses situations nos 1 à 8 s'élevait à 221 983,16 euros hors taxes alors que le décompte général arrêté par l'établissement retient un montant de travaux réalisés de 254 730 euros hors taxes, lequel inclut donc nécessairement les situations nos 9 et 10, d'un montant respectif de 12 337,24 et 2 840,02 euros hors taxes. Il y a lieu, par suite, de rejeter la demande de la société requérante tendant au règlement de ces deux sommes en sus du montant de travaux déterminé par le décompte général.

14. En second lieu, il résulte de l'instruction que le décompte général notifié à la société RER ne comporte pas la révision des prix, chiffrée sans contredit par cette société à 15 016,21 euros hors taxes. Il y a donc lieu de faire droit à sa demande sur ce point.

15. Il résulte de ce qui précède que la somme de 254 730 euros hors taxes mentionnée au décompte général au titre du prix des travaux du marché doit être portée à 269 836,21 euros hors taxes en incluant la révision des prix.

II.3.3. S'agissant des travaux supplémentaires :

16. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné en référé par la présidente de la Cour, que le chantier a été totalement inondé le 8 octobre 2008 et que ce sinistre a occasionné la destruction d'une partie des travaux intérieurs que la société RER avait réalisés sur ordre du maître d'oeuvre alors que le bâtiment n'était ni hors d'eau ni hors d'air, ainsi qu'une partie de ses approvisionnements, ce qui a conduit le maître d'oeuvre à ordonner à la société de reprendre l'intégralité des parties d'ouvrage endommagées et à évacuer et remplacer ses matériaux dégradés.

17. En premier lieu, en vertu de l'article 10.2 du cahier des clauses administratives générales : " Est prix forfaitaire tout prix qui rémunère l'entrepreneur pour un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un ensemble déterminé de prestations défini par le marché (...) ". En vertu de l'article 11.22 du même cahier : " Dans le cas d'application d'un prix forfaitaire, le prix est dû dès lors que l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou l'ensemble de prestations auquel il se rapporte a été exécuté ; les différences éventuellement constatées, pour chaque nature d'ouvrage ou chaque élément d'ouvrage, entre les quantités réellement exécutées et les quantités indiquées dans la décomposition de ce prix, établie conformément au 32 de l'article 10, même si celle-ci a valeur contractuelle, ne peuvent conduire à une modification dudit prix ; il en est de même pour les erreurs que pourrait comporter cette décomposition ". Aux termes de l'article 15.21 de cette pièce contractuelle : " Sous réserve de l'application des stipulations du 4 du présent article, l'entrepreneur est tenu de mener à son terme la réalisation des ouvrages faisant l'objet du marché, quelle que soit l'importance de l'augmentation de la masse des travaux qui peut résulter de sujétions techniques ou d'insuffisance des quantités prévues dans le marché ou encore de toute cause de dépassement autre que celles qui sont énoncées au 22 du présent article ". En vertu de l'article 15.22 de ce cahier : " L'entrepreneur n'est tenu d'exécuter des travaux qui correspondent à des changements dans les besoins ou les conditions d'utilisation auxquels les ouvrages faisant l'objet du marché doivent satisfaire, que si la masse des travaux de cette espèce n'excède pas le dixième de la masse initiale des travaux ".

18. Si la requérante fait valoir qu'elle a dû déposer et effectuer à nouveau une partie de ses ouvrages de cloisons et doublages dégradés par l'inondation du 8 octobre 2008, la réalisation de ces travaux constituait l'exécution des ouvrages prévus au marché et rémunérés par un prix global et forfaitaire, et non de travaux présentant un caractère supplémentaire par leur objet ou leur étendue. Ainsi, alors même que ces travaux ont été demandés par le maître d'oeuvre et étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage, la société RER n'est pas fondée à demander leur rémunération par le moyen qu'elle invoque, qui se borne à les présenter comme des travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l'ouvrage. La demande de 10 339 euros hors taxes qu'elle présente au titre de la dépose et du transport des plaques posées et endommagées ainsi que sa demande de 38 164 euros hors taxes formulée au titre des travaux de pose de nouvelles plaques de doublage ne peuvent dès lors, ainsi présentées, qu'être rejetées.

19. En deuxième lieu, en vertu de l'article 18.2 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en cause : " L'entrepreneur doit prendre à ses frais, risques et périls, les dispositions nécessaires pour que les approvisionnements ou les matériels et installations de chantier ainsi que les ouvrages de construction ne puissent être enlevés ou endommagés par les tempêtes, les crues, la houle et tous autres phénomènes naturels qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent les travaux (...) ".

20. Il résulte de l'instruction que si les matériaux stockés à proximité du chantier et détruits par la pluie l'étaient à la demande du maître d'oeuvre dans le but de faciliter l'avancement du chantier, il appartenait à la société RER, en vertu des stipulations précitées, d'assurer leur protection contre les intempéries. Par suite, le coût de leur remplacement après leur dégradation doit être supporté par l'entreprise, qui n'est pas fondée à demander que la somme de 7 308,35 euros hors taxes réclamée à ce titre soit mise à la charge du centre hospitalier d'Allauch.

21. En troisième lieu, la société RER est fondée à demander le règlement des travaux supplémentaires faisant l'objet de son devis n° 205, d'un montant de 6 146 euros hors taxes, dont il résulte de l'instruction qu'ils ont été effectués sur ordre de la maîtrise d'oeuvre.

22. En dernier lieu, la société RER n'apporte en revanche aucune précision quant au caractère indispensable des travaux mentionnés sur ses devis nos 24, 206 et 380, lequel ne résulte pas davantage de l'instruction, tandis qu'il n'est pas non plus justifié d'ordres de service exigeant la réalisation de ces travaux. Ce poste de réclamation ne peut dès lors qu'être écarté.

23. Il résulte de ce qui précède que la société RER est fondée à demander l'inscription de la somme de 6 146 euros hors taxes au solde de son décompte au titre des travaux supplémentaires. La créance de la requérante au titre des travaux incluant la révision des prix et des travaux supplémentaires s'élève, par suite, à la somme de 275 982,21 euros hors taxes.

II.3.4. S'agissant des retenues prononcées par le maître de l'ouvrage :

24. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si le centre hospitalier d'Allauch a adressé à la société RER les factures des travaux mis en régie et confiés à la société SETI par la décision du 21 mai 2010 évoquée au point 3 ci-dessus, il n'a à aucun moment notifié à la société RER le marché ou la commande confiée à la société SETI ni réalisé l'inventaire prescrit par les stipulations de l'article 49.3 précité du cahier des clauses administratives générales. La société RER est dès lors fondée à soutenir qu'elle n'a pas été mise à même de préserver ses droits lors de la mise en régie puis au cours de l'exécution du marché de substitution. Elle est dès lors fondée à demander la décharge de la retenue de 76 813,80 euros hors taxes qui lui a été appliquée à ce titre par l'établissement.

25. En second lieu, la retenue de 1 303,45 euros hors taxes portée au décompte au titre du nettoyage du chantier n'étant pas contestée par la requérante, il y a lieu de la maintenir en déduction de ses droits à paiement.

II.3.5. S'agissant des pénalités de retard :

26. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert et du rapport d'analyse des retards de livraison dressé par la société COBAT Ingénierie, chargée de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination, que le centre hospitalier d'Allauch impute à la requérante un retard de seize semaines en ce qui concerne la pose des cloisons et de dix-neuf semaines en ce qui concerne la pose des faux plafonds. La société RER est toutefois fondée à soutenir, en s'appuyant notamment sur le rapport de l'expert, que le premier de ces retards, décompté à partir de l'inondation du 8 octobre 2008, résulte pour l'essentiel de cet évènement et de la désorganisation du chantier qui s'en est suivie. En revanche, la requérante ne conteste pas sérieusement le retard relatif aux travaux de faux-plafonds et n'établit pas que les dix-neuf semaines de retard qui lui sont imputées à cet égard résulteraient d'un calcul inexact ou relèveraient de causes qui lui sont étrangères. Dans ces conditions, en l'absence de tout décompte précis des pénalités et d'éléments apportés au débat sur ce point par le maître de l'ouvrage, il y a lieu de limiter ces pénalités à la part du retard ayant affecté la pose des faux-plafonds et de les fixer à 11 000 euros, somme qui doit être déduite hors taxes du solde toutes taxes comprises du marché dû à la requérante, ainsi que celle-ci le soutient à juste titre dès lors que les pénalités de retard, représentant des indemnités réglées au maître de l'ouvrage, ne constituent pas la contrepartie d'une livraison de biens ou d'une prestation de service.

27. Compte tenu de tout ce qui vient d'être énoncé, le montant des créances détenues par la société RER au titre du marché litigieux s'élève à 274 678,76 euros hors taxes, soit 329 614,51 euros toutes taxes comprises. Le solde du marché doit donc être fixé, après déduction des acomptes, dont le montant non contesté est de 265 491,86 euros toutes taxes comprises, et des pénalités de retard mentionnées ci-dessus, à la somme de 53 122,65 euros toutes taxes comprises.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société RER est fondée à demander la condamnation du centre hospitalier d'Allauch au paiement de la seule somme de 53 122,65 euros toutes taxes comprises et à demander l'annulation du seul jugement n° 1107250, ses autres conclusions devant être rejetées.

III. Sur les frais d'expertise :

29. Il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 37 189,51 euros toutes taxes comprises par ordonnance du président de la Cour en date du 29 novembre 2018, à la charge définitive du centre hospitalier d'Allauch.

IV. Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par le centre hospitalier d'Allauch sur leur fondement soit mise à la charge de la société RER, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge du centre hospitalier d'Allauch, à verser à la société RER sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1107250 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier d'Allauch est condamné à verser la somme de 53 122,65 euros toutes taxes comprises à la société RER.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 37 189,51 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge du centre hospitalier d'Allauch.

Article 4 : Le centre hospitalier d'Allauch versera une somme de 2 000 euros à la société RER au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société RER, au centre hospitalier d'Allauch et à M. F... J....

Copie en sera adressée à M. A... C..., expert.

Délibéré après l'audience du 14 octobre 2019, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme I... L..., présidente assesseure,

- M. G... Grimaud, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 4 novembre 2019.

2

Nos 15MA02728, 15MA02729


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 15MA02728-15MA02729
Date de la décision : 04/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-03-02 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Aléas du contrat. Imprévision.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SCP LOGOS TOMAS-BEZER BLIEK-VEIDIG CECERE ; SCP LOGOS TOMAS-BEZER BLIEK-VEIDIG CECERE ; SCP LOGOS TOMAS-BEZER BLIEK-VEIDIG CECERE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-11-04;15ma02728.15ma02729 ?
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