Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 janvier 2017, le 3 janvier 2018 et le 11 avril 2018, la SAS Distribution Casino France, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 3077T du 11 octobre 2016 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a accordé à la SARL Pronice l'autorisation préalable requise en vue de procéder à la création d'un supermarché à l'enseigne " Super U " d'une surface de vente de 2 163 m², à Nice (Alpes-Maritimes) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande d'autorisation d'exploitation commerciale présentée par la SARL Pronice était " irrecevable ", dès lors que la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale aurait dû être sollicitée par le propriétaire du terrain, par toute personne habilitée à exécuter les travaux ou par le mandataire d'une de ces personnes ;
- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 752-36 du code de commerce, dès lors qu'il n'est pas démontré que les signataires de l'avis du ministre chargé du commerce et de l'avis du ministre chargé de l'urbanisme justifiaient d'une délégation de signature ;
- le dossier de demande d'autorisation était incomplet au regard des exigences des articles R. 752-6 et R. 752-7 du code de commerce ;
- la décision méconnaît l'objectif d'aménagement du territoire, dès lors que le projet aura un impact néfaste sur l'animation de la vie urbaine et conduira à la création d'une friche commerciale, qu'il aura pour effet une saturation du trafic routier et un risque sécuritaire pour les usagers, alors que la réalisation de l'aménagement routier nécessaire est hypothétique et que les modes de transport doux sont insuffisants ;
- la décision méconnaît l'objectif de développement durable, dès lors que l'insertion paysagère du projet n'est pas satisfaisante, que sa qualité environnementale est faible et qu'il induira des nuisances pour son environnement proche ;
- la décision méconnaît l'objectif de protection des consommateurs, dès lors que la réalisation du projet conduira à la création d'une friche commerciale et que son environnement comporte déjà une offre commerciale variée.
Par des mémoires, enregistrés le 26 septembre 2017 et le 17 janvier 2018, la SARL Pronice, représentée par Me A..., demande à la Cour de rejeter la requête de la SAS Distribution Casino France et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de ce que la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale aurait dû être sollicitée est irrecevable ;
- les autres moyens soulevés par la SAS Distribution Casino France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le décret n° 2015-165 du 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me E... pour la SAS Distribution Casino France, et de Me H..., substituant Me A..., pour la SARL Pronice.
1. Considérant que, par une décision du 11 octobre 2016, la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté le recours exercé par la SAS Distribution Casino France à l'encontre de la décision du 30 mai 2016 de la commission départementale d'aménagement commercial des Alpes-Maritimes accordant à la SARL Pronice l'autorisation préalable requise en vue de procéder, sur le territoire de la commune de Nice, à la création d'un supermarché à l'enseigne " Super U " d'une surface de vente de 2 163 m² ; que la SAS Distribution Casino France demande l'annulation de la décision ainsi prise par la Commission nationale d'aménagement commercial ;
Sur la légalité de la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial du 11 octobre 2016 :
En ce qui concerne la nécessité d'une demande de permis de construire :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-14 du même code : " Sont soumis à permis de construire les travaux suivants, exécutés sur des constructions existantes, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires : / (...) c) Les travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, lorsque ces travaux s'accompagnent d'un changement de destination entre les différentes destinations et sous-destinations définies aux articles R. 151-27 et R. 151-28 (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 151-27 de ce code : " Les destinations de constructions sont : / 1° Exploitation agricole et forestière ; / 2° Habitation ; / 3° Commerce et activités de service ; / 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics ; / 5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire " ; qu'aux termes de l'article R. 752-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n° 2015-165 du 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial : " La demande d'autorisation d'exploitation commerciale est présentée : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains ou immeubles, par toute personne justifiant d'un titre du ou des propriétaires l'habilitant à exécuter les travaux ou par le mandataire d'une de ces personnes ; / b) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; / Dans le cas où un permis de construire n'est pas nécessaire, la demande d'autorisation d'exploitation commerciale peut également être présentée par toute personne justifiant d'un titre du ou des propriétaires l'habilitant à exploiter commercialement les immeubles ou par le mandataire de cette personne " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le supermarché en litige a vocation à occuper le rez-de-chaussée d'un ensemble immobilier situé 19-25 boulevard de l'Armée des Alpes à Nice, comportant des logements, des commerces et des locaux dévolus à l'exercice d'une activité artisanale, dont la construction a été autorisée par le maire de la commune de Nice par un permis de construire délivré le 1er mars 2013, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que le projet d'implantation de ce supermarché aurait nécessité la délivrance d'un permis de construire en application des dispositions citées de l'article R. 421-14 du code de l'urbanisme, en l'absence de tout changement de destination de la construction autorisée ; que la circonstance qu'un permis de construire modificatif a été délivré le 9 février 2016 est sans incidence à cet égard ; que, dans ces conditions, la SAS Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale aurait dû être sollicitée par le propriétaire du terrain, par toute personne habilitée à exécuter les travaux ou par le mandataire d'une de ces personnes ;
En ce qui concerne la procédure suivie devant la Commission nationale d'aménagement commercial :
4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 752-36 du code de commerce : " (...) Le commissaire du Gouvernement présente et communique à la commission nationale les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce (...) " ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les avis des ministres chargés du commerce et du ministre chargé de l'urbanisme ont été respectivement signés par M. G... F..., chef du service tourisme, commerce, artisanat et services, et par Mme B... D..., adjointe à la sous-directrice de la qualité du cadre de vie ; qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1er et 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, de l'arrêté du 19 septembre 2014 portant délégation de signature et de la décision du 5 avril 2016 portant délégation de signature, que ces personnes, dont les actes de délégation de signature ont été publiés au Journal officiel les 24 septembre 2014 et 8 avril 2016, avaient, de ce fait, respectivement qualité pour signer, au nom du ministre chargé du commerce, d'une part, et du ministre chargé de l'urbanisme, d'autre part, les avis du 5 et du 10 octobre 2016 recueillis par le commissaire du gouvernement au titre de l'article R. 752-36 du code de commerce ;
En ce qui concerne la composition du dossier de la demande d'autorisation :
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce : " La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments suivants : / 1° Informations relatives au projet : / (...) g) Autres renseignements : / (...) si le projet comporte un parc de stationnement : le nombre total de places, le nombre de places réservées aux personnes à mobilité réduite (...) ; / 3° Cartes ou plans relatifs au projet : / (...) c) Une carte ou un plan de la desserte du lieu d'implantation du projet par les transports collectifs, voies piétonnes et pistes cyclables ; / (...) 4° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : / (...) c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; / d) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules ; / e) Indication de la distance du projet par rapport aux arrêts des moyens de transports collectifs, de la fréquence et de l'amplitude horaire de la desserte de ces arrêts ; / f) Analyse prévisionnelle des flux de déplacement dans la zone de chalandise, tous modes de transport confondus, selon les catégories de clients ; (...) " ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les informations relatives à l'évaluation des flux de circulation supplémentaires figurant dans le dossier ont été complétées au cours de l'instruction devant la Commission nationale d'aménagement commercial par la production par la pétitionnaire d'une étude de trafic datée du mois d'octobre 2016, fondée notamment sur une observation des flux réalisée au cours des périodes d'affluence des magasins d'alimentation situés en centre-ville, et précisant les capacités d'absorption résiduelles du trafic automobile de la voie d'accès au parc de stationnement du supermarché ; que, par ailleurs, le dossier de demande décrivait précisément la distance du projet par rapport aux arrêts de bus et aux stations de tramway le desservant, et comportait le détail des fréquences de passage et de l'amplitude horaire de cette desserte ; qu'ainsi, et alors que les dispositions citées de l'article R. 752-6 du code de commerce n'exigent pas, au titre des effets du projet en matière d'aménagement du territoire, que le dossier comporte des éléments relatifs à la sécurité et au cheminement des cyclistes et des personnes à mobilité réduite à l'intérieur du périmètre, la pétitionnaire, contrairement à ce qui est soutenu, a fourni à la Commission nationale d'aménagement commercial les éléments lui permettant d'apprécier les effets du projet en matière d'aménagement du territoire ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 752-7 du code de commerce : " (...) Lorsque le projet ne nécessite pas de permis de construire, le dossier déposé comprend, outre les éléments prévus à l'article R. 752-6, les éléments suivants : / (...) f) Une photographie axonométrique du site actuel et une présentation visuelle du projet permettant d'apprécier sa future insertion par rapport aux constructions avoisinantes et aux paysages, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et du terrain ; / g) Un document graphique représentant l'ensemble des façades du projet " ;
9. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale présenté par la SARL Pronice comportait l'ensemble des éléments permettant à la commission d'évaluer l'impact visuel du projet sur son environnement ;
En ce qui concerne l'appréciation portée par la Commission nationale d'aménagement commercial :
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " I. - L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale (...). / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales (...) " ;
11. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet a vocation à s'implanter au rez-de-chaussée d'un ensemble immobilier dont la construction participe au renouvellement urbain ; que si la réalisation du projet conduira au transfert du magasin d'une surface de vente de 366 m², à l'enseigne " U Express ", actuellement exploité sur le même boulevard, il n'est pas établi, contrairement à ce que soutient la société requérante, qu'elle entraînerait l'apparition d'une friche commerciale, dès lors qu'un repreneur potentiel du magasin actuellement exploité a manifesté son intérêt auprès de " Système U " ; que, par ailleurs, aucun élément au dossier n'établit que le transfert du magasin actuellement exploité et l'extension de sa surface de vente à 2 163 m² serait susceptible de nuire à l'animation de la vie urbaine dans la zone de chalandise ; qu'il résulte du dossier de demande et d'une étude de trafic réalisée en octobre 2016 que la desserte actuelle est adaptée à l'augmentation du trafic automobile induite par la réalisation du projet, laquelle sera limitée, dès lors qu'une partie de la clientèle sera piétonne, de sorte qu'aucun aménagement n'est nécessaire, et que la création d'une aire de décharge des véhicules de livraison à l'intérieur du bâtiment, dont l'accès sera séparé de l'entrée du parc de stationnement souterrain, aura en tout état de cause pour effet de limiter l'encombrement du boulevard ; que dans ces conditions, la commission nationale a pu estimer, sans erreur d'appréciation, que le projet en litige ne compromet pas l'objectif d'aménagement du territoire, en dépit de l'insuffisance de l'accès cycliste, laquelle ne pouvait justifier à elle seule un refus de l'autorisation sollicitée ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les obligations de la réglementation thermique 2012 en matière d'isolation thermique et de systèmes de production seront respectées ; qu'en outre, l'ensemble immobilier bénéficie d'un traitement architectural similaire aux immeubles bordant le boulevard, qui sera de nature à favoriser son insertion dans son environnement ; qu'enfin, les nuisances lumineuses seront limitées par l'installation de luminaires à flux directs et la limitation des niveaux d'éclairages, la localisation à l'intérieur du bâtiment des zones techniques permettra d'éviter les nuisances olfactives, et la création de zones de déchargement à l'intérieur du bâtiment permettra de limiter les nuisances sonores pour l'environnement proche ; que dans ces conditions, la commission nationale a pu également estimer, sans erreur d'appréciation, que le projet en cause ne compromet pas l'objectif de développement durable ;
13. Considérant, en dernier lieu, qu'alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le risque d'apparition d'une friche commerciale n'est pas établi, il ressort des pièces du dossier que le projet contribuera à la modernisation des équipements commerciaux existants dans la zone de chalandise ; que dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le projet compromettrait la protection des consommateurs ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS Distribution Casino France n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les conclusions présentées par la SAS Distribution Casino France, partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge une somme de 2 000 à verser à la SARL Pronice sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Distribution Casino France est rejetée.
Article 2 : La SAS Distribution Casino France versera à la SARL Pronice une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Distribution Casino France, à la SARL Pronice et à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Copie en sera adressée à la commune de Nice.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2018, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- Mme Boyer, premier conseiller,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 mai 2018.
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N° 17MA00128
nc