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02/04/2019 | FRANCE | N°18MA01245

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 02 avril 2019, 18MA01245


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision implicite de rejet révélée par le silence gardé par la présidente de l'office de l'environnement de Corse sur sa demande du 28 juin 2016 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1601065 du 18 janvier 2018, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision et a enjoint à l'office de l'environnement de la Corse d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle,

dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision implicite de rejet révélée par le silence gardé par la présidente de l'office de l'environnement de Corse sur sa demande du 28 juin 2016 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1601065 du 18 janvier 2018, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision et a enjoint à l'office de l'environnement de la Corse d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mars 2018, l'office de l'environnement de la Corse, représenté par Me E... demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 18 janvier 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

* à titre principal, les juridictions administratives ne sont pas compétentes matériellement ;

* à titre subsidiaire, M. B... ne peut se prévaloir utilement des dispositions de la loi du 13 juillet 1983, applicables aux seuls fonctionnaires ;

* le refus de protection fonctionnelle est justifié.

Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2018, M. D... B...représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre à l'office de l'environnement de la Corse de prendre en charge ses frais d'avocats, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'office de l'environnement de la Corse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que l'exception d'incompétence et les moyens soulevés par l'office de l'environnement de la Corse ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 janvier 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 février 2019 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 ;

* la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

* le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. d'Izarn de Villefort en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de Mme Tahiri,

* les conclusions de M. Coutel, rapporteur public,

* les observations de Me E..., représentant l'office de l'environnement

de la Corse,

* et les observations de Me C..., représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... exerce ses fonctions depuis le 19 août 2013 au sein de l'office de l'environnement de la Corse en qualité de responsable des ressources humaines et du contrôle de gestion. Il a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'office de l'environnement de la Corse sur sa demande de protection fonctionnelle du 28 juin 2016. L'office de l'environnement de la Corse fait appel du jugement du 18 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'office de l'environnement de la Corse a été institué par l'article 57 de la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité de Corse pour assurer la mise en valeur, la gestion, l'animation et la promotion du patrimoine de la Corse dans le cadre des orientations définies par la collectivité territoriale de Corse. En vertu de l'article 3 des statuts de cet établissement public, modifiés par délibération de l'assemblée de Corse du 18 décembre 2002, il peut intervenir en tant que maître d'ouvrage recevant délégation de la collectivité territoriale ou de toute autre personne de droit public ou privé, maître d'oeuvre ou prestataire de service. L'article 19 de ce même texte précise que les ressources de l'office sont couvertes par des crédits versés par la collectivité territoriale de Corse, des dotations et subventions provenant d'organismes publics ou privés, des rémunérations pour services rendus, des dons et legs, des emprunts, des revenus issus de biens mobiliers ou immobiliers et tous autres produits générés par son activité. Alors même que l'article 1er desdits statuts confère à l'office un caractère industriel et commercial, il n'est pas contesté que l'essentiel des ressources de cet établissement public provient de dotations de la collectivité territoriale de Corse destinées au financement de ses missions de service public. Il ressort par ailleurs du rapport d'enquête administrative sur l'office de l'environnement de la Corse du mois de septembre 2015 que le statut du personnel présente de fortes similitudes avec le statut de la fonction publique territoriale. Il suit de là que cet organisme, en dépit de sa qualification d'établissement public industriel et commercial par ses statuts, a de façon prépondérante un caractère administratif compte tenu de ses missions, de ses ressources et de son organisation et que ses agents, à l'exception de ceux d'entre eux qui ne participent pas à l'exécution du service public administratif, ont la qualité d'agents publics.

3. D'autre part, M. B... a été recruté par contrat à durée indéterminée du 12 août 2013. Il a été par la suite titularisé par arrêté du 22 avril 2015 en qualité de chef du département des ressources humaines et du contrôle de gestion au sein de l'office de l'environnement de la Corse, en application de l'article 23 des statuts de cet établissement. Eu égard à ses missions, il participait directement à l'exécution du service public administratif assumé par cet office. Dès lors, il avait la qualité d'agent public. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient l'office de l'environnement de la Corse, le juge administratif est compétent pour connaître de la légalité de la décision refusant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

Aux termes de l'article 11 de cette même loi : " I.- À raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) / IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que M. B... avait la qualité d'agent public d'un établissement public rattaché à la collectivité de Corse. Il pouvait donc, pour contester la légalité du refus de protection fonctionnelle dont il a fait l'objet, se prévaloir des dispositions susmentionnées de l'article 11 loi du 13 juillet 1983 qui sont applicables tant aux fonctionnaires qu'aux agents contractuels en vertu de l'article 32 de cette même loi.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., dès son recrutement à compter d'août 2013, a rencontré de nombreuses difficultés avec des agents de l'office de l'environnement ainsi que des représentants syndicaux qui ont refusé de travailler avec lui, ont remis en cause ses compétences professionnelles et ont tenu à son égard des propos xénophobes ainsi que cela ressort notamment du communiqué du 31 octobre 2013 et de la note de synthèse du 30 octobre 2013 établis par l'ancien directeur de l'office, relatant le déroulement de la commission de suivi des carrières réunie le 29 octobre 2013 ainsi que la réunion tenue avec le syndicat des travailleurs corses (STC) le 28 octobre 2013 et dénonçant le comportement des représentants du personnel qui avaient quitté la réunion " non sans traiter, une nouvelle fois, avec mépris et condescendance le responsable des ressources humaines avec qui l'échange semble pour certains proscrit " et qui avaient tenus des propos racistes et dénigrants à l'égard de M. B... en faisant état de ce que " ce qui se dit à l'extérieur est qu'il est noir " et " peut-être est-il compétent pour ailleurs mais en pas en Corse ". Il ressort également des pièces du dossier qu'en décembre 2013, l'intersyndicale STC-CGT a déposé un préavis de grève illimité demandant l'arrêt immédiat du contrat de travail de M. B....

Il ressort du rapport d'enquête administrative sur l'office de l'environnement de la Corse établi en 2015 que l'ancien directeur de cet établissement public avait à nouveau rappelé dans une note d'information du 28 novembre 2014 que le responsable des ressources humaines " doit être respecté et son éviction systématique de la communication constitue une atteinte grave aux droits de la personne " et que ce dernier était " avec obstination (...) délibérément exclu des échanges ". Enfin, il ressort des certificats médicaux produits par M. B... qu'il a été placé, en raison de ces faits, en congé pour maladie au titre d'un syndrome anxio-dépressif.

8. Les éléments de fait circonstanciés, dénoncés par M. B... et corroborés par les pièces qu'il produit, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral. Il incombe dès lors à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. L'office de l'environnement de la Corse ne verse aucun élément en ce sens. En outre, il ne peut utilement faire valoir qu'une partie des faits est imputable à des organisations extérieures à l'établissement et qu'il a mis en oeuvre des mesures destinées à vérifier et à mettre fin à la situation dénoncée par M. B..., l'obligation de protection ayant pour objet, ainsi qu'il a été rappelé au point 4, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé mais également d'assurer à celui-ci une réparation adéquate ou l'octroi d'une assistance dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision attaquée, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce que cette décision était entachée d'une erreur dans l'appréciation de la situation de M. B... au regard des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'office de l'environnement de la Corse n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision attaquée.

Sur les conclusions incidentes aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... :

10. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a déjà enjoint à l'office de l'environnement de la Corse d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Ainsi, les conclusions susvisées de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'office de l'environnement de la Corse de prendre en charge ses frais d'avocats, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard, doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance d'appel :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'office de l'environnement de la Corse à verser à M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'office de l'environnement de la Corse.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'office de l'environnement de la Corse est rejetée

Article 2 : L'office de l'environnement de la Corse versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B...et à l'office de l'environnement de la Corse.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2019, où siégeaient :

* M. d'Izarn de Villefort, président,

* M. A... et Mme Tahiri, premiers conseillers.

Lu en audience publique le 2 avril 2019.

N° 18MA01245 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA01245
Date de la décision : 02/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur ?: Mme Samira TAHIRI
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP MORELLI MAUREL et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-04-02;18ma01245 ?
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