Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... F...ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur revenu et de contribution sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2004, 2005 et 2006 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1103457 du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour avant renvoi :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 août 2013, le 23 avril 2014 et le 27 juillet 2015, M. F..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2013 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- s'agissant du montant des distributions dont la preuve incombe à l'administration, la reconstitution des recettes de la société Le Cosmos repose sur des taux de réfaction insuffisants, des tarifs de vente excessifs au regard d'un coefficient de marge brute moyen de 4,5 et doit prendre en compte les achats affectés à un usage privé, le caractère probant de l'attestation du gérant ne pouvant être remise en cause ;
- s'agissant de l'appréhension des revenus réputés distribués, il ne peut être regardé avec son épouse comme attributaire des distributions qui correspondent à des sommes appréhendées par le gérant de la SARL Le Cosmos, M. A... ;
- l'administration ne démontre pas que la SARL Les Thermes se serait interposée entre la société Le Cosmos et M. et Mme G... quand bien même y aurait-il eu confusion entre les deux sociétés ;
- l'administration ne peut faire jouer la présomption de distribution en présence de deux maîtres de l'affaire ;
- dès lors que l'administration les considère comme maîtres de l'affaire ils ne pouvaient être privés du débat oral et contradictoire suivi lors de la vérification de comptabilité de la société Le Cosmos ;
- l'administration ne démontre pas davantage que la SARL Les Thermes aurait bénéficié des flux de trésorerie de la SARL Le Cosmos, qu'elle aurait procédé à leur désinvestissement avant de les distribuer ;
- il n'a pas été démontré qu'ils auraient disposé d'un revenu en provenance de la SARL Le Cosmos ou de la SARL Les Thermes au cours des années en litige pour l'application de l'article 12 du code général des impôts ;
- s'agissant des pénalités, leurs conclusions sont recevables ;
- les majorations ne sont ni fondées ni motivées ;
- les impositions de l'année 2004 sont prescrites en application de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales à défaut pour l'administration d'établir la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification du 20 décembre 2007.
Par des mémoires, enregistrés le 25 février 2014, le 18 décembre 2014 et le 25 novembre 2015, le ministre chargé du budget conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à la décharge des pénalités sont irrecevables faute pour les intéressés d'avoir fait l'objet d'une réclamation préalable et de contestation dans leur requête introductive d'instance ;
- les moyens présentés par M. F... ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 13MA03472 du 11 février 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête de M. F... tendant à l'annulation du jugement du tribunal de Marseille du 2 juillet 2013.
Par une décision n° 398686 du 24 novembre 2017, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé, sur pourvoi de M. F..., cet arrêt du 11 février 2016 et a renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour après renvoi :
La requête de M. F... a été enregistrée au greffe de la Cour sur renvoi du Conseil d'Etat le 24 novembre 2017.
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2018 puis le 15 janvier 2018, le ministre de l'action et des comptes publics persiste dans ses conclusions tendant au rejet de la requête de M. F... par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boyer,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant qu'à la suite de la vérification de comptabilité de la SARL Le Cosmos, exploitante d'une discothèque, portant sur les exercices clos de 2004 à 2006, dont M. et Mme F... détenaient chacun 50 % des parts, l'administration fiscale a procédé à l'imposition entre les mains de ces derniers, des revenus réputés distribués sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts selon la procédure contradictoire ; que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme F... ont été assujettis au titre des années 2004 à 2006 ont été assorties de pénalités pour manquement délibéré ; que par jugement du 2 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires ; que, par arrêt n° 13MA03472 du 11 février 2016, la Cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils avait formé contre ce jugement ; que par décision n° 398686 du 24 novembre 2017, le Conseil d'État statuant au contentieux, sur pourvoi de M. F..., a annulé cet arrêt au motif que la Cour avait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le délai de reprise de l'administration était expiré s'agissant de l'année 2004, faute pour l'administration d'établir que, lors de la notification postale de la proposition de rectification du 20 décembre 2007, un avis de passage avait été déposé lors de la présentation du pli ; que le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire à la Cour ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les conclusions présentées par M. F... dans sa réclamation présentée le 15 septembre 2010 portaient sur des montants de 167 836 euros en matière d'impôt sur le revenu des années 2004 à 2006 et de 53 115 euros en matière de contributions sociales au titre des mêmes années correspondant aux montants d'impositions supplémentaires mis à sa charge tant en droits qu'en pénalités ; qu'il doit être, par suite, regardé comme ayant entendu contester les pénalités mises à sa charge par voie de conséquence du mal-fondé des suppléments d'impositions en litige ; que la fin de non-recevoir opposée par le ministre aux conclusions tendant à la décharge des pénalités en cause pour défaut de réclamation préalable doit être rejetée ;
Sur les impositions dues au titre de l'année 2004 :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. " ; qu'aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification. (...) " ;
4. Considérant qu'il incombe à l'administration d'établir que la proposition de rectification est parvenue en temps utile au contribuable pour interrompre le délai de reprise prévu par les dispositions précitées ; qu'en cas de retour à l'expéditeur du pli recommandé contenant le document, le contribuable ne peut être regardé comme l'ayant reçu que s'il est notamment établi qu'il a été avisé, par la délivrance d'un avis de passage, de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste dont il relève ; que cette preuve peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve ;
5. Considérant que pour justifier de la notification de la proposition de rectification du 20 décembre 2007, le ministre verse au dossier, des copies de l'enveloppe et de l'avis de réception du pli revêtue des seules mentions " non réclamé " et " présentation : le 26/12/07 " ; qu'ainsi l'administration fiscale n'établit pas que M. et Mme F... auraient été informés de la mise en instance du pli contenant la proposition de rectification concernant l'impôt sur le revenu et les contributions sociales dues au titre de l'année 2004 avant le 31 décembre 2017 date à laquelle expirait le délai de reprise de l'administration ; que la proposition de rectification n'a dès lors pu interrompre la prescription en ce qui concerne ces impositions ; que, par suite, le moyen tiré de la prescription de l'action en reprise de l'administration doit être accueilli ; que M. F... est, dès lors, fondé à demander la décharge du supplément d'imposition mis à sa charge au titre de l'année 2004 et par voie de conséquence des pénalités correspondantes ;
Sur les impositions dues au titre des années 2005 et 2006 :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
6. Considérant que l'irrégularité de la procédure d'imposition suivie à l'égard de la SARL Le Cosmos, à la supposer établie, n'a d'incidence ni sur la régularité de la procédure suivie à l'égard de M. et Mme F... ni sur le bien-fondé des impositions auxquelles ils ont été assujettis ; que, par suite, M. F... ne peut utilement soulever le moyen tiré de ce qu'il aurait été privé d'un débat oral et contradictoire dans le cadre de ce contrôle ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
7. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital " ; et qu'aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. (...) Les sommes imposables sont déterminées pour chaque période retenue pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés par la comparaison des bilans de clôture de ladite période et de la période précédente selon des modalités fixées par décret en conseil d'Etat. " ;
8. Considérant que M. F... n'ayant pas accepté les rectifications découlant du rattachement à son revenu global des bénéfices de la SARL Le Cosmos, regardés comme distribués à la suite de la reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise, il incombe à l'administration d'apporter la preuve, d'une part, de l'existence et du montant des revenus distribués et, d'autre part, de leur appréhension par M. F... et son épouse ;
9. Considérant, en premier lieu, que pour procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Le Cosmos, le service, après avoir rejeté la comptabilité dont l'absence de caractère probant n'est pas contestée, a additionné les recettes reconstituées à partir des achats comptabilisés et des variations de stock et les recettes reconstituées à partir des achats non comptabilisés mis en évidence par l'exercice du droit de communication exercé auprès des fournisseurs ; que pour les premières, il a procédé à des réfactions afin de tenir compte de la casse, des vols, des consommations du personnel et des offerts à partir des propositions de la SARL Le Cosmos relatives à la répartition entre les ventes de boissons au verre et à la bouteille et des éléments communiqués par le contribuable ; que pour les secondes, il a appliqué un taux de marge déterminé à partir des résultats de la reconstitution des recettes des achats comptabilisés ; que M. F... ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les taux de réfaction et le taux de marge ainsi retenus à partir des données intrinsèques de l'entreprise ; que l'attestation établie par M. A..., gérant de la société indiquant qu'il aurait effectué auprès de la société Métro des achats à titre privé, représentant 20 à 25 % du chiffre d'affaires ne permet pas davantage de remettre en cause la reconstitution effectuée par le vérificateur ; que l'administration doit donc être regardée comme ayant établi le bien-fondé du montant des recettes omises dans les déclarations souscrites par la SARL Le Cosmos au titre des années vérifiées et par voie de conséquence celui des revenus regardés comme distribués à M. et Mme F... ;
10. Considérant, en deuxième lieu, qu'il revient, ainsi qu'il a été dit au point 8, à l'administration fiscale d'apporter la preuve de l'appréhension par l'intéressé des revenus imposés à son nom ; que, toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle ;
11. Considérant qu'au cours des années correspondant aux impositions en litige M. et Mme F... étaient propriétaires de deux établissements de nuit par l'intermédiaire de deux sociétés la SARL Le Cosmos et la SARL Les Thermes dont ils étaient les seuls associés ; que le vérificateur a relevé que M. et Mme F... étaient pour le premier gérant de fait des deux sociétés et pour la seconde gérante de droit de la SARL Les Thermes, qu'ils disposaient du compte bancaire de cette dernière société sur lequel transitaient les recettes de la SARL Le Cosmos dépourvue quant à elle de tout compte bancaire, que M. F... effectuait les achats de la SARL le Cosmos dès lors que M. A..., gérant statutaire de la SARL Le Cosmos, qui n'était au demeurant ni associé ni salarié, ne disposait d'aucune procuration bancaire ; qu'ainsi l'administration établit que M. F..., devait être regardé comme étant le maître de l'affaire dans les deux sociétés ; que si le vérificateur a également considéré que Mme F... qui bien qu'hospitalisée à compter de 2005 était également maître de l'affaire dès lors qu'elle disposait des mêmes pouvoirs que son époux, il est constant que M. et Mme F... constituaient un même foyer fiscal soumis à imposition commune au titre des années en litige ; que l'administration n'avait donc pas à procéder à la répartition entre eux des sommes distribuées ; qu'ainsi la circonstance qu'ils soient tous les deux qualifiés de maîtres de l'affaire n'a, en l'espèce, pas d'incidence sur le bien-fondé de l'imposition ; que la circonstance que les recettes de la SARL Le Cosmos seraient inscrites en comptabilité sur le compte 467 " SARL Les Thermes " ne permet pas de renverser la présomption de distribution qui pèse sur les époux F...dès lors que M. F... ne produit aucun élément de nature à démontrer que les observations effectuées par le vérificateur sur le fonctionnement de la SARL Les Thermes seraient erronées ni qu'il y aurait eu un obstacle à ce qu'il dispose des fonds transférés sur le compte bancaire de cette société ; que l'administration rapporte donc la preuve qu'il aurait appréhendé les sommes imposées entre ses mains dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;
12. Considérant enfin, qu'il résulte de l'article 109-1-1° du code général des impôts que le bénéfice réputé distribué est celui qui a été réalisé à la clôture de l'exercice ; que, par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que les impositions établies entre ses mains au titre des années 2005 et 2006 correspondant aux rectifications des bénéfices imposables de la SARL Le Cosmos au titre des exercices clos au cours des mêmes années méconnaîtrait le principe d'annualité de l'impôt prévu à l'article 12 du code général des impôts ;
Sur l'application des pénalités :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) " ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, il incombe à l'administration d'apporter la preuve du manquement délibéré reproché au contribuable ; qu'aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79 587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. (...). " ;
14. Considérant qu'en relevant la qualité de maîtres de l'affaire de M. F... et de son épouse et en soulignant le caractère délibéré et répété des minorations de recettes auxquelles ils ont participé, le vérificateur a suffisamment motivé les pénalités infligées aux intéressés et n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales ;
15. Considérant qu'eu égard aux éléments que le vérificateur a retenus pour justifier la qualité de maîtres de l'affaire de M. et Mme F... et le caractère délibéré et répété des minorations, l'administration doit être regardée comme ayant établi le caractère délibéré des manquements dont il s'agit et la volonté des intéressés d'éluder leur imposition commune et cela alors même que Mme F... aurait vu son pouvoir de décision altéré par la maladie ; que l'administration doit, en conséquence, être regardée comme établissant le bien-fondé des pénalités pour manquement délibéré ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. F... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande concernant l'année 2004 ; que le jugement du tribunal doit être annulé dans cette mesure ; que le surplus des conclusions de la requête de M. F... est rejeté ;
17. Considérant que pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'accorder à M. F... la somme qu'il demande sur leur fondement ;
D É C I D E :
Article 1er : Il est accordé à M. F... la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mis à sa charge au titre de l'année 2004 et des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juillet 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2018, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
- Mme Boyer, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 avril 2018.
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N° 17MA04609
mtr