Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SNC H...- Galucci -J...- B...et MM. C... H...,E... B..., F...D...et G...J...ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'Etat à verser à la SNC H...- Galucci -J...-B...la somme de 3 342 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision du 8 octobre 2010 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la SELARL Pharmasud et à MM. H..., B..., D...et J...la somme de 100 000 euros chacun au titre du préjudice moral subi.
Par un jugement n° 1400707 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'agence régionale de santé de Corse à verser à la SNC H...- Galucci -J...-B...la somme de 431 000 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 juin 2016, le 2 décembre 2016 et le 21 avril 2017, l'agence régionale de santé de Corse, représentée par Me I..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 12 mai 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SNC H...- Galucci -J...-B...et autres devant le tribunal administratif de Bastia ;
3°) de mettre à la charge de la SNC H...- Galucci -J...-B...la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est recevable ;
- seule la responsabilité de l'Etat pouvant être recherchée à raison de l'illégalité fautive de la décision du 8 octobre 2010, la demande de première instance était irrecevable ;
- la matérialité du préjudice n'est pas établie.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 octobre 2016, le 19 décembre 2016 et le 11 avril 2017, la SNC H...- Galucci -J...-B...et autres, représentés par la SELARL Sapone - Blaesi, demandent à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à verser à la société la somme de 3 342 000 euros en réparation du préjudice financier et à MM. H..., B..., D...et J...la somme de 100 000 euros chacun au titre du préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- la requête est irrecevable, seul le ministre chargé de la santé ayant qualité pour relever appel du jugement attaqué ;
- l'agence régionale de santé n'est pas recevable à invoquer une fin de non-recevoir pour la première fois en appel ;
- en tout état de cause, il appartenait à l'agence régionale de santé de transmettre la demande indemnitaire préalable à l'autorité compétente ;
- la demande était recevable en tant qu'elle est relative aux préjudices personnels subis par les associés ;
- les moyens soulevés par l'agence régionale de santé ne sont pas fondés ;
- la perte de marge brute en lien direct avec la décision fautive est établie ;
- la perte de valeur du fonds de commerce s'élève à 2 613 000 euros.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement dès lors que le tribunal a interprété de façon erronée les conclusions dont il était saisi, qui étaient dirigées contre l'Etat et non contre l'agence régionale de santé de Corse.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Coutier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SNC H...- Galucci -J...- B...et MM. C... H..., E...B..., F...D...etG... J....
1. Considérant que, par décision du 8 octobre 2010, le directeur général de l'agence régionale de santé de Corse a autorisé le transfert de l'officine de pharmacie exploitée par la société Pharmasud dans le centre-ville de Porto-Vecchio dans un nouveau local situé dans le quartier de La Poretta, dans le nord du territoire communal ; que, sur demande de la SNC H... - Galucci - J...-B...et de ses associés à titre personnel, qui exploitent la pharmacie des Quatre Chemins située à moins d'un kilomètre du nouveau site d'implantation de l'officine de la société Pharmasud, cette décision a été annulée par le tribunal administratif de Bastia par jugement du 8 mars 2012, devenu irrévocable ; que, par jugement du 12 mai 2016, le même tribunal a condamné l'agence régionale de santé de Corse à verser à la SNC H...- Galucci -J...-B...la somme de 431 000 euros en réparation du préjudice financier résultant de l'illégalité fautive de cette décision et a rejeté le surplus des conclusions, tendant au versement de 100 000 euros à chacun des quatre associés au titre du préjudice moral subi ; que l'agence régionale de santé de Corse relève appel de ce jugement ; que, par la voie de l'appel incident, la SNC H...- Galucci - J...-B...et autres demandent à la Cour de faire droit à l'intégralité de leurs conclusions de première instance ;
Sur la recevabilité de la requête :
2. Considérant que l'agence régionale de santé de Corse a le statut d'établissement public de l'Etat à caractère administratif en vertu de l'article L. 1432-1 du code de la santé publique et dispose ainsi de la personnalité juridique ; qu'elle a été condamnée au versement de la somme de 431 000 euros par le jugement attaqué ; que l'agence justifie dès lors d'un intérêt lui donnant qualité pour faire appel de ce jugement ; que la fin de non-recevoir opposée par les intimés ne peut par suite être accueillie ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Considérant que la SNC H...- Galucci - J...-B...et autres ont demandé aux premiers juges de condamner l'Etat à réparer les préjudices invoqués en sollicitant également l'annulation de la décision implicite de l'agence régionale de santé de Corse rejetant leur réclamation indemnitaire préalable ; que les décisions par lesquelles le directeur général d'une agence régionale de santé autorise le transfert d'une officine de pharmacie en application de l'article L. 5125-4 du code de la santé publique sont prises au nom de l'Etat ; que, dans ces conditions, en condamnant l'agence régionale de santé de Corse alors que seule la responsabilité de l'Etat pouvait être engagée à raison de l'illégalité de la décision du 8 octobre 2010, conformément à la demande de la SNC H...- Galucci - J...-B...et autres, le tribunal administratif s'est mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi ; que les règles de représentation de l'Etat devant les juridictions de première instance et la circonstance que l'Etat s'est substitué à l'agence pour s'acquitter du montant de la condamnation, sur le fondement d'une instruction du 17 juin 2011, n'ont en tout état de cause aucune incidence à cet égard ; que, par suite, le jugement est entaché d'irrégularité et doit être annulé ;
4. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SNC H...- Galucci - J...-B...et autres devant le tribunal administratif de Bastia ;
Sur la recevabilité de la demande :
5. Considérant, d'une part, que si le mémoire introductif d'instance ne mentionne pas l'identité des personnes physiques agissant au nom de la SNC H...- Galucci -J...-B..., la demande a été régularisée par le mémoire enregistré le 30 septembre 2015 ;
6. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la demande préalable adressée le 29 avril 2014 au directeur régional de l'agence régionale de santé de Corse, qui est réputée avoir été transmise au ministre chargé de la santé et implicitement rejetée par celui-ci en application de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, alors applicable, a été présentée au nom de la seule SNC H... - Galucci - J...-B..., y compris pour ce qui concerne le préjudice moral ; que l'Etat, qui n'a pas produit de mémoire en défense malgré sa mise en cause dans la l'instance devant la Cour, n'a pas lié le contentieux à l'égard des associés ; que, par conséquent, les conclusions indemnitaires présentées à titre personnel par MM. H..., B..., D...et J...doivent être rejetées comme irrecevables ;
Sur les conclusions indemnitaires de la société :
7. Considérant que la décision du 8 octobre 2010 a été annulée pour un motif de fond tiré de ce que le transfert de l'officine de la société Pharmasud ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier d'accueil, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique ; que l'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que l'indemnité susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, c'est-à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était pas intervenue ;
8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports détaillés de l'expert-comptable de la SNC H... - Galucci - J...-B..., que celle-ci a enregistré une perte de chiffre d'affaires, par rapport à celui qui était attendu, en lien direct et certain avec l'ouverture illégalement autorisée de l'officine de la société Pharmasud, qui a entraîné une perte de marge brute de 287 000 euros pour la totalité de l'exercice 2011 et de 442 000 euros pour celle de l'exercice 2012 ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation du préjudice résultant de la perte de marge, au cours de la période pendant laquelle la décision du 8 octobre 2010 a produit des effets juridiques, en allouant à la société une indemnité de 430 000 euros ;
9. Considérant, en second lieu, que la SNC H... - Galucci - J...-B...a cédé son fonds de commerce à une SELARL, comprenant les mêmes associés à l'exception de l'un d'entre eux parti à la retraite et d'un nouveau pharmacien, avec une perte estimée à 2 613 000 euros en fin d'année 2012 ; que, toutefois, si le chiffre d'affaires de la société a subi les effets de l'ouverture illégale de l'officine transférée par rapport au montant attendu, il n'a que très peu diminué en valeur absolue et dans des proportions comparables aux deux autres officines de Porto-Vecchio non concernées par le litige ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'opération de cession, qui a permis une restructuration financière, ait un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité de la décision du 8 octobre 2010 ; que, dès lors, ce chef de préjudice doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SNC H...- Gallucci - J...-B...et autres sont seulement fondés à demander la condamnation de l'Etat à payer à la société la somme de 430 000 euros ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire application des dispositions de cet article et de mettre à la charge de la SNC H...- Galucci - J...-B...et autres la somme que l'agence régionale de santé de Corse demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'affaire, les conclusions de la société présentées sur le même fondement à l'encontre de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, doivent être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 12 mai 2016 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la SNC H...- Galucci - J...-B...la somme de 430 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'agence régionale de santé de Corse, à la SNC H... - Gallucci - J...-B..., à M. C... H..., à M. E... B..., à M. F... D..., à M. G... J...et au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre
- M. Guidal, président assesseur,
- M. Chanon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2017.
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N° 16MA02229
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