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15/10/2018 | FRANCE | N°16MA03355

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 15 octobre 2018, 16MA03355


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...I...E...et Mme D...I...E...ont demandé au tribunal administratif de Bastia, par deux requêtes distinctes, d'annuler l'arrêté du 4 juin 2014 par lequel le maire de Lumio a délivré au nom de l'Etat un permis de construire à Mme C...B...en vue de la reconstruction d'une maison d'habitation, ainsi que les décisions implicites du maire et du préfet de la Haute-Corse rejetant leurs recours administratifs des 25 et 30 juillet 2014 contre ce permis.

Par un jugement n° 1401011- 1401015 du 7 juillet

2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs demandes après les av...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...I...E...et Mme D...I...E...ont demandé au tribunal administratif de Bastia, par deux requêtes distinctes, d'annuler l'arrêté du 4 juin 2014 par lequel le maire de Lumio a délivré au nom de l'Etat un permis de construire à Mme C...B...en vue de la reconstruction d'une maison d'habitation, ainsi que les décisions implicites du maire et du préfet de la Haute-Corse rejetant leurs recours administratifs des 25 et 30 juillet 2014 contre ce permis.

Par un jugement n° 1401011- 1401015 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leurs demandes après les avoir jointes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 12 août 2016, 1er décembre 2017, 4 avril et 14 juin 2018, M. et Mme I...E..., représentés par MeH..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 juillet 2016 ;

2°) d'annuler le permis de construire délivré par le maire de Lumio à Mme B...le 4 juin 2014 et les décisions implicites du maire et du préfet de la Haute-Corse rejetant leurs recours administratifs des 25 et 30 juillet 2014 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lumio et de l'Etat une somme de 2 500 euros chacun à leur verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

-ils ont intérêt à agir en application de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ;

-le permis de construire du 20 septembre 1994 a été tacitement retiré par le maire de Lumio sur demande de son bénéficiaire du 8 août 1998 et a disparu de l'ordonnancement juridique, faisant obstacle à ce que la construction soit regardée comme régulièrement édifiée ;

-à défaut, la communication par l'administration de la décision de retrait de ce permis de construire est indispensable à la solution du litige ;

-Mme B...ne pouvait plus se prévaloir du droit à reconstruction prévu par les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme résultant de la loi du 12 mai 2009 alors qu'elle n'a pas formé de demande dans un délai raisonnable depuis le sinistre du 5 mai 1995 ;

-la construction initiale n'était pas achevée mais encore en chantier lors de l'attentat ;

-le bâtiment ne pouvait être regardé comme régulièrement édifié, les travaux inachevés n'étant, en outre, pas conformes au permis de construire quant à l'ouverture du garage ;

-en tout état de cause, le maire devait refuser la demande de permis dès lors que le droit de reconstruire exposait les occupants à un risque certain pour leur sécurité, en application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

-le plan de prévention des risques d'incendie de forêt de Lumio approuvé le 11 août 2015 reprenant le zonage du précédent plan annulé classe le terrain en risque sévère ;

-le règlement de la zone rouge subordonne la reconstruction d'un bâtiment sinistré à des conditions non remplies en l'espèce ;

-les dispositions de la loi relative au littoral qui s'imposent directement à l'autorisation d'urbanisme s'appliquent en l'espèce au terrain constituant un espace proche du rivage au sens du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et non urbanisé en hameau.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 août 2017 et 4 mai 2018, Mme B...représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge solidaire de M. et Mme I...E...la somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les requérants ne justifient pas d'un intérêt suffisant pour agir contre le permis ;

- aucun des moyens invoqués contre le jugement et les décisions en litige n'est fondé.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 janvier 2018, le ministre de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens tirés de la méconnaissance par le permis du plan de prévention des risques et de la loi relative au littoral sont inopérants ;

- aucun des moyens invoqués contre le jugement attaqué n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ;

- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., substituant MeH..., représentant M. et Mme I...E....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 4 juin 2014, le maire de Lumio agissant au nom de l'Etat a délivré un permis de construire à Mme B...en vue de la reconstruction à l'identique d'un bâtiment d'habitation, sur un terrain cadastré C n° 488 constituant le lot n° 8 du lotissement Coddani. M. et Mme I...E..., propriétaires du lot n° 10 du même lotissement, après avoir formé en vain des recours gracieux et hiérarchiques auprès du maire de Lumio et du préfet de la Haute-Corse, ont demandé au tribunal administratif de Bastia l'annulation tant du permis de construire que des décisions implicites de rejet de leurs recours administratifs. Le tribunal a rejeté leurs demandes, après les avoir jointes, par un jugement du 7 juillet 2016. M. et Mme I...E...relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le bénéfice du droit de reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit :

2. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : " La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié ". La loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, a modifié ces dispositions pour prévoir que : " La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié. ".

3. En premier lieu, lorsqu'une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'un droit précédemment ouvert sans condition de délai, ce délai est immédiatement applicable mais ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Si, en adoptant les dispositions de la loi du 13 décembre 2000 insérées à l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, le législateur n'a pas entendu permettre aux propriétaires d'un bâtiment détruit de le reconstruire au-delà d'un délai raisonnable afin d'échapper à l'application des règles d'urbanisme devenues contraignantes, les modifications apportées à cet article par la loi du 12 mai 2009 ont notamment eu pour objet de créer expressément un délai ayant pour effet d'instituer une prescription extinctive du droit, initialement conféré par la loi du 13 décembre 2000 aux propriétaires d'un bâtiment détruit par un sinistre, de le reconstruire à l'identique. Il en résulte que le délai qu'elle instaure n'a commencé à courir, dans tous les autres cas de destruction d'un bâtiment par un sinistre, qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.

4. Mme B...a présenté le 7 avril 2014 la demande de permis de construire visant à la reconstruction à l'identique du bien qu'elle avait acquis le 30 mai 2001 et qui avait été partiellement détruit le 5 mai 1995, à la suite d'un attentat à l'explosif. Cette demande ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant été formée au-delà d'un délai raisonnable, selon la conception qui prévalait sous l'empire de la loi du 13 décembre 2000. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait eu pour objet d'échapper à l'application de règles d'urbanisme devenues contraignantes. Par suite, lors de l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009, Mme B...pouvait encore se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme dans leur rédaction issue de la loi précédente. Le délai de dix ans institué par la loi du 12 mai 2009 n'ayant commencé à courir à son égard, s'agissant d'un bâtiment détruit par un sinistre, que le 14 mai suivant, Mme B...pouvait donc valablement à la date du 7 avril 2014 demander un permis de construire sur le fondement de ces dispositions.

5. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ont pour objet de permettre la reconstruction d'un bâtiment effectivement édifié avant sa destruction. En l'espèce, le précédent propriétaire de la parcelle avait obtenu un permis de construire, le 20 septembre 1994, en vue d'édifier une maison d'habitation d'un étage sur rez-de-jardin, qu'il a mis en oeuvre en faisant réaliser les travaux de construction y afférents. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bastia et réalisée le 19 novembre 1997, qu'à la date du 5 mai 1995 à laquelle un attentat à l'explosif a été commis contre l'immeuble, le bâtiment était construit, clos par un toit et pourvu d'huisseries. Si des finitions restaient à réaliser notamment en matière de peinture et d'électricité, les travaux devaient être réceptionnés le même mois pour permettre une occupation à compter de juin 1995, le propriétaire ayant déjà procédé à la livraison de meubles à cet effet. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ne trouveraient pas à s'appliquer, alors même que le bénéficiaire du permis n'aurait pas procédé au dépôt d'une déclaration d'achèvement des travaux, et que l'acte de vente du terrain à Mme B...établi en 2001 ne mentionnerait pas clairement sa qualité de terrain bâti.

6. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, le bâtiment partiellement détruit a été édifié en exécution d'un permis de construire régulièrement délivré au propriétaire du terrain, le 20 septembre 1994. La circonstance que celui-ci, renonçant à occuper son bien à la suite de l'attentat, ait demandé par courrier du 8 août 1998 au maire de Lumio de " révoquer " le permis de construire n'a pu conduire à un quelconque retrait rétroactif de l'autorisation de construire qu'il avait obtenue puis mise en oeuvre, le silence gardé par l'autorité administrative sur cette demande ayant nécessairement fait naître une décision implicite de rejet. Il ne ressort, par ailleurs, pas des pièces du dossier, et notamment des plans de la demande de permis de construire initiale ainsi que des photographies du bien partiellement détruit dont subsiste le rez-de-jardin, que la construction du bâtiment aurait été exécutée de manière non conforme au projet autorisé en ce qui concerne l'emplacement de l'ouverture du garage. Le bâtiment dont la reconstruction a été autorisée par le permis en litige était, dès lors, régulièrement édifié.

7. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin de faire droit à la mesure d'instruction demandée par les requérants, que ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir que la demande de reconstruction à l'identique de l'immeuble détruit présentée par Mme B...méconnaitrait les conditions prévues par l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme.

En ce qui concerne le risque pour la sécurité publique :

8. Par les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, le législateur n'a pas entendu donner le droit de reconstruire un bâtiment dont les occupants seraient exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité. Il en va notamment ainsi lorsque c'est la réalisation d'un tel risque qui a été à l'origine de la destruction du bâtiment pour la reconstruction duquel le permis est demandé. Dans une telle hypothèse, il y a lieu, pour l'autorité compétente, de refuser le permis de construire ou de l'assortir, si cela suffit à parer au risque, de prescriptions adéquates, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

9. L'absence de plan de prévention des risques d'incendie de forêt en vigueur pour le territoire de la commune de Lumio à la date du permis de construire en litige, à la suite de l'annulation juridictionnelle du plan approuvé le 13 juillet 2011, ne fait pas obstacle à ce que soit utilement invoquée, le cas échéant, l'existence à cette date d'un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger la sécurité des occupants du bâtiment à reconstruire. Toutefois, en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un risque d'une telle nature était constitué du seul fait du classement du secteur géographique où se situe le terrain d'assiette dans une zone de risque " sévère " d'incendie de forêt nécessitant le respect de précautions particulières en matière d'accessibilité des constructions et de débroussaillage des terrains et de leurs abords, dont Mme B...soutient au demeurant sans être valablement contredite que celles-ci sont respectées notamment en ce qui concerne la voie d'accès du lotissement Coddani. Il n'apparaît dès lors pas que le risque présenté par l'immeuble, objet de la demande de permis, présentait des caractéristiques imposant de refuser le permis de construire sollicité en application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

En ce qui concerne l'invocation des dispositions législatives relatives au littoral :

10. Il résulte de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme que, dès lors qu'un bâtiment a été régulièrement construit, seules des dispositions expresses de la réglementation locale d'urbanisme prévoyant l'interdiction de la reconstruction à l'identique de bâtiments détruits par sinistre ou démolis peuvent faire légalement obstacle à sa reconstruction. Les dispositions des I et II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur imposant des restrictions au droit de construire dans les communes littorales et les espaces proches du rivage ne peuvent, en revanche, être opposées à une demande fondée sur l'article L. 111-3. Par suite, les moyens invoqués par les requérants et tirés de la violation par le projet autorisé des I et II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme doivent, en conséquence, être écartés.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée de la demande de M. et Mme I...E..., que ceux-ci ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 juillet 2016.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ou de la commune, qui n'est pas partie au litige. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. et Mme I...E...le versement d'une somme de 2 000 euros à Mme B...en application des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. et Mme E...est rejetée.

Article 2 : M. et Mme E...verseront à Mme B...une somme de 2 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G...I...E..., à Mme D...I...E..., à Mme C...B...et au ministre de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, à la commune de Lumio.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2018, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.

Lu en audience publique, le 15 octobre 2018.

2

N° 16MA03355


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA03355
Date de la décision : 15/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Nature de la décision - Octroi du permis.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Légalité interne du permis de construire - Légalité au regard de la réglementation nationale - Dispositions législatives du code de l'urbanisme.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : SELARL GRIMALDI - MOLINA et ASSOCIÉS - AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-10-15;16ma03355 ?
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