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12/04/2019 | FRANCE | N°18MA00362

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 12 avril 2019, 18MA00362


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sapa Profiles Puget a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 344 924,26 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de la faute commise par l'Etat en autorisant illégalement le licenciement de M. C....

Par un jugement n° 1503771 du 30 novembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 janvier 2018 et le 6

février 2019, la société Hydro Extrusion Puget, venant aux droits et obligations de la société...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sapa Profiles Puget a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 344 924,26 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de la faute commise par l'Etat en autorisant illégalement le licenciement de M. C....

Par un jugement n° 1503771 du 30 novembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 janvier 2018 et le 6 février 2019, la société Hydro Extrusion Puget, venant aux droits et obligations de la société Sapa Profiles Puget, représentée par la SCP les avocats Izard et Pradeau, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 novembre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 308 463,63 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'illégalité dont sont entachées les décisions d'autorisation de licenciement de M. C... constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, laquelle a déjà été reconnue par un jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 avril 2014 ;

- si le tribunal administratif lui a alloué dans son précédent jugement du 10 avril 2014 une somme de 152 563 euros en réparation de son préjudice financier, il reste encore à sa charge la somme de 144 611,66 euros dont elle est fondée à demander le remboursement à l'Etat ;

- à cette somme s'ajoutent les intérêts au taux légal à compter du jour où elle a été versée, soit 26 645,22 euros à la date du 1er septembre 2017 ;

- elle a subi un préjudice de jouissance en raison de la consignation de la somme de 95 228,95 euros au cours de la période du 9 octobre 2015 au 23 juin 2017, qui doit être évalué à 10 000 euros ;

- elle a subi un préjudice résultant de l'atteinte à son image ainsi qu'un préjudice moral qu'il y a lieu d'évaluer à 100 000 euros ;

- elle est fondée à demander l'indemnisation des différents frais de procédure qu'elle a exposés devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat, les prud'hommes, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à hauteur de 146 132,60 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Hydro Extrusion Puget ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guidal,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me B... substituant la SCP les avocats Izard et Pradeau, représentant la société Hydro Extrusion Puget.

Considérant ce qui suit :

1. La société Hydro Extrusion Puget, qui vient aux droits de la société Sapa Profiles Puget, relève appel du jugement du 30 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société Sapa Profiles Puget tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser à une indemnité de 344 924,26 euros en réparation des préjudices résultant de la faute commise par l'Etat en autorisant illégalement le licenciement de M. C... et demande à hauteur d'appel à être indemnisée de ces préjudices dans la limite de 308 463,63 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Par une décision du 9 novembre 2001, l'inspecteur du travail a autorisé la société Sapa Intexalu, devenue ultérieurement la société Sapa Profiles Puget, à procéder au licenciement pour motif disciplinaire de M. C..., salarié protégé. Sur recours hiérarchique de l'intéressé, le ministre chargé du travail a, par une décision expresse du 12 avril 2002, confirmé la décision de l'inspecteur du travail. Le salarié a saisi le tribunal administratif de Nice de conclusions tendant à l'annulation de la seule décision du ministre. Par un jugement du 25 février 2005, le tribunal administratif a annulé cette décision. Saisie par l'employeur, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 6 février 2007, d'une part, annulé le jugement du tribunal en tant qu'il avait omis de statuer sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail et, d'autre part, annulé cette décision. Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par une décision n° 303707 du Conseil d'Etat du 5 septembre 2008. La cour d'appel d'Aix-en-Provence statuant en matière de référé a, par un arrêt du 5 octobre 2009, d'une part condamné la société Sapa Profiles Puget à verser à M. C... la somme provisionnelle de 95 000 euros bruts ainsi que les cotisations sociales y afférentes correspondant aux salaires et cotisations sociales dus pour la période du 13 novembre 2001 jusqu'au jour de sa réintégration et, d'autre part, ordonné à la société de réintégrer l'intéressé sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Le pourvoi contre cet arrêt n'a pas été admis par la Cour de cassation le 4 mai 2011. Saisie par la société Sapa Profiles Puget, le tribunal administratif de Toulon a, par un jugement du 10 avril 2014 condamné l'Etat à verser à la société la somme de 153 563 euros correspondant, d'une part, à la provision susmentionnée de 95 000 euros et, d'autre part, à une somme de 57 563 euros au titre des cotisations sociales correspondantes, en réparation du préjudice résultant pour elle de la faute commise par l'Etat en autorisant illégalement le licenciement de M. C.... Ce jugement qui n'a pas été frappé d'appel est devenu définitif. Saisi d'une procédure au fond par le salarié, le conseil des prud'hommes de Fréjus a, par un jugement du 26 mars 2015, condamné la société Sapa Profiles Puget à verser à l'intéressé outre les sommes allouées à titre provisionnel par l'arrêt du 5 octobre 2009 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la somme totale de 203 163, 95 euros. Toutefois, par un arrêt du 28 avril 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence statuant au fond, a infirmé ce jugement, fixé la somme totale due par la société Sapa Profiles Puget à M. C... à 88 600, 80 euros et condamné l'intéressé à restituer à la société la somme de 21 199, 80 euros au titre du trop perçu sur le montant de ses préjudices, la somme de 76 331, 80 euros sous réserve de la preuve par la société de l'encaissement d'un chèque d'un même montant émis par cette dernière au profit de M. C... et enfin la somme de 95 228,95 euros séquestrée sur le compte du conseil de M. C....

3. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale.

4. En l'espèce, la décision de l'inspecteur du travail du 9 novembre 2001 autorisant le licenciement de M. C... a été annulée par l'arrêt susmentionné du 6 février 2007 de la cour administrative d'appel de Marseille, devenu irrévocable, aux motifs que l'exactitude matérielle des faits imputés à M. C... pour justifier son licenciement, à qui son employeur reprochait le détournement de pièces de bois, ne pouvait être regardée comme suffisamment établie. L'illégalité dont elle était entachée constitue ainsi une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, la société Sapa Profiles Puget est fondée à demander réparation des préjudices directs et certains résultant pour elle de cette faute.

5. Le premier aliéna de l'article L. 2422-1 du code du travail prévoit qu'en cas d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié protégé mentionné par cet article, " le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent ". Aux termes de l'article L. 2422-4 du même code : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".

6. Il résulte de l'instruction que l'arrêt susmentionné du 28 avril 2017 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a fixé la somme due par la société Sapa Profiles Puget à M. C... à 53 273, 28 euros net au titre de l'indemnité visée à l'article L. 2422-4 du code du travail. Le préjudice subi par la société résultant du versement de cette somme est ainsi en lien direct avec l'illégalité fautive dont est entachée l'autorisation de licenciement annulée par l'arrêt du 6 février 2007 de la Cour. Toutefois par le jugement susmentionné du 10 avril 2014 devenu définitif, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à la société notamment la somme de 95 000 euros au titre de cette indemnité. En exécution de ce jugement, l'Etat s'est acquitté du versement de cette somme le 5 août 2004. Le demandeur qui a obtenu du juge des référés le bénéfice d'une provision doit la reverser en tout ou en partie lorsque le juge du fond lui accorde une somme inférieure au montant de la provision. L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 avril 2017, rendu au fond, qui fixe la somme due définitivement à M. C... implique nécessairement que celui-ci rembourse à la société Sapa Profiles Puget l'excédent versé à titre de provision, comme le prescrit d'ailleurs cet arrêt. Ainsi la somme susmentionnée de 53 273, 28 euros ne vient pas en surplus de celle versée à titre provisionnelle mais s'y substitue. Par suite, la requérante, qui a été ainsi intégralement indemnisée de ce chef de préjudice, et même au-delà de son montant, n'est pas fondée à se plaindre du rejet de sa demande à ce titre par le jugement contesté du tribunal administratif de Toulon du 30 novembre 2017.

7. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Sapa Profiles Puget aurait été condamnée par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 28 avril 2017 à verser à M. C... la somme de 61 132, 20 euros au titre de rappels de salaires et celle de 51 379, 46 euros au titre des cotisations salariales et patronales y afférentes. Par suite, elle n'est, en tout état de cause, pas fondée à en demander le remboursement à L'Etat. Si toutefois elle a versé ces sommes à l'intéressé c'est seulement en exécution du jugement du 26 mars 2015 du conseil des prud'hommes de Fréjus, lequel n'avait pas de caractère définitif et a été, comme il a été dit au point 2, infirmé par l'arrêt du 28 avril 2017 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Le préjudice consistant pour la société à ne pas obtenir de son salarié le remboursement de ces sommes nonobstant les diligences entreprises ne résulte pas directement de l'illégalité dont était entachée la décision de l'inspecteur du travail du 9 novembre 2001. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ce chef de préjudice était sans lien avec l'illégalité fautive invoquée et n'était dès lors pas indemnisable.

8. Le versement de la somme de 30 000 euros auquel a été condamnée la société Sapa Profiles Puget en réparation du préjudice moral subi par M. C... trouve son fondement, ainsi que le relève la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt du 28 avril 2017, dans l'attitude de l'employeur qui s'est refusé à trois reprises à réintégrer l'intéressé dans l'entreprise et n'y a consenti qu'après avoir été condamné par l'arrêt de la cour d'appel du 5 octobre 2009 sous astreinte. Cette indemnité ne répare pas ainsi un préjudice qui serait la conséquence directe de la décision illégale de l'administration. Il en va de même des sommes mises à la charge de la société sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article L 761-1 du code de justice administrative dans les différentes instances qui l'ont opposées soit à M. C... soit à l'Etat devant les juridictions judiciaires et administratives et qui trouvent leur cause directe et exclusive dans sa qualité de partie perdante. La société Sapa Profiles Puget n'est, dès lors, pas fondée à soutenir qu'elle devrait être indemnisée de ces chefs de préjudice.

9. La société requérante n'est pas davantage fondée à demander l'indemnisation du préjudice résultant de la privation de la somme de 92 228, 95 euros au cours de la période du 9 octobre 2015 au 23 juin 2017 qu'elle a dû consigner à la suite de sa condamnation par le jugement du 26 mars 2015 du conseil des prud'hommes de Fréjus, ce préjudice n'ayant aucun lien avec la décision illégale de l'inspecteur du travail.

10. Si la société Sapa Profiles Puget demande également l'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à son image et de son préjudice moral, ceux-ci, à les supposer établis, ne sont pas la conséquence directe de l'illégalité de la décision administrative annulée par la Cour le 6 février 2007.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Hydro Extrusion Puget, qui vient aux droits de la société Sapa Profiles Puget, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'indemnisation.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Hydro Extrusion Puget au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Hydro Extrusion Puget est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hydro Extrusion Puget et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2019, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- Mme A..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 12 avril 2019.

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N° 18MA00362

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00362
Date de la décision : 12/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice - Absence.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP LES AVOCATS IZARD et PRADEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-04-12;18ma00362 ?
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