Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'avertissement que lui a adressé, le 8 août 2013, la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Par un jugement n° 1302809 du 17 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15MA03841 du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez contre ce jugement.
Par une décision n° 408220 du 7 décembre 2018, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi formé par la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, annulé l'article 2 de cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour administrative d'appel de Marseille dans la mesure de la cassation prononcée.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés initialement sous le n° 15MA03841 le 15 septembre 2015, le 4 octobre 2016 et le 7 décembre 2016 puis, après renvoi par le Conseil d'Etat, par un mémoire complémentaire, enregistré le 8 février 2019 sous le n° 18MA05247, la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, représentée par Me C... et par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 juillet 2015 ;
2°) d'annuler l'avertissement du 8 août 2013 de la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente ;
- la requête est recevable ;
- les premiers juges ont méconnu leur office en matière d'instruction ainsi que les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- les premiers juges ont insuffisamment motivé le jugement s'agissant du motif retenu tiré de l'incompétence de la juridiction administrative ;
- l'auteur de la lettre est incompétent ;
- le décret du 4 mai 2012 doit être interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour de cassation ;
- l'avertissement en litige méconnaît les articles 67 et 70 du règlement (CE) n° 607/2009 ;
- ce règlement est d'application directe et il y a lieu d'écarter l'application du décret du 4 mai 2012 qui lui est contraire ;
- l'avertissement porte atteinte au principe de sauvegarde des droits de marque acquis antérieurement de bonne foi issu des dispositions protectrices de la propriété intellectuelle ;
- cet avertissement est constitutif d'une expropriation illégale ;
- il constitue une sanction et est dépourvu de base légale ;
- le décret du 4 mai 2012 est entaché d'incompétence ;
- la marque " Les Grimaldines " est une fantaisie ne désignant aucune zone géographique ;
- la décision a été prise en violation du principe du respect des droits de la défense ;
- la sanction est entachée d'erreur de fait et elle est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2016, sous le n° 15MA03841 et, après renvoi par le Conseil d'Etat, un mémoire enregistré le 20 février 2019 sous le n° 18MA05247, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il excipe de l'incompétence de la juridiction administrative et, subsidiairement, fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu :
- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;
- le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le décret 2012-655 du 4 mai 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques oenologiques : " L'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée si les conditions suivantes sont remplies : / a) Tous les raisins à partir desquels ces vins ont été obtenus proviennent de cette unité plus petite ; / b) Cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée ".
2. Par l'avertissement attaqué en date du 8 août 2013, l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, a informé la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez que les étiquettes figurant sur les fontaines à vin qu'elle produisait n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 dès lors qu'elles faisaient référence à une " unité géographique plus petite " que la zone de l'appellation " Côtes de Provence " dont elle bénéficie, alors que le cahier des charges afférent n'autorise pas une telle mention. Elle lui a également indiqué qu'il lui appartenait, en conséquence, de se conformer à ces obligations légales et, en particulier, de supprimer les mentions " Grimaud " ou " coteaux du Golfe de Saint-Tropez " figurant sur ces étiquettes, dans le délai prévu par l'article 30 de ce décret, sous peine d'une contravention de 3ème classe, soit 450 euros au plus par étiquetage en infraction.
3. Par un jugement du 17 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, la demande de la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez tendant à l'annulation de cet avertissement. Par un arrêt du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé ce jugement, a rejeté la demande de la société comme irrecevable au motif que l'avertissement en cause ne constituait pas une décision susceptible de recours. Par décision du 7 décembre 2018, le Conseil d'Etat a, sur le pourvoi de la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté sa demande comme irrecevable et renvoyé l'affaire à la Cour dans cette mesure.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
4. Aux termes de l'article 30 du décret du 4 mai 2012 : " Les vins mis sur le marché ou étiquetés jusqu'au 30 juin 2013 et qui sont conformes aux dispositions en vigueur jusqu'au 1er juillet 2012 peuvent être commercialisés jusqu'à épuisement de leur stock ".
5. En application de ces dispositions transitoires, aucune infraction aux obligations prévues par le décret du 4 mai 2012 ne pouvait être constatée à la date à laquelle le contrôle a été effectué au sein de la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, soit le 15 avril 2013. Par suite, l'avertissement litigieux ne saurait être regardé comme ayant été émis dans le cadre d'une procédure judiciaire, quand bien même il a été adressé à la société le 8 août suivant et l'informait que des poursuites pénales seraient susceptibles d'être engagées à son encontre, si elle ne se conformait pas aux obligations qui lui étaient ainsi rappelées, postérieurement à l'expiration de la période transitoire prévue par l'article 30 de ce décret. Par conséquent, seule la juridiction administrative est compétente pour connaître d'un recours dirigé contre cet avertissement qui constitue un acte de police administrative.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
6. Le ministre de l'économie et des finances doit être regardé comme ayant abandonné, dans le dernier état de ses écritures, la fin de non-recevoir tirée de ce que l'avertissement contesté n'est pas susceptible de recours, qu'il avait opposée à la demande de la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez, aux termes de la procédure qui a donné lieu à l'arrêt de la cour du 20 décembre 2016, lequel a précisément été censuré, sur ce point, par la décision du Conseil d'Etat du 7 décembre 2018.
Sur la légalité de l'avertissement du 8 août 2013 :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du 10 mai 2010 de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, Mme B..., inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et signataire de l'avertissement litigieux, a été affectée à compter du 1er janvier 2010 à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'article 2 de cet arrêté dispose que Mme B... réalise, notamment, " des enquêtes relatives aux produits viti-vinicoles ". Les pouvoirs dont dispose les inspecteurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes leur donnent compétence pour rappeler aux personnes soumises aux prescriptions du code de la consommation, la nature de leurs obligations.
8. Aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe ne font obligation à l'ensemble des agents ayant contribué à une enquête de co-signer les actes pris consécutivement à cette enquête. La circonstance selon laquelle Mme B... a signé l'avertissement " pour les deux enquêteurs ", soit également au nom de la collègue avec laquelle elle a mené cette enquête, relève ainsi de la simple courtoisie administrative et ne saurait dès lors permettre de regarder cette décision comme ayant été prise par une autorité incompétente, faute du contre-seing de cette collègue.
9. En deuxième lieu, l'avertissement en litige constitue une mise en demeure de se conformer à la nouvelle réglementation et ne présente donc pas le caractère d'une sanction. Il y a lieu, par suite, d'écarter l'ensemble des moyens invoqués par la société requérante fondés sur la qualification de sanction, tenant notamment à son absence de base légale faute pour le décret du 4 mai 2012 de prévoir une telle peine, à l'incompétence dont ce décret serait entaché dès lors que seul le législateur est habilité à instituer des mesures répressives applicables à l'activité viticole, à la violation du principe du respect des droits de la défense, à l'erreur de fait commise sur les fautes qui lui seraient ainsi reprochés ainsi qu'à son caractère disproportionné.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 60 du règlement (CE) n° 479/2008 : " 1. L'étiquetage et la présentation des produits visés à l'article 59, paragraphe 1, peuvent notamment comporter les indications facultatives suivantes : / (...) / g) pour les vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique, le nom d'une autre unité géographique plus petite ou plus grande que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique. (...) ". Selon l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 : " 1. En ce qui concerne l'article 60, paragraphe 1, point g), du règlement (CE) no 479/2008, et sans préjudice des articles 55 et 56 du présent règlement, le nom d'une unité géographique et les références d'une zone géographique peuvent figurer uniquement sur les étiquettes des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée ou d'une indication géographique d'un pays tiers. / 2. En cas d'utilisation du nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique, l'aire de l'unité géographique en question est délimitée avec précision. Les États membres peuvent établir des règles concernant l'utilisation de ces unités géographiques. (...) ". Enfin l'article 70 de ce dernier texte dispose que : " Pour les vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée produits sur leur territoire, les indications visées aux articles 61, 62 et 64 à 67 peuvent être rendues obligatoires, interdites ou limitées en ce qui concerne leur utilisation par l'introduction de conditions plus strictes que celles fixées dans le présent chapitre au moyen des cahiers des charges correspondant à ces vins. ".
11. Il résulte de ces dispositions que si le droit de l'Union européenne autorise, sur l'étiquetage et la présentation des produits bénéficiant d'une appellation d'origine protégée, la mention du nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est la base de cette appellation, l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 laisse les Etats membres libres d'établir des règles concernant l'utilisation de ces unités géographiques. Par suite, le décret du 4 mai 2012 n'a méconnu ni le règlement (CE) n° 479/2008, ni le règlement (CE) n° 607/2009, en n'autorisant une telle mention que dans le cas où " cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ", sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'article 70 règlement (CE) n° 607/2009 permet également à ces cahiers de charges de prévoir directement une telle limitation.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle : " L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés ". L'article L. 713-2 du même code précise : " Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : (...) / b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ".
13. Si l'article 5 du décret du 4 mai 2012 a pu légalement encadrer la mention du nom d'une unité géographique portée sur l'étiquetage et la présentation d'un produit vitivinicole, il n'a pu avoir ni pour objet, ni pour effet d'interdire l'utilisation d'une marque commerciale dûment enregistrée en application des dispositions des articles L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que l'enregistrement de cette marque n'a pas été déclaré nul.
14. Il est constant que les marques " Les Grimaldines " et " Cuvée du Golfe " ont été enregistrées auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) respectivement les 1er juillet 2005 et 14 septembre 2011, à la demande de la SCV Les Vignerons de Grimaud qui a concédé à la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez une autorisation exclusive d'en faire usage. Il est également constant qu'à la date de la décision litigieuse, l'enregistrement de ces marques n'avait pas fait l'objet d'une action en nullité. Par suite, l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne pouvait légalement priver, sur le fondement de l'article 5 du décret du 4 mai 2012, la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez de son droit de faire usage de ces marques.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin ni de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, ni d'examiner les autres moyens invoqués par la société requérante fondés sur les stipulations internationales protégeant le droit des marques ou l'atteinte portée à son droit de propriété, que la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez est seulement fondée à demander l'annulation de la décision contestée en tant qu'elle lui enjoint de retirer de l'étiquetage de ses fontaines à vin le nom des marques " Les Grimaldines " et " Cuvée du Golfe ".
Sur les frais liés au litige :
16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'avertissement du 8 août 2013 de l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur est annulé en tant qu'il enjoint à la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez de retirer de l'étiquetage de ses fontaines à vin le nom des marques " Les Grimaldines " et " Cuvée du Golfe ".
Article 2 : L'Etat versera à la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Les coteaux du Golfe de Saint-Tropez et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et au directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 3 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Guidal, président-assesseur,
- M. Coutier, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 juin 2019.
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N° 18MA05247
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