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13/07/2017 | FRANCE | N°15MA01757

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre - formation à 3, 13 juillet 2017, 15MA01757


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à indemniser le préjudice qu'elle a subi et résultant du décès de son mari du fait de la faute commise par le département.

Par un jugement n° 1301536 du 27 février 2015, rectifié pour erreur matérielle par ordonnance du 31 mars 2015, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le département de l'Hérault à verser à Mme C... la somme de 124 673,68 euros assortie des intérêts au

taux légal et a mis les frais de l'expertise judiciaire, d'un montant de 500 euros, à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à indemniser le préjudice qu'elle a subi et résultant du décès de son mari du fait de la faute commise par le département.

Par un jugement n° 1301536 du 27 février 2015, rectifié pour erreur matérielle par ordonnance du 31 mars 2015, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le département de l'Hérault à verser à Mme C... la somme de 124 673,68 euros assortie des intérêts au taux légal et a mis les frais de l'expertise judiciaire, d'un montant de 500 euros, à la charge du département.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 avril 2015 et par deux mémoires, enregistrés les 22 août 2016 et 26 septembre 2016, le département de l'Hérault, représenté par la Selarl d'avocats Phelip et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 février 2015 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a retenu sa responsabilité et qu'il a mis à sa charge la somme de 124 673,68 euros en réparation du préjudice subi par Mme C... et les frais d'expertise ;

2°) à titre principal, de le mettre hors de cause, à titre subsidiaire, de rejeter la demande de Mme C..., à titre infiniment subsidiaire, de ramener l'indemnisation de la perte de revenus et du préjudice moral de la requérante à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- dès lors que la victime était liée par un contrat de travail à l'office national des forêts (ONF), établissement public industriel et commercial, seul le juge judiciaire est compétent pour connaître de la responsabilité de l'ONF du fait du décès, à raison de son exposition sans protection aux poussières de bois, d'un forestier-sapeur mis à sa disposition en application de la convention du 27 novembre 1985 renouvelée le 22 avril 1997 ;

- en tout état de cause, la responsabilité du département ne peut être engagée ;

- la reconnaissance comme maladie professionnelle du cancer de M. C... n'implique pas nécessairement que la maladie résulte d'un défaut de protection par l'employeur ;

- la Cour écartera le rapport incomplet daté du 8 novembre 2011 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ;

- la victime était prioritairement affectée à la défense contre les feux de forêts ;

- les fonctions de débroussaillage exercées accessoirement à l'extérieur et accomplies sur un tracteur équipé d'une cabine ne l'exposaient pas à la poussière de bois ;

- le département respecte les normes d'exposition des travailleurs aux poussières de bois ;

- en tant qu'employeur, il met à la disposition de ses agents les équipements de protection nécessaires en application de l'article L. 4121-1 du code du travail ;

- un contrôle médical renforcé n'était pas justifié en l'espèce ;

- le tabagisme chronique de M. C... est de nature à exonérer le département de sa responsabilité ;

- l'indemnisation du préjudice économique sera ramené à la somme totale de 32 112,36 euros ;

- la réparation du préjudice moral de la requérante sera ramené à une somme comprise entre 12 500 euros et 20 000 euros.

Par deux mémoires, enregistrés les 27 juillet 2016 et 19 septembre 2016, Mme C... conclut au rejet de la requête, et, par la voie de l'appel incident, à ce que les frais de transport restés à sa charge soient indemnisés par l'allocation de la somme de 2 054,40 euros, à ce que son préjudice lié à la douleur d'avoir vu son mari se dégrader soit réparé par la somme de 30 000 euros, à ce que son préjudice moral d'accompagnement soit réparé par la somme de 36 300 euros, à ce que son préjudice lié à la perte d'un être cher soit réparé par la somme de 50 000 euros et à ce que ses troubles dans les conditions d'existence soient réparés par celle de 30 000 euros, assortis des intérêts capitalisés, et en tout état de cause, à ce que soit mis à la charge du département de l'Hérault la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la requête du département est irrecevable dès lors que le président du conseil départemental ne produit pas la délibération l'autorisant à relever appel dans la présente instance ;

- elle n'est pas motivée en méconnaissance des articles R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative ;

- les conclusions du département présentées pour la première fois en appel tendant à sa mise hors de cause sont irrecevables ;

- en tout état de cause, les conventions de 1985 mentionnent que le département reste l'employeur du sapeur-forestier, agent départemental territorial départemental et tiers à ces conventions ;

- le département n'a pas appelé en garantie l'ONF ;

- les fonctions de la victime l'exposaient à la poussière de bois ;

- sa maladie a été reconnue en maladie professionnelle ;

- le département ne peut pas soulever pour la première fois en appel l'irrégularité des opérations d'expertise ;

- les conditions de travail du défunt sont en lien direct et certain avec son décès ;

- les équipements mis à disposition étaient en nombre insuffisant et n'assuraient pas une protection suffisante ;

- l'employeur n'a informé qu'en 2009 ses agents du risque d'exposition aux poussières de bois ;

- son mari n'a pas bénéficié d'un suivi médical spécifique ;

- le département a commis une faute du fait de sa carence dans la prévention des risques pour la santé de ses agents de nature à engager sa responsabilité ;

- sa responsabilité sans faute est aussi engagée ;

- la consommation tabagique n'est pas de nature à favoriser le cancer des sinus dont était atteint la victime ;

- elle établit la réalité des frais de déplacement restés à sa charge ;

- elle a subi un préjudice d'accompagnement et des troubles dans les conditions d'existence indiscutables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 1999/38/CE du Conseil du 29 avril 1999 ;

- la directive 2004/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le décret n° 2003-1254 du 23 décembre 2003 ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Carassic,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public ;

- et les observations de Me B... représentant Mme C....

1. Considérant que M. C... a été recruté en 1979 en tant qu'agent contractuel par le département de l'Hérault en qualité de forestier-sapeur et a été titularisé, par arrêté du 3 novembre 1986, en tant qu'adjoint technique principal par le département ; qu'après plusieurs arrêts de travail à partir de fin mars 2008, une biopsie a révélé un adénocarcinome ethmoïdal (cancer rhino-sinusien) pour lequel l'intéressé a été opéré en novembre 2008 ; que, par arrêté du 29 mai 2009 du président du conseil général de l'Hérault, sa maladie a été reconnue en maladie professionnelle eu égard à son exposition aux poussières de bois inhalées par le nez pendant l'exercice de son activité professionnelle à compter du 18 octobre 2008, conformément à l'avis de la commission de réforme du 15 mai 2009 ; qu'après avis de la commission de réforme du 22 janvier 2010 favorable à l'attribution d'un congé longue durée (CLD) imputable au service pour trois ans à renouveler jusqu'à sa mise en retraite pour invalidité, le président du conseil général de l'Hérault, par décision du 15 février 2010, a décidé de suivre cet avis et de prendre en charge les arrêts de travail ainsi que les frais médicaux au titre de la législation relative aux accidents de service ; qu'estimant que la responsabilité du département était engagée pour carence dans la prévention des risques liés à l'exposition de poussières de bois, M. C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier d'ordonner une expertise à fins de déterminer les préjudices subis en lien avec sa maladie professionnelle ; que l'expert, désigné par ordonnance du 29 mars 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, a remis son pré- rapport le 1er août 2011, et son rapport le 2 novembre 2011 sans pouvoir mener à terme sa mission eu égard au décès de M. C..., survenu le 1er août 2011, des suites de son cancer ; que Mme veuve C...a formé une demande préalable indemnitaire notifiée le 14 août 2012 au département, restée sans réponse ; qu'elle a demandé au tribunal administratif de Montpellier réparation des préjudices résultant de la maladie et du décès de son époux ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné le département de l'Hérault à verser à Mme C... la somme de 124 673,68 euros assortie des intérêts en réparation de ses préjudices, a mis les frais d'expertise d'un montant de 500 euros à la charge du département et a rejeté le surplus des conclusions de Mme C... ; que le département de l'Hérault relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé ces condamnations à son encontre ; que Mme C... demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 124 673,68 euros ;

Sur les fins de non recevoir opposées par Mme C... à la requête d'appel du département :

2. Considérant, en premier lieu, que le représentant d'une personne morale partie à une instance devant le juge administratif doit, à peine d'irrecevabilité, justifier de sa qualité pour agir ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 3221-10-1 du code général des collectivités territoriales, le président du conseil départemental intente des actions en justice au nom du département en vertu d'une délibération du conseil départemental ou d'une délégation générale de celui-ci dans les cas qu'il définit ; que le département de l'Hérault, en réponse à une invitation à régulariser de la Cour, a produit la délibération AD/170415/H/2 du 17 avril 2015 par laquelle le conseil départemental de l'Hérault a donné délégation au président du conseil départemental pour notamment intenter au nom du conseil départemental les actions en justice devant les juridictions administratives ; que, par suite, le président du conseil départemental justifie de sa qualité pour agir, au nom du département de l'Hérault, à l'encontre du jugement attaqué du 27 février 2015 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient Mme C..., la requête d'appel du département de l'Hérault comporte, notamment, une contestation du jugement quant à l'engagement de sa responsabilité ; que, par suite, elle est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative qui dispose que " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours " ;

4. Considérant, en troisième lieu, que la détermination de la personne publique responsable d'un dommage relève du champ d'application de la loi et peut être invoquée à tout moment de l'instance contentieuse ; que, par suite, les conclusions du département de l'Hérault tendant pour la première fois en appel à sa mise hors de cause au motif que seule la responsabilité de l'office national des forêts serait susceptible d'être engagée ne sont pas irrecevables, contrairement à ce que soutient Mme C... ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non recevoir opposées à la requête par Mme C... doivent être écartées ;

Sur la fin de non recevoir opposée par le département à la demande de première instance et sur l'exception d'incompétence du juge administratif :

6. Considérant, d'une part, que dès lors que la demande de Mme C... est dirigée contre le département de l'Hérault en sa qualité d'employeur public de M. C..., le juge administratif est seul compétent pour connaître de cette action contentieuse ; que, par suite, l'exception d'incompétence soulevée par le département doit être écartée ;

7. Considérant, d'autre part, que le département soutient que cette demande est mal dirigée au motif que seule la responsabilité de l'ONF, établissement public et commercial, peut être recherchée dans le présent litige à l'exclusion de celle du département et que la juridiction administrative n'est ainsi pas compétente pour connaître du présent litige ; que la circonstance que les forestiers sapeurs, agents de la fonction publique territoriale, ont été mis à la disposition de l'ONF par la convention du 27 novembre 1985, signée entre l'Etat, l'O.N.F. et le département de l'Hérault et renouvelée le 22 avril 1997, relative à l'emploi des forestiers sapeurs dans ce département n'a pu avoir pour conséquence, contrairement à ce que soutient le département, de soumettre les forestiers sapeurs à l'ONF par le biais d'un contrat de travail ; que M. C... est tiers à cette convention qui ne lui est, par suite, pas opposable ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. C..., recruté par contrat du 20 décembre 1984 par le département de l'Hérault a été titularisé par arrêté du 3 novembre 1986 dans son grade de forestier-sapeur assimilé à ouvrier professionnel de 1ère catégorie ; que le département de l'Hérault, qui rémunérait et exerçait son pouvoir disciplinaire sur cet agent, était son employeur, chargé en cette qualité d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité ; que, par suite, le département de l'Hérault n'est pas fondé à demander sa mise hors de cause et la présente requête de Mme C... tendant à la réparation pour faute d'un dommage corporel subi par un fonctionnaire territorial relève du juge administratif ;

Sur la responsabilité pour faute du département :

8. Considérant qu'en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l'Etat qui se trouvent dans l'incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d'une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales prévoient, conformément aux prescriptions du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit des agents tributaires de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ;

9. Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien incombait à celle-ci ;

En ce qui concerne la faute du département :

10. Considérant que les premiers juges ont retenu la faute du département au motif que les conditions de travail de M. C... l'ont exposé sans protection aux poussières de bois et que l'administration n'a pas mis en place un suivi médical particulier pour cet agent malgré cette exposition qui a donné lieu après 25 ans de service à l'apparition d'un adénocarcinome de l'ethmoïde dont l'époux de la requérante est décédé ;

11. Considérant que la pathologie de l'adénocarcinome ethmoïdal ou cancer rhino-sinusien figure au tableau 36 du régime agricole des maladies professionnelles depuis un décret du 15 janvier 1976 ; que, pour établir avoir pris les mesures nécessaires pour préserver ses agents des conséquences sur leur santé de l'exposition aux poussières de bois, le département soutient qu'il leur a fourni des casques de protection intégrale individuel avec écran facial et lunettes-masque, dont il ne conteste pas qu'ils protègent les forestiers-sapeurs contre les projections de débris mais nullement contre les poussières de bois, des masques de protection jetables dont il n'est pas établi que, même commandés en nombre suffisant, ils aient été effectivement mis à disposition de M. C... ; que si le département fait valoir qu'il a créé depuis 1995 un poste de coordinateur en matière de sécurité et de protection, qui a mené de nombreuses actions de sensibilisation sur la nécessité du port de protection individuelle en matière de sécurité contre l'incendie, il ressort des pièces du dossier que ce n'est qu'en novembre 2009 qu'une information a été portée à la connaissance des forestiers-sapeurs sur la nécessité de porter un masque anti-poussière de bois et sur la nocivité de ces poussières, alors que les normes d'exposition des travailleurs aux poussières de bois ont été fixées dès la directive 1999/38/CE du Conseil du 29 avril 1999 codifiée par la directive 2004/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 et que le décret n° 2003-1254 du 23 décembre 2003 a fixé à partir du 1er juillet 2005 la valeur limite d'exposition à 1mg/m3 de poussières de bois durs et tendres ; qu'en outre, M. C... n'a pas fait l'objet, en dehors d'un suivi médical annuel " classique " d'un suivi médical particulier complémentaire, qui aurait permis de diagnostiquer plus tôt ce cancer rhino-sinusien qui est insidieux ; que, dans ces conditions, le département de l'Hérault n'établit pas qu'il a rempli son obligation générale d'employeur d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité et a commis une négligence fautive de nature à engager sa responsabilité ;

En ce qui concerne le lien de causalité :

12. Considérant, d'une part, qu'il résulte de la littérature médicale produite par Mme C... et notamment une thèse pour le diplôme d'Etat de docteur en médecine en oto-rhino-laryngologie de l'année 2002 que l'adénocarcinome de l'ethmoïde touche essentiellement des hommes travaillant le bois, d'une moyenne d'âge de 62,8 ans, qui ont connu une exposition aux poussières de bois pendant 31,5 ans en moyenne ; que le pré-rapport du 1er août 2011 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif, qui peut être pris en compte par la Cour à titre d'élément d'information malgré le décès de M. C... survenu avant le dépôt du rapport définitif, mentionne un certificat médical établi le 18 octobre 2008 du médecin traitant de M. C... pour adénocarcinome de l'ethmoïde "en rapport avec un contact repéré avec de la sciure de bois", ainsi qu'un certificat médical daté du 16 octobre 2008 du Pr Crampette, ORL de l'hôpital Gui de Chaulliac dépendant du centre hospitalier universitaire de Montpellier, qui affirme qu'il ne peut être exclu que l'exposition de M. C..., qui est amené de par ses fonctions de sapeur-forestier à travailler dans la poussière de bois depuis une trentaine d'années, soit à l'origine de sa maladie et un certificat médical daté du 6 janvier 2009 du médecin du centre Val d'Aurelle qui indique que le cancer de ce patient, garde-forestier, pourrait "s'intégrer dans le cadre des maladies professionnelles" ; que l'expert conclut d'ailleurs à la reconnaissance en maladie professionnelle régime agricole tableau n° 36 C, ce que le département a d'ailleurs accepté par arrêté du 29 mai 2009 ; que le courrier du 20 octobre 2015 du professeur Crampette affirme que 100 % des adénocarcinomes de l'ethmoïde ont pour cause l'exposition à la poussière de bois et que donc "le caractère fortuit de ce carcinome est médicalement infondé" ; que le département, qui ne produit aucune littérature médicale en ce sens, n'est ainsi pas fondé à soutenir que ce type de pathologie ne résulterait pas nécessairement d'une exposition aux poussières de bois et pourrait résulter d'un " cas fortuit " ;

13. Considérant que, d'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment de la fiche de poste de M. C... actualisée au 9 juillet 2008, que ce forestier-sapeur avait comme activité, pendant les 9 mois de l'année où il ne participait pas à la défense des forêts contre l'incendie, dans le cadre de sa mission de préservation et d'entretien du patrimoine forestier, d'effectuer des travaux de débroussaillage des bords des pistes de défense contre l'incendie et de créer et d'entretenir des ouvrages coupe feu à l'aide soit d'engins mécaniques dénommés " épareuse " soit manuellement avec une tronçonneuse ; que M. C... avait aussi pour tâche de broyer des débris de bois et de broussailles, ce qui génère une poussière de bois très importante ; qu'à supposer même que cet agent ait utilisé la plupart du temps une épareuse pour débroussailler les pistes de défense contre l'incendie, le département n'établit pas que la cabine de cet engin, qui n'était pas équipée d'un système d'aspiration, était bien isolée et qu'une forte densité de poussière de bois ne s'y concentrait pas, ce qui peut aboutir aux mêmes conditions d'exposition qu'un travail en atelier, alors même que M. C... travaillait en extérieur ; que, par suite, le département n'est pas fondé à soutenir que M. C... n'était pas exposé à la poussière de bois pendant son travail ;

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C... est décédé des seules suites de ce cancer ; que le professeur Crampette, dans son courrier du 20 octobre 2015, affirme qu'un tel type d'adénocarcinome est toujours en relation avec la poussière de bois " qu'il y ait ou non tabagisme associé" ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le tabagisme de M. C... aurait joué un rôle dans la survenance et la progression de ce cancer et que la responsabilité du département pourrait être exonérée pour ce motif ; que le lien de causalité entre la faute du département et le préjudice subi est ainsi établi ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la responsabilité sans faute de l'administration, le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que sa responsabilité pour faute était engagée du fait des conséquences dommageables du décès de M. C... ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne la perte de revenus :

15. Considérant qu'en se bornant à soutenir que Mme C... serait susceptible de reprendre un emploi et de percevoir l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), le département n'établit pas que les premiers juges n'auraient pas pris en compte, comme ils le devaient, les revenus réellement perçus par la victime indirecte pour estimer sa perte de revenus ; que les conclusions du département tendant à ce que la réparation de ce chef de préjudice soit minorée à la somme de 32 123,36 euros doivent, par suite, être rejetées ;

En ce qui concerne les frais de transport :

16. Considérant qu'en se bornant à soutenir, par la voie de l'appel incident, que l'ensemble des frais de transport qu'elle a dû engager pour conduire son époux à ses rendez- vous médicaux, pour la période du 16 avril 2010 au 23 mai 2011, n'auraient pas été remboursés par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, sans apporter d'autres précisions, Mme C... n'établit pas que les premiers juges auraient à tort rejeté la réparation de ce chef de préjudice ;

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

17. Considérant que les premiers juges n'ont fait une estimation ni excessive ni insuffisante de ce chef de préjudice en allouant à Mme C... la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, y compris au titre du préjudice d'affection ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le département de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont fait une évaluation excessive des préjudices subis par Mme C... en lui allouant la somme totale de 124 673,68 euros assortie des intérêts au taux légal ; que Mme C... n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à demander une augmentation du montant de la réparation qui lui a été allouée ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts

19. Considérant que les premiers juges ont assorti la somme de 124 673,68 euros des intérêts au taux légal à compter du 14 août 2012 date de la réception par le département de l'Hérault de la réclamation préalable indemnitaire de Mme C... ; que Mme C... a demandé la capitalisation de ces intérêts dans son mémoire enregistré le 27 juillet 2016 au greffe de la Cour ; qu'à cette date, au moins une année d'intérêts était due ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 27 juillet 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les dépens :

20. Considérant qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la charge des frais d'expertise telle que dévolue par les premiers juges ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C..., qui n'est pas la partie perdant pour l'essentiel dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais engagés par le département de l'Hérault et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département la somme de 2 000 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions de cet article ;

D É C I D E :

Article 1er : Les intérêts de la somme de 124 673,68 euros que le département de l'Hérault a été condamné à payer à Mme C... par l'article 1er du jugement du 27 février 2015 du tribunal administratif de Montpellier, échus à la date du 27 juillet 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du 27 février 2015 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : La requête du département de l'Hérault est rejetée.

Article 4 : Les conclusions incidentes de Mme C... sont rejetées.

Article 5 : Le département de l'Hérault versera la somme de 2 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Hérault, à Mme A... C...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2017, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,

- M. Portail, président-assesseur,

- Mme Carassic, première conseillère.

Lu en audience publique, le 13 juillet 2017.

10

N° 15MA01757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA01757
Date de la décision : 13/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Absence ou existence du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme BUCCAFURRI
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : LANG CHEYMOL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-07-13;15ma01757 ?
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