Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme E... F...ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet des Alpes de Haute-Provence a rejeté leur demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du refus de leur accorder à raison de leur qualité de rapatrié un secours exceptionnel et, d'autre part, de condamner l'Etat à leur verser la somme de 300 000 euros au titre des préjudices qu'ils affirment avoir subis en raison de ce comportement fautif et de la durée excessive des procédures d'indemnisation.
Par un jugement n° 1503262 du 28 juin 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2016, M. et Mme F..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 juin 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 300 000 euros en réparation de leur préjudice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de la longueur des procédures d'indemnisation ;
- le préfet s'est illégalement abstenu de prendre une décision sur leur demande d'aide exceptionnelle, cette carence étant à l'origine de la vente de leur maison d'habitation ;
- la durée excessive de l'instruction de leur demande d'indemnisation devant les différentes instances compétentes est également constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat n'a pas tenu ses promesses d'indemnisation ;
- ces différentes fautes leur ont occasionné un préjudice matériel et un préjudice moral dont ils sont fondés à demander l'indemnisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2018, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, représenté par la SCP Matuchansky Poupot Valdelièvre, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucune demande indemnitaire préalable n'a été présentée au titre des préjudices qui trouveraient leur origine dans la longueur excessive de la procédure initiée en 1996 devant la commission départementale d'aide aux rapatriés réinstallés (CODAIR) ;
- ces dernières prétentions indemnitaires se heurtent en outre à la prescription quadriennale ;
- les autres moyens soulevés par les époux F...ne sont pas fondés.
M. et Mme F...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 modifiée, relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 62-261 du 10 mars 1962 modifié, relatif aux mesures prises pour l'accueil et le reclassement professionnel et social des bénéficiaires de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961, notamment son article 41-1 ;
- le décret n° 99-469 du 4 juin 1999 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guidal,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
1. Considérant que M. et Mme F... ont demandé à l'Etat la réparation des préjudices matériels et moraux qu'ils estiment avoir subis du fait du refus du préfet des Alpes de Haute-Provence de leur accorder le bénéfice des dispositions de l'article 61-1 du décret du 10 mars 1962 qui instaurent un secours exceptionnel en faveur des rapatriés qui rencontrent de graves difficultés économiques et financières liées à des dettes qui, à défaut d'aide de l'Etat, les obligeraient à vendre leur résidence principale ; qu'ils relèvent appel du jugement du 28 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande d'indemnisation ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'en jugeant au point 3 du jugement attaqué que M. et Mme F... ne pouvaient utilement se prévaloir d'un préjudice résultant du délai nécessité par l'instruction de leur situation au titre du surendettement, qu'il s'agisse des procédures juridictionnelles ou administratives, dès lors que leur demande indemnitaire reposait sur le refus de leur accorder le secours exceptionnel prévu par le décret du 23 mars 2007, le tribunal administratif a nécessairement écarté le moyen tiré de la longueur excessive des procédures ; que le jugement attaqué n'est donc entaché d'aucune omission de statuer sur ce moyen ;
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité du fait de l'absence de versement d'un secours exceptionnel :
3. Considérant que l'article 41-1 du décret du 10 mars 1962 relatif aux mesures prises pour l'accueil et le reclassement professionnel et social des bénéficiaires de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-398 du 23 mars 2007, dispose que : " Le représentant de l'Etat dans le département peut accorder des secours exceptionnels : / - au bénéfice des personnes ayant la qualité de "rapatrié" au regard de l'article 1er de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 ; (...) / Ces secours peuvent être accordés : / - lorsque les demandeurs rencontrent de graves difficultés économiques et financières liées à des dettes, à l'exception des dettes fiscales, contractées avant le 31 juillet 1999, qui, à défaut d'aide de l'Etat, les obligeraient de manière certaine et imminente à vendre leur résidence principale ; (...) / Le représentant de l'Etat dans le département apprécie s'il y a lieu ou non d'accorder un secours exceptionnel, au vu des circonstances de l'espèce. Il examine la situation au regard notamment des procédures de traitement du surendettement prévues au titre III du livre III du code de la consommation et de l'article L. 526-1 du code de commerce. / Le représentant de l'Etat dans le département fixe le montant du secours exceptionnel nécessaire au regard de la dette et des ressources de l'intéressé. En tout état de cause, ce montant ne peut pas être supérieur à la valeur de la résidence principale estimée par le trésorier-payeur général. / L'aide n'est accordée et versée que si le bénéficiaire justifie de la régularité de sa situation fiscale. Elle est réglée directement aux créanciers ou au mandataire en cas de procédure collective " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un secours exceptionnel peut être accordé par le représentant de l'Etat dans le département au bénéfice des personnes ayant la qualité de "rapatrié" lorsque qu'elles rencontrent de graves difficultés économiques et financières qui, à défaut d'aide de l'Etat, les obligeraient de manière certaine et imminente à vendre leur résidence principale et que ces difficultés sont liées à des dettes, exception faite des dettes fiscales, qu'elles ont contractées avant le 31 juillet 1999; que toutefois l'octroi et le versement de cette aide sont subordonnés à la justification par le demandeur de la régularité de sa situation fiscale ;
5. Considérant que pour refuser en 2010 à M. F...le bénéfice des dispositions précitées de l'article 41-1 du décret du 10 mars 1962, le préfet des Alpes de Haute-Provence s'est fondé, ainsi qu'il le précise dans ses écritures de première instance, sur la circonstance que l'intéressé n'avait jamais justifié de la régularité de sa situation fiscale, alors qu'il ressortait d'un procès-verbal de 2006 de la commission nationale d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée que M.F..., assujetti à l'impôt, avait cessé tout paiement au Trésor public depuis 1989, ne remplissait plus depuis l'année en cause ses obligations déclaratives et qu'il n'avait jamais apuré sa situation fiscale depuis l'année 2006; qu'il résulte de l'instruction et notamment des éléments communiqués par le requérant émanant de la direction départementale des finances publiques des Alpes de Haute-Provence, qu'à la date de la décision implicite rejetant sa demande de secours exceptionnel, M. F...restait personnellement redevable envers l'Etat d'une dette de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 144 963 euros au titre de la période correspondant aux années 1998 à 2008 et que son passif fiscal était de 17 742 euros pour la période courant de janvier 1998 à juillet 1999 ; que la circonstance invoquée tenant à ce que la plus grande partie de cette dette fiscale aurait été constatée au titre d'une période postérieure au 31 juillet 1999 est à cet égard sans incidence, dès lors qu'il incombe à l'autorité administrative d'apprécier la condition tenant à la régularité de la situation fiscale du demandeur à la date à laquelle elle se prononce ; qu'est, par ailleurs, inopérante la circonstance invoquée tirée de ce que le montant de la dette fiscale serait inférieur à la valeur du bien immobilier des époux F...; que, dans ces conditions, le préfet était légalement fondé à refuser, pour le motif invoqué, le secours sollicité ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ce refus serait fautif et de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
6. Considérant que si le préfet des Alpes de Haute-Provence a saisi la mission interministérielle des rapatriés pour tenter d'obtenir l'effacement de la dette fiscale de M. F... sans que cette démarche n'aboutisse, cette circonstance ne révèle, en l'espèce, aucun comportement fautif ; que, par ailleurs, la circonstance invoquée tenant à ce que la maison d'habitation des époux F...a été adjugée sur licitation par jugement du 5 mai 2011 du tribunal de grande instance de Digne les Bains n'est pas davantage de nature à établir, en elle-même, l'existence d'une faute de l'Etat, dès lors qu'il résulte de l'instruction que, comme il a été dit précédemment, l'intéressé s'est lui-même privé du bénéfice du secours exceptionnel auquel il aurait pu prétendre en ne respectant pas ses obligations fiscales ;
En ce qui concerne la responsabilité en raison de la longueur des procédures et de promesses non tenues :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'avant de solliciter un secours exceptionnel sur le fondement de l'article 41-1 du décret du 10 mars 1962, les époux F...ont demandé à bénéficier du dispositif de désendettement en faveur des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée prévu par le décret n° 99-469 du 4 juin 1999 ; que la commission nationale de désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée (CONAIR) a, par une décision du 15 octobre 1999, déclaré M. F... éligible à ce dispositif ; que toutefois, par une décision du 12 juillet 2007, elle a rejeté la demande d'aide aux motifs, d'abord que l'intéressé n'avait pas transmis les pièces justifiant de l'éligibilité de ses dettes, ensuite, que le plan d'apurement présenté pour lequel il proposait de contribuer à hauteur de 0,55 % de ses dettes était manifestement déséquilibré et, enfin, qu'il n'avait pas justifié de sa situation fiscale; qu'en l'espèce, la longueur de la procédure qui s'est déroulée sur plusieurs années s'explique, d'une part, par les délais inhérents à la négociation d'un plan d'apurement global et définitif de l'ensemble des dettes du demandeur, qui doit être signé par le débiteur et par tous ses créanciers et, d'autre part, par le comportement de l'intéressé qui n'a jamais transmis les pièces justifiant de l'éligibilité de ses dettes et notamment de sa situation fiscale malgré les demandes qui lui étaient adressées en ce sens ; qu'ainsi, au regard de la complexité particulière de la procédure et du comportement de M. F... la longueur de la procédure ne peut être regardée comme excessive et de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la faute ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 19 février 1997, le préfet des Alpes de Haute-Provence a informé M. F... que la commission départementale des rapatriés avait déclaré son dossier éligible à un plan d'apurement assortie d'une aide exceptionnelle de l'Etat et que des négociations étaient en cours et que, par lettre du 26 septembre 2000, le ministre de l'emploi et de la solidarité lui a indiqué que son dossier avait été repris par la CONAIR ; que, toutefois, ces courriers ne peuvent être regardés comme comportant une promesse dont la méconnaissance engagerait la responsabilité de l'Etat ; qu'en revanche, il ressort sans aucune ambigüité tant du courrier du secrétaire général de la mission interministérielle aux rapatriés du 7 janvier 2010 que de la lettre du 9 mai 2011 du préfet des Alpes de Haute-Provence, que l'Etat a toujours entendu subordonner l'octroi d'une aide à M. F...à la régularisation par l'intéressé de sa situation fiscale ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne serait être engagée à raison de prétendues promesses non tenues ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F..., à Madame A...F...et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Copie en sera adressée à la ministre des armées et au préfet des Alpes de Haute-Provence.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2018, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président-assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 octobre 2018.
2
N° 16MA04472
nl