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11/04/2019 | FRANCE | N°17MA04359

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre - formation à 3, 11 avril 2019, 17MA04359


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) TMR International a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période correspondant aux exercices clos en 2009 et 2010 et des intérêts de retard y afférents ainsi que la décharge de

1'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) TMR International a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période correspondant aux exercices clos en 2009 et 2010 et des intérêts de retard y afférents ainsi que la décharge de 1'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1405973 du 22 septembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 novembre 2017 et 14 juin 2018, la SARL TMR International, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 septembre 2017 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer les décharges demandées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a jugé à tort comme irrecevable sa demande concernant l'impôt sur les sociétés, alors que sa réclamation préalable était accompagnée des avis d'imposition concernés et que les vices de forme qui l'entachaient selon l'administration ont été régularisés dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif ;

- les frais de pourboires et d'accompagnement constituent des charges déductibles, dès lors qu'il est d'usage de reverser aux opérateurs une taxe par jour et par personne d'un montant unitaire allant de 11 à 15 euros à titre de pourboires reversée dans la caisse de bord et consignée par le commandant de bord pour bon usage auprès de l'équipage, que ces dépenses sont justifiées par des factures émises par les compagnies maritimes avec lesquelles elle a travaillé et par les contrats d'affrètement conclus avec ces compagnies, qui précisent que les frais de service ne sont pas inclus dans le prix payé, que les brochures qu'elle édite mentionnent que les pourboires sont inclus dans le prix des croisières, donc à sa charge et que ce système de pourboires est indépendant des pourboires versés directement par les passagers ;

- ces frais de pourboires ayant été versés à l'étranger, l'administration ne peut lui opposer que les paiements ont été effectués en espèces ;

- ces pourboires sont déductibles en application de la doctrine référencée 4 C-4-27 du 30 octobre 1997 ;

- s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), elle relève du régime de l'exonération en application de l'instruction n° 168 du 22 octobre 2003, 3C-4-03, qui prévoit que les croisières et excursions constituent, dans leur ensemble, des prestations uniques de transport maritime de voyageur, lesquelles sont exonérées de TVA dès lors qu'elles sont à destination de l'étranger en application de l'article 262 II 8° du code général des impôts ;

- elle entre dans les prévisions de l'instruction du 18 mars 1986 référencée 3 L-3-86, qui prévoit que les prestations facturées séparément de " transport maritime " à destination de l'étranger par une agence de voyage sont exonérées de TVA ;

- elle peut bénéficier de l'exonération en application de ces instructions, qu'elle ait la qualité de transporteur ou d'intermédiaire qui commercialise, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille dans un jugement la concernant du 30 octobre 2007, au titre de la période du 1er avril 1997 au 31 mars 2011, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 28 juin 2012 ;

- ses prestations sont exonérées de TVA en application de la réponse ministérielle à la question écrite n° 60261, publiée au journal officiel du 7 juin 2005 ;

- à titre subsidiaire, elle doit être exonérée de TVA en application de la jurisprudence communautaire, notamment de l'arrêt Henfling du 14 juillet 2011, aff C 464/10, dès lors qu'elle agit comme un intermédiaire transparent lorsqu'elle commercialise les croisières d'autres compagnies pour des voyages à destination de l'étranger et de l'arrêt du 25 octobre 2012, n° C 557/11 ;

- elle a fait l'objet pour le même motif de rectifications en matière de TVA au titre des années 2013 et 2014, qui ont été abandonnées par l'administration dans la réponse aux observations du contribuable du 3 octobre 2017, ce qui constitue une prise de position formelle sur sa situation de fait opposable à l'administration ;

- les prises de position successives, changeantes, contradictoires et équivoques de l'administration s'agissant du régime de TVA applicable aux opérations qu'elle mène la placent dans un contexte d'insécurité juridique permanent préjudiciable, en méconnaissance des principes généraux du droit communautaire de confiance légitime et de sécurité juridique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Le ministre de l'action et des comptes publics a produit un nouveau mémoire le 19 juin 2018, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil en date du 28 novembre 2006 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Paix, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de Mme Mosser, présidente de la 3ème chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon,

- les conclusions de M. Ouillon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la SARL TMR International.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL TMR International a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration a procédé à des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos en 2009 et 2010. Elle relève appel du jugement du 22 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Marseille a refusé de prononcer la décharge des compléments d'imposition auxquels elle a ainsi été assujettie.

Sur la régularité du jugement contesté :

2. Aux termes de l'article R. 197-3 du livre des procédures fiscales : " Toute réclamation doit à peine d'irrecevabilité : / a) Mentionner l'imposition contestée ; / b) Contenir l'exposé sommaire des moyens et les conclusions de la partie ; / c) Porter la signature manuscrite de son auteur ; à défaut l'administration invite par lettre recommandée avec accusé de réception le contribuable à signer la réclamation dans un délai de trente jours ; / d) Etre accompagnée soit de l'avis d'imposition, d'une copie de cet avis ou d'un extrait du rôle, soit de l'avis de mise en recouvrement ou d'une copie de cet avis ( ...) / La réclamation peut être régularisée à tout moment par la production de l'une des pièces énumérées au d. / (...) ". Aux termes de l'article R. 200-2 du même livre : " (...) / Le demandeur ne peut contester devant le tribunal administratif des impositions différentes de celles qu'il a visées dans sa réclamation à l'administration. / Les vices de forme prévus aux a, b, et d de l'article R. 197-3 peuvent, lorsqu'ils ont motivé le rejet d'une réclamation par l'administration, être utilement couverts dans la demande adressée au tribunal administratif. / (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que la réclamation préalable de la SARL TMR International, en date du 4 février 2014, implicitement rejetée par l'administration fiscale, comportait en pièce jointe l'avis de mise en recouvrement du 24 janvier 2014, qui concernait tant la taxe sur la valeur ajoutée que l'impôt sur les sociétés, et indiquait qu'elle serait complétée par un mémoire ultérieur concernant " l'ensemble de la notification, qui est rejetée ". Elle doit ainsi être regardée comme visant ces deux impositions, bien qu'elle ne mentionne expressément que la taxe sur la valeur ajoutée et ne soit motivée qu'à l'égard de cette imposition, en méconnaissance des obligations fixées à l'article R. 197-3 du livre des procédures fiscales. Toutefois, la société TMR International a, conformément aux dispositions précitées de l'article 200-2 du livre des procédures fiscales, régularisé les vices de forme dont était entachée sa réclamation préalable s'agissant de l'impôt sur les sociétés dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif, laquelle mentionnait expressément cet impôt et comportait, le concernant, l'exposé de conclusions et de moyens. Par suite, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010 et que le jugement contesté est, pour ce motif, entaché d'irrégularité.

4. Il y a lieu pour la Cour de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les conclusions de la SARL TMR International tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés et par la voie de l'évocation sur la demande présentée par la SARL TMR International devant le tribunal administratif de Marseille, au titre de l'impôt sur les sociétés.

Sur le bien-fondé des impositions contestées :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

S'agissant de la loi fiscale :

5. Aux termes de l'article 39-1 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. (...) ". Il appartient dans tous les cas au contribuable, que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ait été saisie ou non, de justifier tant du montant de ses charges que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.

6. La société a comptabilisé en charges déductibles une somme de 50 000 euros en 2008 et de 20 000 euros en 2009, sous le libellé " frais d'accompagnement " ou " frais pourboires ", sommes qui auraient été prélevées en espèces et versées aux sociétés Alandia Cruises, Atlas International et Costa Croisières, qui affrètent les bateaux de croisière, en vue de prendre en charge les pourboires du personnel, selon un forfait par jour et par personne participant à la croisière, sommes déposées dans la caisse de bord et consignées par le commandant de bord, selon une coutume en cours dans la profession. Si l'administration ne peut, au titre des années d'imposition en litige, opposer à la société l'interdiction des versements en espèces prévues aux articles L. 112-6 et D. 112-3 du code monétaire et financier, entrés en vigueur le 19 juin 2010, un tel paiement en espèces ne permet pas de s'assurer de l'identité du bénéficiaire des fonds. L'administration fiscale fait également valoir, sans être contredite, que ce mode de paiement ne concerne pas les autres croisières que commercialise la société TMR International. Par ailleurs, la société requérante, qui supporte la charge de la preuve de la déductibilité de ces dépenses, ne produit pas de justificatifs suffisants. La brochure touristique indiquant que les pourboires du personnel sont compris dans le prix de vente ne constitue pas un justificatif probant. Les contrats conclus avec les opérateurs de croisières ne prévoient pas un règlement de ces sommes en espèces. Les documents intitulés " cash advance " ou " receipt ", établis par les mêmes opérateurs, et dont le montant total en 2008 et 2009 correspond à celui des sommes retirées en espèces par la société requérante au cours de ces deux années, font état, pour certains, de frais de boissons et pourboires et, pour d'autres, de frais afférents à la prestation d'un groupe folklorique. Ils ne permettent pas d'établir une corrélation certaine entre les montants retirés en espèce et ceux facturés. Ainsi, le reçu établi par Costa Croisière le 25 avril 2009 mentionne une remise d'espèces à la même date, alors que le seul retrait effectué en 2009 par la société requérante est daté du 7 mai. Des incohérences de dates sont également observées entre les montants retirés et les reçus produits en mai 2008. Enfin, les libellés de certains reçus ne correspondent pas à des pourboires comme allégué par la SARL TMR International, mais à d'autres prestations. Dans ces conditions, la société requérante ne peut être regardée comme justifiant du montant et du caractère déductible des sommes qu'elle aurait versées en espèces. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause leur déduction au titre des exercices clos en 2009 et 2010.

S'agissant de la doctrine administrative :

7. La société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine référencée 4 C-427 du 30 octobre 1997, aujourd'hui référencée BOI-BIC-CHG-40-20-40 n° 230 du 30 août 2016 selon laquelle : " Sous réserve de l'application éventuelle des dispositions du 1 de l'article 240 du CGI, les pourboires versés par des commerçants ou industriels à des livreurs conformément aux usages de la profession sont déductibles à condition que la réalité des versements puisse être bien établie ", dès lors qu'elle n'entre pas dans ses prévisions, les pourboires en litige n'ayant pas été versés à des livreurs, et qu'en outre, comme il a été précisé au point précédent, la réalité des versements n'est pas établie.

8. Il résulte de ce qui précède que la SARL TMR International n'est pas fondée à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

S'agissant de la loi fiscale :

9. Aux termes de l'article 306 de la directive du 28 novembre 2006 : " Les Etats membres appliquent un régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur nom propre à l'égard du voyageur et lorsqu'elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d'autres assujettis. Le présent régime particulier n'est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d'intermédiaire et auxquelles s'applique, pour calculer la base d'imposition, l'article 79, premier alinéa, point c) ". Aux termes de l'article 307 de cette même directive : " Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l'article 306, par l'agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l'agence de voyages au voyageur. / La prestation unique est imposée dans l'État membre dans lequel l'agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. ". Aux termes de l'article 308 de cette directive : " Pour la prestation de services unique fournie par l'agence de voyages, est considérée comme base d'imposition et comme prix hors TVA, au sens de l'article 226, point 8), la marge de l'agence de voyages, c'est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l'agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d'autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. ". L'article 266 du code général des impôts, dont le e. du 1 a pour objet de transposer l'article 308 de cette directive, prévoit que la base d'imposition est " Pour les opérations d'entremise effectuées par les agences de voyages et les organisateurs de circuits touristiques, par la différence entre le prix total payé par le client et le prix effectif facturé à l'agence ou à l'organisateur par les entrepreneurs de transports, les hôteliers, les restaurateurs, les entrepreneurs de spectacles et les autres assujettis qui exécutent matériellement les services utilisés par le client ". Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ". Aux termes de l'article 262 du même code : " (...) II. Sont (...) exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 8° Les transports aériens ou maritimes de voyageurs en provenance ou à destination de l'étranger ou des territoires et départements d'outre-mer (...) ". Aux termes de l'article 262 bis de ce code : " Les prestations de services réalisées par les agences de voyages et les organisateurs de circuits touristiques sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée pour la partie de ces prestations se rapportant aux services exécutés hors de la Communauté européenne ". L'article 263 du même code dispose : " Les prestations de services effectuées par les intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui, lorsqu'ils interviennent dans des opérations exonérées par l'article 262 ainsi que dans les opérations réalisées hors du territoire des Etats membres de la Communauté européenne sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux agences de voyages et organisateurs de circuits touristiques. ".

10. Il résulte des articles 306 à 310 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que le régime particulier de taxe sur la valeur ajoutée prévu pour les agences de voyages et pour les organisateurs de circuits touristiques s'applique aux opérateurs économiques qui, même s'ils ne bénéficient pas formellement de la qualité d'agent de voyages ou d'organisateur de circuits touristiques, organisent en leur nom propre une ou des prestations de services généralement attachées à la réalisation d'un voyage et qui, pour fournir ces prestations, recourent à des tiers assujettis (CJUE 22-10-1998 aff. 308/96 et 94/97, Madgett et Baldwin). Il résulte également de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne que, lorsqu'un opérateur économique soumis aux dispositions du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations des agences de voyages effectue, contre le paiement d'un prix forfaitaire, des opérations composées de prestations de services fournies en partie par lui-même et en partie par d'autres assujettis, ce régime particulier s'applique uniquement aux prestations de services fournies par des tiers (CJUE 25-10-2012 aff. 557/11, 6e ch., Maria Kozak).

11. L'administration fiscale a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la marge, prévue par les dispositions du e. du 1. de l'article 266 du code général des impôts, des croisières vendues par la contribuable au cours des exercices clos en 2009 et 2010, au prorata du nombre d'escales situées dans l'Union européenne sur le nombre total d'escales effectuées. La SARL TMR International soutient qu'elle doit être exonérée de cette taxe, dès lors qu'elle agit comme intermédiaire transparent dans la fourniture d'une prestation de transport, exonérée de TVA en application de la jurisprudence communautaire.

12. Il résulte de l'instruction que les croisières ici en litige n'ont pas été organisées par la SARL TMR International, sur des bateaux affrétés par ses soins, mais par un autre opérateur, la SAS Croisières de France, et qu'elles ont été achetées par la société requérante en vue de la revente à des particuliers en son nom propre. Dans ces conditions, elle doit être regardée, au sens de la directive précitée comme de la loi fiscale française, comme ayant réalisé des opérations d'entremise en qualité d'agence de voyage, soumises au régime de la TVA sur la marge et non comme un intermédiaire transparent, auquel serait applicable le régime d'exonération prévu pour les prestations de transport maritimes de voyageurs en provenance ou à destination de l'étranger. A cet égard, et contrairement à ce que soutient la société requérante, celle-ci n'a pas fourni à ses clients " une prestation propre de transport constituant l'un des éléments du service touristique ", mais a recouru, pour l'ensemble des croisières ici en litige, qu'il s'agisse du transport, de l'hébergement, de la restauration et des animations, à des prestations acquises auprès de tiers, soumises, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 25 octobre 2012 précité, au régime dérogatoire de la TVA sur la marge. Enfin, la SARL TMR International ne saurait se prévaloir de l'arrêt de cette même Cour du 14 juillet 2011 (CJUE 14-7-2011 aff. 464/10, 7e ch., Pierre Henfling, Raphaël Davin et Koenraad Tanghe), qui ne traite pas de la situation qui est la sienne d'agence de voyage fournissant à ses clients une prestation d'entremise.

S'agissant de la doctrine administrative :

13. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ".

14. La SARL TMR International invoque, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction 3 C-04-03 publiée au bulletin officiel n° 168 du 22 octobre 2003 selon laquelle : " 1. Tout contrat par lequel un prestataire s'oblige, à titre principal, à transporter par mer ou par fleuve, sur un trajet défini par lui, un voyageur, constitue une prestation unique de transport, soumise dans sa totalité au taux réduit de la TVA. Ces prestations sont imposables pour la distance parcourue en France ou dans les eaux territoriales françaises, sous réserve toutefois des exonérations prévues aux articles 262 II 8° et 262 II 11° du code général des impôts. 2. Ainsi en est-il des croisières ou des excursions, dans lesquelles les divers services proposés aux passagers - tels que l'hébergement, la restauration ou les visites de sites - ne sont que l'accessoire de la prestation de transport. (...) ". Elle n'est toutefois pas fondée à s'en prévaloir, dès lors que cette instruction ne traite pas des opérations qu'elle réalise et qui sont ici en litige, à savoir des opérations d'entremise effectuées par une agence de voyage, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, mais des prestations de transport effectuées en propre par un assujetti.

15. La SARL TMR International n'est pas davantage fondée à se prévaloir de l'instruction du 18 mars 1986 référencée 3 L-3-86, relative aux opérations d'entremise réalisées par les agences de voyage, qui prévoit, pour les opérations de transports facturées séparément, une exonération de TVA pour les transports effectués de la France vers un autre pays de l'Union européenne ou hors Union européenne, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas même allégué, qu'elle facturerait séparément les prestations de transport des autres prestations, notamment d'hébergement et de restauration, vendues aux voyageurs s'agissant des croisières en litige.

16. La société requérante n'est pas fondée à invoquer la réponse ministérielle du 7 juin 2005 à Mme B..., selon laquelle : " Lorsqu'une agence de voyages vend des billets de transport d'une compagnie aérienne, la commission qu'elle perçoit de ses clients constitue la rémunération de la prestation d'entremise qu'elle leur rend. (...) Il est également précisé qu'en application des dispositions combinées des articles 263 et 262-11-8° du code déjà cité, la commission perçue par une agence de voyages qui intervient en tant qu'intermédiaire transparent dans la vente de billets d'avion est exonérée pour ce qui concerne le transport réalisé en provenance ou à destination de l'étranger ou des territoires ou départements d'outre-mer. (...) ", dès lors qu'elle traite du cas particulier de la vente de billets de transport de compagnies aériennes par les agences de voyages, ce qui ne correspond pas à sa situation.

17. Si la société requérante fait valoir que dans un jugement du 30 octobre 1997, le tribunal administratif de Marseille a fait droit, sur le fondement de ces doctrines, à sa demande en décharge du supplément de TVA auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er avril 1997 au 31 mars 2001, la Cour administrative de Marseille n'a pas, contrairement à ce qu'elle soutient, confirmé au fond cette position, mais s'est bornée, dans son arrêt du 28 juin 2012, à constater que les rehaussements en litige portaient en totalité sur des prestations de croisière organisées par la SARL TMR Internationale elle-même, et non sur des croisières revendues par elle en qualité d'agence de voyage.

18. La société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de ce que, au titre d'un redressement ultérieur sur la période du 1er avril 2013 au 31 janvier 2017, l'administration fiscale a, dans sa réponse aux observations du contribuable du 3 octobre 2017, abandonné la rectification initialement envisagée pour le même motif que dans le présent litige, dès lors, d'une part, que cet abandon, au demeurant postérieur à la période d'imposition en litige, n'est pas motivé et ne saurait, par conséquent, constituer une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait et, d'autre part, que la rectification portait sur des croisières organisées par la société et non vendues en tant qu'agence de voyage.

19. La société requérante fait enfin valoir qu'en raison de ses prises de position changeantes, contradictoires et équivoques s'agissant du régime de TVA applicable aux opérations qu'elle réalise, l'administration fiscale a méconnu les principes généraux du droit communautaire de sécurité juridique et de confiance légitime. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, outre que la réglementation applicable n'a pas sensiblement évolué sur la période, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale n'a pas modifié sa position en la matière, dès lors d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit au point 17 ci-dessus, le premier rehaussement mis à sa charge ne concernait finalement que le régime de la TVA sur les croisières organisées par elle-même, pour lequel l'administration a admis en appel qu'elle pouvait bénéficier de l'exonération, d'autre part, que le dernier rehaussement, qui portait sur le même type de prestations, a été abandonné avant sa mise en recouvrement, et enfin, que celui présentement en litige concerne uniquement son activité d'entremise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne peut qu'être écarté.

20. Il résulte de ce qui précède que la SARL TMT International n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période correspondant aux exercices clos en 2009 et 2010, ainsi que des intérêts de retard y afférents.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par la SARL TMR International au titre de l'impôt sur les sociétés, est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SARL TMR International devant le tribunal administratif de Marseille en tant qu'elle concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010 et les conclusions de la requête de la SARL TMR International devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL TMR International et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2019, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Haïli, premier conseiller,

- Mme Courbon, premier conseiller.

Lu en audience publique le 11 avril 2019.

10

N°17MA04359


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA04359
Date de la décision : 11/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Opposabilité des interprétations administratives (art - L - 80 A du livre des procédures fiscales) - Absence.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: M. OUILLON
Avocat(s) : SCP LOUIT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-04-11;17ma04359 ?
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