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30/11/2018 | FRANCE | N°18MA00762

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 30 novembre 2018, 18MA00762


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1603235 du 2 janvier 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 juin 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1603235 du 2 janvier 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 février 2018 et le 19 avril 2018, M. E..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 2 janvier 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 9 juin 2016 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de la société Groupe Services France la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'inspecteur du travail était incompétent pour prendre la décision en litige ;

- les faits pris en compte pour autoriser son licenciement sont survenus hors du lieu et du temps de travail ;

- en admettant même que ces faits puissent se rattacher à son contrat de travail, ils n'étaient pas d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement ;

- cette décision est en lien avec ses mandats de membre titulaire du comité d'entreprise et de délégué du personnel suppléant.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 avril 2018 et le 13 juin 2018, la société Groupe Services France, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la ministre du travail qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guidal,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société Groupe Services France.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 9 juin 2016, l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes a autorisé la société Groupe Services France à licencier pour faute M. E..., membre titulaire du comité d'entreprise et délégué du personnel suppléant. L'inspecteur du travail s'est fondé sur la circonstance que lors d'une soirée festive organisée par l'entreprise au cours de la nuit du 14 au 15 avril 2016, M. E... avait eu une attitude inconvenante. M. E... relève appel du jugement du 2 janvier 2018, par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail s'est fondé, pour autoriser le licenciement de M. E... sur le fait que l'intéressé, lors d'une soirée festive organisée par son entreprise, était monté sur scène à trois heures du matin, avait baissé son pantalon puis, par surprise et dans un temps très bref, celui du directeur de la communication, certes hors la présence de la majorité des directeurs et du personnel, mais alors que deux cents à deux cent cinquante personnes étaient encore présentes dans la salle. Il a estimé que ces faits, qui présentaient un caractère inconvenant et agressif, constituaient une faute d'une gravité suffisante pour autoriser le licenciement de l'intéressé.

4. Les faits dont il s'agit se sont déroulés au Pavillon Baltard à Paris, lors d'un évènement festif organisé par l'employeur du salarié. Cet évènement se déroulait sur deux journées, la première ayant pour objet d'informer le personnel sur les résultats annuels du groupe ainsi que de remettre des " Palmes " aux commerciaux ayant obtenu les meilleurs résultats et la seconde ayant pour but d'associer les salariés à des jeux et s'achevant par un repas et une soirée dansante. M. E... qui avait été recruté en février 1990 en qualité de chef de groupe comptable, agent de maîtrise, n'a participé qu'aux activités organisées lors de la seconde journée. Même si les faits en cause se rattachent à la vie professionnelle du salarié et à l'entreprise, ils sont néanmoins intervenus en dehors de son lieu de travail situé à Biot dans le département des Alpes-Maritimes ainsi que de ses horaires de travail et donc en-dehors de l'exécution de son contrat de travail. Il résulte, par suite, de ce qui a été dit au point 2 qu'ils ne peuvent motiver un licenciement pour faute que s'ils sont susceptibles de traduire la méconnaissance par M. E... d'une obligation découlant de ce contrat.

5. Si l'inspecteur du travail a relevé dans sa décision que le règlement intérieur de l'entreprise imposait à chaque salarié le respect des règles de savoir-vivre, il ne résulte pas du contrat de travail une obligation de cette nature qui s'imposerait au salarié à l'égard de tous ses collègues en dehors du lieu et du temps du travail. Par suite, à supposer même que M. E... aurait adopté au cours de l'évènement festif organisé par son employeur une attitude inconvenante à l'égard de certains de ses collègues, il n'a pas pour autant méconnu une obligation " de savoir-vivre et de savoir être en collectivité " qui aurait découlé de son contrat de travail.

6. En revanche, ni le contexte festif dans lequel se sont déroulés les faits en cause, ni les liens de camaraderie allégués entre M. E... et le directeur de la communication, n'autorisaient l'intéressé, qui a agi par surprise et devant de nombreux salariés encore présents à cette heure tardive, à adopter à l'égard de son collègue un comportement irrespectueux. Cet acte délibérément commis sur la personne d'un collègue, certes en dehors du lieu du travail mais dans le cadre de la vie professionnelle du salarié, doit être regardé comme une méconnaissance par celui-ci de son obligation, découlant de son contrat de travail, de ne pas porter atteinte à la dignité d'autres membres du personnel. Il présente, par suite, un caractère fautif.

7. Il appartient, cependant, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement fautif est caractérisé, de prendre en compte notamment le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. En l'espèce, il ressort des témoignages circonstanciés et concordants produits par le requérant, qui ne sauraient être écartés aux seuls motifs qu'ils émanent d'anciens salariés de l'entreprise, que la société Groupe Services France veillait au cours des diners spectacles qu'elle organisait chaque année à l'attention de ses salariés à ce que les boissons alcoolisées y soient disponibles en grande quantité et tolérait que s'y déroulent certaines scènes débridées. Au cas d'espèce, le comportement reproché au requérant est intervenu dans un contexte de desserrement des rapports hiérarchiques caractérisant ce type de festivité et de tolérance manifestée dans le passé par l'entreprise. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce comportement aurait été dicté par la volonté de nuire ou d'humilier. Il n'est pas davantage établi que M. E... ait fait preuve à l'égard de son collègue d'agressivité. Si pour fonder sa décision, l'inspecteur du travail a également relevé que deux autres procédures de licenciement pour faute avaient été initiées à l'encontre de l'intéressé par son employeur en 2015 et qu'il convenait de tenir compte des faits à l'origine de ces procédures pour apprécier la gravité de la faute, il ressort des pièces du dossier que ceux-ci n'ont pas été sanctionnés. Dès lors, ils ne pouvaient être pris en compte. Il s'ensuit que l'inspecteur du travail a fait, dans les circonstances de l'espèce, une inexacte application des dispositions du droit du travail en estimant que la faute commise était suffisamment grave pour justifier le licenciement de M. E....

8. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Groupe Services France le versement à M. E... d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. E... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 2 janvier 2018 et la décision du 9 juin 2016 de l'inspecteur du travail de la 2ème section de l'unité territoriale des Alpes-Maritimes sont annulés.

Article 2 : La société Groupe Services France versera à M. E... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Groupe Services France présentées au titre de l'article L 61-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à la société Groupe Services France et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2018 où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 30 novembre 2018.

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N° 18MA00762

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00762
Date de la décision : 30/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Absence de faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP D'ASTE - GERAUD TONELLOT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-11-30;18ma00762 ?
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